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Articles tagués “deuil

Cees Nooteboom – Personnage –


Robert Delaunay – Paysage au disque solaire

.

La fleur de l’hibiscus dure une journée,
étoile de feu fugace dans la controverse
du ciel et du jardin, l’homme y est un corps
qui se défend, comme toute fleur.

Ce qu’il ignore : combien tout cela est vrai.
Est-il bien là, ce personnage
qui reste dehors dans l’ultime clarté des étoiles,
ne voit pas la fleur, se brûle
à la lumière froide et dans l’éphémère
matin ramasse des fleurs sur
une terre noire et cède devant la violence
du soleil ?

Le sens du deuil qui prolifère en lui
commémore un ami, une amitié
qui perd sa mesure
parmi tant de flétrissure.

Qu’est-ce qui reste là, un homme ou un poème ?

Le facteur en chemise jaune vient à vélo jusqu’à la grille,
conte le monde, délivre sa lettre
à un vivant, ne sait rien du deuil ou de l’âme.
Il voit les fleurs rouges à terre,
dit « il va faire chaud aujourd’hui »,
puis disparaît dans la lumière

et ce poème.

.

Le visage de l’œil
poèmes traduits du néerlandais par Philippe Noble
Actes sud

.


Thomas Bernhard – avec moi avec mon pays


    VII
    Avec moi avec mon pays

peinture Alvaro Castagnet:HarbourBridge

Là ou je vivais, on ne peut échapper
à ta voix lubrique,
pas même le dispositif d’un seul jugement
me débusquer dans ton ombre..

Le lien qui m’unit aux fleuves
se dresse entre toi et moi,
je ne pense qu’à une chose :
dilapider
ce pays insensé,
ces rivières irrémédiables avec tous
les enfants et les enfants des enfants…

Ma science je l’ai tirée
des fosses à pommes de terre,
des ténèbres de la porcherie
j’ai tiré mon expérience de la terre et du ciel,
dans l’avalanche des pommes d’octobre, je suis
mon perpétuel psaume…

Sans que je te voie j’entends
tes paroles, sans cesse je suis
tes maisons,
dans les ténèbres de ta maison
je reconnais mon père
comme le concepteur de ma mort,
comme le géniteur de mon supplice,
comme l’instigateur,
le père de mes crimes…

Qui parle dans le buisson?
…le soir se tait.
Moi. ils m’ont trouvé en plein désarroi…
Je ne savais pas une seule strophe, un seul vers, moi,
pourtant tous contre tout s’insurgèrent…
comme si je n’apparaissais pas dans leurs villes :
vent glacial, malédiction des éléments…
Seul avec ce pays de deuil
ne pense pas…
ni fenêtres ouvertes, ni portes ouvertes,
rien que des épitaphes transparentes sur les pierres
tombales.


extrait de « Je te salue Virgile » 1959-1960


Hannah Arendt – Heureux celui qui n’a pas de patrie


montage R C

La tristesse est comme une lumière dans le coeur allumée,
L’obscurité est comme une lueur qui sonde notre nuit.
Nous n’avons qu’à allumer la petite lumière du deuil
Pour, traversant la longue et vaste nuit, comme des ombres nous retrouver chez nous.
La forêt est éclairée, la ville, la route et l’arbre.

Heureux celui qui n’a pas de patrie ; il la voit encore dans ses rêves.

Die Traurigkeit ist wie ein Licht im Herzen angezündet,
Die Dunkelheit ist wie ein Schein, der unsere Nacht ergründet.
Wir brauchen nur das kleine Licht der Trauer zu entzünden,
Um durch die lange weite Nacht wie Schatten heimzufinden.
Beleuchtet ist der Wald, die Stadt, die Strasse und der Baum.

Wohl dem, der keine Heimat hat; er sieht sie noch im Traum.


Le logis de la cartomancienne – ( RC )


photo: Simonu

Tout en haut de l’escalier

d’une maison délabrée

à façade grise

c’est le logis

de la cartomancienne…

Un chat blanc

à la tête couleur de suie,

veille, avec indifférence

sur une boîte en osier

devant l’entrée

qui reste ouverte

en permanence:

jamais il ne sommeille;

C’est à cet animal

qu’on pose les questions

sur le palier

comme c’est l’usage:

-petit sphynx, petit lion-

Le consulter,

est comme regarder

dans une boule de cristal…

Dans son oeil

se reflètent d’étranges lueurs

où dansent les présages.

Si tu vas chez la cartomancienne,

tu n’y accèdes qu’à pied :

tu repéreras l’escalier:

il est peint de deux couleurs

en rouge et en bleu,

ce qui égaie un peu les lieux:

Quand le chat est à l’intérieur,

c’est elle qui t’accueille

en habits de deuil,

assise, comme toujours

dans le fauteuil de velours .

Il faut suivre le protocole :

elle a les phrases lentes

et peut s’endormir

après quelques paroles

décisives sur l’avenir,

car elle est un peu voyante.

En fin de journée

ses mains sont transparentes.

Tu devras la laisser

méditer sur ton cas

ou bien c’est avec le chat

qu’il faudra dialoguer.


.


Un dimanche à la fête des morts – ( RC )


photo RC – Chanac

Les pierres sont immobiles.
laminées par le temps,
leur couleur est passée,
comme celles des photos
qui y sont accrochées,
ternies,
dans de petits médaillons.

On imagine un peu
ceux qui ont vécu,
le regard perdu
à travers le rideau des années
qui nous séparent d’eux
davantage que les chaînes argentées.

Les tombes voisines sont luisantes de pluie,
c’est toujours en novembre
que semble mourir l’automne,
et que s’échouent les fleurs,
qui perdront inéluctablement
leurs couleurs.

Tu te souviens de la Toussaint,
des demeures massives
en granite poli,
et du gravier blanc
que tu trouvais si joli.

Tu en prélevais un peu
pour dessiner un coeur,
pour répondre aux formules
écrites en noir
sur le fond émaillé.

« A ma soeur chérie » ,
« à mon oncle bien aimé.. ». etc
Puis il fallait s’en retourner,
laisser tranquilles ceux
qui ont le sommeil éternel,
auprès des cyprès centenaires.

La mort est un jour sans fin,
qui ne se contente pas
de fleurs sacrifiées…
la vie ne compte
que ceux qui meurent,
en effeuillant les pages du calendrier ;

le chagrin et l’absence demeurent
pour ceux qui se souviennent.
Je ne parlerai pas des chrysanthèmes
fanant dans leur vase,
des allées désertes,
et des croix qui penchent.

C’était un dimanche,
la fête des morts
( on imagine mal qu’ils dansent
quand tout le monde est parti ).
Le vent a arraché les dernières feuilles
des platanes de l’avenue.

Eux aussi sont en deuil.
Ils secouent leurs branches
comme des membres décharnés :
ils sont les gardiens des ténèbres,
mais attendent le retour du printemps

près de l’enclos funèbre.


André Velter – Je chante ma femme de l’autre rive


nadzieja w lodach [morze lodu] (Caspar David Friedrich)

Caspar David Friedrich, La mer de glace, 1824

 

 

Je chante ma femme de l’autre rive

comme un rôdeur survivant

qui a jeté son âme au vent

sans plus de soleil à poursuivre.

 

Il est des signes dans ma mémoire

jamais entrevus jusqu’ ici

au cœur fatal d’une folie

improvisant toute l’histoire

 

des amants de l’amour extrême

qui sont partout où l’on s’égare

armés de foudroyants poèmes…

 

et je me refuse à ce monde

qui ne sait quelle clarté se fonde

sur le chaos de ton départ.

 

 

ANDRE VELTER  L’amour extrême

   Et autres poèmes

Pour Chantal Mauduit  


Juste une hypothèse sur l’existence des choses – ( RC )


Matisse  fenêtre noire      .jpgpeinture: H Matisse

 

J’ai crû que c’était le matin.
J’ai regardé ma montre.
Il est plus de 9 heures .
La météo n’en a rien dit
( on ne l’aurait pas crue ).
Ou bien ce serait un saut dans le temps .
            La nuit s’en engouffrée dans le jour
a profité d’une brèche :
J’ai ouvert la fenêtre.
L’éclipse du temps s’est étendue
pendant la nuit,
et se prolonge 
jusqu’à l’immobilité des choses.

        Je distingue à peine les murs d’en face.
Le béton,     les cheminées,       d’autres fenêtres.
Elles portent un voile de deuil.
Aucune lumière.
Les lotissements sont bien là,           obscurs.
Les immeubles ne présentent que des surfaces,
plantés au sol comme des esquisses de décor.
A peine plus noirs       que le fond d’encre.
Les rues où rien ne circule.
          Tout a été happé par le silence.
A la façon d’un Malevitch
qui aurait peint du noir sur du noir.

        C’est bien le matin,
d’après l’heure   ,
mais peut-on l’appeler encore comme ça ?
        Le jour s’est perdu quelque part,
happé par l’infini,
–       que sais-je ?
A moins que j’aie seulement rêvé:
un rêve de lumière,       caressant les choses,
                                     la pensée d’un astre,
( juste une hypothèse sur
l’existence des choses ),
que rien ne viendrait confirmer .


RC – mai 2018


L’ép(r)ouvante – ( RC )


Image associée

peinture – Frida Kahlo

  Epouvante,
qu’il pleuve ou qu’il vente,
tu t’échappes des contes pour enfants,
et ris de toutes tes dents:
et si c’était une comptine,
on verrait luire tes canines  …

   Et encore, l’épouvante , chante
comme la cigale de La Fontaine,
mais trouves avec peine
l’hiver étant venu, ( air connu ),
où se loger dans les arbres dévêtus
que l’on sait trouver fort dépourvus.

        Voila qu’elle a caché la lumière,
et qu’elle effraie la bergère,
avec des histoires de loup,
ou à dormir debout :
on peut presque palper la peur,
distinguer au loin le château la Terreur.

        Pendant que tes pas s’égarent
tu erres dans les idées noires :
Si les arbres ont perdu leurs feuilles,
l’épouvante a répandu son deuil,
et les racines d’une forêt ingrate,
multiplient les croche-pattes .

        La fontaine s’est refermée,
oubliée dans les ronces et l’églantier :
les fées sont capturées
pieds et poings liées
prisonnières
au coeur de l’hiver.

  •      Les eaux obscures m’ont bu
    tu n’en as rien su :
    je me suis noyé
    dans l’eau glacée :
    mes yeux te regardent
    et ma peau est blafarde:

elle a pris les couleurs de la cendre
dans le long bain de décembre :
il m’a été ôté la joie :
nous n’irons plus au bois :
j’ai pris pour compagne l’épouvante ,
dans la forêt   –  – désormais je la hante.

         Mais les années s’étant écoulées,
et tu m’as désormais oublié:
tu as délaissé tes terreurs d’enfance :
la vie a pris une autre consistance,
elle t’emmène vers d’autres horizons,
( c’est maintenant une autre chanson ) .

        Tu as remisé toutes ces fadaises,
et t’en vas cueillir des fraises :
Cigale, cigale,         il te faut rechanter :
les lauriers des bois ont bien repoussé !
la fontaine est garnie de fleurs d’églantiers,
… tu en accroches une sur ton chemisier…

       Attention quand même aux épines :
elles sont restées assassines ! ,
voila qu’une fleur de sang grandit sur ta poitrine ,
alors… te revient en tête la comptine :
l’épouvante et la peur de mourir…
(     je me rappelle à ton bon souvenir… )


RC – mars 2018


Eclipse et deuil du soir – ( RC )


Bientôt,
la lune est noire,
elle porte le deuil du soir

Sur les pierres du jardin
S’allongent les ombres
de demain

La confusion du ciel
Le semis des comètes
Le pouls des planètes

Ne fera rien  de l’avenir
Que le parfum des roses
A peine  écloses

Saisies de peur
Dans la douceur des choses
Déjà de retour.

RC  – 26 Mai 2012

Soon
the moon is black,
she is in mourning of the evening

Over the garden’s stones
Shadows are getting longer
from tomorrow

The confusion of the sky
The seedling of comets
The pulse of the planets

Will do nothing with the future
Just the scent of roses
Newly hatched

Seized of fear
In the sweetness of things
Back already.


Alejandra Pizarnik – nuit


peinture:Edw  Munch  fille  à la fenêtre 1893

peinture:            Edw Munch fille à la fenêtre 1893

 

 

 

NUIT

Je sais peu de choses de la nuit

mais la nuit semble me connaître,
et même plus , m’aide comme je le voulais,
l’existence me couvrant avec ses étoiles.

Peut-être que la vie est la nuit et le soleil , la mort.

Peut-être la nuit n’est rien

On peut tout supposer
et les êtres qui vivent nulle part.

Peut-être les mots sont tous là
dans le vaste vide des âges
nous rayant l’âme des souvenirs.

Mais la nuit , a savoir la misère
Qui boit notre sang versé et nos idées.
Elle doit haïr nos yeux
Les sachant pleins d’intérêts, de malentendus.

Mais il arrive que j’entends le deuil de la nuit dans mes os.
Leurs immenses délires de larmes
et des cris ,disant,que quelque chose s’en est allé pour toujours.

Sans jamais de retour.

 

LA NOCHE

Poco sé de la noche

pero la noche parece saber de mí,
y más aún, me asiste como si me quisiera,
me cubre la existencia con sus estrellas.

Tal vez la noche sea la vida y el sol la muerte.

Tal vez la noche es nada

y las conjeturas sobre ella nada
y los seres que la viven nada. Tal vez las palabras sean lo único que existe
en el enorme vacío de los siglos
que nos arañan el alma con sus recuerdos.

Pero la noche ha de conocer la miseria
que bebe de nuestra sangre y de nuestras ideas.
Ella debe arrojar odio a nuestras miradas
sabiéndolas llenas de intereses, de desencuentros.

Pero sucede que oigo a la noche llorar en mis huesos.
Su lágrima inmensa delira
y grita que algo se fue para siempre.

Alguna vez volveremos a ser.

 

 


Verre de thé – ( RC )


 

oeil dans la  theièreLe verre dans ta main,
Lentement de vert, se teint.

Je vois ton visage inversé,
Derrière le verre de thé,

Une infusion lente,
Conjuguée de menthe.

Une vapeur, une brume,
T’enveloppe et te parfume

Tu bois doucement, tu sirotes,
Quelques feuilles flottent

Encore dans le liquide,
Que peu à peu tu vides,

La chaleur passe du verre à tes yeux,
Plus sombres qu’un grand feu,

Des rêves bleus de notre histoire,
Ont viré au noir,

Au fond du verre quelques feuilles,
Se recroquevillent dans leur deuil,

Expirant leur saveur, leur arôme,
Du bonheur, reste leur fantôme,

Une forme molle, sans utilité
Que tu vas bientôt pouvoir jeter.

RC – 1er novembre 2013

 

Photo – Eric Wyllie


Li-Young Lee – Oreiller


 

art: détail de peinture de  Peter Vanderlyn  1730

art:     détail de peinture  de           Peter Vanderlyn       1730

 

 

 

Oreiller

Rien
que je ne puisse trouver là-dessous.
Des voix dans les arbres.
Les pages manquantes de la mer.
Tout
sauf le sommeil.

Et la nuit est une rivière
reliant les rivages du dire
à ceux de l’écoute.
Une forteresse
inviolée,
indéfendue.

Rien
qui ne puisse y être contenu :
fontaines obstruées
de boue et de feuilles,
habitacles de l’enfance.

Et la nuit commence
avec les doigts de ma mère
délaissant les fils noués
et dénoués
pour effleurer les motifs de notre histoire
à vif.

La nuit est l’ombre allongée
des mains de mon père
réglant l’horloge
pour la ressusciter.
Ou alors celle
de la pendule disloquée,
et des chiffres qui s’envolent.

Rien qui n’y ait trouvé sa place :
plumes élimées,
chaussures orphelines,
un alphabet en miettes.
Tout
sauf le sommeil.

Et la nuit commence
avec la première décapitation
du jasmin.
Son parfum captif débarrassé enfin
de la parure du deuil.


Pillow

There’s nothing I can’t find under there.
Voices in the trees.
The missing pages of the sea.
Everything but sleep.

And night is a river
bridging the speaking
and the listening banks.
A fortress,
undefended and
inviolate.

There’s nothing that
won’t fit under it :
fountains clogged with
mud and leaves.
The houses of my chilhood.

And night begins when
my mother’s fingers
let go of the thread
they have been tying and
untying
to touch toward our
fraying story’s hem.

Night is the shadow of
my father’s hands
setting the clock for
resurrection.
Or is it the clock
unraveled, the numbers
flown ?


Alda Merini – Ma poésie est vive comme le feu


peinture perso "jeune" - et sans doute bien aidé, à l'age de 5 ans je crois

peinture perso « jeune »  – et sans doute bien aidé,         –  à l’age de 5 ans , je crois

Ma poésie est vive comme le feu,
elle glisse entre mes doigts comme un rosaire.
Je ne prie pas, car je suis un poète de la disgrâce
qui tait parfois le travail d’une naissance d’entre les heures,
je suis le poète qui crie et joue avec ses cris,
je suis le poète qui chante et ne trouve pas ses mots,
je suis la paille sèche où vient battre le son,
je suis la berceuse qui fait pleurer les enfants,
je suis la vanité qui se laisse chuter,
le manteau de métal d’une longue prière
d’un vieux deuil du passé et qui est sans lumière.

Alda Merini, La volpe e il sipario, Girardi, 1997,             Traduction de Martin Rueff


Eclipse et deuil du soir ( RC )


 

 

 

Bientôt,
la lune est noire,
elle porte le deuil du soir

Sur les pierres du jardin
S’allongent les ombres
de demain

La confusion du ciel
Le semis des comètes
Le pouls des planètes

Ne fera rien  de l’avenir
Que le parfum des roses
A peine  écloses

Saisies de peur
Dans la douceur des choses
Déjà de retour.

RC  – 26 Mai 2012

Soon
the moon is black,
she is in mourning of the evening

Over the garden’s stones
Shadows are getting longer
from tomorrow

The confusion of the sky
The seedling of comets
The pulse of the planets

Will do nothing with the future
Just the scent of roses
Newly hatched

Seized of fear
In the sweetness of things
Back already.

 

 


Femme de brume, femme de neige ( RC )


Femme d’Automne s’accroche
Fête, que la brume enivre,
C’est peut-être qu’arrive
L’hiver , qui s’approche

Et recouvre de feuilles
Le manteau de l’été
Des saisons reportées
…Fin de l’année –         le deuil

Femme d’hiver arrive
Et d’un coup de manche
Peint la province blanche,
Pentes et perspectives

Et referme son piège
De silence et de velours
Même au coeur de l’amour,
Sous son habit de neige.


RC  -16 janvier 2013


Fernando d’Almeida – Au seuil de l’exil


Fernando d’Almeida

art; Judith Reigl : l’Egyptien

.
.
AU SEUIL DE L’EXIL

Une cloche de deuil a sonné au seuil de l’exil
et la tornade du matin a tonné vers la mer

(…)
Tu marcheras le cœur au poing
tu mâcheras un soir l’amer kola du veuvage
sur le désert nostalgique de ta naissance
une cloche d’alarme une cloche d’alarme
qu’importe l’aigreur des mots hongres
tu seras ici au carrefour des vents dénudés
sur la barque qui tangue
sur la pirogue qui chavire
tu viendras au bout du petit matin
écouter le chant du griot
entendre la voix des eaux
ton royaume sera de nostalgie
ton langage la prison d’un exil
Absente Absente Absente
l’harmattan est venu
l’harmattan est venu
un matin
un câlin
matin
et le ressac de mer
et la peur de dire
et la peur de tuer…

Une cloche de deuil a sonné au seuil de l’exil
et la tornade du matin a tonné vers la mer

(…)
.
.


Françoise Ascal – 3


Nouvelle  et dernière  « parution » sur cette  suite  qui en comporte cinq…

découvrir  autrement Françoise  Ascal, c’est  sur le site  de Claude Ber,  qui nous fait partager des créations littéraires intéressantes…

 

 

photo: Alvarez-Bravo: photographe mexicain

 

3

“Travail de deuil”…
Ne veux pas le faire, ce boulot. Veux laisser les plaies ouvertes, veux être traversée par d’éternelles douleurs intimes. Veux les nourrir, leur donner la becquée pour que jamais jamais ne meurent les visages aimés. Un jamais de pacotille, on le sait, à la mesure du dérisoire, un jamais naïf de fillette, une promesse d’ivrogne, une volonté d’irréalité, une crispation d’utopie, une insoumission . Non. Pas de travail de deuil. Pas d’accommodement. Pas de douceur. Pas de résignation. Pas de sagesse. Mais le mal nourricier, la blessure fertile, la blessure-rivière-vive travaillant au secret du corps, irriguant la chair, jaillissant en rébellion, en étincelles de tristesses lumineuses. Contre l’oubli.

Et pourtant.

“ Mémoire qui tue…
mémoire qui étouffe à petit feu..”. Excès de déchets organiques, pourriture lente formant vase au fond du cœur. Et l’on suffoque, et l’on s’égare à vouloir trouver le chemin inédit, le sans-trace, le non-balisé par les ancêtres, par la forge du temps, par la puissance de l’Histoire ou la pression des événements, même futiles, même anodins, même attendus. Sortir. Out. Sortir. Out. EXIT. SORTIR. ANY WHERE OUT THE WORLD. Trouver la passe, trouver l’issue, trouver la fente la faille la fêlure la fenêtre la face ou la farce, mais sortir. Sortir du pré du pré vu du pré paré du pré cité du pré posé du pré dit , quitter les pré dispositions, abandonner tout centre de gravité, rejoindre le nu d’un intervalle, la vacuité d’un interstice, percer la poche du circonscrit.

 

 


Maria Calandrone – Corps-diaphragme en majeure partie


photo: National Geographic

Maria Grazia Calandrone

 

Corps-diaphragme en majeure partie

 

 

De la végétation affleure le corps

des pommiers – avec leurs médaillons d’or. Bannières de calme plat

dans le blanc de la machine adriatique – déboussolée

par la tempête immobile des estacades, sanctuaires tanguants

de bois et de rebuts

ferroviaires sur plusieurs mètres de mer. Les hommes de la montagne

dominent l’Inquiet de leurs plateformes – ils prolongent dans le deuil

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . des eaux

la terre, sa verdeur de meule sylvestre – et le soleil

règne plus grand que la peur.

 

Les manches retroussées, les pieds nus

– de la côte ils prononcent les Nombres donnés

par les étrangers

qui cultivent l’ange des rêves – cœurs pleins de larves

et de pissenlits – arrachés à la beauté boréale. Ah, si nous étions !

forêts de mâts dans la brume – voici le Souverain Ensemble

sur les taches du Neutre de tous les jours – le pollen dispersé

par le vase des siècles, où la somme des tempêtes est égale

au froncement inconstant d’un sourcil.

 

Mettez donc ma santé à côté de celle de notre frère

avec des projections de neige polluante sur les pins

qui ont des ombrelles de méduses terrestres pour que rien ne manque,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . pas même

des roses hématiques et des rouleaux de parchemin dans les mains – ou

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. . . discours

sur le climat et le sol et sur les passerelles rongées, qui changent

la mer en terre – frêles – comme toi mon amour, qui sillonnes le large

de tes sabots de pierre et manifestes une originelle collision.

 

 

 

texte que l’on peut  retrouver  dans le blog « une autre poésie italienne »

 

 


Franck Venaille – Douleur que j’ai aimée, dis-je…


peinture: Francis Bacon: - triptyque

 

Douleur que j’ai aimée, dis-je…

Douleur que j’ai aimée, dis-je, « aimée » est-ce le mot
Qu’alors j’employai devant tous ces visages de mauvais
Lieux ? Douleur ! Cette manière de nous mouvoir au
Milieu de la foule dolorante. Lui ! Que fait-il, voûté ? Il
Essaie, oui peut-être essaie-t-il de faire entrer toute cette
Souffrance dans ces sacs de deuil noir, des mouvements
Du glas, de larmes. Reviennent à lui ces mots : « douleur
Aimée » & se souvient de chacun des termes de cette
Lettre qu’au grand jamais il n’écrira : « D’amour ah ! je
Me suis pour vous, blessé ». Pourquoi & quand ? Désormais
Quelle armée lui tient compagnie ? Quel officier la veille ?
Douleur aimée, pourquoi geindre ? Vous vous éveillez
Près d’eux, ces hommes sortant du bal, dites ! en sang.

Franck Venaille

 

peinture: Francis Bacon, portrait de Goerge Dyer & autoportrait


Gerard de Nerval – Point noir


 

 

 

 

Le point noir

Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l’air, une tache livide.
Ainsi tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.
Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire !
Quoi, toujours? Entre moi sans cesse et le bonheur!
Oh !  c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur! –
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.


Sésame en trésors et lampe d’Aladin ( RC)


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En errant dans les rues, sur les  chemins
Au plus profond des bois, et dans ta main
J’ai croisé, le simple, de la vie le signe
Qui nivelle les différences et aligne

L’art du pauvre, la nature rebelle,
Habille d’automne, foire annuelle
Du précieux de ses ors, le riche
Comme le commun, et affiche

Au tapis  du vent, le passage du temps
Le tout attendant, la parure du printemps
J’ai aimé te couvrir sans hiver de deuil
De mes mains d’or, j’étais feuilles

Celles restant vivantes, que je porte
Ne figurent pas en peinture, en nature morte
Et seront pour toi, mon  beau jardin
Sésame en trésors et lampe d’Aladin

 

feuilles d'automne recouvrant une Cadillac


Paul Celan, et Rose Ausländer


Esprits nomades  nous dit Rose Ausländer.. (  suite à mes  recherches  sur Else Lasker Schüler)…

voir leur site 

 

Paul Celan

 

Parle –

Mais sans séparer le non du oui.

Donne aussi le sens à ta parole

donne-lui l’ombre

Donne-lui assez d’ombre,

donne-lui autant d’ombre

que tu en sais partagée autour de toi entre

minuit et midi et minuit.

 

photo Alain G - le descendeur

 

 

À cela Rose répond :

j’ai trouvé

un mot qui ne pleure pas

les autres portent le deuil

de la perte

de la patrie.