Frédérique Kerbellec – Cette terre
photo de Boston.com
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Cette terre de tant de douleur
cette terre de l’arrachement
terre rude
On harangue aujourd’hui sa dépouille
le grand désastre de l’âme
vendu aux boutiques d’ordures
aux marchés des esclaves
qu’on achète pour rien
Son cri arrache des larmes aux astres
appelle sans secours
les pelotes somnolentes des étoiles
Et ses yeux s’agrandissent
terrifiés
sa voix perdue
brûlée piétinée asséchée
par la prostitution des maudits
par la vanité des immenses
des casseroles de fer
qui volent au vent du Nord
La commisération
les parfums fous
les épines des buissons
Fleur recluse – ( RC )
photo perso – Chanac
C’est comme un coeur
qui garde sa couleur
encore quelque temps :
il parle doucement
de ses quelques printemps
vécus bien avant .
– C’est une fleur à l’abri de l’air,
qui, par quelque mystère
jamais ne fane,
mais ses teintes diaphanes
à defaut de mourir,
finissent toujours par pâlir .
Détachée de la terre ,
elle est prisonnière
d’une gangue en plastique,
un procédé bien pratique
pour que la fleur
donne l’illusion de fraîcheur .
– C’est comme un coeur
qui cache sa douleur ,
et sa mémoire,
dans un bocal de laboratoire,
( une sorte de symbole
conservé dans le formol ) .
Une fleur de souvenir ,
l’évocation d’un soupir :
celui de la dépouille
devant laquelle on s’agenouille :
les larmes que l’on a versées,
au milieu des pots renversés .
C’est comme s’il était interdit
à la fleur, d’être flétrie :
elle, immobilisée ,
figée, muséifiée,
( églantine sans épines,
au milieu de la résine ) .
A son tour de vieillir :
elle va lentement dépérir :
le plastique fendille, craque
ou devient opaque :
les vieux pétales
cachés derrière un voile
entament leur retrait :
d’un pâle reflet
où les couleurs se diffusent :
la rose recluse
se ferait virtuelle :
– elle en contredit l’éternel –
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RC – nov 2017
Alda Merini – folie
–
Folie, ma grande jeune ennemie,
il fut un temps où je te portais comme un voile
sur les yeux, me découvrant à peine.
je me suis vue dans le lointain ta cible,
et tu m’as prise pour ta muse ;
lorsqu’est venue cette chute de dents
qui m’endolorit encore parmi les dépouilles,
tu as acheté cette pomme de l’avenir
et m’as donné le fruit de ton parfum.
—
Follia, mia grande giovane nemica,
un tempo ti portavo come un velo
sopra i miei occhi e mi scoprivo appena.
Mi vide in lontananza il tuo bersaglio
e hai pensato che fossi la tua musa;
quando mi venne quel calar di denti
che ancora mi addolora tra le spoglie,
comprasti quella mela del futuro
per darmi il frutto della tua fragranza.
–
Vuoto d’amore, Einaudi, 1991
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