Váno Krueger – témoin de trop d’ombres
pour Paulina Lavrova

montage RC
le champagne et les cerises je comprends
mais pourquoi y a-t-il un candélabre dans ta chambre ?
ce témoin de trop d’ombres déjà…
les flammes des bougies sont ongles sur les doigts—
hommes ardents dans les yeux
.
un zèbre dans la nuit c’est les rayons du soleil qui se lovent
rayures noir sur blanc
un zèbre le jour est l’obscurité de la nuit qui se love
rayures de soleil sur fond noir
.
Je me souviens
du cerisier au verger des Hetman
qu’un ami et moi dépouillions
il a été abattu
mais
l’arbre de celui qui a pris l’écorce pour sa peau
pousse toujours vert
trad. Marilyne Bertoncini
Váno Krueger est un poète ukrainien, – ce texte est issu du site » jeudi des mots »
Romane Della Gaspera – l’arbre

L’arbre
Il reste tant à faire encore pour devenir humain
Trouver en soi le tronc, la racine et la branche
Jusqu’à la souche la plus enfouie et la racine la plus épouse du ciel
Comment rendre l’écorce souple, la salive amoureuse
Comment être canal de toutes les sèves du monde
Celles qui montent aux lèvres et celles qu’on vomit
Celles qui brûlent au ventre et toutes celles qui saignent
Tant de vents vont passer trembler dans mes narines
Tant de mes feuilles sanglotent dans leur papier d’automne
Je ne suis que, ployante, un bambou de grand vent
Tout à la fois la brise et la branche brisée
Tout à la fois l’orage et la fleur d’oranger
Élagueur des clairières – ( RC )

Élagueur des clairières,
sais tu que tu défriches
le langage
autant que le feuillage ?
Tu puises tes mots
dans la lumière accrue,
et fixe l’ombre des ramées.
Il faut goûter la rigueur des hivers,
réciter les strophes
comme autant de bois coupé,
tout ce qui a subi les songes
et la pluie ;
violence du gel
traversant le chant de plume,
sa violence sourde
qui détache l’écorce
et retire la sève
pour n’en garder
que l’essentiel.
Et les oiseaux strieront
de nouveau
la peau du ciel.
Sonia Branglido – Une étrange lumière jaune
Une étrange lumière jaune
Surgie de la page froissée
D’un très vieux livre
Dessine sur le mur aux oiseaux
L’ombre d’un chant mystérieux
Rêve éveillé sous un bel arbre
L’écorce d’un jeu de mots dits
Le silence se fait mélodie
Pour donner des couleurs aux voyelles
Écrire la musique des larmes de l’automne
Entre mémoire et des espoirs
La poésie au cœur des arts
Marine Laurent – Femme de papier
peinture: Egon Schiele
–
Suis une femme de papier
De celui dont on fait les arbres
Et j’ai puisé à leur aubier
Et mangé leurs feuilles vivantes
Arraché l’écorce du fût
Pour tenir debout à ma table
L’hiver sur du papier glacé
Je laisse mes traces effaçables
La sève qui coule des doigts
Trace des mots sans importance
Je flotte au vent car mes racines
Courent à peine sous le sable
Suis une femme de papier
Qui se froisse à moindre risée
Qui brûle à petite flambe
Dans un foyer désaffecté
Mais si l’oiseau à ma fenêtre
Vient poser une plume blanche
Je sens mes folioles renaître
Et la plante à mon encrier
Je partirai sur une branche
Emportée par nuit sans étoile
Et vous dirai dans mon absence
Ce que j’ai laissé sur la toile.
Sophie Lagal – Camille
sculpture: A Rodin – Maryhill museum of Art
Camille
Tu m’aimes, mon bel amant,
Ma fragile écorce,
qui t’implore.
Mon coeur orageux
qui te dévore.
Ma joie de t’aimer,
encore.
A la soie blanche,
je me suis endormie.
A tes caresses savantes,
je me suis abandonnée.
Voluptueuse.
Promesse d’une terre d’exil.
Orpheline.
Mon bel amant,
Reviendras-tu me lécher de tes étreintes.
Moi, douce colombe blessée
Aux ailes éperdues.
Reviendras-tu me sculpter aux nuits d’été,
déchirant le ciel de nos baisers,
défendus
Mon beau, mon rêve,
J’avalerai ma rage
au ventre dur.
Je t’attendrai,
au marbre, vaincue.
Je sèmerai les fleurs sur le chemin
pour que tu reviennes, brûler l’or de mes mains.
——–
Sophie Lagal, 8 Mars-13 Mars 2013
Hugues Labrusse – L’indésirable
( – à Gaston Puel )
sculptures – Aulnay de Saintonge
Jour indivisé
Des pierres arrondissaient les angles.
Le soleil s’en allait.
Deux poutres reliées par une traverse.
Un chien hagard plonge dans les broussailles.
On n’arrache pas un sourire à l’écorce.
Lendemain
Dans la continuité de la masse, en guise de visage.
Le feu âpre transit le cône de marbre.
Tard, dans l’été, la figure roule dans ta paume.
Son oubli fut le dernier souvenir qu’elle te laissa.
Surlendemain
Notre sœur à tête d’animal, notre peur encore muette et ses fleurs de terre
ses onguents de serpents, la saveur de sa lumière et de sa fatigue.
Ses mains ne remuaient pas encore.
Toujours plus tard
L’atrocité rêve à son écuelle en bois.
Du sommet de la montagne dévalent des étoiles épineuses.
Ton œil est de glace. Tu crains l’aiguille de métal qui te sert à coudre le ciel.
Laisse battre les volets.
Deux-bout dans le vent – ( RC )
—
Debout dans le vent
Tronc contre tronc,
Deux arbres —
Marient leurs branches,
Echangent sans doute,
Un dialogue que l’on n’entend pas,
Ecorce lisse,
Contre peau rugueuse
Deux espèces,
deux langages cohabitent,
Par leur sève
Racines imbriquées,
Les unes dans les autres.
Ou bien s’agit-il
D’une lutte silencieuse,
A longueur de siècle,
Un seul sortira vainqueur,
Se nourrissant de sa mémoire,
Laissant ce qu’il en demeure,
Aux insectes,
Découpe d’une silhouette
Libre de ses feuilles,
Sculpture éphémère,
Dans un ciel,
Ou l’orage succède à l’azur,
Le jour, à la nuit ( comme il se doit ).
–
RC- août 2015
Jean Creuze – écorces (1 )
Écorces
Lier les mots qui se fabriquent dans la forge de notre
tête.
En faire vivre certains
commettre le meurtre d’autres.
Chauffer, taper, tordre au rouge le fer.
Chuchoter enfin ce qui nous habite
pour l’ultime tentative de la parole.
Des paroles données.
Silencieusement pointe la respiration.
Pulsation qui donne la vie.
Le soufflet active le feu
le mot juste jaillit
transforme nos corps et nos âmes
comme le travail acharné du forgeron
sur l’enclume transforme le métal.
Allongé sur le sol
sous le ciel bleu azur
beauté de l’oiseau dans les airs,
herbes folles dans le vent,
souveraineté des arbres.
Danse de l’univers présent
dans les vibrations lentes du jour qui passe.
Vols d’insectes éphémères,
parfums de fleurs,
odeurs d’humus,
chants de grillons,
craquements d’écorces.
Des forces de l’intérieur s’énervent.
Chasser les ombres du visage
pour s’enluminer-
Nouvelle peau.
La vague passe, se calme, s’anéantit.
Temps suspendu,
le corps flotte.
Soleil rouge,
sensation d’inachèvement
et caresse des ombres :
sa majesté la nuit approche.
Cortège d’étoiles,
respiration douce,
j’affronte l’inconnu,
clignements de cils,
goutte d’éther.
La figue éclate a force de mûrissement au soleil de l’été.
La terre grasse s »enfonce
sous les pas .l’automne est là, avec son humeur faite de rosée
de rafales de vent, de pluie froide.
Des hommes harassés, avinés, burinés, dépités, rendus sont là au coin de la rue,
attendent, rejetés du monde, comme de vieilles eaux usées auxquelles on aurait retiré toutes forces.
Dans ma tête un grand silence.
Tombés par terre, abandonnés,
résignés, abattus, esclaves.
Quels bourreaux? Comment faire?
L’alcool comme seul compagnon.
Idées vagues, brouillées,
délire, obsession, mensonges,
mal de tête,
perte de mémoire.
Oublier son histoire,
nier sa vie,
sacrifier son être.
Que faire avant l’hiver,
avant que le froid ne vous emporte?
Compagnon misère.
Le ciel est clair aujourd’hui, un vent frais se lève et fait
Frissonner les feuilles dans les arbres.
Quelques pensées me tapent le front, et s’évanouissent aussitôt.
Pour laisser le vide.
Le trou noir.
Ce noir si plein que l’on n’attend jamais.
Et pourtant, c’est le rien que l’on redoutait tant.
Il est là, accompagné de son malaise.
On ferme les yeux pour regarder à l’intérieur.
Dans un ultime effort encore.
Le noir toujours.
ça se dissipe.
Le rouge apparaît,
puis le jaune lumière
des éclats de blanc dans le rouge,
du bleu chartreuse,
du vert émeraude. qui coule de mes yeux ?
Serait-ce de la peinture
Les feuilles se remettent à tinter dans le vent et cette
musique douce emporte mes pensées.
Être et arbre – ( RC )
Tu voles de branche en branche,
Dans ton mouvement, secouant la rosée,
Accrochée sur les feuilles.
Je veux te rejoindre.
Tu n’es pas si loin .
Je fais quelques pas dans le jardin .
Je suis sous l’arbre où tu t’es assise.
Celui-ci est couvert de mousse.
Je m’appuie dessus, et ma main s’enfonce,
Elle disparaît.
Le tronc m’appelle ainsi.
Mon bras suit la main.
Plus loin.
Comme si une porte s’ouvrait.
Jusqu’alors dérobée au regard humain.
J’y entre tout entier.
La porte se referme,
Je n’y vois plus rien.
Juste quelques rais de lumière
Passant dans les fentes du bois.
Il se passe quelques heures,
Il y fait humide et chaud.
J’y suis bien.
Je n’entends plus ta voix.
J’ai dû tomber dans un profond sommeil.
Je me réveille.
Je veux bouger.
Ce n’est pas la peine …
Toute une série de fibres m’enserre,
Me relie à l’intérieur.
De mon corps des excroissances
Venues des épaules, de mes doigts,
Font corps avec le creux que j’habite.
Mes cheveux se sont fondus
Dans une écorce intérieure moelleuse.
Je ne cherche pas à me débattre,
A retourner d’où je viens.
D’abord je ne le pourrais pas.
Je m’habitue à d’autres sens,
D’autres sensations,
Et celle toute particulière,
Du sang, remplacé peu à peu
Par la sève, qui me traverse.
Elle monte en moi,
Par les racines,
Que j’arrive à situer…
Mieux… à sentir
Une sève légèrement amère et sucrée,
Fluide, très fluide…
D’instinct je sais la distribuer,
Identifier les branches,
Le poids du feuillage,
Et d’où vient le vent.
Tu es assise assez loin du sol.
Tu as ta place favorite.
De temps en temps tu t’envoles,
Mais reviens me rendre visite.
Tu sais que mes mains sont larges,
Et que je t’attends.
–
RC – oct 2014
–
Murièle Modely – Caresse
–
caresse
il ressemblait à un vieil arbre
allongé dans le lit
c’était une vision étrange
et l’on devinait sous le drap les torsions de ses branches
son odeur de terre humide et le bruit des oiseaux
ça faisait de tout petits piou piou quand il ouvrait la bouche
les enfants intrigués par les battements d’ailes
collaient leur corps de lait contre mon corps de mots
nous savions tous les trois qu’il nous faudrait bientôt traverser la forêt
et ils n’avaient pas peur
et ils ne tremblaient pas
ils attendaient seulement
le bon moment
pour poser leurs lèvres sur l’écorce.
Fondu dans l’immobilité – ( RC )
Fondu dans l’immobilité,
C’est situé sous une écorce, où se balancent des pulsations du silence.
Une écorce de chair
Elle se maintient , mais le corps fond.
Comme bu par sa surface intérieure.
> Avoir donc la place de remuer dessous,
Les os s’épiant, et ayant leur propre raisonnement…
Mais toute une apnée de tensions les maintient à distance.
Ce sont des ligaments, des fibrilles, des tendons, qui se croisent,
faute de muscle.
Emmitouflé d’une apparence.
Il suffirait d’appuyer pour en déceler le creux.
Ainsi cabossé comme pourrait l’être un fruit sec, libéré du poids liquide,
momie à la surface riante, mais peinte .
Un masque pour paraître.
Mais dont la fixité inquiète.
Celui qui ne sait plus quel corps il habite,
justement privé d’ enchaînements et mouvements utiles.
Soudé aux montants du lit, les roues caoutchoutées.
Au carcan des poulies, la potence aux perfusions,
qu’on pourrait, gag suprême, orner de la photo du patient… – la potence –
Juste dans le champ de vision …. le regard toujours fixé au plafond.
Le corps corseté n’autorisant que l’angle restreint permis aux yeux
Bénéficiant de la seule exception à l’immobilité…
–
RC – avril 2014
Anne Pion – Arbre nocturne

– estampe: Chu Ta
–
Sous les étoiles, un arbre noir,
Un vieux pin sans âge
Étranger à notre temps, mais vivant
Portant comme une ancienne mémoire
Les blessures de son écorce.
Noirs contours tracés par la nuit,
Indéchiffrables signes
De la vieille écriture de la nature
– Décomposition et éternité –
Dont l’ordre nous échappe.
Au-delà est la parole perdue.
–
Anne Pion
–
(face à une peinture de Fabienne Verdier)
–
ANNE PION « ÉCRIRE ET PEINDRE Editions Voix d’Encre 2010
poème 313
–
écrit que l’on peut retrouver dans l’anthologie des poètes d’aujourd’hui.de JJDorio
–
Bernard Noël – Grand arbre blanc
Grand arbre blanc
à l’Orient vieilli
la ruche est morte
le ciel n’est plus que cire sèche
sous la paille noircie
l’or s’est couvert de mousse
les dieux mourants
ont mangé leur regard
puis la clef
il a fait froid
il a fait froid
et sur le temps droit comme un j
un œil rond a gelé
grand arbre
nous n’avons plus de branches
ni de Levant ni de Couchant
le sommeil s’est tué à l’Ouest
avec l’idée de jour grand arbre
nous voici verticaux sous l’étoile
et la beauté nous a blanchis
mais si creuse est la nuit
que l’on voudrait grandir
grandir
jusqu’à remplir ce regard
sans paupière grand arbre
l’espace est rond
et nous sommes
Nord-Sud
l’éventail replié des saisons
le cri sans bouche
la pile de vertèbres grand arbre
le temps n’a plus de feuilles
la mort a mis un baiser blanc
sur chaque souvenir
mais notre chair
est aussi pierre qui pousse
et sève de la roue
grand arbre
l’ombre a séché au pied du sel
l’écorce n’a plus d’âge
et notre cour est nu
grand arbre
l’œil est sur notre front
nous avons mangé la mousse
et jeté l’or pourtant
le chant des signes
ranime au fond de l’air
d’atroces armes blanches qui tue
qui parle le sang
le sang n’est que sens de l’absence
et il fait froid grand arbre
il fait froid
et c’est la vanité du vent
morte l’abeille
sa pensée nous fait ruche
les mots
les mots déjà
butinent dans la gorge
grand arbre
blanc debout
nos feuilles sont dedans
et la mort nous lèche
est la seule bouche du savoir
*
.Bernard Noël
–
Marie Bauthias – L’ombre des leurres ( extrait 02 )
au secret de l’écorce
nos prairies mangent d’orgueil
la couleur et l’attente
le vent qui cueille le rire dans les pleurs
la courbe des mots tendres assis
à notre oreille
l’avalanche des paumes
inscrite sous nos yeux
déjà le désordre furtif d’une peau
grandement amarré
la douce prière que le désir ne nous a pas rendue -…
Marie Bauthias
–
la juste place ( RC )
Toni Grand , Double colonne, 1982, bois et polyester stratifié, Ctre G. Pompidou, Paris
A sa place, à sa juste place.
C’est ce que nous nous disions, de ce grand corps silencieux, de ce grand corps exposé au vent..
Chacun à son tour, nous nous glissions, – pensant passer inaperçus – près de lui, sous son ombre dense, et nous l’étreignions,
– enfin, ce que nous pouvions, –
une portion de sa masse cylindrique dressée,
la tête contre l’écorce,
l’odeur du bruissement de la sève,
le murmure changeant du vent dans la ramée…
et la caresse lente des feuilles portées par l’automne,
Elle formait à nos pieds cet épais tapis d’ors et de bruns…
Ses membres puissants suspendus, bien au-dessus de nos têtes,
mais aussi à nos pieds, couverts de mousse.
A sa place, sa juste place..
Maintenant, après la tempête, témoin , pour ceux qui ont pu résister ,
le royaume du grand chêne, n’est plus le même…
A sa place, sa juste place, il y a un grand vide.
Mais le tronc seul , redressé sur place, se délitant peu à peu,
restant , en un signe, la sculpture d’un espace
règne , massif, sur la place, sa juste place…
RC – 26 septembre 2012
Ferrucio Brugnaro – rencontre avec un vieil ouvrier
J’ai vu un vieil ouvrier, aujourd’hui,
un ami cher ; appuyé
à un réservoir énorme
il regardait le ciel et il regardait
ses mains.
Il arborait un large sourire
dans ses yeux rougis par le froid
intense de la neige, brillants
telles des écorces mouillées.
Il me dit, avec un calme doux,
qu’il serait temps pour lui
que vînt la mort : d’autant
qu’il ne dérangerait personne
pour cette circonstance.
Et il continuait à regarder le ciel, le soleil
qui exhalait des mouettes tendres sur la mer.
Son visage semblait une pierre
multiséculaire gravées de hiéroglyphes extraite
des sables.