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Un Janus en état de marche – ( RC )


Janus                              ( sculpture  de Max Ernst )     

Janus est là, qui nous regarde
de ses yeux ronds.
On ne saura jamais
si le double de son visage
apparaît derrière son dos.
Son corps de rectangle
a plutôt l’aspect
d’une planche à découper.
Incrustées à la verticale
deux coquilles Saint-Jacques
pour le voyage initiatique
qui l’emmènera
plus loin qu’on ne le pense,
( amulettes précieuses
nous rappelant que la mer
n’est jamais loin ).

Une petite tortue,
qui lui sert de bourse,
est aussi du voyage.
Elle évolue au rythme
éternellement lent
du marcheur .


En effet Janus
semble être immobilisé,
les deux pieds soudés
sur une plaque de bronze.
Mais comme la tortue,
l’espérance est le guide
le rapprochant du terme
de son pèlerinage.
L’important n’est pas d’arriver,
mais de partir à point….


Jacques Tournier – un son pur, sans attache


Comment pouvez-vous croire qu’une mort se raconte ?

Elle se vit, jour par jour, pendant des semaines, […]

C’est votre douleur qui vous trompe.

J’emploie les mots comme ils me viennent. Derrière ce que vous m’écrivez, derrière votre ironie, votre mépris, votre insolence, je sais qu’il y a la douleur.

Vous parlez de votre maison comme d’une maison double. J’y vois plutôt un labyrinthe où vous tournez en rond à la recherche d’une issue que votre douleur, – j’y reviens – vous empêche d’apercevoir.

Contrairement à ce qu’il redoutait, cette musique ne réveille rien du passé.

C’est un son pur , sans attache, qui déroule son propre chant hors du temps et de la mémoire, et l’émotion qu’il fait naître ressemble si fort au plaisir que Jean s’effraie de l’avouer.

Il augmente le son. La chambre devient lumineuse.

Il s’oblige à fermer les yeux pour que cette lumière ne soit qu’intérieure, liée à sa seule écoute, la première frontière entrouverte. Les trois mouvements de la sonate dissipent les dernières ténèbres et s’achèvent sur trois accords. Il les laisse sonner longtemps avant d’éteindre l’appareil. […] Sur la dernière note, il sait qu’il y a quelqu’un dans la chambre. Il écarte les mains vers ce qui pourrait être une présence. Il s’entend dire : « – Toi ? »

Il parle à Julia. Il essaie, du moins. Il apprend. – Parler seul, c’est facile.

Quand tu ne vois personne et que l’envie te prend, autant te parler à toi-même, d’un fou à un autre, et alors ? Ricane qui voudra.

Mais te parler à toi, après un tel silence… Il hésite. – Nous avons parlé du silence à New-York, après l’enterrement de Serge. Tu t’en souviens ? Tu m’as dit que c’était simple de se taire lorsqu’on était deux. Un voyage qu’on faisait ensemble, à partir d’un bruit, d’une odeur, en se regardant simplement pour être sûrs de faire le même.

( extrait de Jacques Tournier : A l’intérieur du chien ( Ed. Grasset – 2002 )


Ni son double, ni le tien – ( RC )


 

peinture: S Dali:  les  métamorphoses  de Narcisse    1937

peinture: S Dali: les métamorphoses de Narcisse 1937

 

Ce que le visage doit au reflet,

Le champ ouvert de la lumière,

Répercuté    sur l’étrangeté du monde,

Le ciel découpé en lamelles,

Comme s’il se gonflait de l’ absence ;

                Un écartèlement .

 

Je le percevrai peut-être,

Au sein de la caresse de l’eau :

>            Narcisse se penchant,

Devine son image,

Aperçue,             ondulée au fil du courant ,

Mais qui délaisse brindilles ,  et feuilles.

 

Ce n’est ni son double,

Ni le tien.

D’ailleurs                         quand il se retourne,

La vision ne s’accompagne    d’aucune présence.

( Ou bien juste la solitude ) .

Mais celle-ci  est transparente.

 

RC – mai  2015


Adbdellatif Laâbi – Mon cher double


peinture:   Zoran Mušič– Double portrait : Ida Barbarigo et Zoran Mušič  1981

Mon double
une vieille connaissance
que je fréquente avec modération
C’est un sans-gêne
qui joue de ma timidité
et sait mettre à profit
mes distractions
Il est l’ombre
qui me suit ou me précède
en singeant ma démarche
Il s’immisce jusque dans mes rêves
et parle couramment
la langue de mes démons
Malgré notre grande intimité
il me reste étranger
Je ne le hais ni ne l’aime
car après tout
il est mon double
la preuve par défaut
de mon existence

Avec lui
je perds mon humour
qui paraît-il
réjouit mes amis
Fustiger la bêtise
la sienne y comprise
et tous les jours que diable fait
n’est donné
qu’à une poignée d’élus
Pourtant
et c’est là que réside mon orgueil
je pense que ma candidature
n’est pas usurpée
J’ai découvert cette propension
sur le tard
et suis navré de la voir réduite
à la portion congrue
à cause d’une ombre
fantasmée si ça se trouve
Alors que faire ?
comme disait le camarade Lénine

Cultiver mon unicité ?
Cela ne me ressemble pas
Consulter ?
Rien à faire
Me mettre en chasse de mes sosies
les attraper au filet tel un négrier
et les enfermer dans une cale ?
Non
je n’ai pas cette agressivité
Écrire des petits poèmes
sur les fleurs et les papillons
ou d’autres bien blancs et potelés
pour célébrer le nombril de la langue ?
Très peu pour moi
quand les cornes du taureau
m’écorchent les mains
et que le souffle de la bête
me brûle le visage
Autant crier à mon double
en agitant devant lui la muleta :
Toro
viens chercher !


la verte menace du supérieur aux oiseaux (RC )


Adolf Wolfi artist de l'art Brut, Suisse.:

 

art  A  Wölfli

 

–  

                   Notes assemblées, collées,

passages soulignés, paragraphes décalés,

—-    Secrets d’alcôve de palais vénitiens

Ce calme précaire suspendu dans les airs,

  • intérieur à la flamande,

La toilette de la mariée se détourne ,en carrelage froid.

Le somptueux ,                   voisine l’éventail rosi

                                    – chevelure fantasque,

Comme le plumage onctueux d’orange, se profile

L’œil fixe, me cloue,   – rapace –        de face.

Peu à peu le récit se cristallise de métaphores lisses,

Décrites d’ombres nettes,   vers le double encadré.

Epinglé,                              et qui n’est pas miroir.

 

Lance brisée, sous la verte menace du supérieur aux oiseaux,

Et l’arlequin déguisé,         rentré là,     comme par effraction.

Rien n’est dit ,           du robinet qui goutte,

( On l’entend plus         qu’on ne le montre, )

Contre le temps qui s’écoule,        cascade

La coiffure ,      d’un gnome aux quatre seins,

Avorton oublié là,     sans qu’on paraisse y prêter attention,

Au seuil de l’inquiétude.

RC  –  28 avril 2013


Franck Venaille – Quelqu’un habite en nous


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quelqu’un se tient de nuit
lourdement obscur
debout
contre un portail
en fait on ne distingue que ses chaussures noires, leurs lacets élégants
quelqu’un
ça ! il ne laisse rien voir de lui, il
observe les passants, les habitués de la brasserie, il
se tient comme un cavalier de l’Apocalypse dont le cheval se serait noyé Il et Il
ô monde malade, mon devoir est de rendre compte de l’état de tes nerfs
de ta pensée et de certains de tes actes
cet autre moi-même, debout, adossé à la porte, s’y emploie
mais qui est-il vraiment ? double – jumeau ? faussaire en identité scabreuse ?
on ne voit que ses chaussures, leurs larges lacets élégants, cela suffit
cela suffit pour l’instant
quelqu’un habite en nous : amoureux de la vie, stratège de la mort
qui chaque nuit
dirige la Baraque des rêves ouverte toute l’année
ô monde si peu scrupuleux, si versatile, si mal ouvert aux autres
accepte aussi mon étrange présence
pour en finir jamais

Franck Venaille, Ça, Mercure de France, 2009

 

-grimalkin-
Admin famille
France

Date du message : octobre 23, 2011  02:35

Éffacer ce message

je transfere ce post de « poésie d’aujourd’hui » qui fermera u n jour, pour qu’il soit conservé
et lu ! c’est un grand poète.
**************************

Je suis un homme floué.
La mort, la maladie, ont sonné à ma porte.
Je sens leur impatience et, très souvent, je la comprends.
Je leur demande encore un petit, un peu, un petit peu de temps si précieux. Non pas pour
faire
l’âne devant les doctes assemblées.
Mais afin de mieux comprendre ce qui m’échappe encore:
Le sens de la vie, la place exacte que prend le sexe dans cette aventure minimaliste.
Je ne suis pas membre d’une confrérie d’orgueilleux.
Mais je sais ce que sont exactement les livres que j’écris.
Malgré tout, je suis cet homme que la vie a floué.

Paris, mon beau Paris, il faudra bien qu’un jour l’homme en noir descende en gare du
Nord,
s’arrête Au rendez-vous des Belges, mette une croix face à mon nom sur son carnet
douteux.

Paris, mon beau Paris, vous serez mon témoin.
Je vous ai aimé et si j’ai passé tant de nuits dans tant de capitales, c’était !
Les mots se doivent d’être justes.
C’était !
Pour le goût des rencontres peut-être.
Un détaIl baroque sur la Place d’Armes.
La découverte d’un pont suspendu.

Paris, mon beau Paris, je m’adresse à vous dans l’urgence.
Voyez, je suis fatigué.
A la violence de la maladie s’ajoute désormais celle de la médecine.
Faites, s’il vous plaît, en une nuit, exploser tous les Services de Neurologie de vos
hôpitaux.
J’y gagnerai du répit, faites-le, c’est en votre pouvoir!

Je suis cet homme qui se sent floué et tape du poing sur les portes à s’en briser les
phalanges.

Franck Venaille

***
Douleur que j’ai aimée, dis-je…

Douleur que j’ai aimée, dis-je, « aimée » est-ce le mot
Qu’alors j’employai devant tous ces visages de mauvais
Lieux ? Douleur ! Cette manière de nous mouvoir au
Milieu de la foule dolorante. Lui ! Que fait-il, voûté ? Il
Essaie, oui peut-être essaie-t-il de faire entrer toute cette
Souffrance dans ces sacs de deuil noir, des mouvements
Du glas, de larmes. Reviennent à lui ces mots : « douleur
Aimée » & se souvient de chacun des termes de cette
Lettre qu’au grand jamais il n’écrira : « D’amour ah ! je
Me suis pour vous, blessé ». Pourquoi & quand ? Désormais
Quelle armée lui tient compagnie ? Quel officier la veille ?
Douleur aimée, pourquoi geindre ? Vous vous éveillez
Près d’eux, ces hommes sortant du bal, dites ! en sang.

Franck Venaille

***
Epsilon
Date du message : mars 18, 2009 09:11

Je décidai de devenir cheval flamand, de hennir, de penser et d’écrire dans cette langue ».
Franck Venaille (né à Paris en 1936) est un poète et écrivain français. Sa poésie se
caractérise
par sa puissance expressive, cherchant à faire ressortir la part animale de l’homme, ses
pulsions
et ses angoisses.

Né dans une famille catholique, dans le XIème arrondissement de Paris, Franck Venaille
sera
durablement marqué par son service militaire durant lequel il participe à la guerre
d’Algérie.
Cette épreuve ressurgit de loin en loin dans sa poésie, jusque dans ses recueils les
plus
tardifs. Elle forme la matière explicite de La Guerre d’Algérie (1978) et d’Algeria (2004).

Dans son enfance, il effectue un séjour de trois mois en Belgique, à l’origine d’une
attirance
profonde pour le pays flamand. Ce dernier constitue l’arrière–fond récurrent de sa poésie,
en
particulier de son œuvre majeure, La Descente de l’Escaut (1995).

Franck Venaille est proche des peintres Peter Klasen et Jacques Monory, qui ont exercé
une
influence notable sur son œuvre. Il collabore à la revue Action poétique (années 1960) et
à
Orange Export Ltd (années 1980). Il a également créé les revues Chorus (1968) et
Monsieur Bloom
(1978). (Wikipedia)
***

Epsilon
Date du message : mars 18, 2009 09:47

J’ai souffrance beaucoup,de cœur surtout

J’ai, très fort en moi, angoisse d’être vivant : j’ai !
Chaque naissance m’est blessure et la mienne gît
Quelque part dans une ville qui m’apparaît plus morte
Encore que ce rat dans l’égout – lui, au moins, n’atten-
Dant rien, n’espérant rien – (mais en est-on sûr ?) de
La vie. J’en ai grand angoisse ! J’ai angoisse de cela.
Il reste l’écriture, avec ses soldats, ses hommes par Mil-
Liers : nos libérateurs. Ressentent-ils eux-mêmes cet-
Te sensation ? Être des mots, blessés, qu’angoisse ronge !

***

Quelqu’un habite en nous

quelqu’un se tient de nuit
lourdement obscur
debout
contre un portail
en fait on ne distingue que ses chaussures noires, leurs lacets élégants
quelqu’un
ça ! il ne laisse rien voir de lui, il
observe les passants, les habitués de la brasserie, il
se tient comme un cavalier de l’Apocalypse dont le cheval se serait noyé Il et Il
ô monde malade, mon devoir est de rendre compte de l’état de tes nerfs
de ta pensée et de certains de tes actes
cet autre moi-même, debout, adossé à la porte, s’y emploie
mais qui est-il vraiment ? double – jumeau ? faussaire en identité scabreuse ?
on ne voit que ses chaussures, leurs larges lacets élégants, cela suffit
cela suffit pour l’instant
quelqu’un habite en nous : amoureux de la vie, stratège de la mort
qui chaque nuit
dirige la Baraque des rêves ouverte toute l’année
ô monde si peu scrupuleux, si versatile, si mal ouvert aux autres
accepte aussi mon étrange présence
pour en finir jamais

Franck Venaille, Ça, Mercure de France, 2009


Michel Hubert – hypothèse de craie – captif d’un homme 13


photo  Christine Lebrasseur

photo Christine Lebrasseur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

-13-

pure et simple

ce qui n’était qu’intuition

de ce feu

ô phalène crépusculaire

eut suffi à maintenir

ta pâle fascination de l’hiver

plus longuement distincte

de celle autrement transparente

de la mort

on ne recommence pas deux fois

à la face l’innocence

même si j’accepte ta douleur

-illégitime ta douleur-

comme le plus fidèle double de tes yeux

certes ton double même vieilli

d’aussi longues années

se souviendra

que dans cette réalité fragmentaire

il est un ailleurs encore

-par delà les terres basses de l’enfance auquel tu appartiens