point final à la fête – ( RC )

Les brigands tentaient de renverser la table,
les couteaux plantés
dans le lit de justice,
après avoir brisé quelques vitrines.
La statue vacillant sur son piédestal,
mais à boire trop de bières,
leurs mains se sont figées
dans un festin de pierres,
juste au moment du dessert,
quand les heures s’émiettent ;
les couteaux s’émoussent aussi.
Sur la table, l’ombre du commandeur
se saisit d’une partie de la nuit,
en mettant un point final à la fête.
Amina Saïd – Tous les présages sont faux

Tous les présages sont faux
ni les traces des oiseaux
ni la direction de leur vol
ne traduiront jamais la pensée des dieux
et sur l’autel de leur propre démesure
de longs couteaux de silence sacrifient nos passions
croyant partager le pain du monde
c’est ton corps que tu rompais
il s’en écoulait un peu de cendre
dont jalonner les sentiers orphelins
la vie est un voyage avec une mort à chaque escale
En quittant la Cène – ( RC )

Tu peux mettre la table,
puis renverser la sauce,
découper le gigot en petits morceaux,
sceller le fromage dans un coffre.
Mais oublieras-tu ta faim éternelle,
les osselets qui tintinnabulent
dans une boîte en fer blanc,
identique à celle que tu portes
depuis la naissance ?
Tu as quitté la Cène,
en oubliant ton auréole,
mais tu pourras toujours
témoigner du dernier repas,
et placer des reliques
dans les églises,
les garantissant authentiques.
Un certificat d’origine sera fourni,
avec un ruban rouge
et un petit cachet portant foi,
marqué d’une croix.
Certains utilisent ce symbole
pour en faire de petits couteaux,
qui s’enfoncent à merveille
dans la chair des vivants.
Benjamin Fondane – Villes

peinture: Wayne Thiebaud Sunset Street 1985 ( MoMa)
Villes
Le silence coula sur mes mains
c’était un orage de sable
la ville était pleine de sable
où donc étaient-ils les humains
j’avais beau courir dans le vide
suivi lentement de mes pas, le vide était plus plein
qu’une poitrine gonflée qui fait sauter les pressions,
le vide était si plein, j’avais si peur qu’il n’éclatât
que soudain j’ai pensé qu’il me fallait crier
ressusciter la vie
souhaiter le sifflet des bateaux, des sirènes d’usine
la rumeur des meetings, des fleuves de glace qui cassent
sous la poussée du printemps, les vitrines brisées des grèves générales, le bruit
strident des rémouleurs aiguisant les ciseaux, les couteaux, la criée des poissons dans les halles, les plaintes des marchands d’habits,
des rempailleurs de chaises, des pianos mécaniques et des musiques perforées.
Je vous appelais du fond terreux de mon angoisse
sonorités des étameurs, des camelots, ô chansons nasillardes
des marchandes de quatre-saisons qui font au printemps maladif
l’opération césarienne -Et peu à peu je vis céder mon insomnie
mes oreilles bourdonnaient, une sorte d’âcre paix, une paix nauséeuse,
pénétra dans mon sang avec une vieille odeur de draps
et mon sommeil ouvert comme une bouche d’égout
buvait les cantiques pieux des machines à coudre,
le ronflement régulier des tuyaux de vidanges, le souffle léger de la vie qui monte et qui grince, ô poulie !
Le bruit de plus en plus fatigué de la vie.
–
Alain Borne – Dors ma petite fille

photo Tina Modotti
Dors ma petite fille
tandis que des couteaux ensemencent d’argent
l’horizon qu’ils meurtrissent
c’est dans si longtemps qu’il faudra mourir
la vie descend vers la mer de son sable insensible
Dors contre mon cœur fleur de mon émoi.
Laisse-moi parler de ma vie
il est tard chez moi, ma petite aube
il faudrait une horloge folle pour sonner mes heures
un jaquemart d’enfer.
C’en est fini de la jeunesse où l’amour est sans réponse ces mains qui chassent tes
cheveux contre la douceur
du vent ces lèvres de chanson et ce cœur qui t’apaise sont ceux d’un homme de la honte
Laisse-moi parler de ce pays où l’on va vêtu de fourrures où règne un froid étrange et des
gestes légendaires
Tu le vois luire comme un nord de neige grise
C’est là-bas que j’ai vécu entre le meurtre et le remords
c’est là-bas que nous irons poussés par
Dieu et par le sang et je te recevrai
parmi les autres loups comme une louve
Dors dans le soleil et dans ta chair fragile
personne encore n’attelle le traîneau
le moujik s’enivre à l’auberge des âges
et les chevaux sont encore libres au-delà de la terre
Mais je sais que le
Vieux malgré sa longue ivresse construira la voiture de ses mains ironiques et qu’il fera
pleuvoir une pluie de lassos sur le rêve de ces montures
Je vois déjà son ombre immense, je la connais
il vient pour toi, il prend mesure
comme pour ton léger cercueil
et fait claquer son fouet dans l’air illusoire
où naîtra l’attelage
Ton innocence peut dormir sur la blessure de mon
cœur les lys poussent le long des mares et leur blancheur se
retrouve sur l’eau sale devenue miroir
Hélas j’écoute dans sa prison mûrir ton sang rien ne me retiendra de délivrer son cours
quand ta pudeur dépaysée des landes épellera les brûlures de la vie
Dors petite aube, dans le murmure de mon chagrin
la vie est douce, la mort est loin
et les chemins vont sous les fleurs vers un
Dieu qui sourit aux prières des vierges
L’huile de la vie ne descend pas encore consacrer ta chair d’un sacrement maudit et je
puis te ravir de légendes en poudre plus réelles pour toi que l’histoire de demain
–
Alain Borne
–

photo Tina Modotti
–
Francis Combes – Révolutions arabes
Révolutions arabes
Pendant que nous dormons, des peuples se réveillent.
Des jeunes et des moins jeunes se soulèvent
et se soulevant, ils soulèvent le grand édredon nocturne
du silence et de la peur
sous lequel ils étouffent, même en plein jour.
Des peuples se réveillent,
ils ouvrent une porte sur l’inconnu
et la Terre se met à tourner sur ses gonds.
Cela craque de tous les côtés…
Ce qui hier paraissait impossible
aujourd’hui est possible.
Ce qui hier était éternel
déjà n’est plus.
Les peuples en ont assez de se priver
pour que quelques-uns se gavent.
Et ils ont un appétit d’ogre
qui vient juste de se lever.
Le peuple se plante à tous les carrefours,
armé de couteaux et de bâtons.
(Entre les mains du peuple, le bâton
est aujourd’hui le meilleur ami du jasmin).
Que va-t-il se passer ?
Mektoub…
Les petits voleurs vont se mettre à courir dans les rues.
Et les plus grands
vont courir les chancelleries
pour voler au peuple
sa révolution.
Mektoub… Rien n’est écrit.
Ceux qui savent où ils vont
montreront le chemin.
.
.
.
retraits d’hier en hivers (RC)
Le manteau gelé de la falaise d’eau
mur de pâte bleutée, – un rideau
aux griffes du temps, la chape appesantie
immobilise la source, – déjà ralentie
La lave de froid, suspend les instants
de vie ruisselante, jusqu’aux printemps
la congèle, – directe assassine
en coulures blanches, jusqu’aux racines
Que même l’astre – de passage – épanoui
ne parvient pas à les rendre à la vie
se heurte et rebondit sur les cristaux
tranchants comme des couteaux
Il faudrait changer d’hémisphère
ou refaire un tour de la terre
d’un coup de baguette – magie
et libérer tout à coup – l’énergie
Laisser de côté le manteau de glace
Faire que semaines – se passent
que d’airs nouveaux, la vie se dope
qu’entre feuilles mortes,les herbes développent
Un timide tapis , duvet de bonheur
étoilé de fleurs – , mouvements,couleurs
et que reprenne les insectes, la course
des bourgeons et des sources
– C’est bientôt chose faite
l’hiver, en rétréci, détale sa défaite
accompagné d’accords musicaux
du refrain des chants des oiseaux
inspiré de « sous le manteau d’hiver » (JoBougon)
Augusto Lunel – Chant IV
Augusto Lunel est un poète « rare »… dont j’ai eu beaucoup de mal à me procurer des écrits sur le net…
mais heureusement j’avais des archives « extra net », dont sont extraits ces « chants »…
en mars 2012, c’est le chant 3
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vitrail: Georges Braque: oiseau violet - fondation Maeght ( 06)
CHANT IV
Rivière en moi,
oiseau qui vole dans mes veines,
la voix qui ne sortait pas
restait suspendue
dans le précipice de la gorge
ou descendait tailler à couteaux le coeur.
La voix enfermée,
la voix dans la chair,
déchaînait la mer avec une larme.
Mais aujourd’hui est sortie la voix
qui coulait dans les veines,
la voix qui brûlait dans les ténèbres.
Une épée coupa le silence
et des nuages de corbeaux volèrent dans le vide.
La rauque obscurité roula par terre
et la panthère noire
qui se débattait dans mes poumons.
Foudre lente et obstinée,
soleil dans la gorge,
la voix de rocher brisé par la voix
a rompu la bête sans bouche.
Les vagues chargées de couteaux
déversent dans l’air
des paniers de poissons.
La voix,
ce moment où le sang est transparent,
cataracte vers le haut,
fleuve qui saute le précipice,
est sortie m’emportant.
La voix poussée par des corbeaux,
poussée par des éléphants sous terre
poussée par des baleines,entre en toi jusqu’aux arbres
ou sans sortir de moi
t’entoure.
L’écho a fait crouler les murs,
le silence a brûlé dans le clocher.
Notre coeur sera bientôt notre bouche,
la voix sera vue, touchée et respirée ;
la pluie, uniquement ce que tu chantes.
Vers ta voix émigreront les hirondelles,
vers ta voix se tourneront les héliotropes.
Clair de ta voix sera l’espace,
profond de ta voix l’abîme.
Aujourd’hui c’est la vendange de l’air.
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en cliquant sur le mot clef Augusto Lunel, – ( lien en bleu sous l’article ) -vous trouverez d’autres parutions liées à cet auteur péruvien, dont les chants précédents,par exemple le 7
Jean Baptiste. Tati-Loutard – la révolte gronde –
Jean Baptiste. Tati-Loutard, que l’on peut retrouver dans un post récent sur terre de femmes, est un poète congolais, décédé en 2009, une page de discussion,( de francopolis ) d’où est extrait le présent poème, est visible ici
LA REVOLTE GRONDE
Nous avons rompu avec le soleil :
Au point du jour seuls les oiseaux s’en vont
Vers les collines accueillir ses rayons.
Que se passe-t-il ? Quelles voix étranges
Craquellent le silence aux quatre coins de la ville ?
Quelle race oubliée dans les décombres du siècle
Surgit des masures où la misère traîne
L’herbe comme un chien jusqu’aux pas des portes ?
A-t-on vu jamais (hors saison) le ciel
Se joindre à la terre ?
Voici que les nuages descendent du Mont-Soleil
Pour fleurir une foule qui hisse au bout des lèvres
Des cris aigus comme des couteaux de jet.
La ville regarde à travers un masque blème
La marche des Cavernicoles. La peur gagne :
Même le temps s’effarouche dans le clocher ;
On l’entend s’enfuir, sonnant aux pieds
Ses anneaux de bronze.
La révolte monte la Révolte gronde.
J.-Baptiste . Tati-Loutard – voir aussi la publication de juin 2012
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