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Marc Hatzfeld – l’attente


montage perso à partir de documents de brookenshaden

L’amie l’attente
Laisse ignorer son nom
Toujours seconde
Derrière la pompe et l’or des grandes émotions.
Souvent heureuse
L’attente
Ne porte pas d’autres visages
Que ceux mélangés des images
Qui glissent dans l’oubli
Et se brisent enfin
Sur la fin d’un soupir.
Mais elle revient
Malicieuse et modeste
Elle réclame ses restes
S’immisce sous ton ombre
Et te parle
Te regarde: elle veut rire avec toi
L’attente
Elle te croque les ongles
Elle te mouche
Et prend les formes tièdes
D’un monde sans importance
Elle se fait mur. elle se fait pain
Elle devient le stylo ou la main
Ou le bruit d’un pas qui résonne et repasse
Mais ne finit jamais plus par frapper à la porte
Devenue sourde.

extrait du recueil de Marc HATZFELD « GIROUETTE »


Silvina Ocampo – Chant


 

Claire Henault

Claire Hénault – Le voyage interrompu (gravure)

 

 

Ah rien, rien n’est à moi !

ni le ton de ma voix, ni mes mains absentes,

ni mes bras lointains.

J’ai tout reçu. Ah, rien, rien n’est à moi.

Je suis comme les reflets d’un lac ténébreux

ou l’écho des voix dans le fond d’un puits

bleu après la pluie.

J’ai tout reçu,

comme l’eau ou le cristal

qui se transforment en autre chose :

en fumée, en spirale,

en édifice, en poisson, en pierre, en rose.

Je suis différente de moi, aussi différente

que certaines personnes quand elles ne sont pas seules.

Je suis tous les lieux que j’ai aimés dans ma vie.

Je suis la femme que j’ai haïe le plus

et ce parfum qui me blessa une nuit

avec les décrets d’un destin incertain.

Je suis les ombres qui entraient dans une voiture,

la luminosité d’un port,

les étreintes secrètes, occultes dans les yeux.

 

Je suis, des jalousies, le couteau

et les douleurs blessées rouges.

Je suis l’éclat des regards avides et longs.

Je suis la voix que j’entendis derrière les volets,

la lumière, l’air sur les lambercianas.[1]

Je suis tous les mots adorés

sur les lèvres et les livres émerveillés.

Je suis le lévrier qui fuit dans le lointain,

la branche solitaire parmi les branches.

Je suis le bonheur d’un jour,

la rumeur des flammes.

Je suis la pauvreté des pieds nus

sur des enfants qui s’éloignent, muets.

Je suis ce qu’on ne m’a pas dit et que j’ai su.

Ah, j’ai tant désiré que tout fût mien !

Je suis tout ce que j’ai déjà perdu.

Mais tout est insaisissable comme le vent et le fleuve,

comme les fleurs d’or des étés

qui meurent entre les mains.

Je suis tout, mais rien, rien n’est à moi,

ni la douleur, ni le bonheur, ni l’effroi,

ni de mon chant les voix.

 

[1] Espèce d’épicéa.

 

 

¡ Ah, nada, nada es mío !

ni el tono de mi voz, ni mis ausentes manos,

ni mis brazos lejanos.

Todo lo he recibido. Ah, nada, nada es mío.

Soy como los reflejos de un lago tenebroso

o el eco de las voces en el fondo de un pozo

azul cuando ha llovido.

Todo lo he recibido :

como el agua o el cristal

que se transforma en cualquier cosa,

en humo, en espiral,

en edificio, en pez, en piedra, en rosa.

Soy diferente a mí , tan diferente,

como algunas personas cuando están entre gente.

Soy todos los lugares que en mi vida he amado.

Soy la mujer que más he detestado

y ese perfume que me hirió una noche

con los decretos de un destino incierto.

Soy las sombras que entraban en un coche,

la luminosidad de un puerto,

los secretos abrazos, ocultos en los ojos.

Soy de los celos, el cuchillo,

 

 

y los dolores con heridas, rojos.

De las miradas ávidas y largas soy el brillo.

Soy la voz que escuché detrás de las persianas,

la luz, el aire sobre las lambercianas.

Soy todas las palabras que adoré

en los labios y libros que admiré.

Soy el lebrel que huyó en la lejanía,

la rama solitaria entre las ramas.

Soy la felicidad de un día,

el rumor de las llamas.

Soy la pobreza de los pies desnudos,

con ninos que se alejan, mudos.

Soy lo que no me han dicho y he sabido.

 ¡ Ah, quise yo que todo fuera mío !

Soy todo lo que ya he perdido.

Mas todo es inasible como el viento y el río,

como las flores de oro en los veranos

que mueren en las manos.

Soy todo, pero nada, nada es mío,

ni el dolor, ni la dicha, ni el espanto,

ni las palabras de mi canto.

 

 

Poèmes d’amour desespéré

(traduction de Silvia Baron Supervielle)

Ibériques

JOSE CORTI

 

 


Horizons (Susanne Derève)


Résultat de recherche d'images pour "ennecking  printemps"

         John Joseph Enneking  (Spring Hillside)

 

 

Un dégradé de jaunes et de verts
jusqu’à l’horizon
de genêts, d’ajoncs, de graminées légères
Être là
sans raison
sans autre raison que de se sentir vivre
vivant
 
de l’incroyable élasticité de la mousse
sous les pas
du tronc  lisse    clair
–  l’écorce cède sous les doigts  –
de la respiration profonde  du bois
d’une plume tombée à terre

 

Je sais que la source en est là
enfouie dans le bonheur des mots
Tenter  d’approcher ce qui est
ce qui demeure
et nous survit

 

Tenter de pénétrer l’instant
où l’émotion surgit
sans raison
il suffit d’en rester ébloui

 

Si les étoiles se dispersent
si les désirs d’enfant transpercent
la monotonie des jours
au sortir de l’averse
il y a cette trace lumineuse dans le ciel

 

Où qu’elle mène
j’en cerne  inlassablement le contour
au-delà des jaunes pastels
et des verts chancelants du jour

Es-tu cet être sans corps ? – ( RC )


22 - cerveau  boc.jpg

Es-tu cet être sans corps,
qui ne fait que penser,
et n’a          comme décor,
que d’autres exemplaires alignés,
            sur les étagères
             du laboratoire ?

Ame passagère
que l’on peut voir
dénuée de crâne
         ( le corps devenu inutile )
un simple organe
reposant tranquille
         au fond du bocal :
juste un cerveau ,
dont le mental
ne prend pas eau

>         tout cela s’analyse
            et se soupèse
et même l’hypophyse
se sent plus à l’aise
flottant dans un liquide
aimable et moelleux,
bien que translucide
(que peut-on espérer de mieux ? ).

Pas de corps vieillissant,
      pas de rides,
         pas de sang,
mais un autre fluide,
un existence certes monotone,
mais pour les bienfaits de la science,
et la satisfaction des neurones …
        la nécessaire expérience
qui libère les pensées
– en se passant d’un corps oppressé –

De toutes façon tu peux communiquer
l’essentiel de tes émotions
et même pouvoir les expliquer ,
en maintes occasions :
va-t-on donc grâce à toi
pouvoir comprendre les détours d’âme,
          et tous les émois
         d’un psychodrame
tout cela transcrit sur un graphique,
par impulsions électriques ?

Le corps est-il encore nécessaire,
quand on peut en faire abstraction ?
s’il est libre comme l’air
( après son ablation )
on sait qu’il est encore capable
                   ce cerveau isolé,
                        – mais relié à des câbles –
d’avoir des pensées pouvant fleurir sans s’emmêler…
>        Avec celui d’Einstein on compte bien
recueillir les confidences du physicien…


RC – janv 2018

 


Envahissement du ciel , par le corps d’une géante – ( RC )


https://petitemelancolie.files.wordpress.com/2011/10/raoul-ubac-nu-couchc3a9-solarized-silver-print1938.jpg

photo: Raoul Ubac  –  nu solarisé   1938

 

 

Flottante, entre deux peaux,

Ou bien ayant quitté un temps la terre …

C’est un nuage de chair,

– Ainsi l’indique la photo.

 

L’envahissement du ciel,

Par le corps d’une géante :

Confisquées:  les montagnes et leurs pentes ,

Battement à tire d’elle…

 

Peuplée de formes blanches,

Il n’y a de neige douce,

Que cette peau de rousse,

Et vers nous elle penche.

 

Souffle une brise dans tes cheveux,

  • As tu froid, ainsi découverte ,
  • Quel message, portent tes lèvres entr’ouvertes ?
  • Que nous confient tes yeux ?

 

Tu prends tout l’espace de la vision

Occupes la totalité du paysage,

Nous protégeant des orages ,

de leur sourde invasion :

 

Prenons nos désirs     pour la réalité,

Allons nous réfugier sous le parapluie,

De son corps : un prélude à la nuit,

>         Indulgence et sensualité .

 

Une ondulation des hanches ,

Répand des sourires sur la ville,

Le creux de ton nombril est une île,

Où pas un cyclone ne se déclenche .

 

Et de ces syllabes à détacher,

S’il faut parler    mété-o,

Je préfère     t’aimer haut

Ayant quelque mal à m’arracher

 

A l’humaine condition …

Pour admettre que les caresses,

Conviennent aussi aux déesses ,

( et qu’il peut pleuvoir en émotions ).

 

 

RC –  sept  2015


Un état poétique – ( RC )… écho à Cesare Pavese


photo:           extraite des   « temps Modernes  »   C Chaplin

Dès l’instant où l’auteur tourne sa tête,

Diverge le quotidien, dans ce qu’il a de commun,

Et répétitif,

Des occupations « terrestres »….

Le regard change de place.

La pensée ricoche sur d’autres,

( celles des autres aussi )

Et remplace la normalité, par une envolée

–  Plus belle – je ne saurai le dire-

Mais davantage libérée,

( si libérée est le terme),

des occupations de la vie,

Pour laisser place

Aux émotions,            dites

En métaphores,

Enracinées à la fois

Dans la vie et le rêve,

Une manière d’être.

( un état poétique),

Comme on dirait « un état fébrile »

Qu’il lui faut traverser.

De sa plume – seule ? –

En tout cas par l’esprit,

Ouvert à des éclairages,

Qui lui sont encore , inconnus.

 

RC- septembre 2013

—-

en écho à ce qu’écrivait C Pavese:

16 avril 1940

Il doit être important qu’un jeune homme toujours occupé à étudier, à tourner des pages, à se tirer les yeux, ait fait sa grande poésie sur les moments où il allait sur le balcon, sous le bosquet, sur la colline ou dans un champ tout vert. (Silvia latini, Vie solitaire, Souvenirs) La poésie naît non de l’our life’s work, de la normalité de nos occupations mais des instants où nous levons la tête et où nous découvrons avec stupeur la vie. (La normalité, elle aussi, devient poésie quand elle se fait contemplation, c’est-à-dire quand elle cesse d’être normalité et devient prodige.)

On comprend par là pourquoi l’adolescence est grande matière à poésie. Elle nous apparaît à nous — hommes — comme un instant où nous n’avions pas encore baissé la tête sur nos occupations.

20 février

La poésie est non un sens mais un état, non une compréhension mais un être.

extrait du « Métier de vivre « 

 


Claude Debussy – Voir le jour se lever


dessin perso: Musée d'Art de Bâle  - Suisse

dessin perso ——-d’après une oeuvre de Meister von Stierentz   : Musée d’Art de Bâle – Suisse    mars 2013

Une citation paradoxale, pour quelqu’un d’aussi fin musicalement  que  Claude Debussy:

« Voir le jour  se lever est plus utile que d’entendre la Symphonie pastorale. « 

Mais ( outre la notion  d »utilité », qui pourrait se discuter, et savoir  qu’est-ce  que l’auteur entendait par là ) …  le fait de ressentir des émotions  dans le monde « en direct », sans être lié au monde de la création,  et notamment  du domaine  auquel on appartient…

– peut-être aussi parce que l’oeuvre citée fait partie d’une culture « classique », donc, du passé…

jour


Nwesla Biyong – Conscience


peinture  Franti^cek Kupka

peinture        Franti^cek Kupka

 

 

 

 

 

 

L’école de la vie use de pots noirs

Pour peindre

Les couloirs de nos émotions

Changements illusoires au carrefour de l’éveil

Gaine délabrée de nos certitudes

De la clarté

 

Le chemin est une longue nuit mystérieuse

Apparente aux fèves d’élans spirituels

Et la plupart empruntent le périphérique de l’hérésie

Convaincus de la justesse de cette voie

Par cet usage des pots noirs

 

L’école de la vie garde entière cette question

Du néant à la plénitude

Où s’enclenche la vie

Qui anime les vivants et inanime les  pierres ?

 

P N B

16 décembre 2011,

Hommage à Claude Monet ( RC)


peinture: Claude Monet

Harpe d’herbe,

ainsi chatoient les doigts du vent  dans le blé

 

Harpe  de couleurs

ainsi  se posent les reflets en pâte

 

Harpe  d’émotions

ainsi se lisent les doigts du peintre.

 

Qui montre  avec le simple ce qu’on ne voit

que par ses yeux.

RC      29 fev 2012