Michael Glück – sous un ciel clouté
dessin OkArt
la nuit est tombée
bivouac
un homme s’est endormi
sous un ciel clouté
il dort
dans sa tête une volière
drôles d’oiseaux
qui ne chantent pas
espèce muette
toujours porte-parole
souvent muette
–
extrait du recueil de M Glück » l’échelle »
César Branas – Confession du jaloux
peinture : Ilia Rubini
Jaloux je suis
de la folle tendresse du vent
qui te caresse.
Jaloux je suis
du jour sur ton front endormi :
il ne te quitte pas.
Jaloux je suis
du chant qui ne retourne pas,
volage, vers ta gorge.
jaloux je suis
de la journée qui te serre et de la nuit
qui te délivre.
Jaloux je suis
de ton sommeil, insaisissable rival
qui te possède.
Jaloux je suis
de toi, de moi et de mon amour même
parce qu’il t’aime !
–
César BRANAS « Jardin Muré » (1952-1956) in revue « Europe », septembre 1968
Une géométrie modifiée – ( RC )
photo: Rodney Smith
Tu peux tirer le rideau sur le théâtre du jour,
> cela coïncide avec la géométrie des lieux :
chaque chose est à sa place,
dans un repère orthogonal.
La plage est silencieuse,
la mer grise, d’un calme sournois.
Effectivement le plancher de la maison
reste parallèle à l’horizon ,
comme si c’était fait exprès:
C’est compter sans le ciel endormi,
qui joue avec le vent,
une partition,
où souvent, les choses basculent
dans leur sommeil.
Bois et charpentes gémissant,
supportent les éléments,
qui parfois
pèsent plus lourd qu’on ne pense :
le drap des nuées secoué en tous sens,
ne modifie pas la perspective,
mais introduit des obliques ,
toutes dans le même direction,
mais sans qu’on puisse désormais
les corriger .
( sur une photo de Rodney Smith )
–
RC – dec 2017
Leon Felipe – Ne me racontez plus d’histoires
–
NE ME RACONTEZ PLUS D’HISTOIRES
Je les ai toutes comptées et contées,
Elles ont tous été dites et écrites.
Elles ont toutes été mises en bobines et archivées.
Le vieux patriarche les a racontées,
le chœur et la nourrice les ont racontées
un imbécile les a dites, plein de rage et de vacarme,
on les a gravées sur la fenêtre et sur la roue
et on en a conservé les matrices dans des coffres-forts.
Il existe des répliques exactes de toutes les tragédies,
des disques de toutes les psalmodies,
des photographies de tous les naufrages.
Pas une histoire n’est perdue. Soyez tranquilles.
On sait que le poème est une chronique,
que la chronique est un mythe,
l’Histoire un serpent qui se mord la fable
et le poète domestique le chroniqueur du Roi et de l’Archevêque :
le conteur d’histoires.
Tout est enregistré.
Et toutes sont encore vivantes. Le crieur public passe :
« Histoires !… Histoires !.. Histoires ! »
C’est le vieux conteur d’ombres et de rires
qui fait la publicité pour les histoires.
Mais je ne veux pas d’histoires…
Ne me racontez plus d’histoires.
II
JE CONNAIS TOUTES LES HISTOIRES
Je ne sais pas grand chose, c’est vrai.
Je dis seulement ce que j’ai vu.
Et j’ai vu :
que le berceau de l’homme on le berce avec des histoires…
Que les cris d’angoisse de l’homme on les noie avec des
histoires…
Que les pleurs de l’homme on les étouffe avec des histoires…
Que les os de l’homme on les enterre avec des histoires…
Et que la peur de l’homme…
a inventé toutes les histoires.
Je sais vraiment peu de chose, c’est vrai.
Mais on m’a endormi avec toutes les histoires…
Et je les connais toutes.
Severine Landry – Ne rien oublier
–
image virtuelle – maglor
–
Et ne rien oublier de l’obscurité
scintillante de la voix du silence
de l’absence réconfortante de
l’empreinte de son être de la
tendresse de son œil sombre.
Ne rien oublier
de sa présence palpable
dans l’isolement de la nuit
où le sommeil s’éclipse
et règne la lune pleine
gorgée de lumière douloureuse.
Elle parle encore
dans le mutisme
du monde endormi.
—
(paru dans la revue « 17 secondes »)