Edith Södergran – l’appel du feu

L’éclair
éclair qui te caches dans un nuage,
éclair bleu que je vois,
Quand jailliras-tu ?
Eclair, ô toi, béni,
Chargé de foudre, fécondant, purifiant,
Je t’attends, exténuée.
Mon corps gît comme une loque
Pour pouvoir une fois, saisi par des mains électriques,
plus ferme que tous les minerais de la terre,
envoyer l’éclair.
Comme chez Francis Bacon – ( RC )

Si c’est la chair abandonnée,
de peine, de joies, de rages,
l’éclairage cru, d’otage,
le sang égoutté
lentement dans la nuit,
cette grande baignoire
où la vie s’enfuit
d’un coup de rasoir.
Difficile ainsi de se représenter
en auto-portrait….
- plutôt se filmer là,
devant la caméra :
machine sans émotion
oeil indifférent
où s’installe l’espion
de nos derniers instants
( Pour ceux qui aurait du mal à le croire
en léger différé – vous pourrez revoir
la vidéo prise ce soir là ) :
une fleur pourpre s’étend
lentement sur le drap ,
- un bras pend
- et la lumière s’éteint
Bacon aurait pu peindre
cet évènement sur la toile:
une pièce presque vide
- un fond bleu pâle
- une sorte de suicide
sous un éclairage livide
cru dans son contour électrique
une ampoule laissée nue
( on dira que cela contribue
au geste artistique ).
Un corps semblant inachevé
aux membres désordonnés
exhibés comme dans une arène
livré au regard obscène
alors que , pour tout décor
l’air brassé par un vieux ventilateur
tourne lentement encore
dans d’épaisses moiteurs
La peinture a de ces teintes sourdes
comme enfermée dans une cage
On n’y rencontre aucun visage
c’est une atmosphère lourde
de senteurs délétères,
dont elle demeure prisonnière.
Même exposée dans le musée,
elle sent le renfermé …
Roger Cibien – Où êtes-vous, bergers
J’aimais, j’aimais beaucoup rencontrer sur ma route
Les vénérables pâtres, lents à se confier,
Parlant à petits mots, avec des gestes de sorciers,
Dans l’immense silence, ils me disaient… Ecoute !
Et alors subjugué, effrayé par mes doutes
J’écoutais, le vent, la terre, les sentiers
Parler, jaser, siffler.
Le grand monde alors m’épiait
Mais le pâtre était là, expliquant ma déroute.
Mais les bergers sont morts …
C’est un fil électrique
Qui garde le troupeau.
Finies les images d’Attique,
Rompu le trait d’union de Dieu et des Bergers.
Les secrets de la terre, les mystères du ciel
S’arrêtent à un fil invisible et cruel !
Où êtes-vous Pasteurs ? Où êtes-vous Bergers ?
Roger CIBIEN ( extrait d’une anthologie de la poésie lozérienne )
Restes d’une langue électrique ( RC )
image extraite d’un film « noir » américain
–
Au sommet d’immeubles,
Les lettres s’échappent, s’agitent.
Certaines se précipitent, se mêlent
finissent par retrouver leur ordre.
En néons verts se disputant aux rouges.
Ce sont les façades voisines qui assistent à leur course.
Balbutiant leur clignotement.
Deux lettres, presque au milieu du mot,
lassées , vibrent d’une lumière déteinte,
maladive, à leur base.
Personne ne songe à les remplacer.
Leur message n’est sans doute pas indispensable,
c’est sans doute un reste de langue électrique,
qui peut ne s’exprimer
que par onomatopées :
il peut s’échapper des syllabes,
cela n’a que peu d’importance,
Une partie du paysage urbain,
s’activant dès que le soir
commence à épaissir le ciel.
De l’endroit où je l’observe,
Ce que je vois, est à l’envers.
J’ai le vague souvenir d’un film, de gens sur les toits,
poursuivis par d’autres, et la lumière émise,
les cachant plus qu’elle ne les révèle .
J’imagine les passants
gardant autour de leur corps
une auréole de néon,
alternativement verte et rouge,
qu’ils emporteraient avec eux.
Mais l’arrivée du bus me ramène sur terre.
Je monte dedans.
Avec l’avenue empruntée,
je devrais pouvoir lire l’enseigne à l’endroit,
quand il aura fait le tour du rond-point.
Mais un rideau d’arbres
aux feuilles encore denses s’interpose.
Décidément cela ne me semble pas destiné,
pas plus qu’à mes voisins,
le regard absent, pressés de rentrer chez eux, sans doute.
–
RC – oct 2015
Prélude à la nuit ( RC )
Des verticales rares, fichées au sol,
suivent les partitions lentes,
celles des portées électriques,
Celles des portées électives,
Je me souviens, comme elles dansaient
Lorsque le regard restait sur l’horizontale
Et que défilait le paysage du point de vue ferroviaire
Au « Cloc-loc », régulier, des interstices des rails.
Je vois maintenant le plateau
Caressé par la lumière du soir
Qui déborde des stries des plantations
Et prend vie des ondulations douces,
Presque un soupir, au sens musical
Quand la terre reprend son souffle
Après une journée torride, juste apaisée
Par un léger mouvement des airs.
Il y a l’ombre portée des arbres
Sur le sol, qui s’allonge démesurément.
Il y a encore, plus loin l’étendue qui varie
Et qui d’une autre lumière aussi, se marie
Et qui fait suite, avec ,on s’en doute,
Des transitions brusques, celles, qu’on ne voit pas
Qu’on ne vit pas avec nos yeux,
Car buvant une ombre déja profonde.
Puis, les messagers ailés, tirent des traits
En s’appuyant sur l’air, ne craignent pas la chute
Et encore viennent, virevoltent et volutent
Franchissant d’élans plus faciles
Espaces et distances que de plus audacieux ouvrages
Appuyés sur le sol, l’épaule des rochers,
Quelque part, au souvenir des courbes et des contours,
En progression obstinée, dans la paume d’ocre,
Le pays, sans doute s’arrondit plus loin
Au vécu tragique, d’un ciel antique
Lorsque le disque solaire
Masqué de temps en temps par les collines
Qui dansent aussi, à notre trajectoire
Finit par quitter la scène
Et que les oiseaux fuient
Au prélude à la nuit .
RC – 8 aout 2012
Sempre0allegra – mesures électriques
ELETTRICHE MISURE – MESURES ELECTRIQUES
Flattée de tes germes trompeurs
Revêtue au contraire d’une ivraie noire
J’approche l’aube inquiète
Triste de t’abandonner maintenant.
Orpheline de tes merveilleux silences
Résonnants d’écriture,
Electriques mesures,
De cette conjonction littéraire
J’imagine le son, le gout
Respectant à la virgule
L’ordre des strophes ,
Me laissant toutefois sans repos
Tant je suis malade de toi .
—-
Scendo, fiocco coi fiocco dai nuvoli,
Appesa li, da una notte intera,
Lusingata da vostri germi falsi.
Vestita piuttosto da Loglio nera.
Avvicino l’alba irriquieta
Triste di lasciarti ora.
Orfana di tuoi stupendi silenzi.
Risuonante di scrittura :
Elettriche misuri
Di quest’amplesso litterario
Imagino il suono, il gusto,
Rispettando alla virgola,
Ordine di strofa ;
Ma non trovo riposo,
Ammaliata di te che sono!
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sempreallegra avril 2012