escargots de cimetière -( RC )

On ne pourra jamais dire
si les morts se souviennent
de leur existence .
Maintenant, à l’ombre des cyprès
ils peuvent simplement
parier sur les escargots
qui se promènent sur leur tombe,
savoir qui franchira le premier
l’enclos, dès la première pluie
pour longer le mur de l’église,
mais il est peu probable
qu’ils pénètrent à l’intérieur :
l’odeur d’encens ne les attire pas;
l’eau bénite a le goût des cierges.
Ils préfèrent les morts aux vivants,
ceux-là ne risquent pas
de les écraser
avec leurs gros sabots….
Décalqués dans le relief des choses – ( RC )
photo : Pentthi Sammallahti
Je suis rentré par hasard dans un enclos,
je m’en suis approché, comme si j’avais tourné
une page d’un livre, et que la photographie du lieu
me chuchote la chanson de son infini.
Je ne regarde pas ce monde ;
c’est lui qui me regarde,
car l’immobilité ne semble qu’un faux semblant.
Les chiens et oiseaux solitaires, je les reconnais,
mais il semblent des survivants dans un monde pétrifié,
la lumière sourdant de l’intérieur, même…
Il y a aussi des hommes, se découpant sur celui-ci,
mais qui ne semblent pas à leur place ,
survivants aussi d’un lieu, décalqués dans le relief des choses,
happés par l’étrangeté des instants,
où la lune se cristallise,
les arbres dépouillés peints par Bruegel
semblant y trouver leur place.
C’est qu’une fois après avoir longé cet enclos,
y être entré comme par effraction ,
il est difficile d’échapper aux noirs profonds, et bruns tourbeux,
et à la neige qui semble attendre.
Cela demeure, à la façon d’une image qui s’inscrit en creux,
comme la persistance rétinienne . :
on ne peut se contenter de tourner la page pour revenir au point de départ ;
rien ne coule, le méandre du fleuve fait vœu de silence ,
et on dirait que l’origine du monde est tout à côté.
Ce qu’on prend pour une esquisse
a quelque chose de définitif.
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RC – juin 2017
La tombe de l’écrivain – ( RC )
provenance photo: philippocock.net
Il y aura un cube de grès rose,
dressé en lisière des bois,
une borne, à priori des plus banales,
( qui n’est pas kilométrique ).
En effet on s’y repose,
aussi bien on s’y assoit,
quoi de plus normal,
après la gymnastique.
Certains y laissent
quelques souvenirs,
de petits cailloux,
une canette de bière.
Les amoureux s’y pressent,
en mains et en soupirs .
C’est le lieu du rendez-vous,
plus que de la prière.
La mousse s’y incruste,
le lierre prolifère,
Pourtant ce volume ne porte
pas de date , mais des noms gravés.
Ce n’est pas un buste,
Mais une simple pierre,
posée de la sorte,
juste au bout de l’allée.
Entourée d’herbe verte,
et de pins qui penchent,
elle marquerait le dernier lit,
du célèbre écrivain :
une tombe offerte
comme une page blanche
qui attendrait encore des écrits,
confiés à d’autres mains .
Echappée de l’enclos
étroit du cimetière
on viendrait comme dans la supplique
de Brassens, y faire d’affectueuses révérences
Entre le ciel et l’eau
A moitié enfouie dans la terre
discrète et monolithique ,
prolongeant dans le temps, son acte de silence .
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RC – fev 2016
Vagues de laine – ( RC )
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C’est un troupeau dans un enclos en pente ;
Il se gorge de l’herbe grasse,
– un corps solidaire à têtes multiples –
dont la masse dissimule
ce qui reste de sol.
A les voir moutonner, se presser en vagues
de laine à palper du regard,
à défaut des doigts,
dans la tiédeur confuse
ondulée par le soleil .
Lui, rebondirait sur ces îles.
Elles se séparent et gravissent ensemble la pente ;
elles se suivent, et dessinent en beige clair
le tracé du chemin , laissant sur place
les têtes de rochers, nues .
Brebis et bêlements se déplaçant aussi.
( J’aurais voulu plonger dans leur manteau blanc,
les boucles autour des doigts,
connaître de mes paumes
le museau fébrile de l’agneau ).
Mais du troupeau, maintenant hors de vue,
stationné, peureux, sur une autre pente.
Il n’est resté, quelques instants plus tard,
qu’un enclos désert,
derrière les mailles de son grillage .
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RC – nov 2015
Raôul Duguay – La mer à boire
La mer à boire
J’étais l’enfant d’un siècle fou
J’avais la tête pleine d’oiseaux
Je construisais de beaux châteaux
Je vidais la mer dans un trou
La mer était belle à mourir
J’étais une fleur à cueillir
La vie était un jeu d’enfant
Je prenais vraiment tout mon temps
J’avais pour moi l’éternité
Pour vider la mer dans un trou
Je me soûlais de liberté
Et je réinventais la roue
J’étais l’enfant d’un siècle chaud
Dans ma petite tête il faisait beau
Mes châteaux se tenaient debout
Et mon royaume était partout
Et je suis devenu un homme
Les mots sont mes plus beaux châteaux
Mais comme une image vaut mille mots
Mes beaux châteaux vont prendre l’eau
Les mots deviennent des numéros
Un plus un égale zéro
Plus on a de zéros plus on vaut
Quand on signe son nom à l’endos
Je suis l’enfant d’un siècle de fous
Les riches creusent aux pauvres un trou noir
Donnez-moi donc un peu à boire
Et tant qu’à y être : versez-moi la mer
Et je rêve encore de boire l’eau de la rivière
Quand j’étais petit je m’y baignais dans la lumière
Ah mais aujourd’hui les rivières prennent l’eau
Et je rêve encore au jour où dans les dictionnaires
On ne trouvera plus le mot guerre qui crée la misère
Et qu’enfin les mots ne prendront plus l’eau
Il reste encore quelques oiseaux
Qui ne chantent pas encore faux
Je vide la mer dans mon verre
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extrait d’une chanson de l’auteur
Paroles et musique : Raôul Duguay
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