Armel Guerne – l’éclat dernier des trompettes dernières

photo RC Malaisie
Aux fleurs, voyez, qui sont fidèles au terrestre,
Nous prêtons un destin sur le bord du destin.
Mais s’il leur est amer, qui sait ? de se faner,
C’est à nous de porter, d’être leur repentir.
*
L’avenir est muré, voûté comme une cave
Où vient demain, furieusement
Retentir seul l’éclat dernier
Des trompettes dernières,
Plus grandes que le soleil et la nuit.
Nous ne jouerons pas aux dés – ( RC )
Je sais qu’il y a cette bête,
– je ne peux nommer -,
Je la maintiens prisonnière.
Je la porte en moi,
comme si je l’avais engendrée
( ainsi la pomme qu’une larve habite
et qui va lentement se développer).

Elle attend le moment favorable
pour me tuer,
serpent invisible
que j’ai nourri
et élevé.
J’espère qu’elle ne grandira pas trop vite
et me laissera le temps de la dénoncer.
Quant à vouloir déjouer
les signes du destin,
gravés dans ma main,
je ne suis pas capable
d’éviter le déclin inéluctable:
cette bête,
nul pourra l’extirper.
Pas la peine de lui tenir tête:
je peux toujours m’en moquer
faire comme si elle n’existait pas:
— rira bien qui rira le dernier.
Nous ne jouerons pas aux dés.
Quand elle aura triomphé
je ne serai plus là pour le constater:
Je n’aurai plus aucune chance:
il est couru d’avance
que je perde la partie:
je porte en moi ma mort :
de la branche se détachera le fruit
qui retournera à sa terre
indulgente et nourricière.
D’après un texte de Lucie Taïeb:
On porte en soi la mort comme un fruit qui mûrit, paraît-il, mais on ne veut pas, pour autant, qu’elle parvienne à maturité.
On préfère qu’elle ne grandisse pas, alors on ne bouge pas, de peur d’accélérer le processus.
Mais, il y a, dans cette immobilité, quelque chose qui ronge, véritablement : un épuisement prématuré des forces, un déclin impassible, une image qui vous fascine et vous empêche de fuir, comme la bête piégée par l’éclat des phares, stoppée net au milieu de la voie, et que le véhicule n’évitera pas
Francis Blanche – Toi que voilà –

J'ai tout donné au soleil sauf mon ombre... Guillaume Apollinaire
Laisse couler le temps sous les doigts de l’horloge... J’ai bu l’oubli dans un verre brisé... Le lustre semble un grand chagrin cristallisé et l’heure - ô l’heure!... - est un miroir qui m’interroge... Chaque date est un anniversaire oublié et - souvent sans que tu le saches - au creux de chaque jour se cache un souvenir... presque un regret si n’est brisé le lien secret par lequel tout à tout s’attache... Et c’est par vagues que revient l’image des hiers si proches... si lointains! Le nez collé à la fenêtre tu regardes tomber la neige... Tout autour montent les maisons.. Te voilà marchant à tâtons dans les souterrains du collège. Je te retrouve même dans l'arrière-salle d’un bistrot (le dôme Saint-Paul... te souviens-tu ?...) pendant la classe de philo, tu manges des croissants avec un café crème... et Claude, qui veut être avocat, te parle en son langage des droits contractuels issus du mariage... Dans un auditorium où luisent des « silence » te voilà devant un micro qui broie tes mots et qui les lance aux quatre vents de la France... Puis par un matin de fin août quelqu'un que tu aimais bien sans le savoir, est mort tout à coup... Un soir d'été, tu quittes toutes les choses familières... À l'horizon, une mitrailleuse s’exaspère... Et le pays se plie en deux comme une porte à glissière Te voilà filant à soixante à l’heure derrière un camion où rient des aviateurs qui n'ont plus leurs avions... Ils mangent du jambon rose comme l'aurore. En trombe on traversait Rabastens-de-Bigorre... Tu as laissé dans un vallon de la Dordogne un peu de ton espoir, de ton sourire... Il pleut... Un autogire t’a sauvé la vie près de Périgueux. Te voilà rédacteur d’un journal comme il faut où les linotypistes ont tous un pied bot - et chaque jour, ciseaux en main, vers midi tu fais de la dentelle avec les quotidiens de Paris... Et le temps passe... ton destin se joue sur les rythmes d’automobiles ou de trains ... et puis, volant partout comme des papillons de flamme, tous ces regards tendres de filles femmes... Qu’ils soient rieurs ou tristes, gais ou mélancoliques, ce sont les reflets des instants qui sont gravés tout entiers dans le temps... Quels qu’ils soient, ne les renie à aucun moment car tous ces souvenirs ne te trahiront jamais... Ils seront toujours là comme ils étaient... ... et même celui-là... ce regard presque bleu ces cheveux presque blonds, ce rire presque triste... comme un roman mort-né qui se mélancolise, tout cela a la douceur des espoirs pas tout à fait perdus... et c’est tout ce qu'on demande aux reflets des miroirs... Le souvenir, ce n’est qu’un regret apaisé qui vient flotter comme un parfum de sauge... Laisse couler le temps sous les doigts de l'horloge... J ai bu l'oubli dans un verre brisé...
Francis Blanche
MON OURSIN ET MOI
Le Castor Astral
Gaston Miron – La braise et l’humus

Rien n’est changé de mon destin ma mère mes camarades
le chagrin luit toujours d’une mouche à feu à l’autre
je suis taché de mon amour comme on est taché de sang
mon amour mon errance mes murs à perpétuité
un goût d’années d’humus aborde à mes lèvres
je suis malheureux plein ma carrure, je saccage
la rage que je suis, l’amertume que je suis
avec ce bœuf de douleurs qui souffle dans mes côtes
c’est moi maintenant mes yeux gris dans la braise
c’est mon cœur obus dans les champs de tourmente
c’est ma langue dans les étapes des nuits de ruche
c’est moi cet homme au galop d’âme et de poitrine
je vais mourir comme je n’ai pas voulu finir
mourir seul comme les eaux mortes au loin
dans les têtes flambées de ma tête, à la bouche
les mots corbeaux de poèmes qui croassent
je vais mourir vivant dans notre empois de mort
extrait de « la vie agonique »
Julian Tuwim – Simplement

Ad Reinhardt – Number 6
Tout était si simple : cet instant, la forêt,
Ce matin-là, il y a déjà douze ans.
Par-dessus les buissons le monde s’ouvrait
A celui que j’étais : jeune, gai, chantant.
Ce qu’il faisait frais ! Après le déjeuner,
Je partis dans la forêt tremblante de pleurs
Je m’assis avec les maths sous les genêts,
Car il y avait un examen dans deux jours.
Comme il faisait triste et gai sous ce ciel !
Un oiseau piaillait avec paresse ;
Je pensai : oiseau… forêt… école… elle…
Sans joie et sans tristesse.
Je me pris à rêver — juste un instant,
Comme ça, simplement, à tout, à tout…
Et voici que passent les choses et les ans
Et je ne suis toujours pas de retour.
Traduit du Polonais par Jacques Burko
Paroles en sang
Pour tous les hommes de la terre
Orphée La Différence
Suivant le chemin des pierres – ( RC )
peinture: Isabel Bishop
Je pense encore à hier,
suivant le chemin des pierres,
sous le soleil disert,
mon ombre me précède dans la poussière…
Marcher, et s’éloigner des routes,
est comme mettre en soi la distance,
éloigner de l’esprit le doute ,
apprivoiser le silence .
Mon pays s’éloigne lentement,
puis disparaît tout à fait ;
sans voix, je dialogue avec le vent ,
– Comment je vivrai demain je ne le sais – .
J’ai quitté les horizons hostiles,
ma famille et mes frères,
en prenant le long chemin de l’exil :
c’est une traversée du désert
et je ne sais ce qui m’attend
dans d’autres contrées :
c’est peut-être la guerre et le sang,
que je vais retrouver
un peuple misérable ,
qui, comme moi, erre,
sous un soleil impitoyable
à la recherche d’une autre terre ,
à la recherche de son destin ,
suivant leur ombre dans la poussière,
marcher et marcher encore, sans fin ,
suivant le chemin des pierres…
–
RC – mai 2019
Catherine Pozzi – Nova
Dillon Samuelson – everything Happens to Someone
Dans un monde au futur du temps où j’ai la vie
Qui ne s’est pas formé dans le ciel d’aujourd’hui,
Au plus nouvel espace où le vouloir dévie
Au plus nouveau moment de l’astre que je fuis
Tu vivras, ma splendeur, mon malheur, ma survie
Mon plus extrême cœur fait du sang que je suis,
Mon souffle, mon toucher, mon regard, mon envie,
Mon plus terrestre bien perdu pour l’infini.
Évite l’avenir, Image poursuivie !
Je suis morte de vous, ô mes actes chéris
Ne sois pas défais toi dissipe toi délie
Dénonce le désir que je n’ai pas choisi.
N’accomplis pas mon jour, âme de ma folie, —
Délaisse le destin que je n’ai pas fini .
Une île de douleur – ( RC )
Une frêle île flottante,
une barque malmenée par les vagues
chargée jusqu’à ras bord
d’abandon et de douleur.
C’est une partie de pays
mise en quarantaine,
qui espère un jour
retrouver la terre ferme.
Epuisée des orages,
abandonnée par le soleil,
à chaque jour son naufrage
une barque prisonnière du destin
Comme un oiseau dans sa cage
livré aux éléments,
c’est une île fragile
sur la route de l’exil
La route de l’inconnu
juste derrière l’horizon :
Empire de la douleur,
le ciel a perdu ses couleurs.
–
RC – oct 2016
–
d’après Louis Aragon » Quarante »
Décapiter les fleurs du jardin – ( RC )
Tu as tenu dans tes bras le bouquet de l’été,
Que le vent tiède a fleuri ,
et lentement , coupées de leurs racines,
les têtes ont fléchi.
Tu as tenu dans tes bras ton ventre arrondi,
que l’amour a fleuri ,
mais éloigné de ses racines ,
ton corps s’est flétri .
Il n’y a eu que sécheresse
et le froid, l’hiver
et la détresse
et la bouche amère.
Il y a un mot pour décrire
celui qui n’a plus de parents
mais il n’y en a pas pour dire
une mère perdant son enfant.
Comment interroger le destin,
quand , fleur après fleur
se perd dans le lointain
la plus petite lueur ?
La mort était-elle dans ton sein
pour qu’ainsi, elle vienne
décapiter les fleurs du jardin
et les priver d’oxygène … ?
–
RC – août 2016
–
en liaison avec « poème à l’orphelin » de M Tsvetaieva
Des desseins laissés inachevés – ( RC )
Tiré de AAARG
Il y a des desseins que j’ai laissés inachevés ;
ils me saisissent par le bras,
m’habillent de signes du zodiaque , qui se repèrent sur mes épaules, coude et genoux,
et se mettent à clignoter.
Des nuages qui se forment en un manège duveteux,
sont des licornes, des lions et des serpents.
Tout le monde a l’air de bien s’entendre ;
ils me convient avec eux , pour partager les restes du buffet,
habiller les piétas de goudron et de plumes,
sortir les balais des sorcières des profondeurs de l’histoire
comme ceux cachés derrière les portes grises des placards des vestiaires ,
remplacer les hommes politiques par des héros bien connus de bandes dessinées:
je désigne aussi Bibi Fricotin, Felix Le Chat , Mandrake comme gagnants des épreuves olympiques
et les télés repeintes en noir mat.
Cela ne trompe pas: c’est un clin d’oeil du destin :
– je vais me présenter à ma propre succession ! ,
juste avant de me diluer dans un sommeil en deux dimensions
dont je n’apprécie même pas la superficie.
J’ai dû sortir, par inadvertance , de la case prévue à mon intention…
–
RC – mai 2016
Je n’ai jamais su la couleur des étoiles – ( RC )
peinture: Pisanello
–
On peut lire, – paraît-il – , son destin,
inscrit dans la conjonction des astres.
Des figures s’y croisent, s’interpénètrent ,
se déforment, puis se détachent
lentement les unes des autres.
On prétend que chacun a son étoile,
mais où la situer dans toute cette galaxie?
Elle nous mènerait, le temps qu’elle nous suive,
par une sorte de fil invisible .
Seulement voila…
il est connu que les astres palpitent à distance,
rayonnent, s’attirent, se repoussent,
et adoptent quelquefois de folles trajectoires.
Leur trace peut se voir,
sur les fresques des églises,
Des représentants
de leur commerce apparaissent…
sous la figure des anges :
Ils sont un peu plus proches,
( quoique leur figure poupine reste énigmatique ).
Ils ont entre leurs mains les fils du destin.
Ceux-ci, bien qu’échappant au regard,
arrivent à s’emmêler avec ceux des autres,
et tressent quelquefois une étoffe commune,
en quelques mois ou quelques semaines,
dont hélas , on ne peut se vêtir,
ni dissimuler ses blessures .
D’autre part, personne ne sait
de quoi sont faites les robes des anges.
Il y a ceux qui embrassent la lumière ,
qui la créent , d’une certaine façon.
Et d’autres qui la consomment,
jusqu’à ce qu’elle se vide de sa substance.
Il arrive que l’étoile clignote, puis s’éteigne,
comme une vulgaire ampoule .
C’est juste que le courant ne passe plus,
ou que le fil est brisé.
Comment savoir ?
On joue alors une musique funèbre,
et sur les murs, la figure de l’ange disparaît,
progressivement de moins en moins nette,
jusqu’à ce que les traits s’effacent définitivement.
L’étoile qui nous était destinée au plafond du ciel,
quitte aussi la scène , mais ,
on n’est plus là pour s’en aperçevoir.
–
RC – fev 2016
Une éternelle Odyssée – ( RC )
peinture:V Velickovic soleil noir 1996
Ce sont des tranches de vie,
égrainant leur retour :
Il n’y a pas de répit
dans le défilé des jours;
L’un après l’autre, se succèdent,
ceux qui se déguisent.
Des heures belles ou laides,
sur lesquelles on n’a pas de prise
C’est cette âme en peine,
voulant atteindre les sommets,
et que le destin enchaîne,
au toujours et au jamais.
Voir la légende de Sysiphe,
portant son rocher,
destin de l’éternel sportif
n’ayant qu’ à recommencer.
( Les exploits de la veille
ne sont plus d’actualité.
Plongés dans le sommeil
Ils n’ont plus existé ).
Ainsi on atteint à peine le solstice,
que, d’un parcours inexorable
on plonge dans les abysses,
pour renaître semblable.
La marée va et vient,
Le soleil s’efface dans le noir
on ne se souvient de rien,
et c’est une autre histoire :
Pourtant rien n’a changé ,
On est plongé dans la nuit,
( celle de tous les dangers)
et l’on connaît l’ennui.
Ce n’est même pas la mémoire,
qui nous joue des tours,
mais du dévidoir,
l’éternel labour,
Revenant sur chaque sillon,
exactement au même endroit,
dont nous nous rappelons
à chaque tour de courroie.
Jamais elle ne se casse :
Tu as voulu l’étérnité,
– plus jamais le temps ne passe –
et tout est banalité .
Aucune place à l’accidentel
Tu as déjà parcouru les chemins,
d’un retour sempiternel,
qui ne porte plus le nom de destin.
C’est pourtant toi qui l’as voulu :
échapper à la trajectoire mortelle :
la quête d’absolu
t’as fait client de l’habituel
de la gravité terrestre, échappé
tu es comme un satellite
qui s’est drapé,
dans son orbite.
Ne viens pas te plaindre :
tes désirs ont étés exaucés;
Tu as pu atteindre
cette nouvelle Odyssée.
Tu auras des choses à dire,
beaucoup d’aventures dans ton poème,
mais à bien les parcourir,
on comprendra que ce sont toujours les mêmes.
Paul Farelier – La chambre est un lac de mémoire
photographe non identifié
la chambre est un lac de mémoire
là où était le lit on n’ose pas marcher
c’était l’an dernier
les meubles
on revoit mal les meubles
vendus
ressuscites ailleurs dans .l’amnésie
de chaleurs nouvelles
mais la tenture
sale
inégalement indiscrète
le vieux destin y accroche
ses mains
là
près de l’interrupteur
où le couloir amorce
la contamination de l’ombre
et il y a tant de vent dehors
que l’allée déchire les basques du jardin
et tant de cris d’enfants dans l’escalier
qu’il va se dévisser
Paul FARELIER
« Syllepses n° 6 »
in « Poésie 1 » n» 75
(Éd. Saint-Germain-des-Prés)
Le poing crispé sur les cartes – ( RC )
–
Tu tiens dans tes mains
Les cartes des jours,
Et disposes des atouts,
Des as et des figures.
Je ne sais encore aujourd’hui,
Ce qui compose ton jeu.
Nous n’avons pas voyagé ensemble
Assez longtemps pour que je devine,
Quelles étaient ces cartes.
Serrées dans tes mains closes.
On y lisait peut-être mon destin.
Tu t’es endormie des années,
Et, mon bateau abordant d’autres rivages,
Tu t’es réveillée sans ton image,
Oubliée quelque part,
Par inadvertance.
C’est alors que , desserrant ton poing,
Toujours crispé sur les cartes,
Tu t’es aperçue
Qu’elles étaient blanches,
Et qu’elles ne parlaient plus d’avenir.
–
RC – sept 2014

peinture: Lukas Van Leyden
Est-ce que le nom suffit à ton existence ? – ( RC )

gravure: Zoran Music: paysage de Dalmatie Tate Gallery
–
Si à chaque chose on peut donner un nom,
Dessiner un destin,
La distinguer des autres,
Lui prêter une couleur,
Pour les hommes,
Il y a toujours ceux qui renient
Les autres,
Pour leur présence même,
Il ne suffit pas d’une carte d’identité,
Pour les faire exister,
Au-delà d’un morceau de papier,
Ou d’un tiroir à fichiers,
Classés non seulement par ordre alphabétique,
Mais aussi selon leur origine,
Quel que soit le désert,
Ou la ville, dont tu viens.
Quand, encore , on ne juge pas utile,
De dresser une barrière de béton,
Autour de ta non-existence,
Ou de te coudre une étoile jaune .
–
RC – février 2014
–
NB la gravure qui accompagne ce texte n’est pas directement évocatrice, comme certaines de ses oeuvres, relatant la déportation et la Shoah, lui-même ayant été interné au camp de Dachau
–
Luis Cernuda – Je dirai la naissance
–
Je dirai la naissance
Je dirai la naissance des plaisirs interdits,
Comme un désir qui naît sur des tours d’épouvante,
Barreaux menaçants, fiel décoloré,
Nuit pétrifiée sous la force des poings,
Devant vous tous, même le plus rebelle,
Qui ne s’épanouir que dans la vie sans murs.
Cuirasse impénétrable, lances ou poignards,
Tout peut servir à déformer un corps ;
Ton désir est de boire à ces feuilles lascives,
Ou dormir dans cette eau caressante.
Qu’importe;
On l’a proclamé : ton esprit est impur.
La pureté, qu’importe, les dons que le destin a portés jusqu’au ciel, de ses mains immortelles ;
Qu’importe la Jeunesse, un rêve plutôt qu’un homme,
Au sourire aussi noble, plage de soie dans le déchaînement
Ces plaisirs interdits, ces planètes terrestres ,
Membres de marbre à la saveur d’été,
Suc des éponges abandonnées par la mer,
Fleurs de métal, sonores comme la poitrine d’un homme.
Solitudes hautaines, couronnes renversées,
Libertés mémorables manteau de jeunesses;
Qui insulte ces fruits, ténèbres sur la langue.
Est aussi vil qu’un roi, ou qu’une ombre de roi
Qui se traînerait aux pieds de la terre
Pour ne quémander qu’un lambeau de vie.
Il ignorait les limites dictées.
Limites de métal ou de papier,
Car le hasard lui fit ouvrir les yeux sous un jour si intense
Que n’atteignent pas des réalités vides,
D’immondes lois, des codes, des rues de paysages en ruines,
et si l’on tend alors la main,
On se heurte à des montagnes d’interdits.
Des bois impénétrables qui disent non,
Une mer qui dévore des adolescents rebelles.
Mais si l’opprobre et la mort , la colère et l’outrage ,
Ces dents avides qui attendent leur proie,
Menacent de déchaîner leurs torrents,
Vous autres, en revanche, mes plaisirs interdits,
Orgueil d’airain, ou blasphème qui ne renverse rien,
Vous offrez dans vos mains le mystère.
Un goût qui n’est souillé par nulle amertume,
Un ciel, un ciel chargé d’éclairs dévastateurs.
A bas. statues anonymes,
Ombre de l’ombre, misère, préceptes de brume
Une étincelle de ces plaisirs
Brille en cette heure vengeresse.
Son éclat peut détruire votre monde.
——
extrait de » Plaisirs interdits »
–
Michel Onfray – La tentation de Démocrite

photo: Stanko Abadzic
La tentation de Démocrite
Photo Stanko Abadzic
Je veux retrouver le goût des mûres des chemins de mon enfance
Écraser des fraises dans ma bouche
Avaler le jus des framboises et le sentir descendre chaud dans ma gorge
Respirer la fleur de sureau
Mâcher le brin d’herbe
Mettre le bouton-d’or sous le menton d’une femme en robe d’été
Lui apprendre à faire des poupées avec des coquelicots
Manger des groseilles
S’arracher la peau aux épines des groseilles à maquereau
Cueillir des noisettes
Croquer dans le ventre d’une pomme
Augmenter ma salive avec son jus
Devenir moi-même pomme puis pommier
M’allonger dans l’herbe
Voir le ciel derrière la danse des brins
Cligner des yeux et les fermer à cause de la clarté du soleil
M’endormir le dos épousant la terre de mon destin.
–
Michel Onfray, La recours aux forêts, Traité des consolations
–
Un petit voyage sur le blog d’où j’ai déniché ce texte.. mais sans doute peut-on le trouver ailleurs, par contre l’association avec les photos choisies sur ce blog, est un régal pour les yeux, c’est pour cette raison que je vous le recommande.
–
Du hasard est né cécité – ( RC )
photo Polly Chandler : lay your head where my heart used to be
–
Et si je prends à rebours d’autorité
A jeter les dés autrement ( sans y être invité)
Et décideront d’un autre parcours – de notre vie
C’est l’avenir qui balbutie – et qui change d’avis
Le hasard prodigue en surprises, peut avoir des revers
Et le soleil peut faire place à la journée ( à l’envers)
Plus grise et sombre qu’on l’eut souhaitée
Et nous voilà face aux décisions divines (entêtées)
La grande question, est que nous ne dominons rien
En visibilité courte de ce que nous promet le destin.
Si un ange passe, est-ce que son doigt se pointe sur nous,
Ou nous laisse dans l’ombre – au fond du trou ?
Comment savoir alors, sinon jouer les probabilités
A décider du destin, le hasard ( seul habilité),
Qui en fait tout à son aise – peut-être des miracles
Ou bien la catastrophe. ( faudrait consulter l’oracle….)
Face aux éléments… incendies, tornades, en démence
A utiliser le hasard – je me fais agent d’assurance
Si toujours, en jetant au sol les cauris
Ce sont les éléments qui me sourient
Ou bien, à subir le hasard, – et ses caprices
Passer à côté du vrai, tomber dans le factice
Etre accusé à tort, subir les supplices
Autres agréments et injustices
On peut subir le mauvais sort
Et ne jamais s’en sortir, malgré ses efforts
Tirer la courte paille, le mauvais numéro
Qui jamais ne fera de nous, des héros.
Ainsi les conscrits par le passé, pas de chance
Sont envoyés – par hasard – défendre la France
Enfin, plutôt les seigneurs et puissants
Imposant de la sorte un « don du sang »
Il se peut ainsi que le hasard m’aille
Ou bien goûter le revers de la médaille,
En étant cloué au poteau
Pour avoir perdu au loto…
—-
RC 15 juin 2012
–
Le geste avait pris sa main ( RC )

dessin calligraphique à partir d’une sculpture de Matisse, exposition Matisse et Rodin, musée Rodin, décembre 2009
–
Ce qu’il se passe sur sa page,
je ne peux l’expliquer …
il y a de l’oubli nécessaire, et un temps céleste,
qui brouillaient sa présence et dirigeaient ses pas.
Des pas d’encre quand je débarquais demi- inconscient,
franchissant des seuils sans s’arrêter,
usant de l’entaille comme des signes, portés par une mémoire.
Elle était là, à ma place, basculant au bord du monde,
et se frayait un chemin parmi la surface,
toute à elle sans un parcours de sève ,
unie au tracé rapide sur la feuille qui tremble.
J’avais vécu le temps d’un baiser anonyme,
qui ne laisse de son passage, que la trace du dessin,
C’était un grand geste précis qui allait se lancer
dans une arabesque, et le mouvement seul,
avait pris sa main.
Il se demanda encore s’il y était pour quelque chose,
confondant le destin et le dessin.
Une seule lettre en sépare le sens….
On lui dit que oui .
–
RC – 10 avril 2013
–
Songe en tourbillons ( RC )

Sculptures – Marina Abakanowicz – Chicago
–
Songe en tourbillons,
Comment extirper de sa gorge
La brûlure du chagrin,
Et parcourir on le sait,
Seul encore,
La traversée du désert,
Où rien n’est dit de demain..
Il est une bouche béante
Qui boit la conscience
Et qui nous questionne
Nous dit
Que la joie s’est éteinte
Que le chemin n’est plus là
Et qu’on s’est perdu
Au milieu de nulle part.
On ne reconnait plus
Dans les humains
Que des statues debout
Sans regard, ombres
Marchant, courbées
Vers leur destin.
Ils semblent savoir
Où portent leur pas
Peut-être suivent,
Ou cherchent , leur étoile.
Moi je n’en ai pas,
Et je reste , immobile
Dans le temps arrêté.
–
RC – 18 janvier 2013
–
Les chemins de Séraphine ( RC )
Avec d’autres chemins
Pourquoi les suivre..;
effet du hasard ?
Tirer la bonne paille… ?
Le destin aux lignes de la main,
la barque qui dérive
qui peut-être s’égare
Où qu’elle aille ….
Il n’y a pas besoin d’être vieux
pour découvrir, à tous vents
la passion qui nous porte
sans qu’on l’imagine…
Elle nous porterait aux cieux
se transformant en talent…
Je pense à une femme forte,
la peintre Séraphine
qui invente son univers
en éclats de couleurs
Et rendit possible
d’autres lendemains
Détachée de la terre
en éclats de douleurs
elle fait voir l’invisible
qui est à portée de mains…
C’est tout un monde étrange
où le certain, n’a plus cours
où bascule notre regard
En abolissant nos repères;
C’est un monde qui dérange
une folie sans contours
où l’on comprend que l’art
Est solitaire, et salutaire…
–
RC- 8 octobre 2012
–
Jorge Luis Borgès – Labyrinthe
photo: labyrinthe de la cathédrale d’ Amiens
LABYRINTHE
Il n’y a pas de porte. Tu y es
Et le château embrasse l’univers
Il ne contient ni avers ni revers
Ni mur extérieur ni centre secret.
N’attends pas de la rigueur du chemin
Qui, obstiné, bifurque dans un autre,
Qu’il ait une fin. De fer est ton destin
Comme ton juge. N’attends pas l’assaut
Du taureau qui est homme et dont, plurielle,
L’étrange forme est l’horreur du réseau
D’interminable pierre qui s’emmêle.
Il n’existe pas. N’attends rien. Ni cette
Bête au noir crépuscule qui te guette
–
Philippe Soupault – Années lumière
Année-lumière.
Une étoile dans mes mains grandes ouvertes
Un regard une étincelle une joie
Des millions d’années-lumière et une seconde
Comme si le temps était aboli
et que le monde entier se gonflait de silence
L’inconnu s’illuminait d’un seul coup
et cette lueur annonçait l’aurore
Tout était promis et clair et vrai
Un autre jour une autre nuit et l’aube
et que le monde était à portée de mes mains
Ne pas oublier ces angoisses ces vertiges
en écoutant ce qu’annonçait l’étoile
et en retrouvant ce chemin de feu
qui conduisait vers l’avenir et l’espoir
et vers ce que nul ni moi n’attendait plus
Que les nuages lourds comme le destin
s’étalent et menacent comme des monstres
et que l’horizon noir soit noir comme l’enfer
L’étoile brille pour moi seul
et tout devient lumière et clarté
Étoile qui me guide vers cet univers
où règnent la vérité et l’absolu.
–
Philippe Soupault « Crépuscules ».
–
Aujourd’hui n’est pas étanche ( RC )

photo Odette Lefebvre de l’internaute.com
Avec le jour qui se lève
Le spectacle nous laisse attablé
Aux jeux de lumière sur le champ de blés
Comme si c’était traverser le rêve
Tout est entre tes mains,
Le modelage du destin
Pétri comme une pâte à pain
L’avenir questionne son levain
L’imprévu court, l’éphémère flanche
Soumis aux courants d’air
Traces des sillons, dans les champs de mer
Ondulations mobiles, lumières blanches…
Pour se nourrir du quotidien
L’aujourd’hui n’est pas étanche
Et ma soif, le pain en tranches
D’où s’envolent mille petits riens…
Lorsque je te prends la main
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RC 25 et 26 juin 2012
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