Charles Bukowski – le génie de la foule

Il y a assez de traîtrise, de haine, de violence,
d’absurdité dans l’être humain moyen
Pour approvisionner à tout moment n’importe quelle armée
Et les plus doués pour le meurtre sont ceux qui prêchent contre
Et les plus doués pour la haine sont ceux qui prêchent l’amour
Et les plus doués pour la guerre – finalement – sont ceux qui prêchent la paix
Ceux Qui Prêchent Dieu ont besoin de Dieu
Ceux Qui Prêchent La Paix n’ont pas la paix.
Ceux qui Prêchent l’amour n’ont pas l’amour.
Attention aux prêcheurs
attention a ceux qui savent.
Attention a ceux qui lisent toujours des livres.
Attention a ceux qui soit détestent la pauvreté soit sont fiers d’elle
Attention a ceux qui sont prompts a glorifier
Car Ils ont besoin d’Être Glorifiés en retour
Attention a ceux qui sont prompts a censurer:
Ils ont peur de ce qu’Ils ne connaissent pas
Attention a ceux qui recherchent la foule:
Ils ne sont rien seuls
Méfiez-vous de l’homme moyen, de la femme moyenne
méfiez-vous de leur amour
Leur amour est moyen,
recherche la médiocrité
Mais il y a du génie dans leur haine
Il y a assez de génie dans leur haine pour vous tuer,
pour tuer n’importe qui
Ne voulant pas de la solitude
Ne comprenant pas la solitude
Ils essaient de détruire
Tout ce qui diffère d’eux
Etant incapables de créer de l’art
Ils ne comprennent pas l’art
Ils ne voient dans leur échec en tant que créateurs
Qu’un échec du monde
Etant incapables d’aimer pleinement
Ils croient votre amour incomplet
Du coup, ils vous détestent
Et leur haine est parfaite
Comme un diamant qui brille
Comme un couteau
Comme une montagne
Comme un tigre
Comme la ciguë
Leur plus grand art.
…
Ce n’est pas ici que s’arrête la rivière – ( RC )

photo roc Calascio – Abruzzes Italie
Sur la forteresse noire
que garde la montagne amère
se succèdent les guetteurs
qui ne regardent pas les oiseaux,
se moquant des frontières,
libres comme l’air.
Les murs sans joie
sont si hauts
qu’ils découpent le ciel,
comme avec un couteau.
Mais l’air se referme aussitôt,
compact dans sa jupe claire -.
Le temps a plus de chance,
il ne se laisse pas arrêter,
il ne franchit pas de portes
comme l’eau de la rivière.
Elle , qui reflète aussi bien le soleil
que les étoiles mortes,
dans le flux continu
des heures.
Les guetteurs l’ont perdu de vue
au creux des bras touffus
de la forêt de la plaine.
La matin contourne avec elle
les rochers,
et ne s’arrête qu’arrivé
au bord de la mer
pour reprendre haleine.
Les murs sans joie
ne renferment que de la haine
et une puissance illusoire
qui s’éteint quand le jour décroît,
absorbée par la nuit,
mais ce n’est pas ici
que s’arrête la rivière.
RC oct 2022
Marie Murski – le matin jupe claire

peinture Marsden Hartley – ( Song of Winter Series), 1908
Le matin jupe claire
dans la rondeur des chances
un raccourci pour prendre l’heure
la relève des guetteurs.
M’aime-t-on dans les sous-bois
dans les rivières
au creux des bras perdus
dérivant vers le lieu du berceau
accroché à l’étoile morte ?
Obstacle
roulis des murs sans joie
le soir passe
un couteau sur la hanche.
Qui donc s’envole ainsi
Emporte le bleu et le blanc
Et désole mon désert ?
–
Extrait de Si tu rencontres un précipice :
Rafael Alberti – Laisse ton rêve

Laisse ton rêve.
Enroule-toi, blanche et nue,
dans ton drap. On t’attend là
derrière les murs du jardin.
Tes parents meurent, endormis.
Laisse ton rêve.
Vite, allons, vite.
Les murs franchis, on t’attend avec un couteau.
Repars chez toi, presse le pas.
Laisse ton rêve.
Vite, allons, vite.
Dans la chambre de tes parents
entre, nue et blanche, en silence.
Cours vite, vite, jusqu’aux murs.
Laisse ton rêve.
Saute. Viens.
Quel rubis flambe dans tes mains
et brûle d’un feu noir ton drap?
Laisse ton rêve.
Vite, allons, vite….
Ferme les yeux et dors.
Rafael Alberti, Matin à terre, suivi de L’Amante / L’Aube de la giroflée (coll. Poésie/Gallimard, 2012)
traduit de l’espagnol par Claude Couffon
Le terme du voyage (sur une peinture de N De Staël ) – (RC )

C’est au sommet de la montée
que se joue le terme du voyage .
L’horizon nous est caché,
mais on peut le deviner
derrière la pente.
La colline se divise en deux parties
nettement opposées :
le couteau d’ombre a tranché
dans les plages de lumière,
et les arbres, dont on ne voit que la tête
opposent au vent leur silhouette
juste avant la descente.
Si j’emprunte ce chemin
plus aride que le ciel désert
sans savoir où il conduit,
ne me mène-t-il pas tout droit
dans la vallée de pierres
du pays d’effroi
où le Blanc sombre dans un Noir
qui n’a pas de fin ?
quand je bascule de l’autre côté
de ce paysage illusoire
où s’égarent les repères …
Pablo Neruda – Ode à la mer

Ici dans l’île
la mer
et quelle étendue!
sort hors de soi
à chaque instant,
en disant oui, en disant non,
non et non et non,
en disant oui, en bleu,
en écume, en galop,
en disant non, et non.
Elle ne peut rester tranquille,
je me nomme la mer, répète-t-elle
en frappant une pierre
sans arriver à la convaincre,
alors
avec sept langues vertes
de sept chiens verts,
de sept tigres verts,
de sept mers vertes,
elle la parcourt, l’embrasse,
l’humidifie
et elle se frappe la poitrine
en répétant son nom.
ô mer, ainsi te nommes-tu.
ô camarade océan,
ne perds ni temps ni eau,
ne t’agite pas autant,
aide-nous,
nous sommes
les petits pêcheurs,
les hommes du bord,
nous avons froid et faim
tu es notre ennemie,
ne frappe pas aussi fort,
ne crie pas de la sorte,
ouvre ta caisse verte
et laisse dans toutes nos mains
ton cadeau d’argent:
le poisson de chaque jour.
Ici dans chaque maison
on le veut
et même s’il est en argent,
en cristal ou en lune,
il est né pour les pauvres
cuisines de la terre.
Ne le garde pas,
avare,
roulant le froid comme
un éclair mouillé
sous tes vagues.
Viens, maintenant,
ouvre-toi
et laisse-le
près de nos mains,
aide-nous, océan,
père vert et profond,
à finir un jour
la pauvreté terrestre.
Laisse-nous
récolter l’infinie
plantation de tes vies,
tes blés et tes raisins,
tes boeufs, tes métaux,
la splendeur mouillée
et le fruit submergé.
Père océan, nous savons
comment tu t’appelles,
toutes les mouettes distribuent
ton nom dans les sables:
mais sois sage,
n’agite pas ta crinière,
ne menace personne,
ne brise pas contre le ciel
ta belle denture,
oublie pour un moment
les glorieuses histoires,
donne à chaque homme,
à chaque femme
et à chaque enfant,
un poisson grand ou petit
chaque jour.
Sors dans toutes les rues
du monde
distribuer le poisson
et alors
crie,
crie
pour que tous les pauvres
qui travaillent t’entendent
et disent
en regardant au fond
de la mine:
«Voilà la vieille mer
qui distribue du poisson».
Et ils retourneront en bas,
aux ténèbres,
en souriant, et dans les rues
et les bois
les hommes souriront
et la terre
avec un sourire marin.
Mais
si tu ne le veux pas,
si tu n’en as pas envie,
attends,
attends-nous,
nous réfléchirons,
nous allons en premier lieu
arranger les affaires
humaines,
les plus grandes d’abord,
et les autres après,
et alors,
en entrant en toi,
nous couperons les vagues
avec un couteau de feu,
sur un cheval électrique
nous sauterons sur l’écume,
en chantant
nous nous enfoncerons
jusqu’à atteindre le fond
de tes entrailles,
un fil atomique
conservera ta ceinture,
nous planterons
dans ton jardin profond
des plantes
de ciment et d’acier,
nous te ligoterons
les pieds et les mains,
les hommes sur ta peau
se promèneront en crachant
en prenant tes bouquets,
en construisant des harnais,
en te montant et en te domptant,
en te dominant l’âme.
Mais cela arrivera lorsque
nous les hommes
réglerons
notre problème,
le grand,
le grand problème.
Nous résoudrons tout
petit à petit:
nous t’obligerons, mer,
nous t’obligerons, terre,
à faire des miracles,
parce qu’en nous,
dans la lutte,
il y a le poisson, il y a le pain,
il y a le miracle.
Traduit par Ricard Ripoll i Villanueva
Guy Goffette – les amarres du jour

Couteau et peigne sur la table
l’un près de l’autre avec
le silence sur eux
plus profond que la mer
Entre ces phares l’histoire d’une femme
Qui trancha seule
Les amarres du jour
Francis VILLAIN – son grand couteau de nuit
sculpture – bronze nuragique ( Sardaigne ) musée de Sassari
Il s’est approché lentement
Avec son grand poignard en peau de nuit
Il a pris, il a pris tout son temps
Avec son grand poignard en peau d’ennui
Il a reniflé dans le vent
Avec son grand sourire de trop de nuit
Il a souri de toutes ses dents
Pour laisser t’approcher lentement
Il a pris tout, tout son temps
De son flanc a délogé une lame de fer
Avec son grand couteau en peau de fer
Il s’est mis à tuer le temps
Il avait froid dans ses grands vents
Il avait de la poule à chair
Il était nu, nu comme un ver
Avec sa lame en peau de fer
Avec son grand couteau de nuit
Il ne savait vraiment pas quoi faire
Il faisait froid, il est parti.
Paul Celan – Toute la vie
les soleils des demi-sommeils sont bleus comme
tes cheveux une heure avant le jour.
Eux aussi poussent vite comme l’herbe sur la tombe d’un oiseau
Eux aussi sont attachés par le jeu, que nous jouiions comme un rêve sur les bateaux de la joie.
Aux falaises crayeuses du temps les poignards aussi les rencontrent.
les soleils des sommeils profonds sont plus bleus : comme ta boucle
ne le fut qu’une fois ;
je m’attardais comme un vent de nuit sur le sein à vendre de ta sœur
tes cheveux pendaient sur l’arbre d’en dessous, mais tu n’étais pas là.
Nous étions le monde, et toi tu étais un arbuste devant les portes.
Les soleils de la mort sont blancs comme les cheveux de notre enfant :
Il s’éleva des eaux montantes, quand tu dressas une tente sur la dune.
Il sortit le couteau du bonheur aux yeux éteints.
–
Patricia Grange – Ennui en estampe chinoise
peinture chinoise atelier churchill
Ennui en estampe chinoise
C’est une goutte
De peinture grise
Qui coule le long
D’une feuille de vie
Au bord du même
Pinceau
Sans jamais
S’arrêter
Sans rien dessiner.
C’est une larme
De froid
Qui roule
Eternellement.
C’est un vide
Palpable.
C’est le café noir
De l’obscurité
Que l’on coupe
Au couteau.
C’est l’absence
De couleurs
D’odeurs
De sons
Où tous les sens
S’éteignent
Comme des étoiles
Jetées dans l’eau
Avec un frisson de râle.
(Patricia Grange)
– Patricia Grange est à l’origine de son site poétique » les jardins de Mariposa »
–
Barbara Köhler – Gedicht
Barbara Köhler – Gedicht Poème
Je me nomme « tu » parce que l’écart s’amincit entre nous comme peau contre peau nous ne sommes plus différents séparés, mais un et l’autre : la frontière c’est la blessure, le gué : une plaie ouverte tu me nommes « je » lequel de nous deux dit vois ce couteau incise, sers-toi
traduit par Sylviane Dupuis ( citée pour sa propre créati n quelques articles plus avant)
aussi dans: Versschmuggel / Mots de passe. Gedichte / Poème