Exercice préparatoire ( calligraphie paysagère ) – ( RC )

Pour commencer
je vais ouvrir la page
avec une belle journée,
je l’étale, comme un nuage :
– Cette feuille de papier
parlera peut-être
à ma place
quand j’aurai trempé
le pinceau dans l’encrier,
et laissé une trace
grise et noire -:
C’est l’exercice préparatoire
pour que les eaux
s’écoulent des collines,
s’envolent des oiseaux
d’encre de chine:
petite calligraphie modeste
pour peintre amateur :
un paysage en quelques gestes
en ajoutant de jeunes fleurs :
elles s’échappent des mains
comme de celles d’un semeur,
s’éparpillent sur le terrain
en touches de couleur:
J’irai me promener dans mon dessin
laisserai le papier s’envoler
son encre sécher
par le soleil du matin…
Ouverture en musique ( pour Apollon musagète )- ( RC )

Ouverture en musique,
uniquement en sépia ;
la statue antique
donne toujours le « la »…
Nous attendrons d’ Apollon
une harmonie céleste,
en imitant son geste
avec ou sans violon.
De ce dessin très classique,
qui semble inachevé
on pourrait écouter résonner
ses harmoniques,
– découvrir sur ces entrefaites
la composition de Stravinsky
convoquant une mélodie
pour « Apollon musagète… »
Charles Dobzynski- D’abord d’un arbre

Je suis né juif en coup de vent. Des broussailles s’écartaient pour me voir paraître. Je ne laissais pas de traces sur la neige. En ce temps-là il n’y avait pas d’étoiles le ciel était un ventre creux. Je suis né en apnée dans le sommeil du monde. Des arbres me montraient leur paume déjà trouée par la foudre. Je suis né d’un arbre puis d’une feuille puis d’une nervure. De plus en plus minuscule j’avais tendance à m’éclipser infirme dans l’infime. Mon nom tintait déjà comme une clarine au cou des chèvres. Je n’avais pas de langue je coulais de source j’ourlais ma clairière.
Je est un Juif, roman
nrf Poésie/Gallimard
Quelques pas de côté – ( RC )
Quelques pas de côté,
et me voilà, jonglant avec les quatre éléments.
Je m’élève sur un cheval ailé ,
sens le battement de coeur du monde
entre mes mains.
Un petit saut encore,
et je suis au milieu du firmament.
Je tire sur les fils de lumière ,
et ces ciels si changeants,
que je détourne la géométrie du temps.
Je suis parti te chercher,
et voyage encore sur des terres de hasard,
des chemins qui ne mènent nulle part,
et se retournent sur eux-mêmes ,
menaçant la voie lactée …
C’est que ton dessin m’emporte
bien plus loin que je ne pensais,
ton passage a dû s’inscrire dans les refrains
d’une chanson dont j’ignore les couplets.
A chaque pas que je fais, je m’y perds.
Je m’y perds encore.
Transporter une partie du monde – ( RC )
Un filet d’encre te relie à ta terre
même au fin fond des mers.
Ce dessin inscrit à même la peau,
tu ne vas pas le cacher :
Tu transportes une partie du monde:
un tatouage de Bretagne, un angelot
en haut du bras
( landes et rochers
te suivent partout où tu vas ):
c’est aussi bien qu’une mappemonde .
Pour ceux qui ne connaissent pas la géographie
tu vas leur indiquer aussi.
chaque partie du corps
qui représente une région
chère à ton coeur,
– on voit que tu as parcouru la France
et que tes errances
t’ont conduit à maints endroits
que tu peux montrer du doigt -.
C’est sans doute mieux que le prénom
du chanteur passé de mode
dont il faut qu’on s’accommode
comme un blason
ou celui de la petite amie
depuis longtemps tombé dans l’oubli,
ou encore le dessin du lion rugissant
qui t’accompagne par tous les temps.
Ta peau a connu les tempêtes
malgré les ans, les tatouages survivent:
ils ont la mémoire abusive
tout à fait tenace
que tu arbores
avec fierté et audace
sur tout ton corps
à l’exception de la tête.
Si on t’examine
de la tête aux pieds
tu pourras sortir le certificat d’origine
quand on voudra te contrôler…
Produit garanti certifié
par lieu de naissance
mis en évidence….
…peut être rapatrié
( même sans carte d’identité )
RC – mars 2020
Il y avait , sur le dessin – ( RC )
Brooklyn Street-art
–
Il y avait sur le dessin
des ombres, mais aussi des couleurs
qui sont venues habiller le mur.
A travers les grilles,
je le voyais
avec ses fleurs blanches et pourpres,
mais aussi le ciel plombé
d’un proche orage,
Il faisait ce contraste au bonheur
et aussi le mettait en valeur .
Il y avait ,
—– ( car un jour de colère,
quand le cœur se déchire,
j’ai voulu effacer les clématites
avec un chiffon et de l’essence ).
Quand le regard s’y pose,
on voit que tout a dégouliné :
Ce n’était pourtant pas suite à l’averse :
tout n’est pas complètement gommé:
je ne repars pas d’une toile vierge :
on devine bien des choses,
malgré le repentir
on y voit des restes de bonheur
que je n’ai pas pu
( ou pas voulu )
complètement effacer …
RC – août 2018
Herbes de givre – ( RC )
photo perso- dec 2016
Les herbes sont unies,
sous leur manteau de givre,
et se confondent entre elles,
comme la mémoire glacée,
des larmes et du chagrin ,
soudées entre elles,
raidies par le froid,
cassantes.
Juste une image dentellée
un dessin sur le sol,
qui attend , pour se réveiller ,
bruire, la caresse d’un soleil,
qui s’était absenté .
–
RC – janv 2017
Le sentiment d’appartenir à une même espèce – ( RC )

photo et création Mickaëlle Delamé
–
Plutôt qu’insérer sa tête,
Dans une photographie,
et l’ovale découpé,
pour y placer son visage
il faut punaiser sur le mur
une feuille de papier kraft,
se dessiner en taille réelle,
toi debout, toi assis,
et parfois tourner la tête,
pour que les gens
puissent se regarder,
se mettre en couleurs,
s’échanger quelques paroles,
en bulles phylactères,
animer un bras, un torse,
puis les jambes ….
L’habit qu’on a choisi,
ne fait pas son moine ;
D’ailleurs il n’y
en a pas ( de moines)
chacun alors,
sort à sa manière
de son rôle, et du dessin,
devient lui-même,
sorti du regard de l’autre,
se côtoient,
les personnages
trouvant leur auteur,
décalés d’ombres chinoises,
et quelque chose de commun,
le sentiment d’appartenir,
sans doute
à une même espèce .
–
RC –
nov 2014
La ligne s’est mise à chanter – ( RC )

dessin – Henri Matisse modèle de dos
–
Enroulée sur elle même,
La ligne s’est mise à chanter,
S’inscrire en spirales
Sortir de la page,
Partie au loin,
Echappée avec Klee,
En petits signes,
Appuyés sur la couleur
Pour y revenir,
Encore plus libre,
–
En arabesques,
Autour des odalisques.
–
Matisse,
Joue de ce qui s’ouvre,
Des bords des visages,
Le dessin y invente,
Un regard, un sourire,
Une calligraphie du corps,
– Il danse,
En quelques traits posés
Les échos de ses courbes,
Et s’offre sur l’espace.
–
RC- janvier 2014
–

Dessin-peinture: Paul Klee – la chapelle
Présence en lumière- ( RC )
Tu viens faire ce dessin ,
C’est un rectangle de lumière,
Il se pose sur le sol,
Et lentement se déplace,
Avale une partie de la pièce,
Monte sur le lit, et
Réchauffe la pièce,
Quelquefois strié des traits souples
Des branches, et du passage
Des oiseaux.
–
C’est maintenant un losange,
Ondulant doucement
Aux vagues des draps…
Je pourrais attendre,
Des heures durant,
Ton ombre se glissant,
A travers les nuages,
Mais tu n’es pas l’ombre,
Tu n’es que lumière,
Et chaque jour,
–
Je ressens ta présence.
–
RC- décembre 2013
Naître le paysage ( RC )
–
De pas en pas, je t’assure,
Naît le paysage,
Où se bousculent les pierres,
Sur la page.
Juste des traits qui s’aventurent
Quand la main voyage,
Et qu’elle invite la lumière,
Ou l’orage,
Il faut suivre lignes et hachures,
Elles disent ressac, et plage,
Landes et bruyères,
Et marécages…
Le dessin, l’épure,
S’élance au passage,
Traverse la rivière,
Avec pour tout bagage,
Le crayon dans la main.
–
RC – 25 août 2013
–
En pensant, comme le montre le dessin qui l’accompagne, aux créations de Jacques Hemery,
voir aussi son compte rendu d’expo » Le jardin propice «
.
–
Le geste avait pris sa main ( RC )

dessin calligraphique à partir d’une sculpture de Matisse, exposition Matisse et Rodin, musée Rodin, décembre 2009
–
Ce qu’il se passe sur sa page,
je ne peux l’expliquer …
il y a de l’oubli nécessaire, et un temps céleste,
qui brouillaient sa présence et dirigeaient ses pas.
Des pas d’encre quand je débarquais demi- inconscient,
franchissant des seuils sans s’arrêter,
usant de l’entaille comme des signes, portés par une mémoire.
Elle était là, à ma place, basculant au bord du monde,
et se frayait un chemin parmi la surface,
toute à elle sans un parcours de sève ,
unie au tracé rapide sur la feuille qui tremble.
J’avais vécu le temps d’un baiser anonyme,
qui ne laisse de son passage, que la trace du dessin,
C’était un grand geste précis qui allait se lancer
dans une arabesque, et le mouvement seul,
avait pris sa main.
Il se demanda encore s’il y était pour quelque chose,
confondant le destin et le dessin.
Une seule lettre en sépare le sens….
On lui dit que oui .
–
RC – 10 avril 2013
–
Dessins de naissance ( RC )
–
–
C’était il y a longtemps,
Je me souviens,
Quelques jours après la naissance
Je suivais les traits de ton visage
Et la ligne courait sur ma page
Portée par un courant de rondeur
De la toute première enfance,
Et des doigts si fins
Au sortir du tendre,
Un jour de septembre
C’était il y a longtemps
Quelques jours après ta naissance
Et maintenant, se souviennent aussi
Les tracés assemblés
Dans le carnet de dessins.
–
RC – 5 février 2013
–
Dessein de modèle ( RC )
Quelques petites feuilles, je dois bien en avoir
Y a pas à chercher très loin….. je crois savoir
Que le ramage- vieil hibou – rime avec plumage
Que déjà mes mains t’entourent —- en douce cage
Aussi, si le mistral, en chantant sa chanson
t’a effeuillée , ce n’est pas grave , – revoilà les bourgeons
Que je peux faire en peinture suggérer, plante arrosée
D’aquarelle, couleurs rafraîchies, couperosée
Magicienne aux chouettes, cigognes et autres oiseaux
Voila une autre création, qui sort de mon chapeau
Contre moi, viendras te blottir, si tu frissonnes
A ma chaleur, —- ce n’est que début d’automne…
A te faire sortir des pages, tes textes
Sans frisson aucun dans un autre contexte
Allongée, déhanchée, toute la courbe de tes seins
Fleurira l’abricotier de vie; je te créerai en dessins.
RC – Avril 2012
Ame dessinatrice ( RC)
–
Elle sort ses crayons, et en un tournemain
M’a pris pour modèle, moi, son corps, sa chose…
Et me voila figé, en une éternelle pose,
à la course graphique de son dessin.
Comment se dessiner soi-même, vu de dos ?
C’est une question, qu’on pourrait poser, pour savoir…
Traverser son corps, sans l’aide de miroirs…
Je vais réfléchir et vous dire le vrai … ou le faux
Peut-être faut-il d’abord se toiser
Questionner son âme, pour un peu renaître
Comme, de savoir ouverte, une autre fenêtre ….
Et puis aussi, s’apprivoiser .
–
RC 17 avril 2012
–
Corps fleur, une rose (RC)
–
Si c’est une toile blanche
Qui attend en silence
Que le pinceau s’élance
Au dessin de tes hanches
Alors sur ce modèle
Corps et délits
Je le forme et le plie
Et pourrais ajouter des ailes
En appelle « l’inspiration »
Le bras, je vais le déplacer
La main, je vais l’effacer
Et puis , varier la position
–
Tes courbes opposées
Enlacées de lumière
Sans plus de frontières
Allonges , du corps reposé
Modelée de sculpture
Mon geste te compose
Corps fleur, une rose
De créature, nouvelle parure
Et c’est ainsi que tu nais
Calligraphie, déliés et pleins
Arabesques de tes seins,
Sur la page du carnet …
–
Claude Esteban – la peinture
Chez J M Maulpoix, voila un dialogue où Claude Esteban, nous entretient de ses rapports de poète, avec la vision et perception de la peinture…
« La peinture, bien évidemment, qu’elle s’attache à figurer l’apparaître des choses ou qu’elle s’en sépare pour instaurer un univers autonome de lignes, de formes, de couleurs, n’a nul besoin de prendre appui sur ce système conceptuel de représentation, et la liberté dont elle fait usage dans son expression plastique m’a toujours fasciné, tel un horizon immédiat pour certains, inaccessible pour ceux qui doivent se contenter de mettre des mots, côte à côte, sur une page.
Lire les poèmes des autres ne m’avait pas suffi ; contempler un dessin, une gravure, un tableau, ne parvenait guère plus à me satisfaire, mais le dialogue avec eux se révélait singulièrement plus ardu, puisque mon approche, au mieux, ne pouvait être, en effet, que parallèle, soumise, malgré moi, à un parcours discursif.
Je m’y suis résolu pourtant, j’ai « accompagné » – le terme que vous employez est, hélas, trop juste – nombre d’expériences picturales de notre temps par le biais d’études, de commentaires critiques sur l’imprécision et les limites desquels je ne me méprenais pas.
Quel que fût mon désir, il y manquait cette proximité, cette adhérence tactile à une tache, à un coup de brosse, ce corps à corps avec une matière palpable que convoquaient mes phrases sans l’atteindre jamais. »
peinture: Ken Noland; Hard drive 1965 – St Louis, Missouri
… il dit aussi à propos de ses textes sur Edward Hopper.
« Je ne parvenais pas à m’arracher à ces paysages urbains pétrifiés, j’aurais voulu percer leur mystère, pénétrer leur surface trop lisse, mais je demeurais en dehors comme si une sorte de lecture immédiate, par trop littérale, me paralysait à mon tour. Il me fallait rompre avec cette hypnose qui, si je m’abandonnais à elle, me condamnait au mutisme, au ressassement du regard.
Il fallait, en quelque façon, que le temps reprenne son cours au cadran des horloges, que l’espace à nouveau s’anime, que cette femme, devant sa fenêtre, finisse de se coiffer, ouvre une porte, retrouve le soleil.
Au risque de m’égarer dans l’imaginaire, je me suis livré, délibérément, à une sorte d’effraction du tableau, m’emparant à mon gré de tel ou tel élément de la composition, en modifiant l’ordonnance, suggérant un récit, tressant les fils d’une intrigue minutieuse, voire saugrenue. Une pareille désinvolture, que je ne m’étais jusqu’alors jamais permise avec une œuvre d’art, je la devais, pour beaucoup, à cette forme d’écriture dont je découvrais, non sans étonnement, les virtualités.
Je n’avais pratiqué la prose que dans un dessein tout intellectuel d’élucidation ; je découvrais, maintenant, qu’elle pouvait s’enrichir d’autres aventures, se prêter à l’imprévisible des circonstances, embrasser l’accidentel.
Etait-ce, toute neuve pour moi, la tentation du romanesque, une griserie passagère, ou la découverte, grâce à Hopper, de territoires inconnus ? Voilà qu’à la faveur d’une peinture, redoublant la fiction des images par la fantasmagorie d’une histoire, je laissais les mots fomenter à eux seuls de mouvantes scénographies… »