Poèmes du Gévaudan – IV (Susanne Derève)

Les feuilles du marronnier vibrent du rouge
d’une fin d’été lie de vin au soleil
effaçant les cuivres de l’ombre
Elles s’effritent sous le doigt
craquent et s’envolent au vent léger
Sur le tronc, coquille vide, un escargot
si lent que le temps l’a figé,
et le bois mort au pied de l’arbre
qu’on ne ramasse pas
qu’on ramassera peut-être
si les mots ne viennent pas
et pour peu qu’ils viennent
ils diront la douce langueur du sommeil
la sueur étoilée des paupières
le timbre d’argent de la lumière
entre les volets clos
son lent chemin jusqu’à l’éveil
et le café qu’on prend au lait au lit
ou bien dehors près de la treille
aux raisins verts et de l’amphore
abandonnée aux herbes folles
d’où naissent les mots incertains
le doux murmure des paroles
sur la joue tendre du matin
Dans la république des oiseaux – ( RC )
montage RC
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
Juste tourner la poignée de la fenêtre
pour marcher de plein pied dans l’espace.
Des traits se côtoient,
mais jamais ne s’enchevêtrent.
Les pépiements que j’écoute,
aussi , se superposent.
Je suis rentré dans la république des oiseaux,
( en fait dans un monde sonore
où se croisent les langages
de la nature ).
Quels que soient les plumages,
de bois, de cuivre
ou de simple roseaux
que le souffle entraîne.
Je voisine en musique un merle rieur,
une bécasse, et d’autres espèces
aux couleurs changeantes,
comme dans le catalogue de Messiaen.
Ces oiseaux sont de minuscules étoiles
qui animent le ciel tendu
à mes oreilles :
drap vivant de l’azur perpétué.
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
il suffit , par exemple, d’écouter
Naïma , de Coltrane …
C’est comme une partition de liberté
où les notes filent à toute allure
comme ces hirondelles
dansant leur mélodie.
Qui la leur a apprise ?
Comment se fait-il qu’à chaque fois s’échappe
l’harmonie sans qu’on la rattrape,
quand le musicien improvise ?
Florence Noël – branche d’acacia brassée par le vent ( 1 )
Premier mouvement : Presto
et si nous revenions, tu sais, le cuivre des saisons, le parfum blanc l’égarement, si nous revenions à cette source où le jour coule sans discontinuer
et si tu me prenais la main, le premier seuil à dépasser comme un jardin qu’on nomme,
et qu’ainsi on habille et qui s’étonne d’un pied – nous foulons la houle herbeuse
et si nous disions ce mot, éparpillé dans nos silences, rassemblé de ma lèvre, ange, de la mienne pure parce que la tienne, ce souffle encore y œuvrerait
et si nous nous laissions aux berges, main ballante dans l’air levé, si nous nous lisions aux rives, battant l’eau échappée des vapeurs
suffoqués sous les vœux givrés des aubes
encore venir tout de désir
lourds dans la lèvre unique
d’un matin retenir le pelage et sa texture stridulée par le souffle
prodigue et tant penche mon visage qu’il lape
je sais l’enjambée dessus ce pont – profilent ces arbres mères ceinturés de secret – là choit l’enfance et ses sommeils – tu sais ma volte dans leur branches
je sais le précipité de ta silhouette, sa course projetée sur les tessons de pierres, leur vibration de petites ombres, ton corps en avant et tu reçois la première brassée – hoquet brut, poitrine hachurée
je sais le feutre des murmures – ininterrompre laisser fuir – et mon oreille pour les récoltes, tapisserie de lourds dais, nous nous voyions par paravent – vole une feuille colle à ta joue
hurlé au tendre des côtes
la plainte plus tôt forera l’air
en son milieu
par mes poumons orgues à pétrir
cent fois sur le métier pétrir
et de nos blessures
fourrager l’évidence
Ivan V. Lalic -Lieux que nous aimons
–
Les lieux aimés n’existent que par nous,
L’espace détruit n’est qu’apparence dans le temps durable,
Les lieux aimés nous ne pouvons les abandonner,
Les lieux aimés ensemble, ensemble, ensemble.
Et cette chambre est-elle chambre ou caresse,
Et qu’y a-t-il sous la fenêtre : la rue ou les années ?
Et la fenêtre n’est-elle que l’empreinte de la première pluie
Que nous avons comprise, et qui sans cesse se répète ?
Et ce mur n’est-il pas la limite de la chambre, mais peut-être
de la nuit
Où le fils vint dans ton sang endormi,
Le fils comme un papillon de feu dans la chambre de tes miroirs,
La nuit où tu eus peur de ta lumière.
Et cette porte donne sur n’importe quel après-midi
Qui lui servit, à jamais peuplé
de tes simples mouvements, lorsque tu entrais
Dans ma seule mémoire, comme le feu dans le cuivre;
Quand tu es absente, derrière toi l’espace se referme comme l’eau ;
Ne te retourne pas : il n’est rien en dehors de toi,
L’espace n’est que temps visible d’autre manière;
Les lieux aimés nous ne pouvons les abandonner.
–
Ivan V. LALIC
« Temps, feu, jardins » (Éd. Saint-Germain-des-Prés, 1973)
–
Grand accord ( RC )
Peinture : John Haro ( qui, dans ses toiles évoque souvent la musique)
–
Si tu joues la peinture,
Où la musique a son poids de corps
Et le cor, son poids de mots
Stridence des trompettes
Soutenu par le cuivre
Qu’enlace d’ombre
Le velouté de l’orchestre
Alors l’ocre, en crépuscule des bois
Flûtes et clarinettes
S’entoure de notes grises
Bientôt bues par le pourpre
Envahi de carmin
S’étendant aux confins du rouge
Sur le corps peint de la toile,
En grand accord majeur.
–
RC – 7 avril 2013
( une série des peintures de John Haro, sont visibles avec ce lien)
–
If you play the painting,
Where the music has its own body weight
And the horn, its own weight of words
Shrillness of trumpets
Sustained by the copper
Embraced by shadows
The velvet of the orchestra
Then ocher, in twilight woods
Flutes and clarinets
Surrounded by gray marks
Soon consumed by the purple
Invaded with carmine
Extending the borders of the red
On the canvas’ painted body ,
In great major chord.
–
Un miroir refuse de répondre ( RC )
Les sorcières de Macbeth, en effet
Se posent des questions
En ne voyant plus, de la lune, le reflet
A l’intérieur du chaudron.
Ce sont dans les vieilles casseroles
Qu’on fait les meilleures soupes
Mais ce n’est plus très drôle
Quelle que soit la taille de la croupe
De ces dames, qui s’activent,
Incantations et recettes
En préparation corrosive
Qui nous laisse stupéfaite…
Et le bouillon, qui tangue
Dans son récipient de cuivre
Mêlé de cheveux et de langues,
De son fumet va poursuivre,
Sa matière épaisse et visqueuse,
Mais confisquer la lumière
Déchirure pouilleuse
Des mondes temporaires
Une planète noire
S’est échappée des reflets
D’habituelles trajectoires
D’un coup de balai
Comme les bassins des Tuileries
Décrits par Proust, comme des yeux
Vides de regard, où aucun ciel ne rit
Et un absurde jet d’eau, jaillissant d’un creux.
La fresque des frasques du temps
Va soudain se dissoudre
En un combat de géants
Et territoire des foudres.
Le miroir refuse de répondre
Et de renvoyer les rayons
Comme dans l’épaisse brume de Londres
L’emprisonnant d’un bâillon .
C’est sans doute qu’il n’y a rien à voir
Qu’une suite gigogne, emboîte
Ne pouvant percer le brouillard
Ni les volumes, recouverts d’ouate.
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RC – 3 février 2013
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Ivan V. Lalic – Lieux que nous aimons
Lieux que nous aimons
Les lieux aimés n’existent que par nous,
L’espace détruit n’est qu’apparence dans le temps durable,
Les lieux aimés nous ne pouvons les abandonner,
Les lieux aimés ensemble, ensemble, ensemble.
Et cette chambre est-elle chambre ou caresse,
Et qu’y a-t-il sous la fenêtre : la rue ou les années ?
Et la fenêtre n’est-elle que l’empreinte de la première pluie
Que nous avons comprise, et qui sans cesse se répète ?
Et ce mur n’est-il pas la limite de la chambre, mais peut-être de la nuit
Où le fils vint dans ton sang endormi,
Le fils comme un papillon de feu dans la chambre de tes miroirs,
La nuit où tu eus peur de ta lumière.
Et cette porte donne sur n’importe quel après-midi
Qui lui servit, à jamais peuplé
de tes simples mouvements, lorsque tu entrais
Dans ma seule mémoire, comme le feu dans le cuivre;
Quand tu es absente, derrière toi l’espace se referme comme l’eau ;
Ne te retourne pas : il n’est rien en dehors de toi,
L’espace n’est que temps visible d’autre manière;
Les lieux aimés nous ne pouvons les abandonner.
Ivan V. LALIC « Temps, feu, jardins » (Éd. Saint-Germain-des-Prés, 1973)
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