À l’intérieur d’un seul mot vous ne respirez plus. La phrase vous laisse l’oxygène indispensable pour en revenir à l’idée, elle-même ombre du paradoxe qui retenait vos poings liés à la page blanche. Sinon des animaux sauvages s’emparent de votre délire. Vous parcourez toutes les savanes, remontez les déluges, appliquez à votre mémoire le vide circonstancié qui aspire faits et gestes anciens, lesquels couturent votre calotte ou, si vous préférez, votre bonnet d’enfance. Suffirait de bégayer dans l’oreille d’un imbécile qui vous prend illico pour un fieffé poète. Alors, ce qui doit être dit, laissez-le raconter par le plus prestigieux d’entre nous, celui dont la panse est couverte de médailles surannées, triste devant la connaissance qui rend obèse, aspire l’inspiration, asphyxie les phénomènes grammaticaux, l’ensemble prêt à rendre les ours comestibles. Bref, souriez sans réfléchir. Toute bulle vous conduit au firmament de l’impossible. Vos voisins sont des bâtisseurs et déjà vous n’apercevez plus la mer qui gronde, ignorez la torpeur des marais, n’entretenez plus le geste qui sauve et que, pourtant, vous avez déniché dans le bréviaire sacré de votre solitude. Et ce livre, écrit à l’intérieur d’un seul mot, ne sera jamais ouvert à la page de la moindre illumination.
Michel Pierre, L’enfer vaut l’endroit = ( publication des éditions des vanneaux )
« Tu es pleine de pénurie. Quand il pleut dans la chambre qu’on croyait pourtant sûre, quand le sol s’ouvre comme une gueule terrible… On dirait que tout ça a été créé pour toi : l’enfer d’Alejandra. Même si on n’est pas amoureux, parfois, au beau milieu de la solitude, ou d’un abandon lugubre, surgissent des désirs que les autres ont aussi : une main sur l’épaule, des paroles affectueuses…
Tu ne fais de mal à personne avec ces désirs. En fait, ils ne demandent aucun réel effort à la personne qui pourrait (et devrait) les exaucer.
Aussi, parfois, en fait, tous les jours, à toute heure, un geste tendre ne déplairait pas à l’animal blessé que tu es, un mot affectueux, un sourire esquissé, mais pour toi, pour toi toute seule, et qu’aucun être humain ne pourrait retenir, personne, puisque tu ne connais personne en particulier.
Voilà d’étranges idées, qui ne peuvent surgir qu’en pleine solitude, après une longue et assommante journée, durant laquelle un corps fatigué et sans objet est demeuré prostré.
Ce que j’écris, je dois l’écrire pour quelqu’un d’autre que moi, puisque je ne me parle pas, ne m’écris pas et que ça ne m’intéresse pas de le faire. Quoi ? Je serais jalouse de ce destinataire anonyme ?
Si j’écrivais pour moi et si j’étais en phase avec mon délire, je n’écrirais pas ; s’il y a bien une raison pour laquelle j’écris, c’est pour que quelqu’un me sauve de moi-même. »
Tu as essayé de combler la muraille des mots
> en froissant l’écriture du feu,
Il a laissé des traînées noires sur le chapitre des hommes,
Il était question de prophéties,
C’était écrit dans le grand livre,
Tu as essayé d’en arracher les pages,
S’il fallait dévier le cours du temps,
Comme installer un barrage,
Contre une apocalypse annoncée,
Tu as changé le feu en glace, alors
Se mêlant de l’hiver, étendu aux orgues du blizzard,
Et la succession d’arbres revêches, accrochés de leurs serres aux pentes.
Tu as été sourd à ce que dit la terre,
Commandé aux éléments, creusé des canaux, abattu des forêts immenses
Mais si tu as lu à l’envers, ou traduit avec contresens,
Joué l’apprenti-sourcier, et en guise de semeur
Semé les erreurs, comme autant d’incendies
> Le retour en arrière n’est plus possible.
Le pouvoir enivre et file entre les doigts comme du sable,
> Lire à l’envers, délire
… Et maintenant, que fais-tu, dans ta maison détruite ?