Rat de bibliothèque – ( RC )
image extrait de « Maus »
Comment souris-tu,
… – Ignorant
De toutes tes dents ?
En mangeant tout cru
Les encyclopédies :
et tout le travail de l’imprimeur
dont se repaissent les rongeurs
les entrailles alourdies …
Serais-tu, rat de bibliothèque
féru de l’écriture
au point d’en faire nourriture
comme tu le ferais avec
n’importe quelle page
déchiquetant les mots,
comme de l’âme, les maux,
– Il te serait offert comme un fromage :
C’est un repas parfait
à l’abri des reliures :
Çà c’est de la culture :
Cela vaut bien un autodafé !
–
RC – avr 2016
–
en écho à Norge:
http://nuageneuf.over-blog.com/article-norge-chere-souris-63855758.html
Alain Giorgetti – pourquoi il marche

un des textes d’ Alain Giorgetti visible sur son site tumblr …
Est-ce qu’on a le droit de demander à quelqu’un pourquoi il marche de la façon dont il marche… Est-ce qu’on demande à quelqu’un pourquoi il respire comme il respire, pourquoi il a ce grain de voix, cette odeur corporelle, pourquoi il dort sur le côté, pourquoi il crie quand il jouit ou pourquoi il ne prend jamais de sucre dans son café… Mais alors, pourquoi donc demander toujours à celui qui écrit peu ou prou, pourquoi il écrit comme il le fait ? Est-ce que ça ne suffit pas, que ce soit là, parce que ça devait sortir et surtout parce que ça devait sortir comme ça ? N’y a-t-il pas que cela qui compte en fait, en réalité et en définitive…
Parce que, dis-donc ! tu ne la trouves pas un peu compliquée toi, la Vie, des fois… Et ta vie-même, la tienne-là ! celle qui s’écrit sous tes yeux sans s’écrire ! est-elle vraiment si simple, ta vie… Ne se nourrit-elle pas de traces confuses, de paillettes morbides, d’illusions kaléidoscopiques et d’ombres et de lumières… Est-ce que tu as déjà regardé de près une feuille de papier, une tache d’encre, un mille-feuille, un marc de café, un morceau de sucre ou la lampe de ta cuisine…
A chaque fois que l’on me parle d’un écrivain tellement si « super » ou « génial » en la raison de sa simplicité, de son accessibilité ou de son art supposé de la belle communication (spécialité du journaliste-culture estampillé France Inter par exemple)… A chaque fois oui ! un malaise insidieux s’empare de moi, dont l’essence m’entre dans l’oreille comme le poison de Hamlet et je ne cherche plus dès lors qu’à m’enfuir au loin, tel un daim au devant des bulldozers autoroutiers… Sans rien demander.
Ah ! que la vie est quotidienne.
Boire à la même source ( RC )
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Nous buvons à la même source,
Lisons, à quelques dizaines d’années d’écart,
Les mêmes livres,
Caressons la même lumière,
Et pourtant, nous n’arrivons pas à boire la même eau.
Est toujours présente, notre culture commune,.
Qui pourra dire qu’ elle s’est transformée,
Que les pages ont pris une autre couleur ?
Une génération d’écart a pourtant modifié son aspect,
Nous buvons à la même source,
Mais, comme on dit, « l’eau a coulé sous les ponts »
— Il est possible qu’elle n’ait pas le même goût.
–
RC – 26 juin 2013
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Carlos Martinez Rivas – Portrait de dame avec jeune dormeur

peinture: Fernando Botero » le déjeûner sur l’herbe »
PORTRAIT DE DAME AVEC JEUNE DONNEUR
La jeunesse n’a pas où appuyer la tête
Sa poitrine est pareille à la mer.
Comme la mer qui ne dort ni de jour ni de nuit.
Elle est en formation
et non pas groupée comme la maturité.
Comme la mer qui dans la nuit
et alors que la terre dort comme une souche
se retourne dans son lit.
Seul.
Retiré dans ma toux.
De mon lit qui grogne j’entends couler l’eau.
Toute l’eau qu’on entend passer la nuit sous les lits.
Sous les ponts.
Les oiseaux du ciel ont leurs nids.
Nids étrangissimes
Les renards et les renardes ont de joyeuses tanières
où faire ce que bon leur semble.
En la laissant pour demain sa vie passe.
Et à la Pinacothèque de Munich,
sous le grand champignon, à l’ombre affable des Vieux Maîtres,
ou dans la marmite du plaisir,
renversant sur le sol son futur
Il dit à sa jeunesse, à son divin trésor il dit :
– J’attends seulement que tu passes pour me servir de toi.
Et apprendre à m’asseoir.
Commencer à prendre figure.
Voilà ce que fit Mister Carlyle, le dyseptique.
Ce que firent Don Pio Baroja et son béret.
Ou Emerson (« … une physionomie bien achevée est la véritable et unique fin de la Culture »).
Et tous les autres Octogénaires, ceux qui escamotèrent leur destin :
le propre, ce qui de l’homme fait une rosse
et finit en lunettes, museau, moustache individuelle et entêtée.
Voilà ceux qui parvinrent à ‘la fin et réglèrent l’affaire et méritèrent
un portrait dans leur vieux fauteuil rose
déjà chauve et beau à leur semblance.
–
extrait de recueil de poésie sud-américaine
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Que faire des idées qui encombrent ? ( RC )

peinture : Paul Klee – maisons rouges et amaryllis – Tunis 1914
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Que faire des idées qui encombrent ?
Et venir en tableau blanc…
Où tout est à inventer.
A construire le réel au souffle de la couleur,
Ce qui n’est pas tout à fait la réalité,
Puisque je l’ai inventée…
L’innomable a suivi :
On peut saisir et toucher de la main
Ce qui n’existait pas , un instant avant
Des calligraphies jetées sur le papier
A la douceur des peaux de marbre,
Creusées dans le bloc brut de carrière
Que faire des images qui encombrent ?
Avec le tableau vierge ?
C’est ré-inventer le langage d’origine
Et le chercher là où personne ne l’a entendu
La réalité inventée
Celle des tableaux de Klee
Celle d’un intérieur enfoui quelque part
Et soudain se donne à voir
———– sans jouer au miroir…
Tout est fiction peut-être
Et, qui ouvre la fenêtre
Met au jour l’esprit de l’enfance,
S’aventure sans méfiance .
.. Si c’est musique , – des accords inouïs…
Pour les artistes , aucun mot ne traduit
L’invisible devenu visible, et si oui,
Résumer que le peintre a jouï,
Rejetant dans les étoiles
Et la culture et les idées bancales.
C’est une fiction, peut-être,
En nous portant, pourtant, elle nous fait renaître..
Et s’il est question d’écrire,
Je laisse les mots advenir
Avancer, reculer, avancer,
—– et enfin nous bousculer..
–
RC – St Louis – 25 février 2013 —
–
Tachée, la mémoire du printemps ( RC )
Photo: Barb Unger Thiaumont, vers Douaumont
L’indifférence ensoleillée du paysage
…………. où l’herbe repousse
—————– Tout ce qui était mélangé,
les troncs d’arbres brisés, les larges pointillés en traces
de chenilles des chars, les cadavres des chevaux,
les tranchées inondées,
une main ou un bras seul, sortant de la boue,
les restes d’uniformes bleu horizon projetés dans les branches…
…………. tout ceci est maintenant du passé,
de l’histoire, un terreau qu’on imagine fertile
de cultures grasses
—————- l’occasion d’en faire des sujets
de disserter – indécence-
d’engagement, de patrie, d’honneur – sur fond de gaz moutarde
de soldats saoûlés de gnôle , pour donner l’assaut
et oublier l’instant présent.
L’indifférence ensoleillée du paysage,
les surfaces offertes au vent, coupées de lignes absurdes
Un sol lunaire de terre, bouleversé de cratères,
ensemble de silences, vaguement circulaires.
Les racines de jeunes bouleaux ne craignent pas d’embrasser l’archéologie
d’un siècle d’obus endormis.
Le sang disparu, tache la mémoire du printemps
…………….. et celle des hommes.
–
RC – 15 septembre 2012
–
que je complète par cet écrit trouvé aujourd’hui ( poème « de circonstance », écrit en 1914, par Marcel Martinet )
Tu vas te battre.
Quittant
L’atelier, le bureau, le chantier, l’usine,
Quittant, paysan,
La charrue, soc en l’air, dans le sillon,
La moisson sur pied, les grappes sur les ceps,
Et les bœufs vers toi beuglant du fond du pré,
Employé, quittant les madames,
Leurs gants, leurs flacons, leurs jupons,
Leurs insolences, leurs belles façons,
Quittant ton si charmant sourire,
Mineur, quittant la mine
Où tu craches tes poumons
En noire salive,
Verrier, quittant la fournaise
Qui guettait tes yeux fous,
Et toi, soldat, quittant la caserne, soldat,
Et la cour bête où l’on paresse,
Et la vie bête où l’on apprend
À bien oublier son métier,
Quittant la rue des bastringues,
La cantine et les fillasses,
Tu vas te battre.
Tu vas te battre ?
Tu quittes ta livrée, tu quittes ta misère,
Tu quittes l’outil complice du maître ?
Tu vas te battre .
Contre ce beau fils ton bourgeois
Qui vient te voir dans ton terrier,
Garçon de charrue, métayer,
Et qui te donne des conseils
En faisant à son rejeton
Un petit cours de charité ?
Contre le monsieur et la dame
Qui payait ton charmant sourire
De vendeur à cent francs par mois
En payant les robes soldées
Qu’on fabrique dans les mansardes ?
Contre l’actionnaire de mines
Et contre le patron verrier ?
Contre le jeune homme en smoking
Né pour insulter les garçons
Des cabinets particuliers
Et se saouler avec tes filles,
En buvant ton vin, vigneron,
Dans ton verre, ouvrier verrier ?
Contre ceux qui dans leurs casernes
Te dressèrent à protéger
Leurs peaux et leurs propriétés
Des maigres ombres de révolte
Que dans la mine ou l’atelier
Ou le chantier auraient tentées
Tes frères, tes frères, ouvrier ?
Pauvre, tu vas te battre ?
Contre les riches, contre les maîtres,
Contre ceux qui mangent ta part,
Contre ceux qui mangent ta vie,
Contre les bien nourris qui mangent
La part et la vie de tes fils,
Contre ceux qui ont des autos,
Et des larbins et des châteaux,
Des autos de leur boue éclaboussant ta blouse,
Des châteaux qu’à travers leurs grilles tu admires,
Des larbins ricanant devant ton bourgeron,
Tu vas te battre pour ton pain,
Pour ta pensée et pour ton cœur,
Pour tes petits, pour leur maman,
Contre ceux qui t’ont dépouillé
Et contre ceux qui t’ont raillé
Et contre ceux qui t’ont souillé
De leur pitié, de leur injure,
Pauvre courbé, pauvre déchu,
Pauvre insurgé, tu vas te battre
Contre ceux qui t’ont fait une âme de misère,
Ce cœur de résigné et ce cœur de vaincu… ?
Pauvre, paysan, ouvrier,
Avec ceux qui t’ont fait une âme de misère,
Avec le riche, avec le maître,
Avec ceux qui t’ayant fusillé dans tes grèves
T’ont rationné ton salaire,
Pour ceux qui t’ont construit autour de leurs usines
Des temples et des assommoirs
Et qui ont fait pleurer devant le buffet vide
Ta femme et vos petits sans pain,
Pour que ceux qui t’ont fait une âme de misère
Restent seuls à vivre de toi
Et pour que leurs grands cœurs ne soient point assombris
Par les larmes de leur patrie,
Pour te bien enivrer de l’oubli de toi-même,
Pauvre, paysan, ouvrier,
Avec le riche, avec le maître,
Contre les dépouillés, contre les asservis,
Contre ton frère, contre toi-même,
Tu vas te battre, tu vas te battre !
Va donc !
Dans vos congrès vous vous serriez les mains,
Camarades. Un seul sang coulait dans un seul corps.
Berlin, Londres, Paris, Vienne, Moscou, Bruxelles,
Vous étiez là ; le peuple entier des travailleurs
Était là ; le vieux monde oppresseur et barbare
Sentant déjà sur soi peser vos mains unies,
Frémissait, entendant obscurément monter
Sous ses iniquités et sous ses tyrannies
Les voix de la justice et de la liberté,
Hier.
Constructeurs de cités, âmes libres et fières,
Cœurs francs, vous étiez là, frères d’armes, debout,
Et confondus devant un ennemi commun,
Hier.
Et aujourd’hui ? Aujourd’hui comme hier
Berlin, Londres, Paris, Vienne, Moscou, Bruxelles,
Vous êtes là ; le peuple entier des travailleurs
Est là. Il est bien là, le peuple des esclaves,
Le peuple des hâbleurs et des frères parjures.
Ces mains que tu serrais,
Elles tiennent bien des fusils,
Des lances, des sabres,
Elles manœuvrent des canons,
Des obusiers, des mitrailleuses,
Contre toi ;
Et toi, toi aussi, tu as des mitrailleuses,
Toi aussi tu as un bon fusil,
Contre ton frère.
Travaille, travailleur.
Fondeur du Creusot, devant toi
Il y a un fondeur d’Essen,
Tue-le.
Mineur de Saxe, devant toi
Il y a un mineur de Lens,
Tue-le.
Docker du Havre, devant toi
Il y a un docker de Brême,
Tue et tue, tue-le, tuez-vous,
Travaille, travailleur.
Oh ! Regarde tes mains.
Ô pauvre, ouvrier, paysan,
Regarde tes lourdes mains noires,
De tous tes yeux, usés, rougis,
Regarde tes filles, leurs joues blêmes,
Regarde tes fils, leurs bras maigres,
Regarde leurs cœurs avilis,
Et ta vieille compagne, regarde son visage,
Celui de vos vingt ans,
Et son corps misérable et son âme flétrie,
Et ceci encor, devant toi,
Regarde la fosse commune,
Tes compagnons, tes père et mère…
Et maintenant, et maintenant,
Va te battre.
Le 30 juillet 1914
Marcel Martinet; « les temps maudits »
—
et ce texte de Thomas Vinau
–
Ce noir qui remonte
Les trous d’obus les fosses
les tranchées et les tombes
sont les lieux de naissance privilégiés
du coquelicot
de même que les blessures les non-dits
les plaies et les silences
sont les nurseries habituelles
du poème …