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Ce qui renaîtra sous mes doigts – ( RC )


RC aquarelle 2022

Tout ce qui n’est pas
ne signifie pas la mort :
ce qui renaîtra sous mes doigts,
je ne le sais pas encore

– ce qu’il adviendra
est encore incolore
et me surprendra

comme une métaphore
de mon ignorance .

– Du devenir
je fêterai la naissance
des choses sans souvenirs -,
où circule de nouveau
le sang figé
à la pointe de mes pinceaux :

un être pas encore né ,
se fiera à ma bonne étoile :
traversera mon inconscient
pour apparaître sur la toile
d’abord vaguement …
… sans que j’y pense
pétri de son mystère,
affirmant sa présence

venu d’une autre sphère.
( Je n’y suis pour rien :
pour ce genre de choses,
je ne suis qu’un témoin
de la métempsychose
) :

– ce qui sommeille encore,
renaît sous mes doigts
il aura ce corps

que je ne pouvais décrire
un instant plus tôt
encore maladroit

– comme ce sourire
qui se dessine et éclot
dans ce visage
de l’inconnu qui vient vers moi
traversant l’image

depuis l’au-delà .


Gabriela Mistral – Intima


Toi, ne me presse pas les mains.
Il viendra le temps immuable
où le reposerai, les doigts entrelacés
pleins d’ombre et de poussière.

Et tu diras alors : Je ne peux
t’aimer car déjà ses doigts
se sont égrenés comme des épis mûrs.

Toi, ne baise pas ma bouche.
Il viendra l’instant plein
de lumière déclinante où je serai sans lèvres
sur un sol moite.

Et tu diras :  » Je l’ai aimée, mais je ne peux
plus l’aimer maintenant qu’elle n’aspire
plus le parfum de genêts de mon baiser ».

et je serai oppressée en t’écoutant,
et tu me parleras aveugle et fou,
sur ma main sera sur ton front
quand mes doigts se briseront,
et mon souffle sur ton visage plein
d’angoisse quand il s’éteindra.


Pierre de Massot – Mirages


Ne quitte pas le bleu de l’aube
Avant que de mouiller tes doigts
Fragiles aux pieds du hasard
Et ta tunique invisible
« Le cœur trop lourd n’a plus ses cygnes
Pour étoiler vos rêves d’anges
Et nous buvons des fleurs si blanches
que la vertu sous neige signe ».

Le vaisseau noie ses ailes calmes
Dans le cristal où tu souris
Car les douleurs prennent de l’ombre
A la douceur des palmes moites.

(Paris-Journal, 1924)


Ce que les oiseaux n’ont pas vu…- ( SD-RC )


Entre tilleul et cerisier,
J’ouvre une parenthèse:
mains, peau, émois, éveil, ….

Quelques éclats de soleil
nous caressent à notre insu.

Ce que les oiseaux ont vu,
je ne le dirai pas…

Dirai-je ce qu’ils n’ont pas vu :
la valse tendre de nos doigts
dans l’ombre du feuillage,
les étoffes froissées,

dansant,
ton corps léger , flottant dans l’air,
sous la lumière complice,
baignant le couvert de petites parcelles d’or
que tu n’as pas saisies.

C’est qu’ils n’ont pas surpris
la douce chanson du désir…

L’été s’est installé
dans un soupir…

SD-RC août 2020


Anna Jouy – Je n’oublie pas


peinture P Soulages ( détail )

Je n’oublie pas. Pourquoi le ferais-je. Le souvenir est le petit oratoire de la mélancolie.
J’entasse le passé, les fanes d’hiers bien secs. Une odeur de soleil en fleur
Et parfois glisse sur l’image du jour, ce voile qui tombe sur les berceaux.
Je n’oublie pas comme on a bâti ma robe de mots, comme il a fallu y faire entrer le corps et l’âme engoncée.
Je n’oublie pas non plus la nudité des mains, le frêle tirage des rêves dans les cartes du futur. Tout ce qu’on a dit que j’allais devenir. Le pire, l’ordinaire et la sorcellerie.
Je suis sortie de vos dires et de vos mutismes, je suis issue de ces chemins ronceux qui jalonnaient vos vies, de vos bras implorant misère, de votre dernière larme.
J’ai traversé chacune de vos paroles, je les ai décousues de ma chair
parfois terribles parfois maudites et celles que vous avez prononcées de lumière comme une lampe torche remise en mes doigts pour poursuivre.
Je n’oublie pas que c’est des autres souffles que j’ai volé et que ce vent toujours fut l’ombre transparente de ma ligne de vie.

du site de Anna Jouy


Les doigts gourds – ( RC ) – le clavier tempéré ( SD )


P Picasso Les menines et la vie No. 29

variation réponse à SD, dont le texte suit

J’ai en mémoire
           le buffet noir
     qu’a peint Picasso,
et qui me rappelle
ce sévère piano droit,
où l’on devait faire les gammes,
faire courir les doigts
sur un clavier
qui restait froid
( et n’avait rien de tempéré ).

Faire que les mains
parcourent les touches d’ivoire,
prenant les blanches pour les noires,
en suivant la Méthode Rose
( on n’espère pas encore devenir virtuose )
on imaginerait qu’elles dansent,
          chacune devant
faire preuve d’indépendance
    dans le mouvement…

Mais je vois bien le tableau :
montée sur le tabouret haut
          ma petite sœur,
tes pieds ne touchant pas terre
sous le regard sévère
de ton professeur :
             encore et toujours
             faire ces gammes,
alors que tu rêvais déjà d’amour :
( tout ce qu’il faut
pour te rendre allergique
à la musique ) :
tu préférais le chant des oiseaux.

RC



Petite fille aux doigts gourds

toi qu’on pressait de faire des gammes

quand tu rêvais déjà d’amour

et qui disais Bonjour Madame

docilement

Toi qui tempérais le clavier

quand te tendait les bras l’infâme

piano droit et l’œil distrait

innocemment

par un oiseau dans l’or du soir

prenais les blanches pour des noires

Susanne Derève


Entre mes doigts, un peu de poussière d’argent – ( RC )


Il y a ce berceau gris
de photographies à moitié développées,
de celles qui emballent
les premiers jours de ma vie :
ce sont dans ces profondeurs du sommeil
où nous nous serions rencontrés,
partageant un rêve inachevé.

Faut-il que j’en sorte,
maintenant un peu plus sombre,
avec le regard qui s’égare ?
Le rêve se serait terminé
sans qu’on s’en aperçoive
et je tiens entre mes doigts
un peu de poussière d’argent.

Le réveil est évanescent :
on me voit adolescent,
accoudé au buffet noir ,
mais la photo ne capte qu’un instant,
pas l’éternité,
et encore moins le futur
où nous pourrions à nouveau, nous rencontrer.


Renée Vivien – Chanson


photo Annick Levesque

Le soir verse les demi-teintes
Et favorise les hymens
Des véroniques, des jacinthes,
Des iris et des cyclamens.

Charmant mes gravités meurtries
De tes baisers légers et froids,
Tu mêles à mes rêveries
L’effleurement blanc de tes doigts.

____________(Études et préludes, 1901)


Ce que n’ont pas vu les oiseaux …SD+RC


Entre tilleul et cerisier,
J’ouvre une parenthèse:
mains, peau, émois, éveil, ….

Quelques éclats de soleil
nous caressent à notre insu.

Ce que les oiseaux ont vu,
je ne le dirai pas…

Dirai-je ce qu’ils n’ont pas vu :
la valse tendre de nos doigts
dans l’ombre du feuillage,
les étoffes froissées,

dansant,
ton corps léger , flottant dans l’air,
sous la lumière complice,
baignant le couvert de petites parcelles d’or
que tu n’as pas saisies.

C’est qu’ils n’ont pas surpris
la douce chanson du désir…

L’été s’est installé
dans un soupir…

SD-RC août 2020


Ciseler l’image du souvenir – (Susanne Derève)


 

imogen Cunningham fleurs

 Imogen Cunningham – Hands and Aloe Plicatilis

 

 

Blanche colombe entre les mains

de l’oiseleur

vent tiède à la cime des trembles

les doigts du matin sur ma peau

 

Soleil      sang noir jeté sur l’eau

 

N’effacera pas le souvenir des doigts

de la nuit

n’effacera rien des souvenirs

ne fera rien

que marteler le bruit du sang à mes tempes

encore et encore

jusqu’à me fondre dans le souvenir

 

Regarde-moi ciseler l’image

de  mon   souvenir

avec le poinçon du graveur

 

– est-ce   pour toi    la même

oiseleur qui soupire –

 

 

 


Les doigts marchent au ralenti sur une plage – ( RC )


Sauf si vous écrivez vraiment très bien. Dans ce cas, montrez-nous.

 

Les doigts marchent au ralenti sur une plage,
elle est déserte, et j’assemble les mots en vrac.
Ici, il n’y a pas de ressac,
mais l’univers encore vierge d’une page.

Mes doigts tiennent fermement un crayon ,
( on voit que blanchissent les phalanges,
quand je pars à la poursuite de l’ange ),
et de l’ astre j’accroche ses rayons .

Comment fixer ce qui est invisible ?
par le moyen d’une voix clandestine,
( le bout du crayon suivant la mine ) ,
cette voix , alors, me devient audible ,

il faut juste qu’elle me traverse,
portée par des ondes, en-dedans :
c’est peut-être juste le vent
ou une soudaine averse :

( je ne saurai la décrire,
ni, ce qui la déclenche ):
les pensées ne sont pas étanches,
quand je me mets à écrire.

 


RC – nov 2016


Mai n’en prendra pas ombrage – ( RC )


photo Emilio Jimenez

 

 

En avril ,
ne te découvre pas d’un fil,
mais en mai offre toi au ciel,
à la caresse du soleil,
dorée comme le pain chaud,
étendue sur ta peau.

Très chère dame,
on voit bien l’ombre de la palme
qui se dessine
sur tes collines,
à la façon d’un coeur
posé tout en douceur

Une feuille dont les doigts
oscillent et s’emploient
à laisser leur trace claire
– un dessin sur la chair
du paysage .
Mai n’en prendra pas ombrage.


RC – mai 2017


Ile Eniger – Des jours et des nuits


 

photo: Sebastiao Salgado  » genesis »

 

J’ai déchiré des pans entiers du ciel trop bleu,   trop confiant, trop indécis.
J’ai gardé quelques livres, un vieux rêve,      deux poignées de sable,
une ou deux pommes vertes,          de l’eau entre les doigts,
de la musique sur un fil d’horizon ou de violon.

On n’entend plus mes pleurs d’animal    ni mes pas qui raclent le sol.
De loin, on me fait quelques signes.

Dessous, la rivière grande, la rivière gronde.
Des veines d’eau gonflées charrient les passés.
Dessus, le plafond trimballe ses nuées bâtardes.
Des jours et des nuits se disputent l’espace.

Il y a sans doute un accord possible.
Autour, des choses à prendre ou à laisser.
Et le souffle porté, supporté, emporté.

Loin de la mesure des hommes.
J’ai vacillé et tenu bon.

Je me suis bricolé des ailes pour faire danser mes espadrilles.
J’ai tenté d’aimer et la lumière qui va avec.


Jacques Ancet – dire la beauté


*

103-IMG_0244.jpg

 

sculpture  H Matisse

 

Mais dire la beauté ,c’est dire un mot
qu’on écoute pour voir ce qui brûle
les yeux ou simplement les caresse
entre la transparence du ciel
et le regard s’étend le mystère
de l’apparence on cherche à franchir
cet infranchissable en remuant
les doigts et les lèvres il en résulte
ni chant ni mot un petit bruit.


Théo Léger – Beauté des temps révolus


Portrait-de la marquise Luisa Casati (1908)

 

Peinture: Giovanni Boldini

Elles traversaient les profondeurs de l’argent des miroirs.
D’une fragrance de chevelure aux parfums érotiques,

d’une jaillissante malice de dentelles couvrant leur chair
où luisaient les globes fragiles soumis aux caresses de l’homme,
de leur murmure d’éventails, de leur secret de bagues
dont les fourmis laborieuses ont mémoire au musée
sous les racines d’un monde vert

qu’est-il resté ? Rien.           Ton seul sourire :
un papillon de cils battant contre une lèvre d’amant
la crispation de doigts malhabiles.

Sur les draps de la nuit était-ce
cris de naissance ou de mort? Cela, les horloges l’ignorent.

Théo Léger      (1960)


Un encrier versé sur le vide – ( RC )


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Il y a un ciel d’orage en été,
Mais toi-seule peut le voir,
et cet encrier versé
sur le vide et la vie
dont tu pétris
la vaste esquisse…

Des nuages aux contours noirs,
Des bêtes étranges, les dents acérées,
Se bousculent et se développent
Dans l’esprit de brume
où tu navigues seule ,
bien au-delà
– on ne peut plus te suivre –

D’ailleurs le dessin au fusain,
retourne à la poussière,
et toi, à ton destin.
Il n’y a sur la page,
que les traces de tes doigts ,
mêlées aux premières gouttes
d’un ciel qui bascule .

RC – avr 2016


Au risque de l’aventure – ( RC )


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                                                     peinture:  G de Chirico:   deux masques  – 1926

 

 

Ici l’errance se paie,
lorsque tu te bandes les yeux.

Il n’y a pas d’obscurité douce…
Tu peux avancer tes doigts,

au coeur des buissons,
de la fourrure.

Gare aux blessures,
…à commencer par le coeur !

Je t’entendrai crier,
lorsque la créature
se détache du fond,

qu’elle signe la fin de la trève,
après la caresse,
et plante ses crocs dans la paume.

Des fouets de fer,
la coupure du verre,
le scalpel habile des mandibules,

ont raison de l’avancée
imprudente d’un bras,
d’une tête.

On ne sort pas entier
de cette jungle.
Elle pénètre dans la chair

avant même qu’on ne l’explore,
On y laisse quelque chose,
définitivement.

Et si ce n’est le sang,
déjà la raison s’égoutte ,

voracement aspirée,
par l’inconnu (e).

C’était le risque encouru
par l’aventure.

Avant d’être savourée,
il a fallu qu’elle goûte d’abord à toi.

RC – mars 2016


Quelques pas vers les dentelles -1 – ( RC )


LA gRANDE mONTAGNE   environs  -    10

photo perso  :  « lieu dit  « la grande Montagne »

J’ai risqué quelques pas
Sur les sentiers pierreux
S’écartant des voies tracées.
La végétation soufflait ,

Se reposait de l’été.
Même les vignes sommeillaient,
Et se paraient
d’ors et de rouges.

Les petites grappes  tardives encore suspendues
attendaient les oiseaux de passage.
On ne pouvait les saisir
sans que les  grains  éclatent dans les doigts.

Il fallait les porter à la bouche
pour se gaver de leur suc épais,
Ne tardant pas , comme à aux  doigts,
A poisser la bouche.

Entre les  rangées,
des herbes  farouches,
Heureuses de la suspension des traitements,
Recommençaient à pointer,

Se bousculant entre les blocs  de pierre,
Eux, portant parfois
la trace  d’anciens  occupants,
Morceaux  de fossiles en empreinte,

Comme pour  dire la présence continue
D’une vie inscrite
en filigrane
dans les siècles.


RC – oct 2015


Giuseppe Penone – Déchiffrant la culture du toucher


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Sur le bout de la langue, sur le bout des doigts, qui, rassemblés sont les pattes de la bête qui m’entraîne dans l’univers de l’alphabet, en déchiffrant la culture du toucher contenue dans la forêt des images, présente dans la réalité des arbres qui jalonnent le temps de l’histoire dans l’espoir de mettre de l’ordre dans la vie des hommes.

 

Giuseppe Penone, est l’artiste italien connu pour  ses installations,  souvent  prenant l’arbre  comme « motif »  réel, dans lequel il sculpte et révèle  le départ des branches  anciennes…


Marina Tsvetaieva – mon autographe dans la figure


texte extrait   des  « écrits de Vanves »

 

photographe non identifié

                           photographe non identifié

Partis nulle part, ni toi ni moi

Perdues pour nous toutes les plages.

Propriétaires d’un sou, été brûlant,

Pas dans nos prix les océans,

De la misère – goût toujours sec,            

Tourne la croûte sèche dans la bouche,            

Plat – bord de l’eau, mangé l’été !            

Espace de pauvres, poches retournées.

Anthropophages de Paris

Replets, joufflus, panse luisante

Vous tous, mangeurs de poésie,

Ripailles de graisse, un franc l’entrée

Et pour la bouche, lotions-poèmes,            

Refrains, sonates et versets,            

Voûtes célestes, fronts étoiles.            

Eau de toilette – le chant aux lèvres.  

Mangé l’été, Paris !          Plages sèches !

Pour vous – soyez maudits

Pour vous la honte ! Recevez

Mon autographe dans la figure :

De mes cinq sens – cinq doigts signant,

Meilleurs souvenirs, bons sentiments.

 

 

(Paris- La Favière 1932-1935.)


Magali Bougriot – Nostalgie d’un baiser


dessin perso  créé sur ordinateur  - 2014

dessin perso —          cymbales,symphoniecréé sur ordinateur – 2014

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

il est des choses qui ne s’effacent pas…

Elle.

Tout en elle me faisait vibrer. Mais comme dans chaque symphonie, chaque partie a sa place, son temps sa mesure, son intensité. Un subtil mélange de sons dans un alliage percutant, profond et puissant.

Elle.

Tout commençait par la trame de fond, la cadence, son regard. Dans ses yeux gris, vert, bleu, je ne saurais jamais vraiment les définir tant leur couleur était variable, j’y plongeais les miens, dans une immensité sans fond, un voyage dans l’hyperespace, une sorte de doux flottement jusqu’à trouver la connexion, l’accroche, ce moment où la grosse caisse lourde et lancinante entre en raisonnance. Le rythme singulier d’un battement de coeur, boom….boboom….boom…boboom…Régulier, constant, rassurant, nous sommes ici, nous sommes 2 et nous vibrons sur la même longueur d’onde. L’alchimie peut opérer. Aucun contact nécessaire, juste ses yeux, les miens, et la myriade de messages synaptiques qui parcourent nos corps au rythme cadencé du sang qui afflux dans nos artères. Boom… Boboom….boom…boboom… Puis s’insinue le doux son d’un violoncelle, le glissement d’une main le long d’un bras, annonce d’une mélodie, les cordes frottées délicatement, le son pur, chaud, une promesse chuchotée…  » Je ne veux que toi…. »

Ma peau frissonne sous la pulpe de ses doigts et déjà je sais que la musique s’empare de moi, la transe s’installe, toujours plus profondément, fixant chaque instant sur les partitions de ma mémoire. Ses mains. Ses doigts. Divins, indéfinissables de perfection. Des mains pareilles sont faites pour caresser, pour étreindre, et à ce moment c’est moi qui me glissais entre elles, consciente de ce privilège. Mais comment ne pas toucher sa peau? Ce voile rosé et parfumé dont je percevais déjà les effluves si loin que je pouvais être d’elle. Un appel à la rencontre, le sucré, vanillé, une confiserie à portée de mains, de nez… Les sens en éveil pour mieux m’en délecter… Se retenir…. Et faire durer…. Se retenir… Je parcourais alors les contours de son visage du bout de mes doigts hésitants, comme on toucherait une oeuvre d’art, dans un respect protecteur, sous ses doigts l’exception, en être consciente et ne pas vouloir briser le rêve par des gestes trop brusques, sous peine de se réveiller et de tout perdre… Encore un peu… Encore un peu…. Je revois ses traits tendus, si particuliers, qui rappelaient les gravures grecques aux lignes saillantes et anguleuses, à chaque centimètre un son, nous composions le début d’un requiem. Quand nos corps vinrent à se rapprocher par l’attraction incontrôlée, quand de mes bras je vins la serrer contre moi,quand sur mon ventre, ma poitrine je senti la pression de son propre ventre, de sa propre poitrine, écrasant le peu de self contrôle qui nous restait, c’est tout le rang des cordes qui se mit en scène, dans une envolée légère.

La montée crescendo de la cadence, les doubles croches décrochant nos limites, toujours rythmées par les contre basses s’alliant à la grosse caisse dans nos yeux qui ne risquaient pas de perdre pieds. À quelques centimètres seulement, des secondes qui s’étirent, un temps qui se détend, tout semble figé et si mouvant pourtant. Je peux sentir la chaleur de son souffle contre mes lèvres, un dernier questionnement dans nos regards, vraiment? Maintenant? Tu es sûre? Un silence sur la partition, ce petit carré noir maitre de tout, et tout se suspend, l’éternité. Bien sur que je suis sûre! Bien sûr qu’on l’est! Et dans l’apothéose générale, les cuivres et flûtes entrent en jeu, jouant leur plus belle prestation, alors que les cymbales s’emballent, dans un fracas salvateur.

Nos lèvres se retrouvent en ce premier baiser comme après des millénaires d’absence. Celles qui ne s’étaient pourtant jamais rencontrées se connaissent comme si rien ne les avaient un jour désunies, et rien ne pourra les désunir à présent…


L’alphabet des métaphores – ( RC )


photo: D Erard

photo: D Erard

 
Ecoute le tressage des abeilles
Le bourdonnement  de la ruche,
L’alphabet des métaphores…
Je dois contempler la lumière ,
M’agenouiller  pour regarder
Les gouttes  d’étoiles prisonnières d’une toile d’araignée,

Après  avoir suivi des cours d’eau
Leur course étalée comme les doigts
Ou les nervures d’une feuille sur le sol,
La palette du ciel abrite toutes les nuances du vent

C’est un haut clocher,
On ne peut pas l’atteindre  sans  s’arracher au sol
Et les strates empilées des terres  et rochers

Une colline est une voix à l’intérieur ,
Les arbres essaient  d’en saisir les mystères,
En creusant plus profond encore,
Et dialoguent  avec l’appel des saisons.
Peut-être  y a-t-il beaucoup à lire,
Sous l’écorce de la matière,
Les nuances de l’écriture qui y est cachée,
Passent  de l’anthracite à l’ivoire,
En ne négligeant aucune  couleur de l’arc-en-ciel.

RC- mars 2015


Tu laisses courir l’eau vive – ( RC )


P0302807

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tu laisses courir l’eau vive

Et ne peux la retenir d’entre tes bras.

Il y a, au milieu, une barque qui n’attend pas.

Elle s’éloigne lentement des rives ,

 

Sans laisser rien à la surface.

Même le défilé des palais de la mémoire…

S’en rappelle comme les échos du soir –

Et sous les ponts, l’eau passe  ,

 

que l’embarcation, à peine,  ride  ;

Légère,  où la porte le courant…

Juste ce qu’il faut de la course du temps ;

….Et personne ne la guide .

 

Ainsi, de l’eau, les émois…

La rivière se nourrit de pluie .

Il a tant plu,  toi,  que l’oubli

Fait comme l’eau entre tes doigts .

 

Ils ont beau être agiles ;

Les rêves perdent leur consistance.

Il est une barque en partance;

Elle dérive au milieu de tes  îles…

 

RC  – oct 2014


C’était une mazurka – ( RC )


photo NF

Je me souviens de la musique
Et ta tête penchée sur le clavier.

Les mains ont déserté les touches d’ivoire,
Elles se sont ternies au voyage des ans.

Les cordes fatiguées, sont une harpe
Assourdie de toiles d’araignées.

Les mélodies que tu jouais,
Ne renvoient plus de reflet

Elles sont été mangées,
Par l’ombre du piano noir.

Juste, le concert des étoiles,
Me chante encore tout bas,

Leurs volutes et les arabesques,
Naissant sous tes doigts.

Je me souviens de la musique
Et ta tête, penchée , au-dessus de moi …

RC – sept 2014


Là , où s’accrochent les lointains sur la toile … ( RC )


1717   Watteau  Le Pelerinage a l'ile de Cythere, Detail Cherubiins

 

Il est une joaillerie fragile,
Suspendue aux fils,
Toujours bien peignés,
De la toile d’araignée

Ce sont des gouttes pour décor,
Des perles de colliers lisses,
Qui, lentement s’épavorent,
Quand la journée glisse,

En arabesques changeantes,
Les insectes au vol léger,
Viennent alors s’y piéger,
Car la toile est transparente…

 

Et si c’est une autre toile,
Qui piège le paysage,
Ses étés et ciels d’orage,
Et des myriades d’étoiles.

Par petites nuances
Le tourbillon des doigts lestes
Où de grands gestes,
Soudainement           dansent,

Quelques pas de lumière,
Accrochés sur les pourpoints,
Et habits de satin,
L’embarquement pour Cythère…

Nous entrons dans un monde imaginaire,
Emportés dans une aventure,
Où s’affrontent     les couches de peinture,
Le cheminement du regard       s’y perd,

Jusque dans les aires         lointaines
Les miroirs des eaux       croisent les jours.
Où , portés, par des ailettes, de  jeunes  amours
Traversent une perspective     incertaine….

Tous ces personnages, ensemble
Se promènent comme dans un parc,
Tandis que l’on embarque   .
Et l’eau se ride,          et tremble…

>         Laissons partir ce vaisseau,
Jusqu’au bout du monde,
Où les couleurs se fondent,
Et aussi ….          les coups de pinceau .

Chaque regard est neuf ;        aucun n’est usé,
La peinture, a traversé le temps,
Même à travers quelques instants,
Accrochés au musée.

 

 


RC – juillet 2014

J A Watteau   l'embarquement pour  Cythère

J A Watteau l’embarquement pour Cythère


Paul Celan – Enclos du temps


photographe  non identifié

photographe non identifié

 

Mon

âme inclinée vers toi

t’entend

orager,

 

dans le creux de ton cou mon étoile

apprend comme on sombre

et devient vraie,

 

des doigts, je la tire au dehors —

viens, entends-toi avec elle,

encore aujourd’hui.

 

 

Meine

dir zugewinkelte Seele

hört dich

gewittern,

 

in deiner Halsgrube lernt

mein Stern, wie man wegsackt

und wahr wird,

 

ich fingre ihn wieder heraus —

komm, besprich dich mit ihm,

noch heute.

 

Paul Celan –      Enclos du temps, traduit par Martine Broda, Clivages, 1985


La cathédrale – ( RC )


La Cathédrale: Rodin, Musée Rodin

La Cathédrale:              Rodin,        Musée Rodin  Paris

 

Croise les mains au-dessus  du cœur,
Il faut protéger le feu,
Et des orages  et des brisures,
Une cathédrale de chair, où même
Les mots  n’ont plus de prise,
Assoupis à la naissance des eaux .
Seule  s’élève la musique,
Entre les doigts des voûtes,
Avant  qu’elle ne retombe,
Et tienne à distance,
Toute la cacophonie du monde,
Où les bruits se heurtent.

Il y a si peu de temps à vivre.

RC- juillet  2014