Femme de vent – ( RC )

Femme de vent à l’âme secrète,
l’orage est ta chevelure,
je verrai presque ta tête
dans l’œil de l’ouragan
pendant un court instant de répit.
Bascule dans la saumure
l’errance de mon pays tropical.
Je t’entendrai hurler dans la nuit,
et pour me retenir de ta furie,
quand se déchaînent les éclairs,
mon corps se crispe sur les rochers coupants
mes pieds lestés de plomb :
Les vagues projetées
s’en sont prises aux navires
dans l’étau de tempête.
Autant de dents
qui les déchiquettent
dans la tourmente :
spirale géante
d’une gueule béante
où l’horizon s’est dissout
le ciel éclaté
comme pulvérisé
de fragments de verre,
sifflements stridents de ta colère
qu’avons nous fait
pour la provoquer,
et qui invoquer dorénavant
pour t’apaiser,
… femme de vent ?
Reconstitution du portrait – ( RC )

Ainsi vient la nuit,
quand le jour s’effrite,
griffé par les arbres .
La collision avec les nuages
apporte la pluie,
qui s’infiltre dans ses fissures.
Maintenant des sillons
se dessinent sur les vitres,
petits ruisseaux éphémères,
qui s’affolent et changent de direction.
Personne ne sait
ce qui réveille
les larmes endormies,
quand le vent se lève,
et se heurte aux vitres,
furieux d’une trop longue attente.
Les branches se soulèvent,
s’agitent, lourdes de reproches,
et traversent la pièce obscurcie.
C’est ton visage qui apparaît,
strié par les éclairs,
avant de se briser
en petits éclats de verre,
répandus sur le parquet.
J’évite de marcher dessus,
contournant notre existence.
Demain l’étonnement de vivre
refera surface avec l’aube,
et je reconstituerai ton portrait
comme je le pourrai.
Ne m’en veux pas
s’il en manque des morceaux,
il se peut que j’égare
le souvenir des jours heureux.
Natha Boucheré – le Rêve Mutant

photo: lézard volant ( draco volans )
le Rêve Mutant
Protéger, porter le rêve, sans le questionner,
Garder intacts sa fibre et son tissage,
Le voile posé comme un reflet,
Est l’opercule,
Est la transpiration immobile de son mouvement de tresse,
L’attente d’une musique sacrée….
Le ressac des vagues rythme le profond va et vient de la récurrence de nos cycles,
Le nid se creuse, devient refuge
Puis devient coquillage sous l’assaut des marées ;
Son chant est une transcription de tout ce que le silence englobe,
Du respiré des choses
Dont nous avons voulu déflorer les mystères tandis que nous étions en train de perdre l’écoute viscérale…
Pourtant nous en avons gardé la trame, le grain, l’effleurement de la première spirale,
Elle feule, effiloche ses particules le long de nos parois….
Tapisse de son feutré toutes nos absences, nos bulles de mémoires reptiliennes
Approche,
Le murmure est là, il clapote ses vagues sous-jacentes
Internes, souterraines
Source pure
Source froide et si profonde,
De nos mystères autant que de nos fissures
Signer avec le pulsatile de nos marées intérieures…
Maintenir ce va et vient giratoire de fleur sauvage
Translation et contre sens, tous les vents emportés dans un cercle imparfait
Puisque en son cœur le centre sait s’absoudre de toute direction,
Son écho est un courant, un bouquet éclaté d’éclairs luminescents
Et enfin, l’âme se dilate, et,
Distendue, innervée à outrance
Dépose la signature,
Une éraflure, tracée à la pointe de la griffe,
Désossée par cet instant fragile… très vite, une gageure….
Pourtant, le grenat de la sève des hommes,
Quand la perle s’arrondit sur la pulpe de son index
Est un rubis brut,
Un joyau opiacé
L’œil du dragon me regarde….
La pupille arquée
…Je ne sais plus quand le rêve est venu me dire sa prophétie,
J’ai retiré l’opercule et j’ai plongé dans la vision de mes yeux fermés sur son méandre souterrain,
J’ai gouté le salé de mon sang,
Sa soudaine fraîcheur
Née de tous les jaillissements versés par les grands soleils bleus,
Les étoiles multiples,
Le lait du ciel,
J’ai eu le mal de mer, le mal de terre, le mal de vie,
Un besoin intense de me régurgiter dans le feu vorace.
Je sais que seuls l’eau vive, l’œuf du ventre
Et le cendré des dunes sous la lune
Sauront calmer ce déversé déferlement.
Je suis sortie de ma reptation,
J’ai mangé une poignée de sable roux,
Quelques reflets d’argent,
Deux nuages ocellés
Et j’ai regardé au-delà des trois montagnes vomies par les brumes,
Dans cette heure qui n’existe que dans la naissance de la première bulle
Celle qui se pose sur le seuil de la parole,
Percée par le souffle innocent de l’enfant nouveau né,
Et j’ai vu
Plus un mot n’est à dire quand tes ailes se déploient…
Et quand le rêve m’a bue,
Je n’étais déjà plus que son vol assouvi.
Luis Cernuda – Je dirai la naissance
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Je dirai la naissance
Je dirai la naissance des plaisirs interdits,
Comme un désir qui naît sur des tours d’épouvante,
Barreaux menaçants, fiel décoloré,
Nuit pétrifiée sous la force des poings,
Devant vous tous, même le plus rebelle,
Qui ne s’épanouir que dans la vie sans murs.
Cuirasse impénétrable, lances ou poignards,
Tout peut servir à déformer un corps ;
Ton désir est de boire à ces feuilles lascives,
Ou dormir dans cette eau caressante.
Qu’importe;
On l’a proclamé : ton esprit est impur.
La pureté, qu’importe, les dons que le destin a portés jusqu’au ciel, de ses mains immortelles ;
Qu’importe la Jeunesse, un rêve plutôt qu’un homme,
Au sourire aussi noble, plage de soie dans le déchaînement
Ces plaisirs interdits, ces planètes terrestres ,
Membres de marbre à la saveur d’été,
Suc des éponges abandonnées par la mer,
Fleurs de métal, sonores comme la poitrine d’un homme.
Solitudes hautaines, couronnes renversées,
Libertés mémorables manteau de jeunesses;
Qui insulte ces fruits, ténèbres sur la langue.
Est aussi vil qu’un roi, ou qu’une ombre de roi
Qui se traînerait aux pieds de la terre
Pour ne quémander qu’un lambeau de vie.
Il ignorait les limites dictées.
Limites de métal ou de papier,
Car le hasard lui fit ouvrir les yeux sous un jour si intense
Que n’atteignent pas des réalités vides,
D’immondes lois, des codes, des rues de paysages en ruines,
et si l’on tend alors la main,
On se heurte à des montagnes d’interdits.
Des bois impénétrables qui disent non,
Une mer qui dévore des adolescents rebelles.
Mais si l’opprobre et la mort , la colère et l’outrage ,
Ces dents avides qui attendent leur proie,
Menacent de déchaîner leurs torrents,
Vous autres, en revanche, mes plaisirs interdits,
Orgueil d’airain, ou blasphème qui ne renverse rien,
Vous offrez dans vos mains le mystère.
Un goût qui n’est souillé par nulle amertume,
Un ciel, un ciel chargé d’éclairs dévastateurs.
A bas. statues anonymes,
Ombre de l’ombre, misère, préceptes de brume
Une étincelle de ces plaisirs
Brille en cette heure vengeresse.
Son éclat peut détruire votre monde.
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extrait de » Plaisirs interdits »
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