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Jean-Claude Goiri – Complètement sorti de chez moi


Un jour, je suis complètement sorti de chez moi. Je n’ai rien laissé
derrière. Tout habillé d’outils et d’avenirs, je marchais sans compter
mes pas, le corps à découvert, à portée de tout regard. Je traversais la
route sans arrêt, d’un trottoir à l’autre, bien décidé à me rendre
partout. Et, malgré la grande absence de soleil, je remarquais que je
traînais devant moi mon ombre. Aussi concrète que mon corps, elle
me précédait sans concession, aussi large que j’étais chargé.
Quand une femme s’arrêta sur cette ombre. Je stoppai aussi, je lui fis
face, abasourdi. Elle me proposa de découdre mon ombre en attendant
le soleil, ce qu’elle fit, là, sans tarder, sur le trottoir. J’en profitais pour
lui découdre les lèvres. Elle en profita pour me dire que ce n’était pas
la peine de tout se trimballer quand on sort de chez soi. Mon ombre
sur les bras, elle m’accompagna jusqu’à chez moi. Une fois
complètement rentrés, nous déposâmes l’ombre sur le lit. Et nous en
profitâmes pour découdre les draps.
Depuis ce jour, je ne sors plus jamais complètement de chez nous.


Erick Gaussens – René Chabrière – « romantiques 5 « 


Photo :  B. Monginoux /  www.photo-paysage.com (cc by-nc-nd)

 » à genoux devant ton icône »

Chemins de toutes les traces,
les miroirs de la ville
récitent l’alphabet aux carrefours
de la passion.
Cette ville ne rêvait de ses néons
que pour rire à gorge déployée :
de désir-nylon encombré de rose
sous le couvercle obscur de la nuit.
Bien sûr les étincelles se sont emparées des yeux,
mais plus éphémères que la musique et le sang
lui qui circule dans tes veines
sans que tu t’en aperçoives.
Le sourire de ton visage
a combattu les reflets factices
pour s’emparer de l’âme endormie :
c’est comme ça que tu m’as trouvé
à genoux, devant ton icône
dépossédé de mes larmes
avec mes souliers de pluie,
l’illusion des lambeaux nocturnes
d’une autre vie
quand la ville s’estompe
derrière ses draps de nuage…

RC

écho à Erick Gaussens

Devant la nuit qui dormait J’ai crié ton nom
Et rien ne s’est passé
Alors j’ai mis mes souliers
De nuages et de pluie
Et je me suis enfui

La ville s’oubliait
Dans un plaisir-néon
Dans un désir-nylon

Devant la nuit qui rêvait
Je me suis attendri
Et je l’ai recouverte du drap de ton rire

Alors ses nuages bleus
Se couvrirent d’étincelles
Et d’images tremblantes

La ville s’estompa
En brouillard factice
En fragile illusion

Devant la nuit qui criait
Je suis tombé à genoux
Les larmes à la main

Alors dans un sourire
Qui ressemblait au tien
La nuit s’est rendormie

(c) Erick Gaussens Hillwater


Evelyne Vijaya – Infusion


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Photo : Roberto Kusterle

 

 

Laisse moi infuser 

dans la nuit qui se diffuse

laisse moi brûler

dans cette violence si confuse.

Remets moi au sommeil

dans ces draps qui s’usent

confies moi aux éternels

lorsqu’en bas le temps s’amuse.

Ne me laisse pas devenir cendre

dans cette vie qui me refuse

Ne me laisse pas descendre

plus bas que mon corps qui s’excuse. 


Patrick Berta Forgas – il était cette fois


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photo:  Wolleh

 


Cette fois,
Les rangs sont froids.
Le pas des foules
Traîne au pied des monuments.
L’empreinte d’une histoire
Sans autre imagination
Qu’un vieux rêve ravivé,
Des siècles assassins
D’âmes, dans la nuit.
Cette fois,
La demeure est cernée
Des cendres du cauchemar
Qui se relève.
Incontinence et pollution
Aux draps des sueurs.
Cette fois,
L’ombre va prendre la couleur
Où tout se perd,
Les chemins et y compris,
Le matin.


La parenthèse de la parole – ( RC )


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La parenthèse de la parole,
après une nuit de sommeil,
et la bouche grande ouverte,
dans un baillement ;

avec elle j’attrape le vent,
( pas tout, mais une partie quand-même),
et c’est comme si en silence,
les mots venaient d’eux-même

s’offrir des histoires,
concentrés de souvenirs,
l’orage caché au fond des draps,
et des petits sourires

comme des lucioles,
une guirlande de rêves,
clignote encore,
en silences partagés…

RC –


Yannis Ritsos – Jusqu’à ce que


 

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image,  montage perso  2017

 

 

La tante Maritsa,          la tante Katina         avec leurs petits chapeaux,
avec leurs broches en or,       avec leurs meubles entassés l’un sur l’autre,
avec les coffrets peints,         les paires de draps brodés,
avec les mille cuivres de cuisine.       A quoi bon
avoir amassé tout cela                                       – disaient-elles –
nous n’avons même plus où nous asseoir.       Et pourtant
elles continuaient à amasser bouts de ficelle, sacs en papier,
pinces à linge.        Les cafards et les mites,
cricricri, à l’ouvrage. Jusqu’à une nuit
où leur maison a pris feu.

Les deux vieilles filles maigres
ont couru, déchaussées,            à moitié nues dans la rue
avec leurs longues chemises de nuit blanches,
et elles sont restées ainsi abasourdies,     tremblantes à regarder le feu,
gardant chacune à la main seulement                         un petit chapeau noir.

Athènes, 17. /. 88.


Christophe Sanchez – une respiration


60 draps571917.jpgOn retrouvera des lettres entre les draps, dans une armoire normande au bois vermoulu. Dans la chambre où la poussière a figé le temps, on traversera en quelques pas des années de silence. Contre le mur, calé par des livres de papier jaune, le grand bahut nous craquera sa vérité enfouie. Il faudra de la patience pour ouvrir l’armoire à la serrure grippée. On insistera. La clef en laiton fera des tours perdus à l’angoisse de la découverte. Les battants finiront par céder dans un frémissement. Sur les étagères, des piles de linge viendront sous nos yeux disperser les lunes, dévoiler des années d’intimité au jour neuf.
On retrouvera des lettres entre les draps de lin pliés au carré. Avant le brin sec de lavande, le flacon d’huile essentielle de cèdre, un reste d’odeur humaine. Des lettres oubliées dans les plis du passé, à l’abri du regard de l’autre. Cet autre à qui on a caché les mots. Sur les enveloppes, on admirera la calligraphie, les hautes jambes des lettrines, les vieux timbres et les dates évoquées feront passer le siècle pour une respiration.

Christophe Sanchez


Théo Léger – Beauté des temps révolus


Portrait-de la marquise Luisa Casati (1908)

 

Peinture: Giovanni Boldini

Elles traversaient les profondeurs de l’argent des miroirs.
D’une fragrance de chevelure aux parfums érotiques,

d’une jaillissante malice de dentelles couvrant leur chair
où luisaient les globes fragiles soumis aux caresses de l’homme,
de leur murmure d’éventails, de leur secret de bagues
dont les fourmis laborieuses ont mémoire au musée
sous les racines d’un monde vert

qu’est-il resté ? Rien.           Ton seul sourire :
un papillon de cils battant contre une lèvre d’amant
la crispation de doigts malhabiles.

Sur les draps de la nuit était-ce
cris de naissance ou de mort? Cela, les horloges l’ignorent.

Théo Léger      (1960)


Alessandra Frison – La pluie vide chaque soupçon de vie


 

*

La pluie vide chaque soupçon de vie
des draps tirés jusqu’à la limite
elle ne te fait pas voir
la charge des heures le matin
tôt tous sont réveillés
déjà à leur corde
et tu devrais t’efforcer jusqu’à ce point
jusqu’à assécher le sommeil
alangui et réfractaire terme de
qui existe l’indispensable
à temps tout juste pour s’évacuer de chez soi
c’est ce que je me dis,
après une journée qui mesure
les centimes de chaque dignité,
après la vague déchargée
mécanique déçue des feux rouges à la gare
parmi le moyen âge des rues, je suis
la plus incertaine fenêtre du monde.

***

Alessandra Frison

auteur Yves Lecoq

photo: Lux Coacta

est une (très) jeune poétesse milanaise – née à Zevio -,

Elle a publié dans l’Almanacco dello Specchio (Mondadori) 2008; elle présente régulièrement son travail grâce aux pages http://alessandrafrison-blog.myblog.it/ , où l’on pourra trouver d’autres poèmes.

Inediti:

La pioggia svuota ogni sospetto di vita
dalle lenzuola tirate fino al limite
non ti fa vedere
il carico delle ore la mattina
presto tutti sono svegli
già alla loro corda
e ti dovresti impegnare fino a quel punto
fino ad asciugare il sonno
molle e refrattario termine di
chi esiste l’indispensabile
in tempo appena per sfollarsi di casa
così mi dico
dopo una giornata che squadra
i centesimi di ogni dignità,
dopo l’onda scarica
meccanica disillusa dei semafori alla stazione
tra il medioevo delle strade, sono
la più incerta finestra del mondo.

 


Marcel Olscamp – Piazza Navona


   photo : Emanuel Tanjala –                         fontaine des 4 rivières piazza Navona                   Rome

Les bruits des rues séchaient déjà
fragiles dans leur nuit de pluie
lorsque l’amant de ton roman
sortit transi de ta valise
en répandant sur le trottoir
la rumeur douce de ces heures
où tu lisais en m’attendant
Alors j’ai roulé les rues
comme une langue amère
et j’ai relu ma chambre
avec mes draps sans toi
presque sans moi

.


Présence en lumière- ( RC )


sun  &  tapis.jpg

 

Tu viens  faire ce dessin ,
C’est un rectangle de lumière,
Il se pose  sur le sol,
Et lentement se déplace,
Avale une partie de la pièce,
Monte sur le lit, et
Réchauffe la pièce,
Quelquefois strié des traits souples
Des branches, et du passage
Des oiseaux.


C’est maintenant un losange,
Ondulant doucement
Aux vagues des draps…
Je pourrais attendre,
Des heures durant,
Ton ombre se glissant,
A travers les nuages,
Mais tu n’es pas l’ombre,
Tu n’es que lumière,
Et chaque jour,


Je ressens ta présence.

RC-  décembre  2013


Je repars chaque matin, d’une étendue blanche ( RC )


 

 

 

Il faut que je ferme l’enclos des couleurs,

Que je reparte vers un ailleurs,

N’ayant pas connu le dessin du cœur,

……    Chaque page a son heure,

 

Et je repars chaque matin,

D’une étendue blanche,

Que chaque jour déclenche,

–  toujours plus incertain.

 

Ou bien j’ai sans doute oublié,

Derrière une glace        sans tain,

Comment prendre le monde dans ses mains,

Les miennes, que j’ai liées.

 

Ou alors,         je les ai vides.

   Le miroir ne reflète rien

       Des jours lointains

            Et saisons humides.

 

Je sais que  sous  ses taches,

Et les plis de ses draps,

L’hiver reviendra.

Pour l’instant il se cache.

 

J’invente pourtant ce que je ne vois pas,

J’avance en vertiges,

Comme sur un fil,    en voltiges,

Il y a un grand vide, sous mes pas.

 

Si je retourne la mémoire

Il se peut que je n’aie plus de passé,

Et que, de traces effacées,

Je ne voie que du noir.

 

Peut-être qu’en peinture,

J’invente,   hors d’atteinte,

De nouvelles  teintes,

Au fur et à mesure.

 

En tout cas c’est vers l’inconnu,

Que j’ouvre mes pages,

Me risquant  au voyage,

Comme un enfant,          nu.

 

Une page vierge à écrire,

Des traits, que je lance

Un pinceau, toujours en danse,

Dont j’ignore le devenir,

 

Comme si,      à la couleur des rêves,

On pouvait      donner un titre,

Décider de clore le chapître

Et dire          que la toile s’achève…

 

RC – 30 septembre  2013

 


Benjamin Fondane – Villes


peinture: Wayne Thiebaud            Sunset Street        1985 ( MoMa)

 

Villes

 

Le silence coula sur mes mains

c’était un orage de sable

la ville était pleine de sable

où donc étaient-ils les humains

j’avais beau courir dans le vide

suivi lentement de mes pas, le vide était plus plein

qu’une poitrine gonflée qui fait sauter les pressions,

le vide était si plein, j’avais si peur qu’il n’éclatât

que soudain j’ai pensé qu’il me fallait crier

ressusciter la vie

souhaiter le sifflet des bateaux, des sirènes d’usine

la rumeur des meetings, des fleuves de glace qui cassent

sous la poussée du printemps, les vitrines brisées des grèves générales, le bruit

strident des rémouleurs aiguisant les ciseaux, les couteaux, la criée des poissons dans les halles, les plaintes des marchands d’habits,

des rempailleurs de chaises, des pianos mécaniques et des musiques perforées.

Je vous appelais du fond terreux de mon angoisse

sonorités des étameurs, des camelots, ô chansons nasillardes

des marchandes de quatre-saisons qui font au printemps maladif

l’opération césarienne  -Et peu à peu je vis céder mon insomnie

mes oreilles bourdonnaient, une sorte d’âcre paix, une paix nauséeuse,

pénétra dans mon sang avec une vieille odeur de draps

et mon sommeil ouvert comme une bouche d’égout

buvait les cantiques pieux des machines à coudre,

le ronflement régulier des tuyaux de vidanges, le souffle léger de la vie qui monte et qui grince, ô poulie !

Le bruit de plus en plus fatigué de la vie.

 

 


Thomas Pontillo – Incantation 01


peinture: Roland Dauxois

peinture:       Roland Dauxois

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’étais si près que je me perds auprès de moi,
j’ai dans mes bras les ruines du bonheur,
et les draps mon seul repos mon seul tombeau
sont vides et humides de toutes les larmes versées
en souvenir du temps qui déborde des mots.

voir ,  de Thomas Pontillo  « présence poétique »


Antonella Aneda – Avant le dîner


photo perso  -  sculpture ; Parc de klaipeda  - Lituanie

photo perso       – sculpture ;            Parc de Klaipeda –    Lituanie

 

[Prima di cena]
[Avant le dîner]

Avant le dîner, avant que les lampes ne chauffent les lits et que le feuillage
des arbres ne devienne vert-noir et la nuit déserte. Dans le court espace du
crépuscule défilent des saisons entières et méconnues; le ciel alors se charge
de nuages, de courants qui soulèvent bûches et ronces. Contre les vitres de la
fenêtre bat l’ombre d’une tempête mystérieuse. L’eau renverse les buissons,
les bêtes chancellent sur les feuilles mouillées. L’ombre des pins s’abat sur les
planchers; l’eau est gelée, de la forêt. Le temps s’arrête, disparaît.
Soudainement, dans le calme solennel des allées, dans le vide des fontaines,
dans les pavillons éclairés toute la nuit, l’hôpital resplendit tel une résidence
de Saint-Pétersbourg en hiver.

Il y aura un cauchemar pire
entrouvert entre les feuilles des jours
aucune porte ne claquera
et les clous plantés au commencement de la vie
plieront à peine.
Il y aura un assassin étendu sur le palier
son visage dans les draps, l’arme à ses côtés.
Lentement la cuisine s’entrouvrira
sans le bruit des vitres brisées
dans le silence d’un après-midi d’hiver.
Ce ne sera pas l’amertume, ni la rancune, seule
– pour un instant – la vaisselle
deviendra immense d’une splendeur marine.

Alors il faudra s’approcher, monter peut-être
là où le futur s’étrécit
à l’étagère remplie de pots
à l’air renversé de la cour
au vol sans déploiement de l’oie,
avec la mélancolie du patineur nocturne
qui d’un coup connaît
le sens du corps et de la glace
se tourner à peine,
s’en aller.

Traduit par Francis Catalano et Antonella D’Agostino