Thomas Pontillo – carnets pour habiter le jour – écrire

Pourquoi écrivons-nous? Question qui nous laisse au bord de la route. Pour habiter, peut-être. Oui, pour habiter le rapport aux autres, à nous, au monde. Enfin, écrire pour avoir confiance.
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Ou peut-être écrivons-nous car la langue commune est desséchée. Commune et courante. Que faire avec ces pauvres mots du quotidien? Nous ne pouvons pas respirer. Elle n’a pas d’autre horizon qu’elle-même. Or, nous désirons tant les horizons.
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En réalité, c’est le malaise qui nous pousse à écrire. Malaise indéterminé. Quel désir nous brûle, nous porte au-delà de nous-même? Pourquoi l’écriture, aussi, est une demeure précaire?
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Jean Tardieu – au conditionnel

Si je savais écrire je saurais dessiner
Si j’avais un verre d’eau je le ferais geler
et je le conserverais sous verre
Si on me donnait une motte de beurre je
la ferais couler en bronze
Si j’avais trois mains je ne saurais où
donner de la tête
Si les plumes s’envolaient si la neige fondait
si les regards se perdaient, je
leur mettrais du plomb dans l’aile
Si je marchais toujours tout droit devant
moi, au lieu de faire le tour du
globe j’irais jusqu’à Sirius et
au-delà
Si je mangeais trop de pommes de terre je
les ferais germer sur mon cadavre
Si je sortais par la porte je rentrerais
par la fenêtre
Si j’avalais un sabre je demanderais
un grand bol de Rouge
Si j’avais une poignée de clous je les
enfoncerais dans ma main
gauche avec ma main
droite et vice versa.
Si je partais sans me retourner, je
me perdrais bientôt de vue.
Rupi Kaur – celui qui viendra après toi

celui qui viendra après toi
me rappellera que l’amour doit
être doux
il aura le goût
de la poésie que je voudrais
écrire
extrait de « lait et miel »
Thierry Metz – Je ne sais pas si ma place est ici
peinture: Eric Fischl – portrait of the artist as an old man – 1984
Je ne sais pas si ma place est ici. Ni ailleurs.
Avec parfois quelque chose d’autre
qui m’entraîne à écrire.
Les gens ont souvent les yeux et les oreilles
inversées ou sans existence.
Ce que je vois n’est jamais complet.
Silence et mots sont nos bûchers.
texte extrait de « Dolmen «
Julio Ramon Ribeyro – quelque chose d’impérissable dans la mémoire
Je ne crois pas que pour écrire, il soit nécessaire d’aller courir l’aventure.
La vie, notre vie, est la seule, la plus grande aventure.
La tapisserie d’un mur vue dans notre enfance, un arbre à la tombée du jour,
le vol d’un oiseau , un visage qui nous a surpris dans le tramway,
peuvent être plus important pour nous que les grands événements du monde.
Peut-être que lorsque nous aurons oublié une révolution, une épidémie
ou nos pires avatars, il restera en nous le souvenir du mur, de l’arbre, de l’oiseau, du visage.
Et s’ils y restent, c’est parce que quelque chose les rendait mémorables,
qu’il y avait en eux quelque chose d’impérissable et que l’art ne s’alimente
que de ce qui continue à vibrer dans notre mémoire.
Ecrire – (Susanne Derève)

Robert Rauschenberg, Estate, 1963
Serait-ce une vie à écrire ?
Avant de déposer les mots
et les regrets y sont de trop
faudrait-il sur un quai de gare
écourter le temps des adieux
sous prétexte que le train part
Cette année passée à vau-l’eau
et la nouvelle qui commence
à rêver aux ors de Byzance
dans le métro
Était-ce une vie à écrire ?
Il aurait fallu réciter
le Pater le Maria l’Ave
de nos fougues et de nos ivraies
J’aurais voulu pouvoir en rire
de cette vie de camelot
un quai de gare pour tout empire
ton pas sonnant comme l’écho
dans les décombres de Palmyre
plutôt qu’en porter le fardeau
Mais m’aurais-tu laissé l’écrire ?
Les doigts marchent au ralenti sur une plage – ( RC )
Les doigts marchent au ralenti sur une plage,
elle est déserte, et j’assemble les mots en vrac.
Ici, il n’y a pas de ressac,
mais l’univers encore vierge d’une page.
Mes doigts tiennent fermement un crayon ,
( on voit que blanchissent les phalanges,
quand je pars à la poursuite de l’ange ),
et de l’ astre j’accroche ses rayons .
Comment fixer ce qui est invisible ?
par le moyen d’une voix clandestine,
( le bout du crayon suivant la mine ) ,
cette voix , alors, me devient audible ,
il faut juste qu’elle me traverse,
portée par des ondes, en-dedans :
c’est peut-être juste le vent
ou une soudaine averse :
( je ne saurai la décrire,
ni, ce qui la déclenche ):
les pensées ne sont pas étanches,
quand je me mets à écrire.
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RC – nov 2016
Marie-José Desvignes – Plus rien ne presse
–
——— Dans tous mes livres il est question d’écrivain, d’écriture, de mots (de maux ?).
Le premier n’était qu’une tentative de trouver les mots, ceux que j’avais perdus.
D’ailleurs, ça s’appelait Faille… composé de centaines de « on », propos d’autres auteurs jamais atteignables, trop sacralisés (un centon).
Le texte se tenait, c’était l’histoire d’un homme qui avait tout perdu et se retrouve une nuit dans un hôtel, il n’a plus de travail, il fuit l’annonce à sa femme. Il part.
Et durant la nuit, assis à sa table, il s’endort et rêve qu’il écrit. Le lendemain matin, le livre est là devant lui. Tout écrit. Quelle merveille !
J’ai délaissé ce texte, n’y suis pas revenue, presque deux cents pages de mots des autres, d’autres si prestigieux, mis bout à bout pour former une histoire, d’autres que jamais je n’égalerai, à quoi bon ? J’ai oublié, rangé le livre dans un tiroir.
Un jour, j’ai repris les mots, ils venaient de je ne sais où, syncopés, douloureux, longs poèmes tirés d’une âme tourmentée, cette fois c’étaient les miens…
La poésie apportant avec elle, ces minutes heureuses, brèves fuites dans le temps, j’avais ce sentiment délicieux de faire partie d’un monde que moi seule habitais, un monde que seules la musique et la présence de la nature venaient visiter.
J’ai repris l’habitude. Ecrire. Je retrouvais les mots et je revenais dans le monde, ce monde où je ne savais pas trouver ma place, dans lequel je m’agitais, tentant de défendre l’être (le mien peut-être) contre l’oppression, le carcan dans lequel il sombrait depuis la nuit des temps, aveugle et sourd aux murmures.
Les mots me revenaient, ceux de la révolte… Le stylo retrouva son désir premier. J’avais pourtant tout oublié… Et j’écrivais chaque jour des mots bruyants, tapageurs que je ne donnais à personne et dont je ne voulais pas moi même…
Je haïssais ce monde et ses mots (faut-il encore entendre maux ?) je me gonflais d’orgueil et de révolte et mes mots me heurtaient violemment, s’agrippaient sans jamais trouvés à s’accrocher ailleurs que dans ma détestation. Ca m’a pris tant de temps que j’en perdais régulièrement le goût.
Et les mots toujours venaient, insatiables, incomplets, par bouts, jetés dans des centaines de carnets… rien ne se tenait et tout faisait corps. Un corps informe, massif, désespéré, toujours plus lourd, si mal nourri, dans la rage et le silence, les mots se sont taris.
Ils étaient pauvres à nouveau, pauvre de moi, ne m’intéressaient plus. Je ne vivais pas le monde, je vivais de mots, ceux que je fabriquais, et de luttes… contre quoi ?
Contre ce que je fuyais, contre une appartenance, pour une liberté que je ne trouvais nulle part. N’étant pas de ce monde, comment pouvais-je y trouver une liberté ?
- ( c’est la dernière partie du texte que l’on peut trouver sur le blog ardemment.com)
Ile Eniger – Poivre bleu
–
Je traverse la béance du jour. La créance du vide. Les tempêtes s’agitent dans l’état d’être. Je suis l’animale inquiétude, la douceur de mémoire, le bonheur à l’instinct. Je traduis je t’aime par le mot inconnu. Il frissonne de la part manquante ou ajoutée. Je com-prends tout jour sans le connaître. Chaque lettre déclinée jusqu’à la voix des mains invente un poivre vif. Cet éternuement.
Bleu.
Toute pensée, tout geste marche en terre brûlante, lumière silencieuse, incontournable amour. Plus haut que les tiédeurs, les habitudes, loin des fioritures, du collectif, au-dessus des glaces, des feux, sans apparences ni contorsions je veux. Le simple rayonnant. Le tour de force de la bonté. Poivre bleu, le livre dira peu. J’écrirai encore.
–
extrait de « poivre bleu »
René-Guy Cadou – Lettre à des amis perdus
sculpture : Ossip Zadkine
–
Chaque jour je vous ai écrit
Je vous ai fait porter mes pages
Par des ramiers par des enfants
Mais aucun d’eux n’est revenu
Je continue à vous écrire
Tout le mois d’août s’est bien passé
Malgré les obus et les roses
Et j’ai traduit diverses choses
En langue bleue que vous savez
Maintenant j’ai peur de l’automne
Et des soirées d’hiver sans vous
Viendrez-vous pas au rendez-vous
Que cet ami perdu vous donne
En son pays du temps des loups
Venez donc car je vous appelle
Avec tous les mots d’autrefois
Sous mon épaule il fait bien froid
Et j’ai des trous noirs dans les ailes
RENÉ-GUY CADOU
Miron Bialoszewski -Je ne sais pas écrire

peinture: Jan van Scorrel, 1531, -L’Ecolier,
Je ne sais pas écrire
il fait noir ici
que dire du chandail gris ?
– rien d’autre-
dehors
vinaigre déjà
il neige
l’arbre de froid et de structure de cristal
taciturne
ne bruit pas
par où sortir du verbe ?
Miron Bialoszewski
–
Je n’entends plus ce qu’il faut écrire ( RC )
Je secoue mes mains pauvres,
Il y a encore des plis qui s’accrochent,
Et puis l’encre mauve,
Des froissements d’ailes qui s’approchent.
Un parachute innocent qui passe;
Je sème à tout vent dit Mme Larousse,
Occupant un bout d’espace,
Aux graines de pissenlit, douces.
Reviennent rêves de constellations,
Je vois dans ma boule de cristal,
Des étoiles brunes en gravitation,
En dessins sur ta peau boréale.
Le regard se pose en bonds,
Dans les champs d’amandiers.
Ton visage, qui tourne en rond.
Dans la glace,il me faut l’étudier.
Déjà, il prend toute la place,
Et n’entends plus ce qu’il faut écrire,
Au loin, les mots s’entassent,
Quand traverse ton sourire.
–
RC – 27 janvier 2013
–
Comme j’aurais aimé l’écrire -( Par l’entremise de V Hugo ) – ( RC )
–
texte proposé – à partir de quelqu’un qui a dit – à propos des vers de Hugo ci après
» comme j’aurais aimé l’écrire »:
Ecoute l’arbre et la feuille
La nature est une voix
Qui parle à qui se recueille
Et qui chante dans les bois
Victor Hugo
———————-
( Comme j’aurais aimé l’écrire…
Et faire aussi beau
Qu’un texte de Hugo…. )
—
Si tel est ton désir,
pour faire un recueil,
prélève donc une feuille
Tresse une couronne
des ors de l’automne,
Chante d’une voix pure,
et conduis l’écriture…
– Elle viendra à toi
suggérant à travers bois
le récit qui allume
le parcours des plumes
au travers des roseaux
Et le chant des oiseaux
grandira, se fera lecture
à travers ta nature…
RC – 15 janvier 2013
–
Lambert Savigneux – et mâcher la machette – Utopia –
Emily Kame KNGWARREYE
et mâcher la machette
quand la pression du monde est si violente, que sur les tempes le monde appuie avec des barres de fer qui écrasent la pensée même
est t »il simplement possible de vivre et qu’est ce vivre ?
se dire c’est dire je suis et faire abstraction de la pesanteur, se délaisser du monde qui enserre
prendre la plume et écrire deux mots semble impossible, étrangler dans les langes d’un linceul, se fait croire pour la vie
UTOPIA
l’imaginaire est compressé, emprisonné dans une lente mort, les yeux eux mêmes ne voient plus autre choses que ce monstre qui détruit,
l’autre, les autres car écrire cela n’est pas écrire
écrire c’est libérer l’étranglement, c’est desserrer l’étreinte
vaincre la mort et l’étouffement
rétablir l’équilibre et l’énergie,
asphyxié
rétablir l’équilibre, mentalement de sa place dans l’univers et ouvrir la main et relâcher un tant soi peu tout ce qui croupit dans cette tension de mare où pourrit la vie, délétère sous le couvercle d’une oppression qui empêche de respirer, inspirer et laisser aller le flot de parole garant de la vie
c’est l’imaginaire, cette porte ouverte, cette nappe intérieure d’où s’échappe le lotus
fleuri
pouvoir dire cela et ciller apercevoir un autre soi et se mettre à courir
56 EMILY KAME KNGWARREYE (c1910 – 1996). UNTITLED (ALHALKERE), 1995
–
René Char – pressé d’écrire
comme si tu étais en retard sur la vie
s’il en est ainsi fais cortège à tes sources
hâte-toi
hâte-toi de transmettre
ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance….
essaime la poussière
nul ne décèlera votre union.
Faire – défaire ( RC )
dessin : P Picasso: l’étreinte
–
A faire et à refaire
A lire et à relire
C’est toute une affaire
Ainsi s’attirent,
Les contraires par paires,
Les joies et le rire,
En un repas solaire
Comme c’est l’écrire
L’entre deux , au dessert
A refaire et parfaire
L’accord des soupirs…
–
Et comme défaire
Est souvent mourir,
Le corps souffert
Grain de délire
Aussi offert,
Et dans l’absence, pire
Le goût de l’enfer
Et l’on dira, partir
Aux vents du désert….
–
RC 2 octobre 2012
–
(inspiré par Arthémisia, et son post » Des faires » )
–
Louise Portal – écrire
« Photographies: Duane Michals
Ecrire,
c’est une liaison d’amour avec soi et les choses,
et les moments et les gens.
Ecrire,
c’est comme vivre
une vie parallèle à sa vie de chaque jour ;
c’est le vase purificateur de l’âme et de ses mouvances »
Louise Portal .
Seiches, encres et oursins (RC)
Quand les sèches encraient au fond du sablier,
Il ne leur suffisait que du temps à étirer,
Pour que se liquéfient leurs rires.
Accompagnées des oursins
Dans le petit bassin.
Pour que, le peintre ,d’un geste se mette à les écrire.
—

Picasso seiches et oursins
en liaison avec le souvenir des toiles de Picasso au musée d’Antibes: plusieurs toiles comportant des seiches et des oursins ( au moins quatre à ma connaissance)

Peinture: P Picasso Nature morte au panier, aux trois oursins, à la lampe
Aspirateur de leurres – ( RC )

peinture; Ferdinand Hodler: le bon samaritain
De temps en temps – ce n’est pas dommage …
Nettoyage et ménage, rime avec balayage
Dissection du futur, aide précieuse des oracles
Je sais, – de nos jours, on fait des miracles !
Car cela ne fait pas mystère
Même la tête à l’envers
Regardant notre terre
Et notre vie de poussière
On décompte – heurts et malheurs
Et grâce à l’aspirateur de leurres
S’il ne reste qu’un point lumineux
Il sera pour toi – j’en suis heureux
C’est quand même , bien l’espoir
De ne plus broyer que du noir
( ç’aurait pu être pire ! )
Qui soutient l’acte d’ écrire
— RC 11 et 13 avril 2012
inspiré du post de JoBougon… et un peu modifié depuis.
Valente— écrire
Écrire est comme la sécrétion des résines,
non pas acte, mais lente formation naturelle.
Mousse, humidité, argile, limon, phénomènes du fond, et non pas du sommeil ou des songes, mais des boues obscures où fermentent les figures des songes. Écrire ce n’est pas faire, mais se loger, être là.
Valente
Writing is like the secretion of resins,
not act, but slow natural formation. Foam, moisture, clay, silt, phenomena from the bottom, not sleep or dreams, but when fermented sludge obscure figures of dreams. Writing not to do, but to stay, be there.