Un effet d’hiver – ( RC )

photo Caroline D – tempête douce
C’est sans doute un effet d’hiver.
Les lèvres sont fermées.
Ne m’en veux pas de t’avoir jeté la pierre…
Le livre a les pages raides,
les corneilles ont laissé leur empreinte noire
sur un ciel gris au-dessus de nous.
Qu’est devenu ton sourire ?
maintiendra-t-il aussi les lèvres fermées
comme au moment de ton départ:
j’irai le découper dans le papier
pour le coller sur la photo floue
que tu trouvais laide.
Ce n’est rien qu’un détour d’écriture
qui cachera un peu ma blessure…
Renaître et revenir à son point de départ – ( RC )

S’il faut jouer à pile ou face
je n’ai rien décidé de mon destin…
je vais me prendre en main
( impair ou passe )
pour décider de mon voyage,
mais la terre est-elle ronde ou plate ?
Je commence à la parcourir sans hâte
avec très peu de bagages.
S’il faut débuter par son lieu de naissance
chaque foulée m’en éloigne au fur et à mesure
gagnant en envergure
pour retrouver mon innocence ;
je sème au passage quelques pierres
histoire de retrouver mon chemin
en suivant les méridiens :
on se demande à quoi ça sert:
peut-être à retrouver la mémoire
quand on égraine les kilomètres
est-ce ainsi renaître
que revenir à son point de départ ?
Elle disait – (Susanne Derève) –

Elle balançait son pas léger sur le pavé des rues et ses cheveux flottaient comme d’anciennes voiles avec leur lien de chanvre abandonné au vent Elle disait: Je m’en vais pour longtemps et son regard brillait du fol émoi qui gouverne les rêves habillait l’horizon de palais de lumière tandis que j’y voyais lever un éternel hiver Elle disait je m’en vais dans son oeil tremblait le reflet des lagunes … et j'y noyais mon infortune
Mon cœur de mère- (Susanne Derève)

J’ai déchiré lentement une feuille de papier pour entendre le bruit que fait mon coeur de mère à l’instant des adieux Comment pourrais-je l’écrire ? Enfant, que la Nuit de Pessoa t’accompagne, la nuit radieuse invincible du départ, la nuit blanche de mon coeur en morceaux; j’ai chaussé mon masque de lune pour dérober mes larmes, pendant que se brisait mon coeur dans la jarre de porcelaine des sanglots. Mais toi,Enfant, emporte vers l’Orient mon sourire de mère impassible et serein, et que la Nuit de Pessoa,nuit de villes lointaines,nuit de mer,de coquillages et de corail, la nuit brûlante des Tropiques te porte vers ton rêve, du sable de tes mains naisse une pluie d’étoiles, et la musique étourdissante de la nuit dans sa marche intrépide et glorieuse te fasse Reine en piétinant mes larmes.
Départ – ( Susanne Derève)

Un ciel de nuit
mais les nuages à l’horizon blanchissent déjà
Tu pars
les lanternes des grues rougissent comme des phares
silence ensommeillé
qui sonne doucement de l’ébranlement des trains
du chuintement régulier des essieux
de leur halètement sourd
du chant atone des sirènes
– voix de basse des cornes de brume
émergeant du brouillard –
du claquement des toiles au vent
sonne d’un au revoir et d’un baiser mouillé
d’une écharpe qu’on noue
et d’un bonnet serré autour des yeux
Sous la pluie qui noie les lumières de l’aube
Tu pars
Pentti Holappa – depuis le rivage
–
Depuis le rivage
Semant ses bienfaits un nuage vole puis un aigle, messager.
Seules les îles gémissent vers le rivage à leur départ,
quand le vent sous le gel se fige, pleurant sur leur sort.
Et la mort du nuage et la fin de l’aigle
et le dernier cri sont une suffisante genèse.
Les lueurs de l’Est ne dorent pas les eaux du rivage,
et les lumières de l’Ouest
ne recouvrent pas l’homme qui regarde.
Seul jusqu’au destin du rivage résonne
le chant de ceux qui s’en vont :
Adieu, étranger aux visages enfouis.
( Le fils de la terre 1953)
Il est minuit depuis si longtemps – (RC )
–
Il est minuit depuis si longtemps
…. Le long des parcours du jour.
J’ai traversé le sommeil,
> Et dehors, la caresse
Des courants tièdes,
N’atteignait pas le mur.
J’y étais enfermé,
Et mes bras menus ne pouvaient rien
Contre le froid, contre l’attente …
Et la douceur des choses
N’était qu’à deux pas.
Des promesses de l’été.
Les paroles gelées sous les lèvres,
La jeunesse habillée d’oublis,
Les yeux grand ouverts
Derrière des paupières inutiles
Sont à l’écart des champs de jeunes blés,
Où le vent s’ondoie.
Il faudrait que la terre tremble,
Que les lézardes prolifèrent,
Et que les pierres se descellent,
Pour que le sortilège tombe avec,
Et que le regard puisse enfin,
Goûter vraiment, à la douceur des choses.
Le baiser à la terre,
La ronde du soleil …
Le temps d’un autre départ,
Pour retrouver le désir,
Sa propre route, au dedans,
Pour y courir librement, les pieds nus .
–
RC – juillet 2014
–
Colette Fournier – Au matin
–
Longtemps, mon cœur a battu au flanc du jour.
L’aube était pure, si pure,
Un lever de mystères blancs,
Une pluie d’instants menus dessinés au fusain noir,
La rue et son appel rauque et volage,
La prairie songeuse au soleil,
Et immobile sous un ciel d’extase,
L’eau dormante d’un étang blond.
Longtemps, je suis restée suspendue aux matins,
Aux histoires de fées et de lutins,
Osant à peine, à peine, poser mes pas pointus,
Sur l’herbe mouillée de peur de l’abimer un peu,
Craignant de réveiller juste par mon souffle,
Les esprits endormis de la forêt,
Et les fleurs assoupies dans leurs corolles soumises,
Et que le vent, doucement, plie.
Je ne veux pas, donnant à mon cœur du repos,
Oublier l’odeur des départs,
La nuit couchée en coin comme un chat dispos,
Je ne veux pas refuser tes larmes,
Quand tu te penches sur la vie et que tu l’aimes encore,
Je ne veux rien effacer dans tes yeux, pas même ta mémoire,
Juste goûter encore la ferveur des matins, encore, demain….
–
( visible dans le blog de phedrienne : http://colettefournier.com/2013/02/21/au-matin/)
Edith de Cornulier – Les soeurs douloureuses
Les sœurs douloureuses
Minuit dans le hangar ! et nos sœurs douloureuses
S’avançaient à genoux, fuyant la paille en feu.
La nuit de la Saint-Jean s’achevait malheureuse.
Qu’avions-nous fait, Seigneur ? de terrible à tes yeux.
Amis, Ô survivants ! Il fallait fuir. La lune,
Masquée de brume grise éclairait nos adieux.
Moi, je me retournai depuis la haute dune,
Pour un dernier regard aux frères malchanceux.
Ils étaient morts déjà. Seules les sœurs en lutte
Rampaient hors de la grange et leurs cris silencieux
Sonnaient comme un remords qui titille et percute
Comme je cheminais à rebours sous les cieux
De fonte. Savaient-elles au milieu de leur mort,
Qu’elles mouraient ? Bien sûr ! Et ces anges précieux
S’étonnaient en douleur de la frontière hardcore
Qui séparait nos vies de leur départ affreux.
Fêtes de la jeunesse, à ceux qui vous survivent,
Vous ressemblez parfois à de douces chansons.
Mais les anges qui sombrent et se noient sur vos rives
Sont le tribut payé par la génération.
Nous étions trente gars, trente filles en fleurs
A la dernière fête estivale de l’an.
Nous étions quinze gars, quinze filles en pleurs
Au village le jour du grand enterrement.
–
Edith de CL, juillet-août 2010
–
Ahmed Mehaoudi – Où ira le soir ?
Ahmed Mehaoudi, poète algérien – dont j‘avais déjà publié » A ce désert », est l’auteur d’autres productions intéressantes qu’il nous donne à lire et dont je fais l’écho ici de son « où ira le soir »
—
où ira ce soir
d’avoir si peu appris à comprendre les départs
de ces nids autrefois silencieux à la saison de paix
si peu vu dans le ciel ces éclairs de feu attendrir tes yeux
comme chercher dans les rêves l’insensé désir de se réveiller
où iras-tu ce soir
d’avoir déjà perdu le fil du chemin
la porte par où entre ton bonheur
si peu écouter que la nuit est parti loin
et toi
dors à l’endroit où ce soir tu apprendras
à regarder le jour
là se fait les mots …
–