Cees Nooteboom – Personnage –

.
La fleur de l’hibiscus dure une journée,
étoile de feu fugace dans la controverse
du ciel et du jardin, l’homme y est un corps
qui se défend, comme toute fleur.
Ce qu’il ignore : combien tout cela est vrai.
Est-il bien là, ce personnage
qui reste dehors dans l’ultime clarté des étoiles,
ne voit pas la fleur, se brûle
à la lumière froide et dans l’éphémère
matin ramasse des fleurs sur
une terre noire et cède devant la violence
du soleil ?
Le sens du deuil qui prolifère en lui
commémore un ami, une amitié
qui perd sa mesure
parmi tant de flétrissure.
Qu’est-ce qui reste là, un homme ou un poème ?
Le facteur en chemise jaune vient à vélo jusqu’à la grille,
conte le monde, délivre sa lettre
à un vivant, ne sait rien du deuil ou de l’âme.
Il voit les fleurs rouges à terre,
dit « il va faire chaud aujourd’hui »,
puis disparaît dans la lumière
et ce poème.
.
Le visage de l’œil
poèmes traduits du néerlandais par Philippe Noble
Actes sud
.
Thomas Bernhard – avec moi avec mon pays
VII
Avec moi avec mon pays

peinture Alvaro Castagnet:HarbourBridge
Là ou je vivais, on ne peut échapper
à ta voix lubrique,
pas même le dispositif d’un seul jugement
me débusquer dans ton ombre..
Le lien qui m’unit aux fleuves
se dresse entre toi et moi,
je ne pense qu’à une chose :
dilapider
ce pays insensé,
ces rivières irrémédiables avec tous
les enfants et les enfants des enfants…
Ma science je l’ai tirée
des fosses à pommes de terre,
des ténèbres de la porcherie
j’ai tiré mon expérience de la terre et du ciel,
dans l’avalanche des pommes d’octobre, je suis
mon perpétuel psaume…
Sans que je te voie j’entends
tes paroles, sans cesse je suis
tes maisons,
dans les ténèbres de ta maison
je reconnais mon père
comme le concepteur de ma mort,
comme le géniteur de mon supplice,
comme l’instigateur,
le père de mes crimes…
Qui parle dans le buisson?
…le soir se tait.
Moi. ils m’ont trouvé en plein désarroi…
Je ne savais pas une seule strophe, un seul vers, moi,
pourtant tous contre tout s’insurgèrent…
comme si je n’apparaissais pas dans leurs villes :
vent glacial, malédiction des éléments…
Seul avec ce pays de deuil
ne pense pas…
ni fenêtres ouvertes, ni portes ouvertes,
rien que des épitaphes transparentes sur les pierres
tombales.
extrait de « Je te salue Virgile » 1959-1960
Hannah Arendt – Heureux celui qui n’a pas de patrie

La tristesse est comme une lumière dans le coeur allumée,
L’obscurité est comme une lueur qui sonde notre nuit.
Nous n’avons qu’à allumer la petite lumière du deuil
Pour, traversant la longue et vaste nuit, comme des ombres nous retrouver chez nous.
La forêt est éclairée, la ville, la route et l’arbre.
Heureux celui qui n’a pas de patrie ; il la voit encore dans ses rêves.
Die Traurigkeit ist wie ein Licht im Herzen angezündet,
Die Dunkelheit ist wie ein Schein, der unsere Nacht ergründet.
Wir brauchen nur das kleine Licht der Trauer zu entzünden,
Um durch die lange weite Nacht wie Schatten heimzufinden.
Beleuchtet ist der Wald, die Stadt, die Strasse und der Baum.
Wohl dem, der keine Heimat hat; er sieht sie noch im Traum.
Le logis de la cartomancienne – ( RC )

Tout en haut de l’escalier
d’une maison délabrée
à façade grise
c’est le logis
de la cartomancienne…
–
Un chat blanc
à la tête couleur de suie,
veille, avec indifférence
sur une boîte en osier
devant l’entrée
qui reste ouverte
en permanence:
jamais il ne sommeille;
–
C’est à cet animal
qu’on pose les questions
sur le palier
comme c’est l’usage:
-petit sphynx, petit lion-
–
Le consulter,
est comme regarder
dans une boule de cristal…
Dans son oeil
se reflètent d’étranges lueurs
où dansent les présages.
–
Si tu vas chez la cartomancienne,
tu n’y accèdes qu’à pied :
tu repéreras l’escalier:
il est peint de deux couleurs
en rouge et en bleu,
ce qui égaie un peu les lieux:
–
Quand le chat est à l’intérieur,
c’est elle qui t’accueille
en habits de deuil,
assise, comme toujours
dans le fauteuil de velours .
–
Il faut suivre le protocole :
elle a les phrases lentes
et peut s’endormir
après quelques paroles
décisives sur l’avenir,
car elle est un peu voyante.
–
En fin de journée
ses mains sont transparentes.
Tu devras la laisser
méditer sur ton cas
ou bien c’est avec le chat
qu’il faudra dialoguer.
.
Un dimanche à la fête des morts – ( RC )

Les pierres sont immobiles.
laminées par le temps,
leur couleur est passée,
comme celles des photos
qui y sont accrochées,
ternies,
dans de petits médaillons.
On imagine un peu
ceux qui ont vécu,
le regard perdu
à travers le rideau des années
qui nous séparent d’eux
davantage que les chaînes argentées.
Les tombes voisines sont luisantes de pluie,
c’est toujours en novembre
que semble mourir l’automne,
et que s’échouent les fleurs,
qui perdront inéluctablement
leurs couleurs.
Tu te souviens de la Toussaint,
des demeures massives
en granite poli,
et du gravier blanc
que tu trouvais si joli.
Tu en prélevais un peu
pour dessiner un coeur,
pour répondre aux formules
écrites en noir
sur le fond émaillé.
« A ma soeur chérie » ,
« à mon oncle bien aimé.. ». etc
Puis il fallait s’en retourner,
laisser tranquilles ceux
qui ont le sommeil éternel,
auprès des cyprès centenaires.
La mort est un jour sans fin,
qui ne se contente pas
de fleurs sacrifiées…
la vie ne compte
que ceux qui meurent,
en effeuillant les pages du calendrier ;
le chagrin et l’absence demeurent
pour ceux qui se souviennent.
Je ne parlerai pas des chrysanthèmes
fanant dans leur vase,
des allées désertes,
et des croix qui penchent.
C’était un dimanche,
la fête des morts
( on imagine mal qu’ils dansent
quand tout le monde est parti ).
Le vent a arraché les dernières feuilles
des platanes de l’avenue.
Eux aussi sont en deuil.
Ils secouent leurs branches
comme des membres décharnés :
ils sont les gardiens des ténèbres,
mais attendent le retour du printemps
près de l’enclos funèbre.
André Velter – Je chante ma femme de l’autre rive
Caspar David Friedrich, La mer de glace, 1824
Je chante ma femme de l’autre rive
comme un rôdeur survivant
qui a jeté son âme au vent
sans plus de soleil à poursuivre.
Il est des signes dans ma mémoire
jamais entrevus jusqu’ ici
au cœur fatal d’une folie
improvisant toute l’histoire
des amants de l’amour extrême
qui sont partout où l’on s’égare
armés de foudroyants poèmes…
et je me refuse à ce monde
qui ne sait quelle clarté se fonde
sur le chaos de ton départ.
ANDRE VELTER L’amour extrême
Et autres poèmes
Pour Chantal Mauduit
Juste une hypothèse sur l’existence des choses – ( RC )
peinture: H Matisse
J’ai crû que c’était le matin.
J’ai regardé ma montre.
Il est plus de 9 heures .
La météo n’en a rien dit
( on ne l’aurait pas crue ).
Ou bien ce serait un saut dans le temps .
La nuit s’en engouffrée dans le jour
a profité d’une brèche :
J’ai ouvert la fenêtre.
L’éclipse du temps s’est étendue
pendant la nuit,
et se prolonge
jusqu’à l’immobilité des choses.
Je distingue à peine les murs d’en face.
Le béton, les cheminées, d’autres fenêtres.
Elles portent un voile de deuil.
Aucune lumière.
Les lotissements sont bien là, obscurs.
Les immeubles ne présentent que des surfaces,
plantés au sol comme des esquisses de décor.
A peine plus noirs que le fond d’encre.
Les rues où rien ne circule.
Tout a été happé par le silence.
A la façon d’un Malevitch
qui aurait peint du noir sur du noir.
C’est bien le matin,
d’après l’heure ,
mais peut-on l’appeler encore comme ça ?
Le jour s’est perdu quelque part,
happé par l’infini,
– que sais-je ?
A moins que j’aie seulement rêvé:
un rêve de lumière, caressant les choses,
la pensée d’un astre,
( juste une hypothèse sur
l’existence des choses ),
que rien ne viendrait confirmer .
–
RC – mai 2018
L’ép(r)ouvante – ( RC )
peinture – Frida Kahlo
—
Epouvante,
qu’il pleuve ou qu’il vente,
tu t’échappes des contes pour enfants,
et ris de toutes tes dents:
et si c’était une comptine,
on verrait luire tes canines …
Et encore, l’épouvante , chante
comme la cigale de La Fontaine,
mais trouves avec peine
l’hiver étant venu, ( air connu ),
où se loger dans les arbres dévêtus
que l’on sait trouver fort dépourvus.
Voila qu’elle a caché la lumière,
et qu’elle effraie la bergère,
avec des histoires de loup,
ou à dormir debout :
on peut presque palper la peur,
distinguer au loin le château la Terreur.
Pendant que tes pas s’égarent
tu erres dans les idées noires :
Si les arbres ont perdu leurs feuilles,
l’épouvante a répandu son deuil,
et les racines d’une forêt ingrate,
multiplient les croche-pattes .
La fontaine s’est refermée,
oubliée dans les ronces et l’églantier :
les fées sont capturées
pieds et poings liées
prisonnières
au coeur de l’hiver.
- Les eaux obscures m’ont bu
tu n’en as rien su :
je me suis noyé
dans l’eau glacée :
mes yeux te regardent
et ma peau est blafarde:
elle a pris les couleurs de la cendre
dans le long bain de décembre :
il m’a été ôté la joie :
nous n’irons plus au bois :
j’ai pris pour compagne l’épouvante ,
dans la forêt – – désormais je la hante.
Mais les années s’étant écoulées,
et tu m’as désormais oublié:
tu as délaissé tes terreurs d’enfance :
la vie a pris une autre consistance,
elle t’emmène vers d’autres horizons,
( c’est maintenant une autre chanson ) .
Tu as remisé toutes ces fadaises,
et t’en vas cueillir des fraises :
Cigale, cigale, il te faut rechanter :
les lauriers des bois ont bien repoussé !
la fontaine est garnie de fleurs d’églantiers,
… tu en accroches une sur ton chemisier…
Attention quand même aux épines :
elles sont restées assassines ! ,
voila qu’une fleur de sang grandit sur ta poitrine ,
alors… te revient en tête la comptine :
l’épouvante et la peur de mourir…
( je me rappelle à ton bon souvenir… )
–
RC – mars 2018
Eclipse et deuil du soir – ( RC )
Bientôt,
la lune est noire,
elle porte le deuil du soir
Sur les pierres du jardin
S’allongent les ombres
de demain
La confusion du ciel
Le semis des comètes
Le pouls des planètes
Ne fera rien de l’avenir
Que le parfum des roses
A peine écloses
Saisies de peur
Dans la douceur des choses
Déjà de retour.
RC – 26 Mai 2012
–
Soon
the moon is black,
she is in mourning of the evening
Over the garden’s stones
Shadows are getting longer
from tomorrow
The confusion of the sky
The seedling of comets
The pulse of the planets
Will do nothing with the future
Just the scent of roses
Newly hatched
Seized of fear
In the sweetness of things
Back already.
–
Alejandra Pizarnik – nuit
NUIT
Je sais peu de choses de la nuit
mais la nuit semble me connaître,
et même plus , m’aide comme je le voulais,
l’existence me couvrant avec ses étoiles.
Peut-être que la vie est la nuit et le soleil , la mort.
Peut-être la nuit n’est rien
On peut tout supposer
et les êtres qui vivent nulle part.
Peut-être les mots sont tous là
dans le vaste vide des âges
nous rayant l’âme des souvenirs.
Mais la nuit , a savoir la misère
Qui boit notre sang versé et nos idées.
Elle doit haïr nos yeux
Les sachant pleins d’intérêts, de malentendus.
Mais il arrive que j’entends le deuil de la nuit dans mes os.
Leurs immenses délires de larmes
et des cris ,disant,que quelque chose s’en est allé pour toujours.
Sans jamais de retour.
–
LA NOCHE
Poco sé de la noche
pero la noche parece saber de mí,
y más aún, me asiste como si me quisiera,
me cubre la existencia con sus estrellas.
Tal vez la noche sea la vida y el sol la muerte.
Tal vez la noche es nada
y las conjeturas sobre ella nada
y los seres que la viven nada. Tal vez las palabras sean lo único que existe
en el enorme vacío de los siglos
que nos arañan el alma con sus recuerdos.
Pero la noche ha de conocer la miseria
que bebe de nuestra sangre y de nuestras ideas.
Ella debe arrojar odio a nuestras miradas
sabiéndolas llenas de intereses, de desencuentros.
Pero sucede que oigo a la noche llorar en mis huesos.
Su lágrima inmensa delira
y grita que algo se fue para siempre.
Alguna vez volveremos a ser.
–
Verre de thé – ( RC )
Le verre dans ta main,
Lentement de vert, se teint.
Je vois ton visage inversé,
Derrière le verre de thé,
Une infusion lente,
Conjuguée de menthe.
Une vapeur, une brume,
T’enveloppe et te parfume
Tu bois doucement, tu sirotes,
Quelques feuilles flottent
Encore dans le liquide,
Que peu à peu tu vides,
La chaleur passe du verre à tes yeux,
Plus sombres qu’un grand feu,
Des rêves bleus de notre histoire,
Ont viré au noir,
Au fond du verre quelques feuilles,
Se recroquevillent dans leur deuil,
Expirant leur saveur, leur arôme,
Du bonheur, reste leur fantôme,
Une forme molle, sans utilité
Que tu vas bientôt pouvoir jeter.
–
RC – 1er novembre 2013
–
Photo – Eric Wyllie
Li-Young Lee – Oreiller
–
Oreiller
Rien
que je ne puisse trouver là-dessous.
Des voix dans les arbres.
Les pages manquantes de la mer.
Tout
sauf le sommeil.
Et la nuit est une rivière
reliant les rivages du dire
à ceux de l’écoute.
Une forteresse
inviolée,
indéfendue.
Rien
qui ne puisse y être contenu :
fontaines obstruées
de boue et de feuilles,
habitacles de l’enfance.
Et la nuit commence
avec les doigts de ma mère
délaissant les fils noués
et dénoués
pour effleurer les motifs de notre histoire
à vif.
La nuit est l’ombre allongée
des mains de mon père
réglant l’horloge
pour la ressusciter.
Ou alors celle
de la pendule disloquée,
et des chiffres qui s’envolent.
Rien qui n’y ait trouvé sa place :
plumes élimées,
chaussures orphelines,
un alphabet en miettes.
Tout
sauf le sommeil.
Et la nuit commence
avec la première décapitation
du jasmin.
Son parfum captif débarrassé enfin
de la parure du deuil.
–
Pillow
There’s nothing I can’t find under there.
Voices in the trees.
The missing pages of the sea.
Everything but sleep.
And night is a river
bridging the speaking
and the listening banks.
A fortress,
undefended and
inviolate.
There’s nothing that
won’t fit under it :
fountains clogged with
mud and leaves.
The houses of my chilhood.
And night begins when
my mother’s fingers
let go of the thread
they have been tying and
untying
to touch toward our
fraying story’s hem.
Night is the shadow of
my father’s hands
setting the clock for
resurrection.
Or is it the clock
unraveled, the numbers
flown ?
Eclipse et deuil du soir ( RC )
–
Bientôt,
la lune est noire,
elle porte le deuil du soir
Sur les pierres du jardin
S’allongent les ombres
de demain
La confusion du ciel
Le semis des comètes
Le pouls des planètes
Ne fera rien de l’avenir
Que le parfum des roses
A peine écloses
Saisies de peur
Dans la douceur des choses
Déjà de retour.
RC – 26 Mai 2012
Soon
the moon is black,
she is in mourning of the evening
Over the garden’s stones
Shadows are getting longer
from tomorrow
The confusion of the sky
The seedling of comets
The pulse of the planets
Will do nothing with the future
Just the scent of roses
Newly hatched
Seized of fear
In the sweetness of things
Back already.
Femme de brume, femme de neige ( RC )
Femme d’Automne s’accroche
Fête, que la brume enivre,
C’est peut-être qu’arrive
L’hiver , qui s’approche
Et recouvre de feuilles
Le manteau de l’été
Des saisons reportées
…Fin de l’année – le deuil
Femme d’hiver arrive
Et d’un coup de manche
Peint la province blanche,
Pentes et perspectives
Et referme son piège
De silence et de velours
Même au coeur de l’amour,
Sous son habit de neige.
–
RC -16 janvier 2013
–
Françoise Ascal – 3
Nouvelle et dernière « parution » sur cette suite qui en comporte cinq…
découvrir autrement Françoise Ascal, c’est sur le site de Claude Ber, qui nous fait partager des créations littéraires intéressantes…
photo: Alvarez-Bravo: photographe mexicain
3
“Travail de deuil”…
Ne veux pas le faire, ce boulot. Veux laisser les plaies ouvertes, veux être traversée par d’éternelles douleurs intimes. Veux les nourrir, leur donner la becquée pour que jamais jamais ne meurent les visages aimés. Un jamais de pacotille, on le sait, à la mesure du dérisoire, un jamais naïf de fillette, une promesse d’ivrogne, une volonté d’irréalité, une crispation d’utopie, une insoumission . Non. Pas de travail de deuil. Pas d’accommodement. Pas de douceur. Pas de résignation. Pas de sagesse. Mais le mal nourricier, la blessure fertile, la blessure-rivière-vive travaillant au secret du corps, irriguant la chair, jaillissant en rébellion, en étincelles de tristesses lumineuses. Contre l’oubli.
Et pourtant.
“ Mémoire qui tue…
mémoire qui étouffe à petit feu..”. Excès de déchets organiques, pourriture lente formant vase au fond du cœur. Et l’on suffoque, et l’on s’égare à vouloir trouver le chemin inédit, le sans-trace, le non-balisé par les ancêtres, par la forge du temps, par la puissance de l’Histoire ou la pression des événements, même futiles, même anodins, même attendus. Sortir. Out. Sortir. Out. EXIT. SORTIR. ANY WHERE OUT THE WORLD. Trouver la passe, trouver l’issue, trouver la fente la faille la fêlure la fenêtre la face ou la farce, mais sortir. Sortir du pré du pré vu du pré paré du pré cité du pré posé du pré dit , quitter les pré dispositions, abandonner tout centre de gravité, rejoindre le nu d’un intervalle, la vacuité d’un interstice, percer la poche du circonscrit.
–
Maria Calandrone – Corps-diaphragme en majeure partie
Maria Grazia Calandrone
Corps-diaphragme en majeure partie
De la végétation affleure le corps
des pommiers – avec leurs médaillons d’or. Bannières de calme plat
dans le blanc de la machine adriatique – déboussolée
par la tempête immobile des estacades, sanctuaires tanguants
de bois et de rebuts
ferroviaires sur plusieurs mètres de mer. Les hommes de la montagne
dominent l’Inquiet de leurs plateformes – ils prolongent dans le deuil
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . des eaux
la terre, sa verdeur de meule sylvestre – et le soleil
règne plus grand que la peur.
Les manches retroussées, les pieds nus
– de la côte ils prononcent les Nombres donnés
par les étrangers
qui cultivent l’ange des rêves – cœurs pleins de larves
et de pissenlits – arrachés à la beauté boréale. Ah, si nous étions !
forêts de mâts dans la brume – voici le Souverain Ensemble
sur les taches du Neutre de tous les jours – le pollen dispersé
par le vase des siècles, où la somme des tempêtes est égale
au froncement inconstant d’un sourcil.
Mettez donc ma santé à côté de celle de notre frère
avec des projections de neige polluante sur les pins
qui ont des ombrelles de méduses terrestres pour que rien ne manque,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . pas même
des roses hématiques et des rouleaux de parchemin dans les mains – ou
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. . . discours
sur le climat et le sol et sur les passerelles rongées, qui changent
la mer en terre – frêles – comme toi mon amour, qui sillonnes le large
de tes sabots de pierre et manifestes une originelle collision.
–
texte que l’on peut retrouver dans le blog « une autre poésie italienne »
–
Franck Venaille – Douleur que j’ai aimée, dis-je…
Douleur que j’ai aimée, dis-je…
Douleur que j’ai aimée, dis-je, « aimée » est-ce le mot
Qu’alors j’employai devant tous ces visages de mauvais
Lieux ? Douleur ! Cette manière de nous mouvoir au
Milieu de la foule dolorante. Lui ! Que fait-il, voûté ? Il
Essaie, oui peut-être essaie-t-il de faire entrer toute cette
Souffrance dans ces sacs de deuil noir, des mouvements
Du glas, de larmes. Reviennent à lui ces mots : « douleur
Aimée » & se souvient de chacun des termes de cette
Lettre qu’au grand jamais il n’écrira : « D’amour ah ! je
Me suis pour vous, blessé ». Pourquoi & quand ? Désormais
Quelle armée lui tient compagnie ? Quel officier la veille ?
Douleur aimée, pourquoi geindre ? Vous vous éveillez
Près d’eux, ces hommes sortant du bal, dites ! en sang.
Franck Venaille
Gerard de Nerval – Point noir
Le point noir
–
Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l’air, une tache livide.
Ainsi tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.
Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire !
Quoi, toujours? Entre moi sans cesse et le bonheur!
Oh ! c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur! –
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.
Sésame en trésors et lampe d’Aladin ( RC)
En errant dans les rues, sur les chemins
Au plus profond des bois, et dans ta main
J’ai croisé, le simple, de la vie le signe
Qui nivelle les différences et aligne
L’art du pauvre, la nature rebelle,
Habille d’automne, foire annuelle
Du précieux de ses ors, le riche
Comme le commun, et affiche
Au tapis du vent, le passage du temps
Le tout attendant, la parure du printemps
J’ai aimé te couvrir sans hiver de deuil
De mes mains d’or, j’étais feuilles
Celles restant vivantes, que je porte
Ne figurent pas en peinture, en nature morte
Et seront pour toi, mon beau jardin
Sésame en trésors et lampe d’Aladin

feuilles d'automne recouvrant une Cadillac
Paul Celan, et Rose Ausländer
Esprits nomades nous dit Rose Ausländer.. ( suite à mes recherches sur Else Lasker Schüler)…
Paul Celan
Parle –
Mais sans séparer le non du oui.
Donne aussi le sens à ta parole
donne-lui l’ombre
Donne-lui assez d’ombre,
donne-lui autant d’ombre
que tu en sais partagée autour de toi entre
minuit et midi et minuit.
À cela Rose répond :
j’ai trouvé
un mot qui ne pleure pas
les autres portent le deuil
de la perte
de la patrie.