Nelly Sachs – Tant de graines aux racines de lumière

Ascension enflammée d’Élie avec une vie (XVIIe siècle) (collection privée)
Tant de graines aux racines de lumière
qui arrachent aux tombes leur secret
et le confient au vent
pour parsemer d’énigmes en langues de feu les chevelures
des prophètes,
et apparaissent dans le bûcher blanc du mourir
avec tous les aveuglements de la vérité
quand le corps près de là repose
avec l’ultime souffle dans les airs
et ce bruit de chaînes dans le retour
et l’enfermement de fer dans la solitude
et tous ces yeux perdus dans le noir —
-extrait de Enigmes ardentes ( recueil re-publié chez Verdier sous le titre « Partage-toi, nuit )
Magnolias – (Susanne Derève)

John Lafarge – Magnolia
Arbres grêlés de l’hiver qui griffez l’horizon
de vos bras nus
Les magnolias fleurissent déjà
étoiles roses étoiles claires
et les mouettes décrivent de grandes arabesques blanches
au-dessus des toits épousant le vent d’une aile légère
Qui voudrait croire que c’est aujourd’hui
le printemps ?
Les rues déroulent leur ruban de silence jusqu’à la mer
et la mer elle-même est silence
Les fenêtres sont closes la ville muette
les parcs les jardins déserts
scilles, jonquilles, violettes
furtivement écloses
et leur parfum vivace
enfoui dans le lit des sous-bois
Tu tentes bien d’en ranimer l’émoi
mais son souvenir te trahit
il s’évanouit et se dérobe
comme un voile trop fin
une image tremblée qui file entre les doigts
Alors, tu restes assis vainement à rêver
de chemins creux
du vert acide des futaies
Tu voudrais éprouver encore le fourmillement
de la marche, l’élan que tu imprimais à ton pas,
le chant des cailloux sous tes pieds
tu te souviens et tu voudrais et tu oublies :
tu ne peux pas.
Sur une photographie de Dora Maar – Man Ray – 1936 ( RC )
Les mains posées sur le mur,
aplaties , blanches, sous leur poussée,
et même transparent, invisible obstacle,
celui-ci porte aussi leur ombre.
Elles se mêlent, d’un défi obscur
à la promesse du vivant.
Le visage voisine son négatif,
à la façon d’un masque.
Lui aussi regarde un au-delà
caché derrière nous.
Des fentes le parcourent.
Ou bien est-ce inscrit dans notre oeil?
Ainsi ce serait ce poids de ciment,
griffé par les années,
supportant son être et l’enfermement
en empreintes négatives.
–
RC – janv 2016
Armando Valladeres – cavernes de silence
Faisant suite à ma publication: « à l’ombre »,
j’ai trouvé un nouveau texte du poète cubain Armando Valladares, qui va dans ce sens, et qu’on peut lire ici…
– j’ai fait une légère modification ( à la fin) sur la traduction proposée.. voir
Armando Valladares.Poeta cubano. « Cavernas del silencio »1983
Tu dis être libre
-je ne sais pas si tu y crois
mais au moins le dis-tu.-
La liberté n’est pas espace
où l’on peut marcher
pas même un lit
où coucher à deux.
Tu dis être libre
et tu n’as pas de mots
car tu ne fais que répéter
-bouche fermée-
ceux qui te sont donnés.
La liberté n’est pas un pain
-parfois sur la table-
ni un peu de bière
ou de quoi fumer un peu.
La liberté c’est faire ceci :
écrire ce que tu penses
hurler ce que tu détestes
même si tu dois le payer
par des années de torture
même si tu meurs de l’enfermement
dans cette solitude.