Pierre Seghers – le bon vin

Ah le bon vin ! de la bouteille rousse
On y buvait le repentir doré
On y buvait la ciguë des forêts
Le vent d’Avril et le diable à ses trousses
Ah le bon vin ! que sa chair était douce
Enlevait-il ses habits de velours
Qu’on l’embrassait comme soleil le jour
Il vous glissait comme un que le vent pousse
Ah le bon vin ! de-ci de-là chantant
Le souvenir des amours impossibles
Le devenir des amours pris pour cibles
Il en riait ou pleurait plus souvent
Ah le bon vin ! mais c’est Yseult la blonde
Avec Tristan qui le boit tout à coup,
Sa main de feu qui leur brûle le cou
Leur incendie qui dévore leur monde !
Ah le bon vin ! c’est la torche et la flamme
Si haut montées que la peur les saisit,
Si haut domptées que la mort les choisit,
Folie se meurt et se meurent leurs âmes…
Ah le bon vin ! que dit le fossoyeur,
Ces deux roussis n’avaient qu’à le point boire…
Et l’oiseleur qui met des ailes à l’histoire
Avec elle s’envole ailleurs
texte extrait du recueil des poètes d’aujourd’hui ( ed seghers)
Kenneth White – lotus conus
extrait de la « cryptologie des oiseaux »

Lotus conus
L’oiseau-évangile
commun en diable
il est là
sur tous les rivages
écrivant sur l’eau, le vent, le sable
Edi Shukriu – Au-delà de soi-même
peinture Marsen Hartley
Au-delà de soi-même
Je m’élève de mes ailes au-dessus de moi je plonge
dans les ténèbres de l’enfer
puisant au fond des temps
je me rafraîchis me rassasie de sagesse
tandis que pourrissent les racines
les ronces et buissons demeurent à l’état sauvage
je m’égosille à perdre le souffle, roule de gros yeux.
je m’élève de mes ailes au-dessus de moi
comme si me prenait la folie du temps
Poème du silence
Une vaine pluie tombe au dehors
qui n’augmente ni ne réduit
l’inanité des choses impossibles
de ce bruit monocorde
nulle voix n’émerge ne résonne
maudit silence
c’est à moi que tu en veux.
est-il bien vrai que tout autre univers me demeure interdit
la perte de ce rêve irréalisable
peut aller au diable
au gré de ses tourbillons
la pluie tombe au dehors
et semble noircir le poème du silence.
Edi Shukriu est une auteure de nationalité albanaise
Adbdellatif Laâbi – Mon cher double

peinture: Zoran Mušič– Double portrait : Ida Barbarigo et Zoran Mušič 1981
Mon double
une vieille connaissance
que je fréquente avec modération
C’est un sans-gêne
qui joue de ma timidité
et sait mettre à profit
mes distractions
Il est l’ombre
qui me suit ou me précède
en singeant ma démarche
Il s’immisce jusque dans mes rêves
et parle couramment
la langue de mes démons
Malgré notre grande intimité
il me reste étranger
Je ne le hais ni ne l’aime
car après tout
il est mon double
la preuve par défaut
de mon existence
Avec lui
je perds mon humour
qui paraît-il
réjouit mes amis
Fustiger la bêtise
la sienne y comprise
et tous les jours que diable fait
n’est donné
qu’à une poignée d’élus
Pourtant
et c’est là que réside mon orgueil
je pense que ma candidature
n’est pas usurpée
J’ai découvert cette propension
sur le tard
et suis navré de la voir réduite
à la portion congrue
à cause d’une ombre
fantasmée si ça se trouve
Alors que faire ?
comme disait le camarade Lénine
Cultiver mon unicité ?
Cela ne me ressemble pas
Consulter ?
Rien à faire
Me mettre en chasse de mes sosies
les attraper au filet tel un négrier
et les enfermer dans une cale ?
Non
je n’ai pas cette agressivité
Écrire des petits poèmes
sur les fleurs et les papillons
ou d’autres bien blancs et potelés
pour célébrer le nombril de la langue ?
Très peu pour moi
quand les cornes du taureau
m’écorchent les mains
et que le souffle de la bête
me brûle le visage
Autant crier à mon double
en agitant devant lui la muleta :
Toro
viens chercher !
–
Dylan Thomas – Et la mort n’aura pas d’empire
-
peinture: Mark Rothko
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Les morts nus feront foule
- Avec l’homme dans le vent et la lune rousse ;
- Quand leurs os blanchiront et leurs os blancs partiront,
- Ils auront des étoiles au coude et au pied ;
- Même s’ils sont fous, ils seront sains d’esprit,
- Même s’ils sont perdus en mer, ils reviendront ;
- Les amoureux seront égarés mais l’amour restera;
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Sous les rouleaux de la mer
- Ils demeureront à l’abri de la tourmente ;
- Torturés pour que lâchent leurs nerfs,
- Attachés à une roue, ils ne cèderont pas ;
- La foi en leurs mains éclatera,
- Et les diables cornus les piétineront ;
- Écartelés de toute éternité, ils ne céderont pas ;
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Plus aucun cri de mouette à leurs oreilles
- Ou le déferlement des vagues sur les rivages ;
- Où la fleur s’épanouit peut-être qu’aucune fleur
- Ne lèvera son front aux coups de la pluie ;
- Bien qu’ils soient fous et raides comme des clous,
- Leurs têtes laboureront les champs de marguerites ;
- Brisés par le soleil jusqu’à ce que le soleil se brise,
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- –
Jean-Claude Pirotte – Blues 03

peinture: Hiéronymus Bosch, la nef des fous
parce que je descends de l’arbre
les gens me traitent de singe
mais si je descendais du ciel
me traiteraient-ils d’ange ?
je devrais décider
de quitter les enfers
en me voyant monter
par le trou du souffleur
ils diront c’est le diable
ou peut-être l’auteur
extrait du recueil » le promenoir Magique » ( La Table Ronde)
–
Jean-Claude Pirotte – blues 01 ( l’homme est blanc comme linge)
Extrait du gros « pavé » le recueil du « Promenoir Magique »
( paru à la Table Ronde)
l’homme est blanc
comme un linge
il se déplace en crabe
il a peur de son ombre
il a honte du diable
qui se démène en lui
et ronge ses méninges
l’homme est soumis
au prince du jour et des ténèbres
l’homme est un assassin
l’homme est un spadassin
qui ne dort pas la nuit
et que son âme ennuie
J Cl Pirotte s’est vu décerné de « prix Apollinaire de la Poésie »
—
Marina Tsvetaieva- Non au siècle
Mon siècle.
Je donne ma démission.
Je ne conviens pas et j’en suis fîère !
Même seule parmi tous les vivants,
Je dirai non ! Non au siècle.
Mais je ne suis pas seule, derrière moi
Ils sont des milliers, des myriades
D’âmes, comme moi, solitaires.
Pas de souci pour le poète,
Le siècle
Va-t-en, bruit !
Ouste, va au diable, – tonnerre !
De ce siècle, moi, je n’ai cure, ,
Ni d’un temps qui n’est pas le mien. ^’
Sans souci pour les ancêtres,
Le siècle !
Ouste, allez, descendants – des troupeaux.
Siècle honni, mon malheur, mon poison
Siècle – diable, siècle ennemi, mon enfer.
1934
—
Bricolage matinal – de Bleu pourpre
Bricolage matinal
L’ultime présence de l’instant est à portée de doigts , ainsi, fouiller l’intime et mettre à jour la palette de mon ample grondement.
Ciel de plomb et pourtant…un regard comme déversé vers l’horizon suffit pour avoir les entrailles épousées par une lasure fine de bleu lavé.
Puis,
La lueur qui s’entête à se défouler derrière les lourdeurs du temps …
Alors… permettre au tourbillon de devenir transparence.
Et défiger l’instant
Là
Il y a une fenêtre, tant que j’aurai des yeux derrière les tempes, il y aura une fenêtre et un soleil qui joue à taper à ma fenêtre…je l’ouvre ou l’entrouvre, ça dépend du choix du sable.
Il y a du vent , tant que j’aurai des joues offertes, il y aura du vent…avec à sa bouche des mélodies, des symphonies, des fados , des blues et les chorales du diable … ça dépend si je suis rouge ou si je suis bleue.
Du vent qui viendra me souffler les poumons et m’écarquiller devant des horizons à marée haute…
Puis, sûrement un navire , un trois-mâts aux voilures gigantesques, perçant la brume opalescente des sorties de nuit … je l’ai construit avec un vieux radeau qui traînait là, que j’ai trouvé dans un élevage de coquillages . C’est un bricolage d’entre deux heures, me le pardonnerez-vous ?
Fuir la perfection et s’adosser à l’inattendu…
J’ai la paume ouverte au présent .
Ne rien attendre est ma robe de papier de soie.
Ne rien attendre est le jasmin qui s’enroule à mes chevilles.
Une serrure au creux du ventre, l’image est vraie, et étonnante, une serrure, même deux, voyez-vous, j’ai deux serrures au creux du ventre . Je crois avoir cherché les clés, mais des clés qui n’existent pas ou plus…je crois qu’à force d’avoir essayé des clés non – adaptées, j’ai du forcer mes deux serrures, et les laisser béantes d’inaptitude .
Un flot de sang s’en est échappé à mon insu jusqu’à ce que ça m’allonge de force, là, sur une plage blanche et brûlante.
Je suis debout, avec ma robe de papier de soie et mon jasmin odorant autour des chevilles.
Je suis bien, là…
Parmi les fleurs oranges
Et les dunes de chévrefeuilles.
Je laisse mes serrures se recouvrir , je leur offre un tapis vierge qui deviendra un autre trésor intime.
La paume ouverte au présent et adossée à l’inattendu du parfum des vents autour, tout autour…
Nathalie 18 aout 2011
communiqué grâce à bleu-pourpre et sa « tentative de lumière » ( elle y parvient) , sur son article – je l’en remercie