juste un pas, la blessure d’un seul pas vers l’abîme de mon propre être
juste un reflet enveloppé dans le violet de l’ombre
seulement une âme pour la souffrance
juste la charge d’un vol pour l’aiguille des minutes de l’aile
juste un verset que je n’ai pas encore écrit
un seul mort un seul mort….
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. Festival international de poésie de Medellin 2021
Valeriu Stancu est né à Iasi, en Roumanie, le 27 août 1950. Il est poète, conteur, essayiste, traducteur, journaliste et enseignant. Diplômé de l’Université Alexandru Ioan Cuza, il s’est spécialisé en Littérature à la Faculté des Arts. Il est membre de l’Union des écrivains et traducteurs et de la Société des journalistes en Roumanie. Depuis 1997, il est directeur de la maison d’édition Crónica et rédacteur en chef de la revue littéraire du même nom. Son travail a été traduit dans une vingtaine de langues et a remporté de nombreux prix importants.
Est la première agressée par l’éclair et le loup, le tour de mauvaise chance qui gâte la couleur uniforme du blanc troupeau. Le jour la chasse, la nuit l’accueille dans le noir térébenthine qui dissout couleurs et contours et fait qu’elle ressemble aux autres. La nuit est plus juste que le jour. Face au danger le cri le plus limpide est le sien, sur la glace de l’aube c’est elle qui marque la trace. Où passent les confins, elle seule longe la haie de mures Qui fait frontière à la vie frénétique, féroce, qui ne donne répit.
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La pecora bruna
È la prima aggredita dal lampo e dal lupo,
lo scherzo di mala fortuna che guasta il colore uniforme
del bianco di gregge.
Il giorno la scaccia, la notte l’accoglie
nel buio d’acqua ragia che scioglie colore e contorno
e fa che assomigli alle altre.
La notte è più giusta del giorno.
In faccia al pericolo il grido più limpido è il suo,
sul ghiaccio dell’ alba la traccia è battuta da lei.
Dove corre il confine, lei sola rasenta la siepe di more,
e chi si è smarrito si tiene al di qua della pecora bruna,
che fa da frontiera alla vita veloce, feroce, che tregua non dà.
Et l’unique cordeau des trompettes marines résonne encore en moi. Je suis debout à la pointe de l’île et je tremble de douleur.
J’ai entendu la voix qui montait des grands fonds marins, peut-être avait-elle traversé l’univers depuis les plus lointaines étoiles, elle avait parcouru tous les temps qui se sont écoulés, elle portait la trace de la première nuit, elle avait voyagé à travers l’immensité pour trouver une âme qui l’écoute et je me suis redressée, élue entre toutes, j’ai ouvert les bras, j’ai ouvert tout mon corps qu’elle a pénétré d’un seul coup, je suis devenue le lieu même qu’elle cherchait de toute éternité,nous nous sommes fondues l’une dans l’autre, j’ai connu l’appartenance absolue, j’étais elle, elle était moi, pendant l’intervalle
effroyablement court entre avant et après je suis devenue l’évidence, l’incontestable, l’affirmation définitive, mais elle ne s’est pas arrêtée, peut-être l’avais-je déçue ou devait-elle poursuivre sa route car je me suis retrouvée vide.
Le silence a repris son empire et j’écoute, malade de manque, rongée par l’espoir comme par un cancer, des trous s’ouvrent en moi, je suis en état d’hémorragie interne et je vais mourir noyée dansmon sang.
On n’entend plus que le vent ou le fracas des vagues, je les distingue mal l’un de l’autre.
Parfois une femme s’approche de moi et me tend de la nourriture, mais je ne peux pas la prendre,ma bouche se ferme irrésistiblement, il semble que mon corps refuse l’accès à tout ce qui n’est pas la voix.
Quand l’hiver a commencé, un homme est venu poser sur mes épaules un vêtement chaud, peut-être y est-il encore.
Je ne sais pas si je l’ai remercié, cela est probable car j’étais une femme très polie.
Du moins, il me semble. Je ne sais plus grand-chose de moi.
Qui me parlera, désormais?
Je ne veux plus rien entendre et je dis que tout est silence qui n’est pas la voix.
Il semble que je vais me dessécher sur place, debout dans le vent, les oreilles tendues, j’ai mal à force d’écouter et j’ai le terrible pressentiment que la voix ne me parlera plus.
Je ne suis même pas sûre de savoir ce qu’elle promettait et voilà que je ne veux rien d’autre.
Cela va me faire mourir, c’est sûr, on ne survit pas en restant tout un hiver debout devant l’océan sans manger, sans dormir.
Mais qu’y puis-je?
Suis-je responsable de l’avoir entendue?
Je n’aurais pas même pu me boucher les oreilles car elle est arrivée à l’improviste, rien ne m’avait avertie.
On n’est pas responsable de ces choses, on vit innocemment, on écoute parler les enfants, les maris, les voisins, rien n’avertit que l’éternité peut entrer par les oreilles.
Le temps coulait comme une eau libre, il arrivait que je parle, je connaissais beaucoup de mots que je pouvais assembler selon des règles familières que j’observais sans y penser, de sorte qu’on me comprenait aisément.
Depuis que j’ai entendu la voix, j’ai la gorge nouée et la tête vide.
Il me semble que je crie de manière ininterrompue, au maximum de mes forces, mais je n’en suispas sûre : je suppose que je m’entendrais et, depuis un moment, je n’entends plus rien.
Rien du tout.
Je vois que l’herbe de la plaine est ployée, couchée et mouvante comme quand il y adu vent, que les vagues viennent se briser sur la grève et je n’entends plus un seul bruit.
Peut-être la voix m’a-t-elle rendue sourde ou je veux tellement l’entendre que je refuse d’entendretout ce qui n’est pas elle ?
Les gens viennent et me parlent, je vois leurs lèvres bouger.
Cela m’ennuie beaucoup et je tente de me rassurer en me disant que la voix est très puissante, quele petit bavardage humain ne peut pas la couvrir, mais l’agacement grandit en moi.
Je détourne mon regard d’eux, je le porte vers l’horizon ou vers le ciel puisque c’est de là qu’elle viendra, et je m’applique à ne pas voir les petits visages grimaçants de ceux qui veulent me distraire.
Je n’ai plus envie de bouger, après tout mes propres mouvements font un certain bruit
qui pourrait me distraire du bruit essentiel.
Si discrète qu’elle soit, ma respiration ne m’empêche-t-elle pas d’entendre?
Et les battements de mon cœur? Je suis sûre qu’ils m’assourdissent.
Il faudrait que je fasse tout taire en moi, que j’arrive au silence absolu des statues,
je veux que tous mes bruits s’arrêtent, le sang, les entrailles, les poumons sont insupportablement agités, mon corps vocifère, ce doit être lui qui encombre mon ouïe, il bouche l’éther, les sons ne se propagent plus, mon corps rend l’air si lourd que les délicates vibrations de la voix ne peuvent plus l’ébranler, tout cela doit s’immobiliser et je crois qu’alors, dans l’instant qui suit le dernier battement de cœur, la dernière exhalaison, il y aura ce qu’il faut d’immensité pour que, juste avant que je meure, se déploie de nouveau le bonheur et l’unique cordeau des trompettes marines.
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extrait du recueil de nouvelles « La Lucarne » Stock 1992
Du jardin étoilé c’était un toit pesant son poids de ciel d’été de plusieurs atmosphères : un vide abyssal parcouru de mistral qu’une fausse lune éclaire, les nuées se déroulant furieuses , loin du village immobile , – et les fers du campanile – vallée ténébreuse à la tranquilité factice pourtant inquiète et raide comme Le Greco peignant Tolède au bord du précipice . Des cyprès sont des flammes noires, que l’on entendrait crépiter défiant la réalité d’un paysage expiatoire. Celui-ci n’est pas décrit avec exactitude , car la solitude de Vincent est un cri emportant tout sur son passage : une nuit profanatrice jetant ses feux d’artifice juste avant l’orage et qu’elle ne vrille de ses grands serpents un ciel devenu dément au-dessus des Alpilles .
(…) LE FEU n’est que la singerie ici-bas du soleil. Sa représentation, accrue en intensité et en grimaces, réduite quant à l’espace et au temps.
Le feu, comme le singe, est un virtuose. Il s’accroche et gesticule dans les branches.
Mais le spectacle en est rapide. Et l’acteur ne survit pas longtemps à son théâtre, qui s’écroule brusquement en cendres un instant seulement avant le dernier geste, le dernier cri. (…)
F P :Le soleil toupie à fouetter, III » in « Pièces
Ça commence à l’ombre, C’est un halètement que j’entends. La croisée du destin me porte à explorer les choses. Il n’y a pas d’ouverture visible. Mais il faut chercher; il faut pousser, engager sa tête dans un couloir.
Le mouvement est irrévocable. Peut-être pressé d’arriver quelque part, en tout cas pressé, par l’enveloppe souple, qui se tend, un corps avide de délivrance. Ou bien est-ce moi qui l’appelle ? On ne sait pas où on va, ce qui nous attend.
Mais je pressens que c’est le moment. Jusqu’à ce que je perçoive le jour. Une petite ouverture au bout d’un tunnel. Et puis çà y est .. je suis dehors. On ne s’en est même pas aperçu. Juste saisi par le froid, et une lumière aveuglante.
Les poumons se gonflent malgré eux, à la façon d’un airbag brutal. Et c’est un choc. Et c’est un cri, qui me propulse dans la vie,
photo: sculpture anthropomorphe aux jardins Bomarzo
« Nous ne sommes que bouche.
Qui chantera le cœur lointain que rien n’atteint, qui règne au plus profond de toutes choses ? Sa grande pulsation se partage entre nous en pulsations moindres.
Et sa grande douleur, comme sa grande exultation, sont trop fortes pour nous. Ainsi, nous ne cessons de faire effort pour nous en détacher et n’en être ainsi que la bouche.
Mais soudain fait irruption secrètement la grande pulsation au plus profond de nous, qui nous arrache un cri. Et dès lors nous sommes aussi être,
-art – enluminure médiévale: La Hague, MMW, 10 A 11, detail of fol. 320r (‘Souls ascending to Janus and Terminus, who are holding the world; souls descending to hell’). , La Cité de Dieu Translation from the Latin by Raoul de Presles. Paris; c. 1475
Et les mots remâchés et ingérés.. Et avec cette liberté
pleine d’expression, les mouvements d’une pensée,
qui vont et viennent, volcaniques.
D’être , de penser et d’exister, …
Ce qui finit par tout envahir, jusqu’au bout des doigts
Du parfum et de la douceur,
Il n’en reste qu’un souvenir,
Tu finis par être spectateur d’un autre toi,
Que tu ne connais, qu’à travers l’ivre,
Et t’enveloppe, en force corrosive.
Ta chanson sort alors par un cri,
Et des regards, sur toi, le mépris,
Même le tien, sous le balancier patient
De la pendule, qui ne rompt pas le silence
Et ton reflet – que vit le liquide
Absent
Au fond d’un verre , vide
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RC – 2 avril 2013
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photo Anders Petersen
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A noter que ce photographe ( Anders Petersen) est l’auteur de photographies, le plus souvent orientée s sur le monde des marginaux et de la solitude: voir ses photos sur Soho, et sur le café Lehmitz, dont je me suis procuré l’ouvrage.
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et je complète avec un très beau texte de TK.Kim : qu’elle a bien voulu me transmettre
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Il y avait dans chacune de nos gorgées des promesses infinies et des souffles d’ambroisie. Et la nostalgie de passés amblyopes que nous avions envie de connaître.
Nous étions seuls.
Seuls face à nous mêmes, seuls éperdus au milieu de vagues chanteurs de rue, à siroter des cépages improbables au noms plus exotiques que réellement Russes.
La nouvelle était là, bien réelle, danseuse fragile, presque spamée dans la corbeille, avant que je me rende compte que…Non!
Il ne fallait surtout pas la jeter. Ce mail était important. Le conserver. Répondre…
Alors, on a vidé nos verres, et nos reflet nous ont semblé plus limpides.
Le vide encore?
Oui, partout, et tant mieux, le vide jusque sous les ongles.
Le laisser.
Il sera à nous alors.
Le vin était immonde et attaquait nos lèvres enfumées.
Mais peut nous importait : la formation de mots laissait sur nos rétines une image claire , bien plus focalisée que toute réalité face à face…
Cribas, encore, avec un de ses publications anciennes.. et toujours une utilisation des mots, très particulière et attachante…
voir son site
Tout ce qu’on a dit de bruyant
Même le silence retrouvé
Ne nous le pardonnera pas tant
Que nos combats seront ébruités
Se battre contre qui
Se débattre pourquoi ?
Quelle farce cette vie
Qui trace des petites croix
Dépressions au dessous
De l’art ceinturé
Les petites fleurs d’été
N’ont pas vu le jour
Il entend un cri qui vient de tout en bas. Il saute le pont. Il fait le mauvais pas. L’air vole une dernière fois, sans faire le bruit du mur.
La vie ne sait pas le bruit. Le silence est une poche d’existence.
Tout ce qu’on a rit en fuyant
Pour abrutir le clown
Lui sur sa balustrade d’argent
Trois fois rien dans les fouilles
Se combattre pour qui
S’abattre pourquoi ?
Quelle force cet ennui
Qui passe pour qui sait quoi
Des torsions de fou
Vomies des remparts
L’embolie des dessous
Les réveils sans hasard
Il prétend être déjà mort dix fois. De maux de tête et de mauvaise foi. Les poètes en colère et leurs pas de travers, bruyants.
Le mauvais poète sourit, et d’un coup de baguette magique fait retentir sa pauvre cloche.
Ça lui fait mal au nœud dans sa tête.
C’est l’heure du baptême
Avec du feu dans l’air
Un souffle sur ses batailles
Chuinté par ceux qui l’aiment
Dépressions au dessus
Des ceintures noires d’aubépines
L’homme s’élève à l’insu
Des coups bas de la rime
Il descend les étages
De sa tour quatre à quatre
Souriant sa victoire
Aux lucarnes des nuages
Installation-volume: Rebecca Horn "Simone de Beauvoir"
Il s’entend revivre pour une fois, le poète, juste avant de mourir comme une dernière phase. Le temps poisse et la caravane de tête se prélasse. On ne les reconnaît pas, même s’ils sont las ils se lassent en cachette, les poètes au rez de chaussée avec les clowns !