Florence Noël – d’écorce

on avait dit au revoir aux arbres
à chaque feuille
et de tomber avec elles
nos mains s’enflammaient
puis murmuraient des choses lentes
apprises dans l’humus
le manteau de leur torse
était trop vaste
pour contenir le souffle des oiseaux
et tous ces souvenirs
délestés de bruissements
ces troncs buvaient nos bouches
adoubement de sèves
de part et d’autre
d’un baiser de tanin
on avait confié à leur chair
le soin de graver
l’étendue d’une vie
et dans l’ombre inconnue des cimes
nos dents entaillaient
le fragile désir de croître.
extrait de « Au hasard de la lumière »
Ce que les oiseaux n’ont pas vu…- ( SD-RC )

Entre tilleul et cerisier,
J’ouvre une parenthèse:
mains, peau, émois, éveil, ….
Quelques éclats de soleil
nous caressent à notre insu.
Ce que les oiseaux ont vu,
je ne le dirai pas…
Dirai-je ce qu’ils n’ont pas vu :
la valse tendre de nos doigts
dans l’ombre du feuillage,
les étoffes froissées,
dansant,
ton corps léger , flottant dans l’air,
sous la lumière complice,
baignant le couvert de petites parcelles d’or
que tu n’as pas saisies.
C’est qu’ils n’ont pas surpris
la douce chanson du désir…
L’été s’est installé
dans un soupir…
–
SD-RC août 2020
Annie Salager – Lis de mer

à J.F .Temple
Tant d’années sans eux les lis
le léger inconfort des étangs
les vieilles cabanes de pêcheurs
les canaux les roselières
l’ennui pour eux de n’être pas la mer
soudain un champ de saladelles
je gémis attachée au train
je guette le mistral les flamants roses
je veux les lis de mer
les lieux d’exil terre ni mer
où travaille l’instable le néant de l’être
fouetté par-dessus tête
des courtes vagues du désir
et tout ce poids du temps
les mêmes
J’entends la mer balayer le rivage
entrer dans la chambre
la rumeur du sablier
le ciel est noir d’étoiles
la nuit le peuple
de lis en poussière de mer
j’ai soif d’eux
dans les senteurs du maquis
l’instant du vivre
tient en haleine
le même
Il est venu de loin
___en pétales sépales
corolle étamines pistil _
depuis l’union des dunes
_ silencieuses et des limpidités
dont l’eau meut: les anneaux
il est: vertu par les millions d’années
jaillir du sable fin où la pluie
lui conserve des souvenirs d’espace
et où le temps lui vient
pénétré de lumière
face au mien
de loin très neuf
nouveau venu et
lieu de culte où
seule en son parfum
demeure la présence
Cathy Garcia – printemps païen – végétal

Graines de désir,
Germées à l’ombre,
Au cœur du cœur.
Noyaux de vie,
Toute concentrée
Appelée à croître.
Pousses victorieuses
Et jaillissantes
Dans un premier
Éblouissement!
Feuilles enfants
Déployées,
La tendresse
Du fin duvet.
Rencontre avec l’eau,
Plaisir de la croissance,
Élévation.
Tige vivante,
Souple et caressante,
Tendue, dressée,
Portant ses fruits,
Sa fleur
En bouton secret.
Sortilège de la lumière
Conjuguée au vent
Et à l’amour!
Mystère éclos…
La fraîche merveille
D’un rouge délicat.
Robes de soie et de velours
Aux teintes les plus pures,
Parfums étranges et lourds.
Une corolle épanouie,
Un sexe frémissant,
Totalement offert!
Plénitude éphémère,
Le printemps
Pour lune de miel !
Nohad Salameh -Ne t’attarde pas davantage –

Ne t’attarde pas davantage :
viens avant l’aube — Pâque précoce
allonge-toi contre mes paupières
aux lisières de l’infini.
Mes mains se font plus denses
confondues à tes doigts.
Nous pénétrons nos propres limites
avec un toucher d’immortels.
Repose-toi
sans laisser de blessure
dans le lit du miroir
qui s’échappe d’un bond
au premier reflet.
Surtout
garde-toi de prendre la mesure de la mort
tant que vacille en nous
le feu grégeois du désir.
Voir : Recours au poème : Nohad Salameh
Babélio : https://www.babelio.com/auteur/Nohad-Salameh/319534
ou Maryline Bertoncini (blog)
un poisson au-dessus des dunes – ( RC )

Je me roule dans les mains de lune
glisse dans l’océan des rêves
je suis un poisson qui s’envole
au-dessus des dunes.
Ta poitrine de sirène
blanche et ta chevelure brune
sont celles d’une reine
au regard limpide.
Je vais planer, planer encore,
puis je retomberai
dans l’étendue liquide
l’instant d’une petite mort.
Ton corps d’or,
en devenir
connaît les sentiers secrets
des ressacs du désir.
Tu sais que l’on se noie
dans le plaisir,
mais je survivrai,
rien que pour toi.
RC – août 2021
Philippe Delaveau – sur l’île Saint Louis

La Seine aux longs méandres, la Seine courbe et lente, dénie les lignes droites.
D’un paresseux élan gagne l’extrémité de son virage, butant sur les terrains marécageux où s’édifièrent ses grandeurs, puis s’en retourne d’un effort, racle les quais de vaguelettes, écarte ses deux bras pour caresser les îles. Ses vrais navires.
Tant de douleur cachée aux bords qu’elle frôle, tant de beauté, tant de douleur. Elle pourrait filer droit, connaître le bonheur de se griser de son désir, en ignorant l’image des bâtiments penchés sur son miroir fragile, toujours brisé, pour se comprendre. Et le malheur de ceux qui voient en elle leur destinée à l’image du ciel libre, inaccessible, d’un bleu parfait. Mais escortée d’un frisson gris de feuilles, longée d’arbres qui tremblent de leurs milliers d’oreilles, elle se ride à son tour, paraît trembler du désespoir de ceux qui guettent au-dedans d’elle les tourbillons d’agate comme des yeux, emporte l’eau froissée d’une voix triste à peine audible, un savoir morcelé – son abondance secrète.
Seine aux méandres longs. Courbe et lent fleuve.
La Seine alors recueille le malheur, monument d’hommes.
**
Purgatoire – ( Susanne Derève)

Aimais les dernières feuilles rousses
aux arbres
de celles qui s’accrochent
aux branches nues comme un adieu
tandis que l’hiver facétieux fait table rase
des feuillées,
s’étiolent dans un souffle
que la lune ranime
d’un pâle éclat de givre dans la nuit
de Janvier
Aimais les froids matins d’hiver,
ensommeillés de gel,
le tintement grêle de la cloche à midi
zébrant le ciel à la volée,
d’un bleu de porcelaine
plus pur qu’au plein d’été
Et sur le parvis glacé dessous
la flèche du clocher les messieurs
à bedaine et les dames serrées
dans leurs manteaux de laine
noirs
les enfants lorgnant
les flaques du trottoir
avant d’aller docilement s’asseoir
près du bedeau
(en purgatoire)
Aimais par-dessus tout
pendant ce temps
– étais-tu suspendu à l’instant ? –
paresser au lit avec toi
guetter le froissement silencieux
du dégel
le floc des paquets de neige
chutant mollement des toits
Aimais le désordre des draps
et le va et vient de tes doigts
sur ma peau
là où nait le désir qui vous emporte
sur son aile comme un oiseau
l’ aile du désir est si pure
je la confisque
aux anges en robe de bure
veillant le carré des fidèles
tandis qu’aux cantiques se mêle
de nos ébats le doux murmure
Ce que n’ont pas vu les oiseaux …SD+RC

–
Entre tilleul et cerisier,
J’ouvre une parenthèse:
mains, peau, émois, éveil, ….
Quelques éclats de soleil
nous caressent à notre insu.
Ce que les oiseaux ont vu,
je ne le dirai pas…
Dirai-je ce qu’ils n’ont pas vu :
la valse tendre de nos doigts
dans l’ombre du feuillage,
les étoffes froissées,
dansant,
ton corps léger , flottant dans l’air,
sous la lumière complice,
baignant le couvert de petites parcelles d’or
que tu n’as pas saisies.
C’est qu’ils n’ont pas surpris
la douce chanson du désir…
L’été s’est installé
dans un soupir…
–
SD-RC août 2020
Ecrin – ( RC )
photo d’origine, légèrement modifiée… « l’année du soulier de satin » voir site de la société Paul Claudel
Eclairée de côté par un projecteur,
qui imite le soleil,
pointant ses flèches
entre le creux de la montagne,
je te vois, seule sur la scène.
Je devrais plutôt me perdre ici
dans les plis mauves
de ces rideaux de velours
qui drapent le mur vide,
côté jardin.
J’ai envie de disparaître
dans la douce obscurité de leurs plis.
L’été indien
poursuivant sa vie liquide
avec sa couleur purpurine.
Il y a encore ce bouquet
de fleurs rouges
sur la scène.
Un rouge tellement intense,
qu’il crie la teinte du désir.
Le reste du décor
est comme un écrin,
dont on ne voit pas les ombres .
Je risque un pas
et c’est ta main que j’étreins .
–
Illuminated from the side by a projector,
who imitates the sun,
pointing his arrows
between the hollow of the mountain,
I see you, alone on the stage.
I should rather get lost here
in the purple folds
of these velvet curtains
who drape the empty wall,
Garden side.
I want to disappear
in the soft darkness of their folds.
Indian summer
continuing his liquid life
with its purpurine color.
There is still this bouquet
of the red flowers
on the stage.
Such intense red,
let him cry out the hue of desire.
The rest of the decor
is like a jewel case,
whose shadows cannot be seen.
I risk a step
and it’s your hand that I hold.
Francesca-Yvonne Caroutch – espace du désir
peinture: Patrice Giorda
Espace idéal
espace du désir qui
au-delà de l’assouvissement
demeure pur désir
c’est-à-dire volonté des étoiles
Jubilation de la graine sur le point de germer
Ascèse des voyages dans l’énergie à l’état brut
L’esprit et le cœur pris dans les glaces
enfin tressaillent de concert
Voici alors le prince
ni ours ni dieu
qui saura éveiller la belle au plomb dormant
Car notre mercure est terre humide et torride
le verger notre corps
et notre corps un cosmos .
Marine Giangregorio – Signe
photo: Francesca Woodman
Un signe, elle attendait
Un signe, une pluie
Un regard, une odeur
Le sursaut!
Elle en vint à prier
La larme
De lui offrir une caresse
Pour que la peau vive
Sente, que ses lèvres
Gouttent une présence
Mais comme le mot
La larme résiste
La peau est froide
Le signe, croyait-elle
Irriguerait
L’inspiration
La faim
Le désir
La colère
Le regret
Ses artères seraient
Semblables à de petits torrents
Où la vie s’emporte, se révolte
Il lui fallait
Que lui aurait-il fallut?
Un peu d’amour de soi
Un peu de dégoût aussi
Non de l’indifférence
« L’absence à soi
C’est le pire des sentiments »
Se dit-elle,
Attendant un signe
Un signe d’elle
Et comme rien n’arrivait
Elle se mit face au grand miroir
Scellé au mur
Regarda longuement
L’image reflétée
Y enfonça le crane
Tête baissée
–
on peut consulter d’autres textes de M Giangregorio en allant sur son site
une forme douce et un sourire – ( RC )
peinture: Jeremy Annear
J’ai commencé
par une forme douce et indéfinie,
un peu ovale, mais sans bords,
que j’ai remplie d’un sourire
que je ne peux décrire.
Un sourire,
dont tu es l’ombre portée ,
qui s’étend lentement,
sans avoir de centre.
La couleur est apparue,
lente et dense
mais semblant sourdre de l’intérieur.
Il est difficile de l’expliquer
et encore d’en transmettre une image,
que l’oeil pourrait saisir.
Il suffit de se laisser envahir par sa présence,
s’en laisser traverser,
( enfin s’éprendre de ce désir,
qu’on ne peut même pas qualifier ) .
Le peintre et son modèle – (Susanne Derève)

Éva Gonzalès – Le chignon
Ces roses compassées, les desseins de la chair
le matin qui pâlit aux entrées de l’hiver
Ce long sommeil sous votre peau
et cette nuit les oripeaux
que j’abandonne pour vous plaire
Ce plaisir près de la souffrance
et cet aiguillon de l’absence
Je vous espère
Ne laissez pas le jour effacer la pénombre
quand je vous rejoindrai
les parfums amassés adouciront les ombres
Je vous devinerai rien qu’avant de vous voir
abandonnée,
comme l’opale réfracte la lumière du soir
Serez-vous, alanguie,
et prendrez-vous la pose
Je suis le peintre au chevalet
Je suis celui qui ose
vous croquer dans le noir
Cette clarté laiteuse
de votre hanche entre les draps
le doux éclat de votre bas
jeté négligemment à terre
Ah de n’être pas Courbet
je désespère
Renée Vivien – un éclair qui laisse les bras vides
Ta forme est un éclair qui laisse les bras vides,
Ton sourire est l’instant que l’on ne peut saisir…
Tu fuis, lorsque l’appel de mes lèvres avides
T’implore, ô mon Désir !
Plus froide que l’Espoir, ta caresse est cruelle
Passe comme un parfum et meurt comme un reflet.
Ah ! l’éternelle faim et soif éternelle
Et l’éternel regret !
Tu frôles sans étreindre, ainsi que la Chimère
Vers qui tendent toujours les vœux inapaisés…
Rien ne vaut ce tourment ni cette extase amère
De tes rares baisers !
____________(Études et préludes, 1901)
Foroukh Farrokhzâd – il n’y a que la voix qui reste
peinture: Arpad Szenes
Pourquoi m’arrêterais-je, pourquoi?
Les oiseaux sont partis en quête d’une direction bleue
L’horizon est vertical
L’horizon est vertical, le mouvement une fontaine
Et dans les limites de la vision
Les planètes tournoient lumineuses
Dans les hauteurs la terre accède à la répétition
Et des puits d’air
Se transforment en tunnels de liaison.
Le jour est une étendue,
Qui ne peut être contenue
Dans l’imagination du vers qui ronge un journal
Pourquoi m’arrêterais-je?
Le mystère traverse les vaisseaux de la vie
L’atmosphère matricielle de la lune,
Sa qualité, tuera les cellules pourries
Et dans l’espace alchimique après le lever du soleil
Seule la voix
Sera absorbée par les particules du temps
Pourquoi m’arrêterais-je?
Que peut être le marécage, sinon le lieu de pondaison des insectes de pourriture
Les pensées de la morgue sont écrites par les cadavres gonflés
L’homme faux dans la noirceur
A dissimulé sa virilité défaillante
Et les cafards…ah Quand les cafards parlent!
Pourquoi m’arrêterais-je?
Tout le labeur des lettres de plomb est inutile,
Tout le labeur des lettres de plomb,
Ne sauvera pas une pensée mesquine
Je suis de la lignée des arbres
Respirer l’air stagnant m’ennuie
Un oiseau mort m’a conseillé de garder en mémoire le vol
La finalité de toutes les forces est de s’unir, de s’unir,
À l’origine du soleil
Et de se déverser dans l’esprit de la lumière
Il est naturel que les moulins à vent pourrissent
Pourquoi m’arrêterais-je?
Je tiens l’épi vert du blé sous mon sein
La voix, la voix, seulement la voix
La voix du désir de l’eau de couler
La voix de l’écoulement de la lumière sur la féminité de la terre
La voix de la formation d’un embryon de sens
Et l’expression de la mémoire commune de l’amour
La voix, la voix, la voix, il n’y a que la voix qui reste
Au pays des lilliputiens,
Les repères de la mesure d’un voyage ne quittent pas l’orbite du zéro
Pourquoi m’arrêterais-je?
J’obéis aux quatre éléments
Rédiger les lois de mon cœur,
N’est pas l’affaire du gouvernement des aveugles local
Qu’ai-je à faire avec le long hurlement de sauvagerie?
De l’organe sexuel animal
Qu’ai-je à faire avec le frémissement des vers dans le vide de la viande?
C’est la lignée du sang des fleurs qui m’a engagée à vivre
La race du sang des fleurs savez-vous?
Traduction de Mohammad Torabi & Yves Ros.
Pierre Mannha – si je ne peux pas pleurer
peinture: H Matisse
If I cannot cry
let these words be my tears
pooling in your cup
the fervency of my longing
Si je ne peux pas pleurer
Laissez ces mots être mes larmes
Se regrouper dans votre tasse
La ferveur de mon désir
Henri Michaux – Par les cheveux de l’âme
dessin: G Klimt
Par les cheveux de l’âme, il la tenait pendant qu’elle agitait en elle-même de vains projets de résistance, qu’elle se débattait en vains mouvements, en vains retours, en vains délacements, glissant malgré elle, glissant déjà
presque tout entière suspendue, sans appui, au-dessus de la fosse du désir partagé.
Lindita Aliu – Le bonheur léger
photo lux coacta
C’était un amour étrange,
j’étais comme une partie de tous ces hommes sans que jamais
je ne les eusse vus en rêve.
Ils étaient présents, lors même que m’endormait
le murmure rocailleux du temps.
J’éprouvais un bonheur sans poids,
qui menait je ne sais où.
Il ne s’arrêtait que lorsque des arbres ou des nuages lui faisaient obstacle.
Il semait des mots à tous vents, toutes les lettres folâtraient de par le jardin.
Et aujourd’hui je ressens plus fortement l’hiver du jour que le poids de la terre entière.
Il m’ôte le sens de toute chose, en aplatit les raisons sur l’étendue intemporelle de son propre cercle.
Les lettres, désormais, décrochent mes yeux, me trouent le corps.
Ah ! douleur de mes yeux, eux qui autrefois étaient si savants.
Me torture aussi le désir qui ruisselait sur moi, maternellement, comme une pluie.
–
Lindita Aliu est une auteure du Kosovo
Thomas Pontillo – Pourquoi l’écriture, aussi, est une demeure précaire?
photo Bertrand Môgendre
En réalité, c’est le malaise qui nous pousse à écrire.
Malaise indéterminé.
Quel désir nous brûle, nous porte au-delà de nous-même?
Pourquoi l’écriture, aussi, est une demeure précaire?
–
extrait de »
«
En pire d’un sourire – ( RC )
dessin: Paul Gauguin (1848-1903) Madame la Mort , 1890-1891 Fusain sur papier –
–
la belle aux joues lisses,
a la bouche calice,
qui brille de toutes ses dents…
Comment oublier son oeil ardent
est celle dont le regard
fait que l’on s’égare ,
que l’on tombe sous l’empire,
aiguisé de son sourire,
comme un reflet de l’ âme,
où s’affutent les lames,
sous un masque aimable,
celles d’un sabre
dans un étui de velours.
C’est toujours l’amour,
et l’éternel désir,
qui toujours attire ;
l’envie de possession,
les fruits de la passion,
à placer dans la corbeille,
aux côtés d’une bouche vermeille …
Le galbe moelleux d’une poitrine,
– mais les roses ont des épines,
l’aventure libertine
cachait ses belles canines ;
c’étaient celles d’un fauve,
sous une robe mauve :
le baiser de la mort
embrassant encorps,
juste l’instant du crime,
– ce moment ultime…
tout en jouissant
du goût du sang :
un très court avenir
confié à une vampire
–
RC- dec 2015
Quine Chevalier – ensorcelées sous le soleil
–
Pour Annie Estèves
Ensorcelées sous le soleil
les ombres sont féroces
l’aube sans voix décline ses miroirs
et le vent dans tout ça
qui palabre
violente.
Ensemble nous marchons
dans nos creux
soulevant
l’herbe des secrets
que nous buvons le soir
dans la lampe qui brûle.
Quel hameau a quitté
l’enfant de nos désirs
sur quel arbre d’oubli
a-t-il planté ses rêves ?
La main n’est plus qu’un nid
l’ombre se repose
les yeux ardent la plaine
où passe le gerfaut.
Reina Maria Rodriguez – L’île violette
–
VIOLET ISLAND
…j’ai connu un certain homme, un homme étrange.
il gardait jour et nuit la lumière de son phare
un phare ordinaire qui n’indiquait pas grand-chose,
un petit phare pour embarcations de fortune
et peuples obscurs de pêcheurs, là, sur son île,
il échangeait avec son phare les sensations
attendant jour et nuit cette autre lumière
qui ne surveille la persécution d’aucun objet,
cette autre lumière réflexive, parcourant vers l’intérieur
la distance entre le port sûr de l’endroit
et l’œil qui voit revenir, d’en haut et transparente,
l’illusion provisoire qui s’éternise :
cette courbe de l’être tendue tout contre le phare
sans précaution ni limite, pour être ou avoir
ce qu’imparfaitement nous sommes, rien d’autre
que rêver ce qu’il veut bien rêver et être où il est
au-dessus des eaux tranquilles et éteindre tout dans le tableau
d’un jour et redevenir nouveau au petit matin
près du petit phare perdu d’Aspinwoll
sans même imaginer qu’il pourrait exister le moindre désir
ne serait-ce que celui de désirer la petite lumière qui tombe,
avec la nuit,
sur les eaux tranquilles et les sons déjà morts
de ces vagues, de jouir et souffrir, un refuge sincère.
Comme le gardien du phare d’Aspinwoll, seul sur son phare,
je me suis endormie malgré la lumière intense qui tombe
et se détache au-dessus du temps, malgré la pluie
frappant le miroir des poissons blancs,
malgré cette lumière spéciale qu’était son âme,
je me suis endormie entre le port et la lumière,
sans comprendre : je voulais, je voulais seulement
un peu plus de temps pour recommencer à apprendre,
pas sur le ressac de la commisération
où les désespérés attachent leurs mâts;
pas l’authentique bonheur de vivre sans savoir,
sans se rendre compte; pas la lumière provisoire qui s’éternise
et feint d’être
ce que nous serons
ni la peur de posséder la réalité opaque, immanente,
je ne voulais la vie qu’à cause du plaisir de mourir,
sur les eaux tranquilles,
en compagnie des poissons blancs, et j’attendais impatiente
qu’arrive encore la répétition de mon inconscient
afin que quelqu’un y trouve l’intouché, l’autre voix,
pas de cet être intermédiaire, un corps
pour mesurer les criques basses : un corps pour le viol
d’un moi impraticable :
je me suis endormie, inconséquente, dans l’imagination
de cet être différent dans la distance, suffisamment avancée
pour avoir ma propre illumination à Aspinwoll, mais
fracassée et obscurcie, comme le gardien du phare
au-dessus des eaux tranquilles
de ce qu’imparfaitement nous sommes, dans la petitesse
d’un phare qui n’indiquait pas grand-chose,
à travers la pluie chaude
et réelle de l’impossible.
–
(poème extrait d’une anthologie de la poésie sud-américaine)
Arseni Tarkovski – Stalker
Stalker ( photo extraite du célèbre film du même nom d’ Andrei Tarkovski – son fils)
—-
Comment ne pas aimer tes yeux
Et leur reflet étincelant,
Quand tu les lèves, malicieux,
Et traces un cercle miroitant
Tel un éclair venu des cieux…
Mais il est d’autres souvenirs,
Encore plus beaux : des yeux lassés.
Des baisers fous, l’âme en délire.
Et à travers les cils baissés
La flamme confuse du désir.
Arséni Tarkovski
A. Tarkovski. « Le Miroir ».
Il est minuit depuis si longtemps – (RC )
–
Il est minuit depuis si longtemps
…. Le long des parcours du jour.
J’ai traversé le sommeil,
> Et dehors, la caresse
Des courants tièdes,
N’atteignait pas le mur.
J’y étais enfermé,
Et mes bras menus ne pouvaient rien
Contre le froid, contre l’attente …
Et la douceur des choses
N’était qu’à deux pas.
Des promesses de l’été.
Les paroles gelées sous les lèvres,
La jeunesse habillée d’oublis,
Les yeux grand ouverts
Derrière des paupières inutiles
Sont à l’écart des champs de jeunes blés,
Où le vent s’ondoie.
Il faudrait que la terre tremble,
Que les lézardes prolifèrent,
Et que les pierres se descellent,
Pour que le sortilège tombe avec,
Et que le regard puisse enfin,
Goûter vraiment, à la douceur des choses.
Le baiser à la terre,
La ronde du soleil …
Le temps d’un autre départ,
Pour retrouver le désir,
Sa propre route, au dedans,
Pour y courir librement, les pieds nus .
–
RC – juillet 2014
–
Marie-José Desvignes – Plus rien ne presse
–
——— Dans tous mes livres il est question d’écrivain, d’écriture, de mots (de maux ?).
Le premier n’était qu’une tentative de trouver les mots, ceux que j’avais perdus.
D’ailleurs, ça s’appelait Faille… composé de centaines de « on », propos d’autres auteurs jamais atteignables, trop sacralisés (un centon).
Le texte se tenait, c’était l’histoire d’un homme qui avait tout perdu et se retrouve une nuit dans un hôtel, il n’a plus de travail, il fuit l’annonce à sa femme. Il part.
Et durant la nuit, assis à sa table, il s’endort et rêve qu’il écrit. Le lendemain matin, le livre est là devant lui. Tout écrit. Quelle merveille !
J’ai délaissé ce texte, n’y suis pas revenue, presque deux cents pages de mots des autres, d’autres si prestigieux, mis bout à bout pour former une histoire, d’autres que jamais je n’égalerai, à quoi bon ? J’ai oublié, rangé le livre dans un tiroir.
Un jour, j’ai repris les mots, ils venaient de je ne sais où, syncopés, douloureux, longs poèmes tirés d’une âme tourmentée, cette fois c’étaient les miens…
La poésie apportant avec elle, ces minutes heureuses, brèves fuites dans le temps, j’avais ce sentiment délicieux de faire partie d’un monde que moi seule habitais, un monde que seules la musique et la présence de la nature venaient visiter.
J’ai repris l’habitude. Ecrire. Je retrouvais les mots et je revenais dans le monde, ce monde où je ne savais pas trouver ma place, dans lequel je m’agitais, tentant de défendre l’être (le mien peut-être) contre l’oppression, le carcan dans lequel il sombrait depuis la nuit des temps, aveugle et sourd aux murmures.
Les mots me revenaient, ceux de la révolte… Le stylo retrouva son désir premier. J’avais pourtant tout oublié… Et j’écrivais chaque jour des mots bruyants, tapageurs que je ne donnais à personne et dont je ne voulais pas moi même…
Je haïssais ce monde et ses mots (faut-il encore entendre maux ?) je me gonflais d’orgueil et de révolte et mes mots me heurtaient violemment, s’agrippaient sans jamais trouvés à s’accrocher ailleurs que dans ma détestation. Ca m’a pris tant de temps que j’en perdais régulièrement le goût.
Et les mots toujours venaient, insatiables, incomplets, par bouts, jetés dans des centaines de carnets… rien ne se tenait et tout faisait corps. Un corps informe, massif, désespéré, toujours plus lourd, si mal nourri, dans la rage et le silence, les mots se sont taris.
Ils étaient pauvres à nouveau, pauvre de moi, ne m’intéressaient plus. Je ne vivais pas le monde, je vivais de mots, ceux que je fabriquais, et de luttes… contre quoi ?
Contre ce que je fuyais, contre une appartenance, pour une liberté que je ne trouvais nulle part. N’étant pas de ce monde, comment pouvais-je y trouver une liberté ?
- ( c’est la dernière partie du texte que l’on peut trouver sur le blog ardemment.com)