Michel Camus – Proverbes du silence et de l’émerveillement
photo Valeria Arendar
Et le Silence s’est fait poésie : Védas, Tao-Te-King, Cantique des cantiques, Héraclite
Le-Même en moi séparé de moi n’est personne en personne
Sans être nous-mêmes, il est en nous-mêmes notre propre silence
Le silence est sans fond où prend fond la poésie
Pierre nue, vérité nue, pierre sans nom sous mon nom dans l’image-mère de la pierre
Si je fus, qu’ai-je été.
Nous sommes tous le-Même au cœur du silence
L’Autre du Même : Toi sous mon nom
L’ombre du Même ou la fiction de l’autre ou de soi
Et la vie des mots qui masquent le silence
Où il y a silence, je ne suis plus moi-même
Où il n’y a rien ni personne règne infiniment le-Même
Impensable, la déité du silence ne peut se penser qu’en Dieu
Dieu ne pense que pour panser l’angoisse de son propre silence
Je précède ma naissance, se dit Dieu.
J’illuminerai ma mort
Dès à présent, sans notre
Double-de-silence, rien ne nous survivrait, même pas Dieu en nous
Il y a en tout homme une flamme de silence qui sait ce que son ombre ne sait pas
Seule porte ouverte pour sortir de soi, le silence
Seule porte ouverte pour sortir de la langue, le silence
Et si le poème s’écrivait sans sortir du silence
Présence informelle du silence au cœur de l’homme comme l’art en témoigne au dehors
La musique dans le ruissellement des silences
Le poème en son propre dépassement dans le silence
L’érection sur les sables des tours de silence
Et si l’éblouissement sans forme donnait forme à ce qu’il nous inspire
Dans l’absolu silence où vie et mort coïncident, dans l’absolu silence où personne n’est absolument vivant ni mort, les yeux du vide sont ouverts
Métaphore de nos éblouissements sans nom
Seul et unique levier d’Archimède pour soulever l’univers-du-langage, trouer le tissu des songes ou du monde, s’enraciner dans le mythe du poème ou s’ouvrir à l’Indéterminé : le silence
Toujours le silence est abrupt.
Il n’est réponse à rien et ne répond de rien
Les mots trépassent en lui comme les amants plus loin qu’eux-mêmes dans l’amour
Si le silence est l’envers du langage la poésie est l’endroit du silence
Le vent fou ni l’orage ne troublent les étoiles.
Mais les ombres des mots cachent le feu du silence comme les nuages le soleil
Si le silence est source de la parole où est la source du silence
Et si la dernière porte de la mort s’ouvrait comme une fenêtre aveuglée de soleil
Poésie, fille-mère du silence, son âme sœur et son chant d’amour dans la toute-clémence du néant
L’image-mère de la vie dans un désert d’inconnaissance
Poésie, indéracinable mémoire d’éclairs de silence, traces de brûlure, souvenirs d’éblouissement lisibles dans les balbutiements de la langue
Il y a du silence dans la musique de la langue comme dans l’arbre et la pierre et le feu et le vent, qui l’entend ?
Qui a jamais vu l’informelle substance du silence.
Fertile abîme.
Cordon ombilical du merveilleux
Et si le silence était sans métaphore notre seul transport dans l’infini
L’art n’est pas le seul langage du silence, mais l’univers, l’œil, l’extase et la beauté
Comme des fenêtres ouvertes aveuglées de soleil
Tout fait l’amour à tout instant pour que fleurisse la mort et que grandisse le silence
Aussi l’absolue poésie est-elle l’accueil du silence.
Sa demeure hors les mots en la nuit du dedans-sans-dehors dans l’Indéterminé
Aussi l’absolue poésie échappe-t-elle à l’emprisonnement de la langue, aux épaisseurs de ses murs, à la fausse profondeur de ses ombres
Aussi l’absolue poésie est-elle aussi virginale aussi silencieuse que la mort toujours présente à la racine aveugle du regard
Notre propre infini nous échappe
La langue ne choisit pas d’être épousée par le silence,
c’est lui qui la pénètre et s’en retire, d’où la silencieuse jouissance
du jaillissement du cri survenant du fond des âges pour y rentrer aussitôt comme une lueur sauvage dans la nuit
Le silence serait à vif si les vivants se voyaient morts
Mâle est l’érection du langage, relative plénitude
Absolue la maternelle vacuité du silence
Imprononçable le mot de l’énigme au cœur de la vie
Indéchiffrable le signe muet de sa présence
Abyssal le songe éternel du regard
Immortelle la part de silence au cœur de l’homme
Quel poète n’est pas écartelé par l’exil de sa langue dans l’éden du silence
Le poème comme instrument du silence dans la musique de la langue
Le silence, dites-vous, est un concept
Et si le concept était un germe issu du silence
Loin d’être la négation de la langue le silence est son double secret, germeintime et matrice infinie
Car du corps-du-silence naît le souffle et du souffle la parole que le sens insensé du silence ensemence
Que sait-on sans mot dire
Par le silence le poète s’efface par la poésie le silence se dépasse
Duplicité du silence, duplicité du poème nous comblent d’incertitude
Proverbes du silence et de l’émerveillement , Éd. Lettres Vives, coll. Terre de poésie.
Antonio Machado – chemin
A Line Made by Walking, 1967, Angleterre. Richard Long (né en 1945),
Une marche de l’artiste, de plusieurs heures (temps), imprimant
dans l’herbe (paysage), par ses pieds (corps), la trace de son passage
–
Jamais je n’ai cherché la gloire
Ni voulu dans la mémoire des hommes
laisser mes chansons
Mais j’aime les mondes subtils
aériens et délicats
Comme des bulles de savon.
J’aime les voir s’envoler,
se colorer de soleil et de pourpre,
voler sous le ciel bleu, subitement trembler,
Puis éclater.
A demander ce que tu sais
Tu ne dois pas perdre ton temps
Et à des questions sans réponse
Qui donc pourrait te répondre?
Chantez en cœur avec moi:
Savoir? Nous ne savons rien
Venus d’une mer de mystère
Vers une mer inconnue nous allons
Et entre les deux mystères
Règne la grave énigme
Une clef inconnue ferme les trois coffres
Le savant n’enseigne rien, lumière n’éclaire pas
Que disent les mots?
Et que dit l’eau du rocher?
Voyageur, le chemin
C’est les traces de tes pas
C’est tout; voyageur,
il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur!
Il n’y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.
Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Un dessin qui n’a peut-être même pas existé – ( RC )
Stoppages avec mètres étalons ( Marcel Duchamp, page de magazine Life )
–
Mon dessin a suivi son chemin:
il n’avait pas le tracé sinueux
des racines, en travers du chemin,
pas l’épaisseur du trait repoussant
les obstacles, comme mes bottes
dans l’épaisse couche de neige.
Je me suis demandé comment il avait commencé.
Je l’ai senti avant de le voir,
avant qu’il apparaisse sous la mine.
C’était peut-être une opération mentale.
Elle aurait donné de résultats semblables,
si j’avais poursuivi la ligne,
les yeux clos.
On pouvait voir une ressemblance
avec quelque chose de connu, bien que
on n’en soit pas sûr.
Le chat a marché dessus, il n’y a vu aucun sens,
rien qui ne le trompe au point qu’il s’arrête.
C’est juste une interprétation du visible,
une musique en devenir, et l’esprit
en suit les indices,
comme si on cherchait la solution
à une énigme.
L’espace a continué de se feuilleter , en pages
glacées, un coup de vent a retourné la feuille.
On ne voit plus rien.
Peut-être même qu’il n’a jamais existé.
–
RC – oct 2016
Joconde – ( RC )
peinture: Fernand Léger Mona-Lisa aux clefs – 1930
La Joconde est sortie des nuages.
Elle a l’air bien songeuse ,
et s’est détachée , ténébreuse,
en partie, de l’image.
On connait mieux la peinture de Léonard
que celle de Léger
( elle a depuis, perdu ses clefs ) :
celles qui ouvrent la porte de l’art.
Oublié le sfumato,
et voici la danse des lignes,
des cercles et des signes,
qui parcourent le tableau.
Elle est comme une image pieuse,
— vous voyez bien, comme celles
qu’on trouve dans les pages du missel
( une icône, et des plus fameuses ).
Malgré son caractère profane,
et son décor imaginaire,
elle est célèbre sur la terre entière .
Ce modèle est juste une femme :
Il en est ainsi,
mais, toujours elle attire
Les foules avec son sourire :
Ce sacré Vinci
En peignant cette demoiselle
Ne pensait pas en faire une star
de l’histoire de l’art ;
– mais, retour dans le réel:
Même sortie de la toile,
c’était peut-être une sainte
telle qu’elle était peinte,
ayant égaré son auréole, ( ou son étoile ).
En attendant de la retrouver
– elle n’en a pas fait le deuil –
elle vous adresse un clin d’oeil
ce qui était plutôt osé, en ces temps reculés.
On dit bien que tout se retrouve
et rien ne se perd, mais jamais elle ne désespère
bien que prisonnière ,
au Musée du Louvre.
Si Duchamp la renomme,
et lui met des moustaches,
que personne ne se fâche,
ce pourrait être un homme !
En dehors de son cadre lourd, on pourra la voir
en illustration banale
imprimée en cartes-postales
sur les présentoirs.
Quelle est donc l’énigme de cette peinture ?
Et avec elle, la clef du mystère,
Où se trouve la serrure ?
… en conjectures on se perd.
Ayez pourtant en tête cet évènement fortuit,
qui posa plein de questions:
Une machine à coudre, sur la table d’opérations,
et Mona cachée sous le parapluie ..
–
RC – juin 2016
penture: Fernand Léger – composition au parapluie 1932
Jean Vasca – les lointains
En nous sont les lointains nos îles nos ailleurs
Patrouilleurs dans l’opaque à chercher l’entrouvert
Nous sillonnons sans fin les ténèbres intérieures
Pour déchiffrer l’énigme aux portes des mystères
En nous sont les lointains de brume et d’inconnu
Lorsque les horizons entonnent leur complainte
Tenter l’appareillage à voile que veux-tu
Vers une rive d’or encore jamais atteinte
En nous sont les lointains nos traces nos sillages
Les naufrages du cœur les songes en carène
Cathédrales englouties et palais des mirages
Là-bas vers les abysses ou la nuit nous entraîne
En nous sont les lointains dessous les cicatrices
Les plaies qui se referment et qui suintent encore
Des souvenirs perdus dans tous les interstices
Des ombres d’amours mortes à l’envers du décor
En nous sont les lointains c’est là notre impatience
A vouloir l’au-delà de tous nos quotidiens
C’est l’écho d’un accord majeur qui nous fiance
A cette terre humaine ses troubles lendemains
Ces lointains qui rougeoient sous la cendre de l’âge
Braises encore des révoltes en nous comme un regain
Et sous le poids du temps lourd de tous ses outrages
La rage encore de vivre et son feu mal éteint
Jean Vasca
Une chapelle comme une nef échouée – ( RC )
Chapelle contemporaine du Mont Lozère. Architecte: Jean Peytavin
( toutes photos perso – réalisées en 2006 )
–
On ne s’attend pas, quelque part,
Dans un repli de la montagne,
A trouver là,
Une nef, immobilisée,
Qui s’est échouée un jour,
La quille prise dans les sables.
C’était comme aujourd’hui,
( on peut le supposer ),
Un jour où le brouillard épais,
Ne permettait pas de voir les côtes.
Bien sûr on peut se demander,
Puisqu’il n’y a pas de rivage,
Par quel hasard le bord de mer,
Se serait élevé,
Si haut, qu’on en aurait perdu le sel,
Et même jusqu’à l’idée.
Quant à moi je m’en tiens à l’énigme,
Du basculement des origines .
Oui, on ne s’attend pas,
A trouver une flèche incrustée,
Dans la large épaule
De la montagne,
Une construction dont le toit
S’élance du sol, pour se tendre,
Dans sa simplicité géométrique,
Vers les hauteurs ventées.
Jusqu’ où va la foi,
Et jusqu’au coeur du froid,
Si des hommes ont dressé
Tout contre le ciel, une nef
– peut-être en se rappelant
Celle de Noé ….-
En recherchant sous le ciel bas
Des fragments de divin.
–
RC – mai 2015
Livre des heures de Carlos V.
Biblioteca Nacional de España
Lucie Delarue-Mardrus – Par ma fenêtre ouverte
–
Par ma fenêtre ouverte où la clarté s’attarde,
Dans la douceur du soir printanier, je regarde…
Chaque arbre, chaque toit qui s’élance dans l’air,
Tel le roc qui finit où commence la mer,
Marque la fin d’un monde au bord d’un autre monde.
Ici la terre et là le vide où, toute ronde,
Cette terre, toupie en marche dans l’éther,
Sans sa pauvre ceinture d’air
Ne serait à son tour qu’une lune inféconde.
Je contemple ce toit et cet arbre, montés
Vers l’insondable énigme et ses immensités.
En bas, la rue est calme et le printemps tranquille.
Rien ne trouble la paix de la petite ville.
On entend au lointain un merle. Il fait très beau.
C’est tout.
— Pourquoi mes yeux regardent-ils si haut ?
L D-M
—
( beaucoup des créations de l’auteure peuvent être lus sur le site qui lui est consacré)
Michel Camus – proverbes du silence et de l’émerveillement – Silence et paroles de feu
–
Silence et paroles de feu se font la guerre pour nous tenir en éveil
Quel est ce feu sans nom, quel est ce feu secret dans l’infinie saillie de la vie.
Quel silence de feu et de glace avant comme après l’incendie de la naissance et de la mort
Dans le silence qui nous traverse jaillissent trop d’éclairs de pensées,trop de flammes blanches d’émotion comme des torrents d’images fuyantes : notre propre infini nous échappe
L’homme des mots est un symbole brisé étranger à son
Double-de-silence.
Ses paroles : d’obscurs signaux à la rencontre de l’énigme qui les émet d’un côté et de l’autre côté les efface en silence
Qui sait si le silence ne serait source inépuisable de la corne d’abondance que dans notre ignorance nous appelons la vie
Qui sait si le silence ne serait l’invisible tissu du Vivant reliant les hommes aux étoiles
Qui sait si le silence ne serait l’unique intimité sans fond de tout ce qui naît et meurt
Qui sait si le silence ne serait la racine et la floraison de toute langue
Et si tout était silence, rien ne serait isolé de rien.
Tout être serait silence, toute chose serait silence.
Et tout langage.
Et toute musique.
Toute vie.
Toute mort
L’homme que l’éblouissement tient en éveil s’oublie soi-même dans le silence
Qui dira la richesse du merveilleux le suc infini qui coule dans ses veines
Qui dira le sang le saint sang du silence
En vain ô face gisante de la vie cherches-tu le sommeil à la surface ombreuse de la nuit.
L’autre face t’entend rêver
En vain, pâlissant d’angoisse à l’idée de perdre ton ombre, cherches-tu sous tes pas ta lumière..?
–
voir le premier extrait ici
Raymond Farina – Sommes nous cette fable ?
–
sommes-nous
cette fable
que notre corps
raconte
sommes-nous
le mot de l’énigme
un presque vivre
ou un presque mourir
quelque chose d’étrange
entre Dieu et poussière
sommeil
comme désert
ou village
sous la neige
–
extrait de Virgilianes, Rougerie 1986
–
Michel Camus – proverbes du silence et de l’émerveillement – la maternelle vacuité du silence
–
Absolue la maternelle vacuité du silence
Imprononçable le mot de l’énigme au cœur de la vie
Indéchiffrable le signe muet de sa présence
Abyssal le songe éternel du regard
Immortelle la part de silence au cœur de l’homme
Quel poète n’est pas écartelé par l’exil de sa langue
dans l’éden du silence
Le poème comme instrument du silence dans la musique de la langue
Le silence, dites-vous, est un concept
Et si le concept était un germe issu du silence
Loin d’être la négation de la langue le silence est son double secret, germe intime et matrice infinie
Car du corps-du-silence naît le souffle et du souffle la parole
que le sens insensé du silence ensemence
Que sait-on sans mot dire
Par le silence le poète s’efface par la poésie le silence se dépasse
Duplicité du silence, duplicité du poème nous comblent d’incertitude
–
Proverbes du silence et de l’émerveillement , Éd. Lettres Vives, coll. Terre de poésie
–
Aron Kibedi – beauté nue vérité nue ( d’être mot )
beauté nue vérité nue pauvreté image des excès rebelles opiniâtres
corps faux-semblant faux-semblant de l’esprit de l’existence images
hypostases du nom précis de falsification des images débauche
monotones des manuels utiles et des pronoms il est question de noms
prénoms dans l’ordre la harpe de David le coursier du grand Alexandre
les soldats de la liberté devant le peloton d’exécution
le domestique déchiffre une lettre la cornue détrousse l’énigme
le copiste a pour vie le silence la figure est belle mais plus encore
l’infigurable pourvoit les jours sous le nom dissimule la beauté sa misère
–
Marie-Claire Bancquart – Galaxie

En replantant des ellébores
je te parle
de nourrir le cosmos :
rien que cela
une cuillerée de terre
pour la racine encore visible
une cuillerée
pour achever d’emplir le pot
une
pour le globe tout entier
la dernière
pour sa verticale vers l’énigme.
Marie-Claire Bancquart
in » Verticale du secret » « in » Terre énergumène »
–
Enigme – présence (RC)

peinture; portrait de Bianca Maria Visconti par Masolino
Il y a des passages si doux
Qu’un sourire sur ton visage
Il y a des portes qui jamais ne grincent
A la fugue de tes silences
Il y a le parcours de ton énigme
Qui ne répond à aucune question
Il y a tes mains sur mon visage
Qui dessinent des partages
Il y a ta présence, qui, même dans l’absence
Fait oublier tous mes fardeaux.
RC 30- mai 2012
( complété par Lutin)… aujourd’hui…
—-
Il y a tes silences
aussi longs qu’un regard
et ta bouche qui en dit long
lorsque ta langue humecte mes lèvres
Il y a tes mains
comme la vague happe le sable
tes bras qui me portent sur la grève
c’est une tempête de mots ces instants là
–
-Merci bien, B, j’aime bien, comme tu le sais le procédé ‘ping-pong »… d’ailleurs je l’ai classé dans cette catégorie
Richard Brautigan – journal japonais

peinture: Dave McKean

journal japonais extrait découpé - marcelle sable extrait de poème de Richard Brautigan, "Floating Chandeliers ", traduit par Nicolas Richard in journal japonais 10/18 éd bilingue
En voiture sur l’autoroute
entre Tokyo et Osaka
Je regarde par la vitre
à 100 kilomètres à l’heure
(62 miles)
et j’aperçois entre les rizières
un homme à bicyclette, qui roule
avec d’infinies précautions sur un
étroit sentier.
En quelques secondes, le voilà disparu.
Il ne reste plus que son souvenir, maintenant.
Il vient d’être transformé
en impression à l’encre
d’un souvenir à 100 kilomètres à l’heure.
Extrait de Journal japonais,
——-
Malgré son dégoût des voyages,Brautiganl y écrira son Journal japonais, plus recueil que journal, dans lequel il déposera ses impressions, croquées par de petits haïkus en hommage à ses poètes favoris, mais également par des poèmes plus « occidentaux ».
Assez original par sa forme de recueil, Journal japonais est aussi déstabilisant par son contenu : Les courts textes sont de petits instantanés de situations, d’impressions auxquelles il est difficile parfois de s’accrocher. Des références personnelles ponctuent les textes, les mots sont mis à nu, ils ont pour fonction première de rappeler un détail, une situation à celui qui les écrit. Les poèmes sont subtils, dépouillés et humbles, mettant en avant l’impression première du voyageur dans sa simplicité. Nul besoin de description, c’est le sentiment dans sa pureté qui est noté. C’est ce sentiment de trop, de tant qui ressort dans ce livre. Tous les sens en éveil, le voyeur s’oblige presque à se concentrer sur de petits détails qui peuvent être dits sans perdre trop de temps. On retrouve également l’impression que Brautigan se concentre pour croquer ses textes rapidement, pour ne pas perdre le fil de la vie japonaise qui continue de passer à côté de lui.
Certains poèmes ont été terminés après son retour aux États-Unis, ce qui renforce cette idée. Brautigan a pris le parti d’écrire pendant son voyage, mais pour ne rien louper, il écrit clair, il écrit juste. Droit au but. Seulement l’important ; le reste, il peut le voir et le vivre.
Citation de Jim Harrison (Légendes d’automne, Entre Chiens et Loup,
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même Richard a de la "vague" à l'âme
Richard Brautigan
extrait de l’introduction du Journal Japonais– le suite ici…
Mon oncle Edward est mort avant sa trentième année, et il est mort indirectement à cause de la bombe que le peuple japonais a larguée sur lui et rien dans ce monde, aucun pouvoir ni aucune prière ne nous le rendra jamais. Il est mort. Il est parti pour toujours. Ceci est une bien curieuse manière d’introduire un recueil de poésie censé exprimer mon profond attachement au peuple japonais, mais je tenais à évoquer tout ceci en tant que l’une des pièces du puzzle qui m’a amené au Japon et à l’écriture de ce livre. Je souhaiterais passer en revue d’autres éléments du puzzle qui m’ont conduit au Japon à la fin du printemps 1976 et à ces poèmes. Les Japonais, je les ai détestés tout au long de la guerre. Ils m’apparaissaient comme de diaboliques créatures infra-humaines qu’il fallait détruire, de façon que la civilisation puisse s’épanouir dans la liberté et la justice pour tous. Les dessins humoristiques des journaux les montraient comme des singes à dents de lapins.
— Naturellement ce n’est pas par hasard, que je place cet hommage à la suite du « roman Japonais » de Robert Piccamiglio, qui comme je l’ai fait observer dans « Midlands 03 », connaît et apprécie R Brautigan..