En quittant la Cène – ( RC )

Tu peux mettre la table,
puis renverser la sauce,
découper le gigot en petits morceaux,
sceller le fromage dans un coffre.
Mais oublieras-tu ta faim éternelle,
les osselets qui tintinnabulent
dans une boîte en fer blanc,
identique à celle que tu portes
depuis la naissance ?
Tu as quitté la Cène,
en oubliant ton auréole,
mais tu pourras toujours
témoigner du dernier repas,
et placer des reliques
dans les églises,
les garantissant authentiques.
Un certificat d’origine sera fourni,
avec un ruban rouge
et un petit cachet portant foi,
marqué d’une croix.
Certains utilisent ce symbole
pour en faire de petits couteaux,
qui s’enfoncent à merveille
dans la chair des vivants.
Jean-Claude di Ruocco – l’homme seul ( extraits )

J’entends encore à la radio,
dans les flashes sponsorisés,
des envoyés plus ou moins spéciaux qui clament leur vérité.
« Ils ont enterré leurs fils
après les avoir décorés,
payant ainsi le sacrifice
qu’exigeait d’eux la société. «
On me fait signer une pétition
pour sauver la France de je ne sais quoi.
J’y inscris un faux nom,
pour un peu je ferais une croix.
Moi je m’en fous, je bosse huit heures
dans des cuves mal éclairées
où je respire de toxiques vapeurs
aux taux que les lois ont autorisés.
Pierre Garnier – Jean-Louis Rambour – Ce monde qui était deux
peinture Duncan Grant – Still life with omega paper flowers
Chacun portait sa croix, laissait sa croix,
la table était couverte de fenêtres qui donnaient
sur d’autres parties du monde –
l’idée que se faisait du monde l’escargot
n’était pas la même que celle d’une huître
« autant de coquilles, autant de monde », pensait l’enfant.
nous, les enfants de la guerre, quand nous
écrivions un poème
c’était avec le compas,
nous enfoncions la pointe sèche dans la chair,
et la mine douce, dont nous pouvions effacer le
trait,
faisait la carte du ciel où elle ne marquait que
les étoiles
nous, les enfants de la guerre, nous avons vécu
en papillons
pour échapper aux bombes le mieux était encore
d’être papillon,
et nous laissions notre écriture en grandes
taches blanches sur les feuilles
notre écriture était de nature
celle du poème
qui est vague feuille fleur grenouille,
notre écriture se déposait :
écailles des ailes de papillon et pollen
quand nous écrivions le poème sur une feuille,
ce que nous marquions c’étaient nos doigts,
notre main, notre poing,
c’était ce point acéré, dur, aigu, percé
qui marquait le centre du monde
nous, les enfants de la guerre, avons échangé
l’homme et sa mort
contre la vie des moules et des huîtres
et nous sommes restés dans la mer
notre écriture, ce fut longtemps de la craie sur les doigts.
texte paru aux éditions des vanneaux
Béatrice Douvre – Gravitation
croix de chemin en Gévaudan ( Besseyre )
Sous le grand âge du printemps
L’eau sourd en gouttes de regret
Des bouquets sonores exultent
Poudroyant
Mais la demeure saigne
Et sa fissure
Nous avions construit ici notre logis
Sur un escarpement de pierres heureuses
La campagne est mouillée de sevrage
La voix nuptiale empruntée aux pierres
Heure boisée qu’excède l’amour
Tu innocentes ta trouvaille d’enfant
Tu gis sur le chemin trempé
Et de pluie tu défailles
Maintenant brillent d’obscures larmes
Tu acceptes la peur immaculée de vivre
L’aube étincelle dans l’herbe des vigueurs
Souffle mûr mêlé du sang des hommes
Tu marchais réinventant le pas du sol comme une soif
Dans le vent neuf Je te regarde tu courais
Geste habité du vœu de naître
Auprès des croix
Qui font parfois les pierres profondes
Moment cendré de l’étendue
Chancelant
Et notre pauvreté nous vient d’un même exil
Dans le temps
Grandir a dissipé le seul voyage
Entre l’arbre et le seuil
Entre nos mains
Désormais c’est l’herbe qui nous dure
Sa cécité très douce à nos pas retranchés
Un escalier vers l’infini ( RC )
Installation : David McCracken
-
Je ne sais combien de marches il faut
pour gravir l’infini.
On dira qu’il y a le temps,
puisqu’on nous a promis
l’accès au paradis :
Il y a une contrepartie :
On ne peut y accéder qu’après
avoir laissé son corps
au magasin des antiquités ,
ceci dit on est beaucoup plus léger
et on ne compte plus ses efforts
pour emprunter l’escalier
qui a necessité d’abord
je ne sais combien
de menuisiers.
Au début on est très nombreux
à vouloir accéder à l’infini
que certains appellent
le Royaume des cieux
mais certains s’impatientent
ils trouvent la progression trop lente
– ( étant pris de doute
sur la destination de la route ,
et pourquoi cette pente ).
Bien entendu pour accéder au ciel
il faut penser à l’essentiel,
non pas au monotone :
et comme pas mal abandonnent
– ont-ils perdu la foi ?
– pourtant ils ne portent pas de croix !
Toujours est-il que , sur les inscrits
les candidats se raréfient,
c’est ce qui explique,
en toute logique
que l’escalier se rétrécit .
La progression est plus facile,
quand la population est divisée par mille,
– où sont passés les autres encore
– ça je l’ignore
car ils ne visent pas le haut.
-
Comme dans les jeux vidéo
ils sont bloqués au niveau inférieur
et pour leur plus grand malheur
ne disposent pas de vie de rechange,
de quelque astuce ou ficelle
( ni de l’aide des anges
qui ne prêtent pas leurs ailes ).
Et puis — est-ce une vision d’optique,
correspondant aux mathématiques :
les côtés de l’escalier
sont difficiles à mesurer :
la vie éternelle
ne tient pas compte des parallèles :
ne vous inquiétez pas pour autant:
comme je l’ai dit : vous avez tout votre temps
déjà vous avez dépassé les nuages
vous êtes sur le bon chemin
à cheval sur votre destin
n’oubliez pas vos prières,
ne croyez pas aux chimères
ne regardez pas en bas
– Attention au vertige !
Progressez comme ça :
c’est déjà un prodige
d’avoir quitté la terre
Comment, vous ne voyez toujours rien ?
Ah , mais tous les paroissiens
qui entreprennent ce voyage
clés en mains
ne peuvent tirer avantage
de rencontrer les saints
enfin pas tout de suite :
la visite, certes, ….est gratuite,
mais de ce belvédère
il est difficile de voir St Pierre :
Ce n’est pas un défaut de vision,
mais cela doit beaucoup aux conditions
atmosphériques : même avec un guide
c’est encore Dieu qui décide,
et ses desseins son impénétrables…
Comment ça, c’est discutable ?
Si vous avez une réclamation à faire
après votre grimpette
adressez-vous au secrétaire
qui examinera votre requête…
–
RC – janv 2017
Tapiès – rideau fer – ( RC )
Assemblage: Antoni Tapiès Porte métallique et violon- Fondation Tapiès
On attendra longtemps
l’ouverture du jour.
Il y aura du sang
répandu autour .
La vie est dans la verdure ;
Derrière le rideau de fer
on pratique la torture
et on désespère.
On imagine, un délire :
faut-il une révolution,
pour que le rideau se déchire
et que le chant du violon
se détache de la croix noire
taggée sur le mur :
c’est un signe d’espoir
un premier murmure
car la clôture grise
n’emprisonne pas le chant :
Ce n’est pas une marchandise
vouée à l’enterrement.
–
RC juill 2016
Leon Felipe – Le clown a la parole
–
–
LE CLOWN A LA PAROLE
OFFRE MARCHANDS !
Moi, Don Quichotte, Espagne, je ne suis personne ici ,
Ici,
dans votre monde
je ne suis personne. Je le sais.
Entre nous ici,
ici, dans votre marché,
je ne suis plus personne.
Un jour, vous avez volé mon panache
et maintenant, vous avez caché mon épée.
Parmi vous
ici,
dans cette assemblée,
je ne suis plus personne.
Je ne suis pas la vertu. C’est vrai.
Mes mains sont rouges de sang fratricide
et dans mon histoire on trouve des passages ténébreux.
Mais le monde est un tunnel sans étoiles
et vous, des vendeurs d’ombres.
Le monde était simple et transparent ;
maintenant, il n’est plus qu’ombres,
ombres,
ombres…
Un marché d’ombres,
une bourse d’ombres.
Ici,
dans cette grande foire de ténèbres,
je ne suis pas le matin…
Mais je sais
-et c’est mon essence et mon orgueil,
mon éternel grelot et les plumes de mon panache-
je sais
que le firmament est plein de lumière,
de lumière
de lumière,
que c’est un marché de lumière,
que c’est une foire de lumière,
que la lumière est cotée avec du sang…
alors je lance cette offre aux étoiles :
« Pour une goutte de lumière,
tout le sang de l’Espagne :
celui de l’enfant,
celui du frère,
celui du père,
celui de la vierge,
celui des héros,
celui du criminel et celui du juge,
celui du poète,
celui du peuple et celui du Président…
De quoi avez-vous peur ?
Pourquoi ces grimaces, vendeurs d’ombres ?
Qui crie ?
Qui proteste ?
Qui a dit : Ah, non, c’est une mauvaise affaire ?
Marchands…
Il n’existe qu’un commerce !
Ici,
dans cet autre marché
dans cette autre grande Bourse
de signes et de desseins stellaires,
pour des torrents historiques de sang,
il n’existe qu’un commerce !
une seule transaction
et une monnaie… Le sang !
Moi je n’ai pas peur du sang qu’on verse.
Il est une fleur au monde
qui ne peut pousser que si on l’arrose de sang.
Le sang de l’homme est fait, non seulement pour faire
marcher son cœur,
mais aussi pour remplir les fleuves de la Terre,
les veines de la Terre
et faire marcher le cœur du monde.
Marchands…
Ecoutez cette annonce publique :
« Le destin de l’homme est en adjudication.
Regardez-le donc, accroché aux cieux
dans l’attente d’une offre… » Combien ? Combien ?
Combien, marchands ?… Combien pour le destin de
l’Homme ?
(Silence… pas une voix… ni un signe)… Seule,
l’Espagne fait un pas en avant et parle ainsi :
Me voici. Me voici de nouveau.
Ici. Seule. Seule, oui.
Seule et en croix. Espagne-Christ
-la lance de Caïn enfoncée dans les côtes-
seule et nue –deux soldats, à part et fous furieux, jouent
ma tunique aux dés-.
Seule et abandonnée –voyez comme le Préteur
se lave les mains-.
Et seule, oui, seule.
Seule
sur ce sol désertique que mon sang arrose à présent ;
seule
sur cette terre espagnole et planétaire ;
seule
sur ma steppe
et sous mon agonie…
seule
sur la clairière du Crâne
et seule sur mon calvaire…
seule
sur mon Histoire
de vent,
de sable
et de folie…
et seule,
sous les dieux et les astres…
j’élève cette offre jusqu’aux cieux :
Etoiles…
vous êtes la lumière.
La Terre, une grotte ténébreuse sans lanterne
et moi, rien que du sang,
du sang,
du sang,
du sang…
L’Espagne n’a pas d’autre monnaie…
Tout le sang de l’Espagne
pour une goutte de lumière !
Tout le sang de l’Espagne… pour le Destin de
l’Homme !
–
Barcelone, 18 mars 1938
Croix des Corbières – ( RC )

photo: croix discoïdale de Fanjeaux
–
Je me rappelle du soleil
Se déplaçant lentement sur les Corbières :
La roche est ocre et vermeil ;
Il y a du sang sur les pierres.
–
Parmi les ronces, de noires prâlines,
Éclate l’offrande des fruits mûrs,
– Un ciel cristallin et dur –
> Les doigts sont couverts d’épines .
–
Si c’était le coeur transplanté
Qui part en déconfiture,
se couronnant de blessures…
Puis une tête ensanglantée
–
Qui penche, sous son propre poids,
Avec celui du ciel indifférencié,
La fournaise du Mont des Oliviers…
L’ombre de la croix, lentement, tournoie.
–
Le soleil , avant d’aller se coucher,
envoie ses dernières flèches,
Qui vont se ficher,
Dans l’épaisseur de la terre sèche.
–
… Se détache à l’horizon,
La silhouette d’un château Cathare,
Recueillant les derniers rayons du soir,
– une ultime oraison – .
–
RC – avril 2015
Jan Slauerhoff – le royaume interdit
…il s’entêta et se retrouva tout à coup devant un large escalier dominé par la façade rigide de la cathédrale ; tout en haut, perçant le ciel grisâtre de la nuit, la croix noire.
Il monta d’un pas lent l’escalier, tête baissée afin de veiller à ne pas trébucher : les marches étaient lisses et désagrégées. Quand il sentit qu’il n’y en avait plus, il leva les yeux : il venait de poser les pieds sur le parvis, le front de l’église était noir, semblable à une imposante pierre tombale verticale ; aucune lumière ne filtrait par les vitraux.
Il savait que derrière cette surface inerte se cachait une chose horrible ; impossible de faire demi-tour, l’escalier semblait s’être effondré derrière lui ; sous la menace de ce gouffre béant, il avança, étourdi, à grandes enjambées, vers la cathédrale.
J. Slauerhoff, Le Royaume interdit, trad. Daniel Cunin, Circé, 2009
Vahagn Davtian – Pierre sculptée avec croix
–
Pierre sculptée avec croix
Dans les épines,
dans les rochers,
dans le vent,
dans les tempêtes,
à travers les neiges
à travers le grillage
inamovible
têtu
l’effritement
droit
indéchiffrable
simple,
seul et modeste
contre le ciel
contre le soleil
un pilier de la douleur
une colonne de conscience
contre le temps
, comme la beauté
crucifiée.
—
Stone Carved with Crosses
Vahagn Davtian
In the thorns,
in the rocks,
in the wind,
in the storms,
through the snows
through the scorch
unmovable
stubborn
crumbling
straight
undeciphered
simple,
alone and modest
against the sky
against the sun
a pillar of grief
a column of conscience
against time
like beauty
crucified.
Toscane l’étrusque ( RC )
–
Della Francesca couvre des panneaux,
Des scènes de sa foi,
Légende de la Vraie Croix
Dans la ville d’Arezzo,
Mouvements croisés de chevaux,
Ces peintures qu’on dit primitives
Multiplient les perspectives,
Sous étendards et drapeaux.
Le jour court, puis se fane,
Les ombres des cyprès dessinent
Des pinceaux allongés sur les collines,
Et vallons de Toscane,
Qui portent jusque
Aux statues blanchâtres
De translucide albâtre
Du pays étrusque
Mythologie et divinités,
Les années entassées,
Restent les témoins du passé,
Emergeant de l’obscurité
Défile au dessus des murs,
Tout ce qui parle d’heures grises
Le soir. Il enveloppe Assise
De sa robe d’azur.
…Que l’on évoque Volterra,
Ou d’autres cités anciennes,
La nuit s’empare de Sienne
Dans ses habits d’apparat…
– Le soleil, en son vol d’or,
Verse sa coupe de volupté,
A l’horizontale de l’été,
Et joue les sémaphores,
Derrière les créneaux,
–

Peinture: Fresque de Piero Della Francesca: légende la Vraie Croix – bataille entre Heraclus & Khosro XVè siècle — église d’Arezzo
RC – 25 juillet 2013
–
L’abri de l’obscur ( RC )

photo Clémence Ayrolles Chapelle St Michel Sous Terre, Vidauban, Var
–
A l’usure des siècles,
L’écriture liquide
Qui patiemment fore
Des passages dans la pierre,
Les ponts de roche jetés sur la rivière
Un chaos basculé, envahi par les arbres
Centenaires, et racines avides,
Un grand âge des oublis
Masquant par son rideau
L’ouverture secrète
Le chemin détrempé
Et la voûte obscure
Habillée de suie
– Chapelle dissimulée –
Aux abris d’ombre
Simplement indiquée
Aux temps d’inquisition
Par un chemin de chandelles
Chancelantes à la cécité de l’air
Et la fumée dissipée des mémoires
Gardienne des consciences
– Des libertés
Celles de penser autrement
Sous les rocs enchevêtrés,
Qu’un faux paysage
Sous l’exil du soleil
S’étalent dans la plaine
Au pied des croix
Et des échafauds.
–
RC- 20 mars 2013
–
Vahagn Davtian – De pierre ici tout un pays
–
De pierre ici tout un pays…
De pierre ici tout un pays, d’eau en furie
Murmure d’herbe ici dans la teinte du bleu
Corne des rocs dans les hauts monts hissés vers Dieu
Dans l’abîme jeté, pénitence de pierre.
Tout un pays où blanche et de glace est la plainte
Dans le fond des ravins, question des tempêtes
Vers le bas de la rive une clochette d’eau
Le chagrin du pétale et le pleur de la mousse.
Cri de cuivre et soupir de granit, le pays
À la beauté en croix sur la pierre de croix
Tout un pays face au soleil à l’infini
Toi prière à genoux et toi élan du rite.
Je suis de toi pays des longs siècles sans fin
Et je vais avec toi, hauteurs et précipices,
Furieux par la pierre et dans le vent de neige
Toi, chagrin du pétale et larme de la mousse.
–
Vahagn Davtian , » De pierre ici tout un pays », extrait..
Traduction Rouben Mélik.
–
Ibrahim Koné – J’ai compris
–
J’ai compris.
J’ai compris qu’il vaut mieux se taire quand on veut se faire entendre
Que le silence est une cruche, remplie d’un nectar doux et tendre
Que la patience des braves ne se mesure pas toujours en terme de victoire
Que la vie d’ici bas n’est pas qu’un purgatoire
J’ai compris qu’il vaut mieux sourire en quittant ce monde
Que les larmes sont le signe de l’abandon et du doute
Que le sourire efface la crainte même dans la déroute
Qu’il n’y a rien de meilleur que l’harmonie et la paix profonde
J’ai compris que le temps ne passe pas comme l’on croit
Que c’est nous qui passons dans le temps qui nous tend la main
Que gagner le pain a la sueur de notre front n’est pas une croix
Que la vraie croix est la façon dont nous mangeons ce pain
J’ai compris que la beauté n’est qu’une pale copie de la bonté
Que la parure du cœur vaut mieux que les fards sur le visage
Que les belles paroles ne font pas toujours le sage
Que le sage et le fou sont les deux voix de son immense bonté
J’ai compris que finalement je n’ai rien compris
Que chaque jour révèle que nous n’avons rien appris
Que ma raison n’est pas nécessairement ton tort
Que la vérité n’est pas toujours du coté du plus fort
J’ai compris…
Ibrahim Kone. ( auteur ivoirien)
Béatrice Douvre – Habiter la halte brève , la rive avant la traversée
Habiter la halte brève
La rive avant la traversée
La distance fascinée qui saigne
Et la pierre verte à l’anse des ponts
Dans la nuit sans fin du splendide amour
Porter sur l’ombre et la détruire
Nos voix de lave soudain belliqueuses
L’amont tremblé de nos tenailles
Il y a loin au ruisseau
Un seuil gelé qui brille
Un nid de pierre sur les tables
Et le pain rouge du marteau
La terre
Après la terre honora nos fureurs
Ô ses éclats de lampes brèves
Midis
Martelés de nos hâtes
Tant d’éphémères mains, tant de vent
Ce soir
Tarde la magique lueur
Et ton nom est incertain
Parmi de pauvres roses
Ton nom défait les fleuves où la lumière nage
J’ai patienté pour accueillir
Longue ta voix le long des longues herbes
Mais tu es seul parmi la pierre des étoiles
Ta voix prolonge la source des vivants
J’attends pour te reprendre de n’être qu’un langage
L’aube étincelle dans l’herbe des vigueurs
Souffle mûr mêlé du sang des hommes
Tu marchais réinventant le pas du sol comme une soif
Dans le vent neuf
Je te regarde tu courais
Geste habité du voeu de naître
Auprès des croix
Qui font parfois les pierres profondes
Le visage traversé
Dans des jardins à jambes de verre, et de roses
Quand recommence la mer tendue
Des lampes, et le froid
Et que l’on tient, dans les mains, le dernier monde
Rêve, et à l’avant du rêve un corps l’éclaire
J’ai peur de ces troupeaux dans le progrès des lampes
Peur de la terre des pas
Près de la porte où penche
La nuit lourde de l’aile
Il y a ce péril
Des lampes dans la maison
Ce désir
Comme un taureau dans l’or
Un feu de bois de rose
Coupé par l’hiver
La voix changée m’emmenait dans ses tours
Je dérivais au son des campagnes
Dont l’été meurt
Marcher maintenait une lampe
Des lacets d’oiseaux noirs de songes
Cherchant farouchement le ciel
D’un bord à l’autre
Comme une voix changée qui chante
Qui refuse
Marcher maintenant m’éclairait
Des mains brunes ce soir ont recueilli
Longuement l’eau patiente du soir
Du vent passait
Dans le vent des doigts
Amers des fileuses
Et au-devant
Les troupeaux sont la pierre même
Etrangement
Debout dans la paille limpide
Venue
Des mains fidèles des fileuses
Aux fronts de vent.
Regarde-moi courir, m’éloigner dans l’apparence
Vers les rires bleus de l’air
Immense
La soif divisée
J’ai l’appétit fermé par le malheur
Comme ces bêtes au front silencieux
Ont mille morts mille hontes légères
Un vent du sol entier
Parcourt mes membres, leur perfection
De sable froid
Soulève encore une piste de pas
Et d’autres pas se perdent sur la mer
D’autres mains, doucement infinies
J’ai l’âge travesti des forêts, mais je danse.
La part du jour froissée d’oiseaux
Jusqu’aux fatigues
Nos pas
Relancés en lueurs
Déjà
L’air élargi
Là sous le volet lourd
Ô d’heures encore chaudes
Jusqu’à l’ouvert où vaincre
L’inanité
De nos demeures
Femmes pleines de nuit, aux voiles vierges et noirs, vous saignez dans les ports et vos
barques sont sèches.
Le silex de vos mains taille des regards de diamant aux enfants qui vous pendent.
Il vous faudra perdre le vent de vos cheveux et revenir aux Villes. Mendiantes au ventre
lourd, vous dressez des drapeaux avec vos âcres jupes odorantes.
L’acier de vos paupières ressemble aux grands radeaux qu’on voit sur les tableaux de mer.
Rires, et l’évidence de vos pas nus sur le marbre des pelouses ; indifférentes aux grandes croix
qui trouent le ciel bas et mauve.
Je bénis vos épaules que creuse un sein maudit, et vos bras matinaux, blancs de draps,
comme un lait de montagne.
BEATRICE DOUVRE
Ulysse – Ode à ma plume
Ulysse nous fait partager sa « plume », c’est le cas de le dire, avec le titre choisi…
il participe au forum « En Attendant la fin du monde », c’est là que je l’ai « repêché »
–
Ode à ma plume
–
Je confierai ma plume à la foudre et aux vents,
Aux furieuses tempêtes, aux fauves tremblements.
Je la veux souveraine, insolente et fantasque,
Insensible à la haine, sans faiblesse, sans masque.
Je la veux intrépide, courageuse et libre
Ecrivant sans ambages mon ivresse de vivre.
Quand les vents des passions se seront apaisés
Ma plume cheminera aux sentiers irisés
Des tendresses du soir entre des bras fragiles
Quand la force est vaincue par un battement de cils.
Elle se fera pinceau aux encres de couleurs
Traçant sur le papier les signes du bonheur.
Elle glissera ses mots au milieu de silences
Quand il faudra se taire devant une souffrance.
Je la veux enjouée, folle, primesautière
Sautant dans les ruisseaux, remontant les rivières
Tirant du fond de l’ombre, des perles, des diamants
Accrochant à ses lignes de jolis cerfs volants.
Je dirai à ma plume d’écrire des poèmes
Sur tous les vagabonds et leur vie de bohème
Sur les cris des enfants à la récréation
Sur les mots des amants au feu de la passion.
Et lorsque fumera mon dernier feu de bois
Elle inscrira encore aux branches d’une croix
« Pardonnez lui, Seigneur, d’avoir pris du plaisir »
« Aux rimes polissonnes.., il aimait trop écrire !»
Ulysse 2 février 2012
—
Soleils de nuit ( RC )
Soleils de nuit
—
Poussés par nos pas alignés
Sur la crête de tant d’ années
D’errance et d’insolence
A ne pas voir les soleils de nuit.
L’acharnement du survivre
A la faim et tempêtes
De sable, aura obscurci le nôtre
Notre regard limpide d’enfant
Porté en revers décisif
Se heurtant aux filets du court
Ou sortant des limites étroites
Du terrain de vie, en jeu
Il nous faudrait l’oracle,
La chamane du destin
Jardinier de l’infini,
La tête satellite
Pour traduire
Les leçons à venir
Devin de l’histoire en marche
Et prévenir le parcours des astres
Arrêtant dans leur élan
La chute des sources
Réparant blessures et drames
Incendies ravalés et flammes
Et aligner dans le bon ordre
Les numéros de l’espérance
Pour qu’au ciel on danse
Et qu’on rectifie le passé…
Mais la joie d’être mortels
De macérer dans nos défaites
Et de toujours tenir tête
Interdit de relire le manuel
De changer de mode d’emploi.
A chacun de porter sa croix
Il n’existe aucun raccourci
Pour voir de plus près les paradis.
Rabah Belamri – l’olivier boit son ombre – 01
–
à Yvonne
–
ni la neige
ni les planètes captives de ta voix
n’apaisent mes syllabes
j’habite dans le miroir et j’appelle
toute ombre qui bouge sous la paupière
pas à pas
le muscle à sa brûlure
j’avance
dans le silence du jour
la main sur ton épaule
une source
une croix
la prière au bord de l’abîme
midi au cœur
J’avance
Sur la trace du poème
–Mains juxtaposées –extrait du livre « si lointains, si proches »
Les Fromentières, 9 janvier 1984