Un enfant m’a dit : « La pierre est une grenouille endormie. » Un autre enfant m’a dit : « Le ciel, c’est de la soie très fragile. » Un troisième enfant m’a dit : « L’océan, quand on lui fait peur, il crie. » Je ne dis rien, je souris. Le rêve de l’enfant, c’est une loi. Et puis, je sais que la pierre, vraiment, est une grenouille, mais au lieu de dormir elle me regarde.
I have painted the female hills stretched and piled against the sky. They are sleeping. I have given them golden haloes. They are saints. They are sleeping. I have painted the gold in clouds and crevices as well, meaning to say how they too are saints, how the world sleeps, how womanly is the landscape, how a whiskered angel also sleeps, as a field of grain.
ILS DORMENT
J’ai peint les monts aux formes féminines étirés et empilés contre le ciel. Ils dorment. Je leur ai donné des auréoles dorées. Ce sont des saints. Ils dorment. J’ai aussi peint l’or dans les nuages et les crevasses, c’est dire comment eux aussi sont saints, comment le monde dort, combien le paysage a l’aspect féminin, comment un ange à moustaches dort aussi, comme un champ de céréales.
Je vis au Vingtième Siècle et tu es allongée ici à côté de moi. Tu étais malheureuse quand tu t’es endormie. Je ne pouvais rien y faire. J’étais désespéré. Ton visage est si beau que je ne peux pas m’arrêter pour le décrire, et il n’est rien que je puisse faire pour te rendre heureuse pendant que tu dors.
Nous sommes en aoûtet je n’ aipas Lu un livreen six mois sauf celui quis’ appelle: la retraite de Moscou parCaulaincourt Néanmoins, jesuisheureux de monter avec mon frère en voiture et de boire unepinte deOld Crow.
Nousn’avons plus de place pour l’esprit , nous sommes en trainde conduire .
Sije fermais les yeuxpendant une minute Jeserais perdu,encore Jepourraisvolontiers me coucheretdormir pour toujours à côté decette route Mon frèremepousse du coude.
D’une minute à l’autre, quelque chose va arriver.
—
tentative de traduction ( RC ) de l’original, ci-dessous
It's August and I have not
Read a book in six months
except something called The Retreat from Moscow
by Caulaincourt
Nevertheless, I am happy
Riding in a car with my brother
and drinking from a pint of Old Crow.
We do not have any place in mind to go,
we are just driving.
If I closed my eyes for a minute
I would be lost, yet
I could gladly lie down and sleep forever
beside this road
My brother nudges me.
Any minute now, something will happen.
Il est l’heure maintenant de dormir
ne disparais pas trop vite où je ne peux plus marcher
ne vas pas trop vite où mes pas ne vont plus
ma vie elle n’est rien qu’un peu de ces chansons infirmes
de la cendre soulevée sur nos chemins intérieurs
j’ai dressé mon amour dans cette déchirure
j’ai exhumé le diamant de ces rêves offensés
je suis comme les autres hommes les autres éphémères
qui vont partout se cogner chercher de la lumière
j’habite la nuit je n’ai que la nuit
pour me raconter ce que c’est que de rester en vie
aveugle incertain ignorant
je ne fais qu’errer de lueur en lueur
et lorsque je l’atteins je brûle comme chacun
Nous entamons chaque journée en nous séparant
elle, je ne sais vers où
et moi pour préparer la séparation du jour suivant.
Comme si sa bouche était lointaine
et son corps, plus que je n’en supporte
plus que je ne peux.
Elle dort
pour que je voie
pour que je ferme la porte derrière moi.
A Hassan Daoud.
————-
UN AUTRE HOMME
Est-ce que tout est en train de finir ?
Ils laissent les verres et les sièges
et je reste ici tout seul
pour éteindre la lumière et dormir.
Ne se pourrait-il pas qu’ils soient derrière les portes
ou les rideaux
à attendre ?
Et que, après que j’aurai fermé les yeux,
la nuit commence en mon absence ?
Il est l’heure maintenant de dormir
ne disparais pas trop vite où je ne peux plus marcher
ne vas pas trop vite où mes pas ne vont plus
ma vie elle n’est rien qu’un peu de ces chansons infirmes
de la cendre soulevée sur nos chemins intérieurs
j’ai dressé mon amour dans cette déchirure
j’ai exhumé le diamant de ces rêves offensés
je suis comme les autres hommes les autres éphémères
qui vont partout se cogner chercher de la lumière
j’habite la nuit je n’ai que la nuit
pour me raconter ce que c’est que de rester en vie
aveugle incertain ignorant
je ne fais qu’errer de lueur en lueur
et lorsque je l’atteins je brûle comme chacun
La terre et à elle accordée la mer
et partout au-dessus, une mer plus joyeuse
à cause de la rapide flamme des moineaux
et du trajet
de la lune reposante, et du sommeil
des doux corps entrouverts à la vie
et à la mort dans un champ ;
à cause aussi de ces voix qui descendent
s’échappant de mystérieuses portes, et bondissent
au-dessus de nous comme des oiseaux fous de revenir
en chantant au-dessus des îles originelles :
ici, se préparent
un grabat de pourpre et un chant qui berce
pour celui qui n’a pu dormir,
si dure était la pierre,
et si tranchant l’amour.
Mario Luzi, La Barque in Prémices du désert, Gallimard, Collection Poésie
Le sommeil a ses reflets,
Le miroir en effet,
De l’armoire à glace,
Située en face
Me regarde dormir,
Et si je ne peux décrire,
La traversée des secrets,
Et les rêves de craie,
Se dessinent à grands traits,
Racines -pièges, sorties des forêts
Et l’invasion des limaces,
Ne tenant plus en place.
C’est à mon réveil,
Seulement, que le soleil,
Repousse les ombres,
– Que la nuit encombre…
… Quand elle revient , elle se penche,
Et au-dessus de moi, de ses formes blanches,
Sitôt la lumière éteinte,
Je retrouve l’étreinte
Des femmes sorties des nénufars,
Aux longs membres blafards…
Les pensées tanguent, parallèles,
Eléphants aux pattes grêles,
Aux parcours du dormeur,
Sous les draps, sa tiédeur…
Ou, au contraire, prisonniers de la glace
Les yeux ternis des rapaces
Le balancier régulateur,
Défiant la pesée des heures,
Où se joue le complot,
Extrait du tableau.
> Il n’y a plus de trêve,
Si l’absence s’empare du rêve.
Je suis tombé
dans mes pas
jusqu’à les suivre.
Jusqu’à ne plus dormir.
Les mères étaient trop loin
et je n’avais qu’une torche
à peine pour me conduire
assez pour passer sous chaque mot.
Et seul, me consumer.
Puis j’ai fait un signe
d’au-revoir.
Il n’y en a eu qu’un pour me dire : Oui,
tu peux sortir de la maison
nous n’avons plus de visage.
Mais moi je suis sorti avec mon visage. Je continue mon métier dans les feuilles. Sur les talus. Dans les fossés. Près des eaux. Je nettoie les bords.
Je ne fais pas une enquête. J’essaye seulement de retrouver l’assiette et le verre, le soir, sur la table.
Je n’ai rien à signaler que ce que je fais, parmi l’herbe et la ronce.
Quant à mon écriture : c’est une roue qui passe, une brouette de terre. Le reste est dans ma main. Avec la sueur.
Ici il y a plus de 36 chemins. Qui vont nulle part.
Et j’y vais à coup de faux et de trinque.
Le livre est livré au jour, à lui-même. Moi, dehors : j’éclaircis, je cingle l’ortie comme on frappe sur les eaux ; quelque chose alors est rendu au possible, au probable : une aile, une branche, un sourire. Mais comment ne pas faillir hors de ces rares instants, si simples et pourtant toujours remués ? Que vient faire ce que je suis là-dedans ?
Je ne sais pas mais je m’accorde un répit. En attendant la mêlée. Sur une souche. J’ai rassemblé mes gestes comme si c’étaient des chiens, des bâtards. Mais je suis prudent avec eux car c’est partout la faim.
Puis vient le soir, la petite heure. Le carnet est vite dépecé. Le verre de vin est bon. Le feu. Les mille et un petits gestes qui font qu’on ne fait rien.
Qu’on ne fait rien. Que le souffle ou la main n’est admis.
Enfin c’est le sommeil, le drap déplié, le château.
Tout sert d’appui autour de ce qui est à rêver, dans l’oubli. Tout sert dans ce convoi, tiré par des oiseaux. C’est le jour, c’est le ciel, c’est le bonjour d’un passant qui a servi d’appât.
La terre et à elle accordée la mer
et partout au-dessus, une mer plus joyeuse
à cause de la rapide flamme des moineaux
et du trajet
de la lune reposante, et du sommeil
des doux corps entrouverts à la vie
et à la mort dans un champ ;
à cause aussi de ces voix qui descendent
s’échappant de mystérieuses portes, et bondissent
au-dessus de nous comme des oiseaux fous de revenir
en chantant au-dessus des îles originelles :
ici, se préparent
un grabat de pourpre et un chant qui berce
pour celui qui n’a pu dormir,
si dure était la pierre,
et si tranchant l’amour.
Mario Luzi, La Barque in Prémices du désert, Gallimard
—
À pas d‘oiseaux sur la neige
je m’éloigne de mes visages disparus
quelques graines de paroles
posées à même le ciel
elles pousseront un jour grâce au vent
comme parfois mes mains sur ton corps
perce-neige de la lumière
Ne pas se retourner
même si on entend le papier froissé des rêves
ne pas surprendre les adieux
Un souffle d’aile et la terre se parfume
et puis se jeter en boule au pied de la solitude
et en dépit de tout laisser dormir
les chevaux dans mon ombre
Le silence avance doucement contre ta hanche
une marque douce sur la pirogue de la nuit
pas d‘oiseaux sur la neige
la vie s’évapore dans ta lumière
je l’ai appris trop tard
marée montante de l’ignorance
je n’ai su trouver
la tâche de naissance sur mon front
c’était peut-être la neige
08.02.13