Jean Jallerat – Promener au soleil une neuve passion

Montage photo RC
Et tu vas parcourant les regards
Tu appelles des chants et des départs
Rêvés Rêvés
Pour l’hiver
Rêvés pour les nuits
Pour l’herbe qui repart
Devant le chien couchant qui guette des caresses
Appelant les yeux fous gémissant sa tendresse
Laissant l’effroi joyeux sous la main de la messe
Et tu pars te figurant les foules
Saisir au feu du jour une extase nouvelle
Trouver l’élan de bielle
Le rythme sûr à ta cadence trop belle
trop fier, gonflé de signes
Tête levée au ciel, sifflant la rengaine
Promener au soleil une neuve passion
J J est publié aux éditions des Vanneaux
Jean Blot – Les cosmopolites
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A force de courir le monde…
la vie devient étrange et plus docile à l’espace qu’au temps…
C’était Paris, Londres, New York, ou Genève, mais était-ce avant ou bien après ?
En chaque ville, quand on la retrouve, la durée se ressoude, son tissu se refait, comme si l’absence avait été une blessure et le retour une guérison.
Qui vit en un lieu suit le temps dans sa marche et épouse son mouvement.
Mais le vagabond reprend à chaque étape le jour qu’il avait laissé là, qui s’était endormi et qu’il réveille en revenant. Ou bien, au contraire, un fil relié sans cause des lieux éloignés et telle conversation commencée à New York se poursuit à Genève, rebondit à Londres, et se conclut à Paris.
Cet ami rencontré sur la 5è avenue, on le retrouve sur le pont du Mont-Blanc, on le quitte dans un café de Montparnasse.
Ou encore on oublie le lieu, le temps: l’amitié seule demeure.
Il semble parfois qu’il n’est ni passé, ni avenir; ni lieux distincts, mais un seul présent aux facettes nombreuses qui résistent au classement et n’obéissent
qu’aux lois secrètes du sentiment.
Voyages départs et retours font que la vie prend de l’épaisseur, mais qu’elle ne coule pas comme elle devrait.
Quand on revient, on dirait que le temps se fait réversible: tout recommence…
Les cosmopolites ( Gallimard)
Candice Nguyen – Forêt, Femme, Folie, un écho
Forêt, Femme, Folie, un écho
J’habite un pays au-dessus des toits à hauteur de cheminées, sous mes yeux le creux qui s’étend. D’où je viens les eaux sont profondes, les cieux peu cléments, les lendemains incertains. Le grain des voix est cassé par la solitude des départs, de ceux qui durent trop longtemps, pour des destinations lointaines et se répètent souvent. D’où je viens les enfants partent en masse vers les tours de verre et reviennent rarement. D’où je viens les attentes sont plus grandes que par-delà les plaines, rêves à l’automne moins pâle, le crépitement du bois dans les foyers nombreux contre l’hiver intransigeant.
J’habite un pays au-dessus des toits à hauteur de cheminées, sous mes yeux leur absence qui s’étend. D’où je viens les forêts sont pour s’y perdre, les jeunes femmes y partent seules, de nuit, et reviennent quelques matins plus tard le regard fuyant, le ventre vide. Les ruisseaux sont gelés, le poisson prisonnier, des tâches sombres, rouges, se remarquent encore entre les feuillages au pied des arbres. D’où je viens les hameaux s’arrêtent en lisière des forêts, denses, sauvages, redoutées, et l’imaginaire magnifient les femmes et les portent hors de la maisonnée, l’extérieur apprivoisé, le tigre dompté. D’où je viens les hommes sont extérieurs à tout, n’ont rien en propre, pas de tâche assignée, fumer jouer chasser : se faire chasser. Ni des forêts ni des lignées, ils rentrent nus.
Et puis il vint des étrangers comme il en vient à chaque époque, en chaque lieu. On commença alors à faire tomber les arbres aux abords des sentiers et peu à peu nos peurs de la forêt sacralisée furent bientôt remplacées par la peur de sa propre disparition. On nous prédit l’expropriation, l’avènement d’un nouveau dieu, on mit à jour la futilité de nos croyances, à sac nos rites et nos terres. D’aussi loin que je me souvienne, peu ont résisté, il n’est de cycles qui se renouvellent sans le refus de s’enfermer.