Paul Verlaine – Divine Ignorante –

XVIII Si tu le veux bien, divine Ignorante, Je ferai celui qui ne sait plus rien Que te caresser d’une main errante, En le geste expert du pire vaurien, Si tu le veux bien, divine Ignorante. Soyons scandaleux sans plus nous gêner Qu’un cerf et sa biche ès bois authentiques. La honte, envoyons-la se promener. Même exagérons et, sinon cyniques, Soyons scandaleux sans plus nous gêner. Surtout ne parlons pas littérature. Au diable lecteurs, auteurs, éditeurs Surtout ! Livrons-nous à notre nature Dans l’oubli charmant de toutes pudeurs, Et, ô ! ne parlons pas littérature. Jouir et dormir ce sera, veux-tu ? Notre fonction première et dernière, Notre seule et notre double vertu, Conscience unique, unique lumière, Jouir et dormir, m’amante, veux-tu ?
XX Tu crois au marc de café, Aux présages, aux grands jeux : Moi je ne crois qu’en tes grands yeux. Tu crois aux contes de fées, Aux jours néfastes, aux songes, Moi je ne crois qu’en tes mensonges. Tu crois en un vague Dieu, En quelque saint spécial, En tel Ave contre tel mal. Je ne crois qu’aux heures bleues Et roses que tu m’épanches Dans la volupté des nuits blanches ! Et si profonde est ma foi Envers tout ce que je croi Que je ne vis plus que pour toi.
Chansons pour elle
Paul Verlaine
Œuvres poétiques complètes
Robert Laffont Bouquins
C’était si doux de croire – (Susanne Derève)

Albert Houthuesen – Walk to the Moon, (Childhood Command)
C’était si doux de croire
qu’on aurait pu courir sur l’échine de la nuit
avec des doigts de fée
y broder des étoiles, des galons d’or
tirer le fil d’opale d’un blanc rayon de lune
pour se laisse glisser de la frange des cimes
jusqu’à la cotte de velours des prairies d’été
Mais la nuit a secoué l’échine
la nuit n’aime pas sentir sur son dos nu
les doigts légers des fées
Mon chariot a versé
de la fourche des cimes
sur la cotte de velours sombre des prairies d’été
et le croissant acéré de la lune
avec son fin poignard d’argent
a tranché un à un les fils célestes
m’a coupé le chemin du rêve
pour me jeter à terre comme un petit Poucet
les cailloux de sa poche
dispersés aux quatre coins du ciel
Aussi je vous le dis le jour pâlit et meurt
sans bruit sous les chandelles du soir
tandis que la nuit chante
Mais n’allez pas défaire le jour flétri pour habiller
la nuit de songes avec vos doigts de fée
Ne vous approchez pas
Écoutez là seulement chanter
Tourner les vents en sa faveur – ( RC )
Tu voyages
au pays des croyances,
et, tu constates,
qu’à chaque imprévu de l’existence,
on a trouvé une parade,
une carte maîtresse, une antidote…
Dans leur distribution ,
réparties au petit bonheur,
il y a le catalogue complet
des corps célestes et des oracles funestes,
qu’on peut trouver,
dispersés aux quatre vents,
comme des graines de pissenlit .
Même inégalement répartis,
il est tout à fait possible
d’y trouver son compte,
de se vouer à son saint patron,
comme pour les muses,
et les dieux antiques :
Quel augure permettra
de franchir les obstacles;
de tourner les vents en sa faveur
combattre les maladies,
favoriser la fertilité
et même prévenir de la morsure
des chiens enragés
– à chaque chose malheur est bon – dit-on..
Il y a aussi ceux qui représentent
la musique, l’architecture,
la corporation des chapeliers,
des orfèvres, etc .
Les églises sont un florilège
où se multiplient les représentations
en statues de bois ou de plâtre,
tel Saint Tugen
( qui guérirait des maux de dents ),
ou ceux – les plus courants –
qu’on reconnaît à leurs attributs.
Ils répondent « présent ! « ,
au garde-à-vous,
à la façon d’une bible sculptée.
Certains – comme saint Evénec,
bien connu des bretons,
ne représentent qu’eux-mêmes –
( à moins qu’on ait oublié
quels étaient leurs bienfaits ) …
Protecteurs ou indifférents,
montrés sur les tympans romans
ou les peintures gothiques,
leur regard est vide,
mais sans doute plein
de bonnes intentions….
( quoiqu’on connaisse aussi
ces poupées, où on peut planter
des aiguilles ) ;
ou ces fétiches bardés de clous
pour conjurer le sort,
ou au contraire
le provoquer…
Ce sont aussi des objets
crées pour repousser les mauvais esprits,
ou représentés par des masques
sereins ou grimaçants ,
dans lesquels s’incarnent
la puissance des ancêtres.
Mais on peut penser
à ces chouettes crucifiées,
beaucoup plus proches de chez nous,
clouées sur les portes,
pour avoir eu le malheur
de naître emplumées,
et porteuses – parait- il – de mauvais présages.
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RC mai 2017
Dans l’armoire secrète de nos corps – ( RC )
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L’harmonie de nos matières, nous fait intégrer dans l’armoire secrète de nos corps, toutes nos fragilités, et certitudes.
Parfois sous forme d’une pierre rugueuse, parfois, la corolle fragile d’une fleur rebelle, parfois le coffret étanche d’une boîte où rien ne semble pénétrer .
C’est un paysage intérieur, qui se heurte à des parois,
Mais qu’on ne peut pas voir, percevoir clairement.
Peut-être parce que j’en ai perdu les origines, l’explication propre à ma présence en ce monde .
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De l’extérieur me parviennent les cris d’amour des vivants,
les mines profondes, les pays ravagés par la guerre,
les chemins hésitants ou les rails brillants à travers la nuit .
Il est difficile de saisir où tout cela mène , car cela s’est construit sans moi ;
et beaucoup de langages se croisent
sans que j’en connaisse le langage et les intentions .
D’autres ont leurs certitudes, leur passé, et poursuivent leur aventure, se confrontent à la souffrance, à la joie :
Ils se côtoient, dans un temps commun,
sans forcément disposer librement de leurs destinées .
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Celles-ci se croisent, se confrontent, se combattent, sous des auspices contradictoires.
Eux non plus n’ont pas d’explication de leur présence en ce monde .
Ils essaient de l’exploiter à leur bénéfice, de façon détournée, comme des contrebandiers .
Mais, malgré les apparences, sont toujours dans l’armoire secrète de leur corps, de leurs croyances, et de limites invisibles ;
Celles-ci se déplacent avec eux, car ils les portent en eux, , comme une ligne d’horizon,
avec le mystère prolongé de leur origine, qu’ils ne peuvent pas atteindre .
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RC – nov 2014
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