Retirer son nez de la rose – ( RC )

Celui qui plonge son nez dans une rose
ne s’attend pas à ce qu’elle se referme sur lui.
Quand je me mets à la peinture,
il en est un peu ainsi:
je n’ose les couleurs franches
que pour précipiter les autres
à leur rencontre .
Il m’est difficile de laisser les choses en l’état.
Car tout semble s’organiser
en combat de brosses
et caresses de pinceaux .
Chaque geste veut donner de la voix,
mais conserver son quant à soi,
sa part d’élégance,
son enclos préservé,
même s’il s’aventure
dans une lourdeur faussement maladroite.
En fait j’assiste au lever d’un jour,
qui a sa part d’ombre,
et ne me lâche plus d’un pouce.
On se demande encore
s’il me reste quelque choix conscient,
car même si c’est par mon intermédiaire,
il semble que la main ne fait qu’obéir
à la montée naturelle des formes
et des contrastes.
Que proposer alors ?
Un dilemme entre le flou et le net,
l’affirmatif et l’hésitant,
la réserve ou la superposition ?
La décision est délicate,
elle ne dépend pas de ma seule volonté,
car les éléments ont leur vie propre,
et se laissent difficilement convaincre….
Le seul moment crucial arrive
à l’instant où tout semble en suspension.
L’équilibre est précaire,
il menace à tout instant de se rompre,
et comme dans l’écriture,
je dois faire attention aux parenthèses,
aux répétitions, et à la ponctuation…
C’est le moment de retirer son nez de la rose…
J’en conserve le parfum…
Caroline Dufour – Saturation

et l’arbre se tient béant
devant tant d’yeux
sur le vide
et tant de vide
à vendre
d’autant béant
qu’autour de lui,
la blanche tombe cristalline
comme une grande
chanson d’amour
des milliards de
diamants cosmiques
projetés
d’une bouche céleste
sur un monde
gorgé
mais que
sais-je, se dit-il,
de l’instable
peut-être, dans
sa parfaite élégance, sa
courbure patiente
Un prince au froid – ( RC )
C’est une promenade infinie,
où l’on prend toutes précautions,
pour que l’être se conserve
en l’état :
Il n’a pas été nécessaire,
comme le faisaient les Egyptiens,
de prévoir le voyage dans l’au-delà
par un subtil embaumement.
Il suffit de promener ton cadavre
avec ce siège à roulettes
dans une galerie climatisée,
quelques degrés en-dessous de zéro.
( Tu parcours donc un circuit
– variations forcément limitées –
propice à ton ennui,
prévu pour l’éternité ).
Notons l’élégance
un peu raide de la mise,
mais sans les épaisses fourrures
que l’on revêt par grand froid …
Ton regard quelque peu absent:
on pourrait le dire « glacé »,
et les pensées immobiles,
figées, comme tes membres ,
dans une position définitive .
D’aucuns la disent hautaine.
> Mais une certaine raideur ,
assortie à tes fonctions .
–
RC – sept 2016
Moins que des natures mortes – ( RC )
–
Un jour, – que je m’aventurais
A visiter les salles des musées,
Suivant les galeries des portraits,
Les enfilades de parquets cirés,
Princes et généraux,
Ducs et cardinaux,
Chacun en habits d’époque,
Qui de sa toque,
Qui de son manteau de renard,
Ou de son pourpoint,
Toisant l’assistance d’un regard,
Pour la postérité – avec dédain…
–
Pourtant l’histoire oscille,
Au rythme des années,
…. Ce sont des objets futiles,
Que l’on a conservés.
C’est une triste cohorte,
Figée derrière son vernis
Ce sont moins que des natures mortes,
Leur vie s’est évanouie…
… – Et recroquevillée…
Ils ne représentent plus rien,
Ils ont été oubliés,
( on a perdu le lien )
–
Un peu comme ces papillons,
Du musée d’histoire naturelle,
Faisant partie de la collection,
– couleurs , élégance des ailes –
Epinglés sur leur support ,
Avec dessous un nom latin ,
Ce n’est que celui d’un mort…
En habits de satin .
Les natures mortes, elles,
» Still living » , in english,
D’où la lumière ruisselle,
Associent aux fruits, une fraîche miche.
–
Au bal des coquilles vides,
Les musées fourmillent,
De portraits insipides,
De vieilles familles,
Il fallait orner les demeures,
Attester de l’origine, de la lignée,
La comtesse et sa belle-soeur,
Leurs descendants, tous alignés,
Sous les perruques poudrées …
Le peintre ayant posé une lumière,
Subtilement cendrée …
Maintenant avalée par la poussière.

portraits au château de Bussy-Rabutin
–
Ces familles satisfaites ,
A l’attitude altière,
En habits de fête,
Ruban à la boutonnière
Chapeaux de plume , ou armures…
– Les couches de peinture jaunie,
Enfermées sous cadres et dorures,
Sont maintenant ternies.
Des symboles de pouvoir,
Ces objets désuets,
Ne sauraient nous émouvoir….
– Ils sont maintenant muets .
–
RC – février 2014
Voyager dans vos paroles ( RC )

dessin: Celine Colombel
Mon souvenir ira voyager dans vos paroles
En possible accueil, c’est une trace ténue
Qu’en vous soigneusement , vous garderez émue
En une dernière escale, comme une aile frôle
Au plus sûr de votre cœur, ce sera une place.
Pour l’ ami aux paroles prodigues
Ayant peut-être égaré , le nom. Il navigue
Au milieu de l’esprit – rien ne l’embarrasse
C’est un homme vivant , qui part et s’élance
Comme un ciel d’orage sur les mâts
– L’homme le plus tenté par l’amour s’ébat
Et vents, poussent navires avec élégance…
–
RC – 01-2012
–
La Dame de Shanghaï ( RC )
( évidemment en rapport avec le film du même nom, d’Orson Welles )
–
Tu as vu comme elle danse ?
Et avec quelle élégance !
Elle, ou elles – sont plusieurs
Semblables comme des soeurs
Les demoiselles d’un soir
… Multipliées par les miroirs
Attraction foraine, passer à la trappe
Magasin d’accessoires, farces et attrapes ..
Le jeu des silhouettes,
– Le doigt sur la gâchette,
Trois coups de revolver
– Et ma tête à l’envers
Que je retrouve dans les glaces en miettes,
C’est une drôle de fête
Et ça fait quoi comme effet
De combattre les reflets ?
On ne sait plus trop ce qui bouge
Derrière le rideau rouge
– La Dame de Shanghaï
Vient d’ passer la muraille, ….
En robe de soirée .
Ca va encore foirer !
Cà n’me dit rien qui vaille
Toute cette pagaille
Ce jeu des illusions
Qui fait la confusion
— « Nothing else?
Mister Welles ? »
Je n’ai plus de cartouches,
c’est bientôt moi, la mouche !
Je vais bien me payer une balle,
Et tout ça pour que dalle!
C’est vraiment pas de chance !
Pan ! PAN ! PAN ! Et puis condoléances…
Le canon de l’arme qui pète,
N’a pas besoin d’interprète…
Claquement sec dans l’atmosphère
Et la fin des p’tites affaires !
A foncer dans l’ décor
C’était tenter le sort,
Immobilisé
Dans le verre brisé
Rira qui voudra
Tourne la caméra !
Tu veux un autographe ?
Sur ma tombe, un épitaphe…
Une galette, quelque chose à boire ?
———Transformé en passoire
Trois coups de revolver
Quand tout va de travers ….
La passion , la course du désespoir,
C’est comme dans les films noirs …
Regardez, cet acteur qui déconne !!
—- Paraît qu’ y a eu maldonne,
Erreur sur la personne …
Encore un coup d’Orson…
–
RC – 15 décembre 2012
La victoire de Samothrace (RC)
Samothrace envahit l’espace.
Les ailes immenses déployées, fougueuse
outrepassant la pierre, moulant l’empreinte des siècles.
Pas d’oiseau, pas de bec
Elle est absolu, ailes sont majestueuses,
elle n’a que faire de sa tête
Cela ne dépare pas sa silhouette
Elle est transe., élégance..
Immense.
Elle plane sur mon passé.
Sur celui des vivants, des trépassés.
Envolée, presque échappée des mains
D’un sculpteur anonyme —– hier, c’était demain
D’un espoir sublimant le voyage.
Il n’y a pas d’otage, ni de mise en cage.
Pas de captivité,
Juste le chant de la liberté.
- la victoire de Samothrace, musée du Louvre, Paris