Thomas Duranteau – puits
Le puits ne connaît pas
le sens du vent
ni le temps que met le soir
pour nourrir par bouchées
les pierres gisantes
sur son lit
*
Puits
bouche à nourrir
oreille où chuchoter
œil où refléter
nos entrailles ouvertes .
Shqipe Malushi – Le retour
montage perso – dec 2016
Le retour
O ma Terre O Terre mienne,
baignée de sang
Mes entrailles pétries
Dans les profondeurs de ton sol
Respirent de ton pardon.
O ma Terre O Terre mienne,
Enfantée de mon ventre
Lieu des innocentes douleurs,
Que pleures-tu, que pleures-tu sur l’âme
Qui est en moi ?
Ô ma Terre O Terre mienne
Tandis que le bras de mon bien-aimé
Enserre mon ventre,
Repoussant de ses doigts
A même ma peau,
Les hautes limites du sang,
Te voilà qui tonnes.
O ma Terre O Terre mienne,
Matrice de mon être intime
Tu respires
De ta propre boue,
Mes membres gagnent
Dans ton ventre la force de la pierre.
Ô ma Terre O Terre mienne,
Regarde,
La condamnation ne m’enchaîne plus,
Et Toi Ô ma Terre,
Tu respires au diapason De mon ventre,
Dans les profonds réveils,
Au seuil d’un nouvel enfantement.
O ma Terre, O mon Ventre.
Shqipe Malushi est une auteure de langue alabanaise – ( Kosovo )
René Depestre – Minerai noir
Quand la sueur de l’Indien se trouva brusquement tarie par le soleil
Quand la frénésie de l’or draina au marché la dernière goutte de sang indien
De sorte qu’il ne resta plus un seul Indien aux alentours des mines d’or
On se tourna vers le fleuve musculaire de l’Afrique
Pour assurer la relève du désespoir
Alors commença la ruée vers l’inépuisable
Trésorerie de la chair noire
Alors commença la bousculade échevelée
Vers le rayonnant midi du corps noir
Et toute la terre retentit du vacarme des pioches
Dans l’épaisseur du minerai noir
Et tout juste si des chimistes ne pensèrent
Au moyen d’obtenir quelque alliage précieux
Avec le métal noir tout juste si des dames ne
Rêvèrent d’une batterie de cuisine
En nègre du Sénégal d’un service à thé
En massif négrillon des Antilles
Tout juste si quelque curé
Ne promit à sa paroisse
Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir
Ou encore si un brave Père Noël ne songea
Pour sa visite annuelle
À des petits soldats de plomb noir
Ou si quelque vaillant capitaine
Ne tailla son épée dans l’ébène minéral
Toute la terre retentit de la secousse des foreuses
Dans les entrailles de ma race
Dans le gisement musculaire de l’homme noir
Voilà de nombreux siècles que dure l’extraction
Des merveilles de cette race
Ô couches métalliques de mon peuple
Minerai inépuisable de rosée humaine
Combien de pirates ont exploré de leurs armes
Les profondeurs obscures de ta chair
Combien de flibustiers se sont frayé leur chemin
À travers la riche végétation des clartés de ton corps
Jonchant tes années de tiges mortes
Et de flaques de larmes
Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné
Comme une terre en labours
Peuple défriché pour l’enrichissement
Des grandes foires du monde
Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle
Nul n’osera plus couler des canons et des pièces d’or
Dans le noir métal de ta colère en crues.
L’intérieur du galet – ( RC )
Lorsque le flot s’épuise,
Et qu’on peut franchir de la rivière,
Son lit clair, sans crainte d’être emporté,
Je pensais qu’il était possible, en brisant un de ces galets,
Que leur peau recouvre des entrailles, un gemme
où se cachent cavités et cristaux,
à la façon d’un oeuf , ou de ces améthystes,
refermées sur leur carapace.
Une circulation mystérieuse,
un secret, un « être abstrait ».
Doué d’autonomie, clos sur lui-même,
comme de ces cloportes, et leur armure.
Mais le galet, ne livre que le semblable.
Habité par l’inertie.
Sa nudité lisse et ronde, portée sur l’extérieur,
N’est qu’un intérieur qui s’expose.
Un pur contenu, sans contenant,
sinon la forme,
Celle, modelée des usures,
de sables, de glaces et de pierres
Enfanté d’autres roches, dévalées de l’amont,
vers de liquides couloirs .
Des nuits épaisses, habitées de truites
ablettes et gardons, aux furtifs passages.
Les herbes ne fissurent pas le jour.
Le galet prend l’apparence de ton sein.
Il lui manque quelque part le battement du pouls.
C’est ce que trahit son poids de matière .
J’ai cherché au-delà du lit,
Et du brancard de boue,
Sous les joncs pensifs
De quoi reconstituer une paire.
Mais nulle part,
Je n’ai trouvé le semblable,
Les mêmes cristaux, et encore moins,
– Le grain de ta peau.
–
RC – nov 2014
Irène Assiba d’Almeida – chairs éparpillées
Chairs éparpillées
Les dieux ont perdu la parole
Les hommes ont perdu la sagesse
Les femmes ont perdu la raison
Car les enfants ont perdu la vie
Et mes entrailles folles de douleur
Eclatent et s’éparpillent
A chaque fois que meurt
L’enfant-sida
L’enfant-soldat
L’enfant-souffrance
Comment rendre la douleur muette ?
Comment recoudre mes chairs éparpillées
Pour que les dieux retrouvent la parole
Les hommes la sagesse
Les femmes la raison
Et les enfants la vie ?
–
Irène Assiba d’Almeida
Coeur volcan – ( RC )

photo: Alain Gerente piton de la Fournaise
–
Brûlant cratère,
Fumant de ses entrailles,
S’écoulant de ses failles,
La terre secoue sa crinière,
S’ouvre en son coeur,
Où les pierres se confondent,
Tout au corps du monde,
Et mélangent leur saveur…
Il n’y a plus, sous tes paupières,
Que ton volcan embrase, et brave,
Et son torrent de lave,
Rien d’autre qu’une rivière,
Qui emporte tout sur son passage,
Et mélange l’argile et les rires,
Tout ce qu’il faut pour écrire,
Des arabesques en messages,
Virevoltant , tels des papillons,
Se formant en un seul poème,
Aux seuls mots de je t’aime,
Lancés en ta destination.
RC – mars 2014
—
sur l’incitation poétique de Patricia Fort
(
…
Rien d’autre.
Le torse ouvert en deux hémisphères
Et l’or sous mes paupières.
Rien d’autre
Intarissable rivière
Roulant ses galets dans le brûlant cratère
Rien de plus
Le calame et l’argile
Et le mot empêtré de sublime
… )
Musée de la mine ( RC )
( Cet article fait référence au musée de la mine de St-Etienne)

photo: Gwenaelle Boisseleau
–
Au long des galeries,
Profondes, en sous -sol,
D’où l’air libre est d’un oubli,
S’alignent les wagonnets,
Sous l’atmosphère confinée,
Et les voûtes blêmes,
Parcourues de câbles,
Ponctuées d’éclairages falots,
Quelques centaines de mètres,
En dessous,
Et une ruche d’ouvriers,
Casqués,
Et le bruit,
Les machines trépidantes,
Celles qui arrachent,
Au coeur des roches,
Le minerai noir,
Des entrailles du sol.
Juste au-dessus,
Cette tour de poutrelles,
Signal désormais dérisoire,
De l’activité suspendue,
Où les hommes casqués,
Ne s’enfoncent plus,
Enfermés dans de crasseux ascenseurs
A l’aplomb de verticales obscures,
Pour extraire leur pain, du charbon.
Et la salle des machines,
Désormais déserte,
Les turbines endormies,
Comme de gros escargots,
Boulonnés à leur socle de ciment,
Alors que pendent du plafond,
Les tenues , marquées du labeur, vides,
> Flasques fantômes d’humains,
Désormais inutiles,
Matricules numérotés,
Au musée de la mine.
—
RC- 4 juin 2013

Photo: musée de la mine – salle des pendus
Miguel Veyrat – Somnambule
–
Une toute nouvelle publication de Miguel…
dont j’ai « osé la traduction » ( approuvée par l’auteur )…
Je me suis déshabillé
pour vous retrouver
en apprenant
la combustion silencieuse
(Peut-être un sanglot caché,
nomade et muet
comme une étincelle
au coin du feu.)
épuisé d’attendre
accroupi et assoiffé
à l’arrivée de l’aube,
le silex chute
sur les entrailles dures
de la Parole.
-(— et dans la langue d’origine:
—
« Sonnambula »
Me desnudaba
para hallarte
y callaba quemando
lo aprendido.
(Acaso un oculto
sollozo, nómada y mudo
como una chispa
junto al fuego.)
Exhausto aguardaba
agazapado y sediento
el centelleo de la aurora,
pedernales cayendo
sobre las duras entrañas
del Verbo
(MV. In « Conocimiento de la llama »
–
Bricolage matinal – de Bleu pourpre
Bricolage matinal
L’ultime présence de l’instant est à portée de doigts , ainsi, fouiller l’intime et mettre à jour la palette de mon ample grondement.
Ciel de plomb et pourtant…un regard comme déversé vers l’horizon suffit pour avoir les entrailles épousées par une lasure fine de bleu lavé.
Puis,
La lueur qui s’entête à se défouler derrière les lourdeurs du temps …
Alors… permettre au tourbillon de devenir transparence.
Et défiger l’instant
Là
Il y a une fenêtre, tant que j’aurai des yeux derrière les tempes, il y aura une fenêtre et un soleil qui joue à taper à ma fenêtre…je l’ouvre ou l’entrouvre, ça dépend du choix du sable.
Il y a du vent , tant que j’aurai des joues offertes, il y aura du vent…avec à sa bouche des mélodies, des symphonies, des fados , des blues et les chorales du diable … ça dépend si je suis rouge ou si je suis bleue.
Du vent qui viendra me souffler les poumons et m’écarquiller devant des horizons à marée haute…
Puis, sûrement un navire , un trois-mâts aux voilures gigantesques, perçant la brume opalescente des sorties de nuit … je l’ai construit avec un vieux radeau qui traînait là, que j’ai trouvé dans un élevage de coquillages . C’est un bricolage d’entre deux heures, me le pardonnerez-vous ?
Fuir la perfection et s’adosser à l’inattendu…
J’ai la paume ouverte au présent .
Ne rien attendre est ma robe de papier de soie.
Ne rien attendre est le jasmin qui s’enroule à mes chevilles.
Une serrure au creux du ventre, l’image est vraie, et étonnante, une serrure, même deux, voyez-vous, j’ai deux serrures au creux du ventre . Je crois avoir cherché les clés, mais des clés qui n’existent pas ou plus…je crois qu’à force d’avoir essayé des clés non – adaptées, j’ai du forcer mes deux serrures, et les laisser béantes d’inaptitude .
Un flot de sang s’en est échappé à mon insu jusqu’à ce que ça m’allonge de force, là, sur une plage blanche et brûlante.
Je suis debout, avec ma robe de papier de soie et mon jasmin odorant autour des chevilles.
Je suis bien, là…
Parmi les fleurs oranges
Et les dunes de chévrefeuilles.
Je laisse mes serrures se recouvrir , je leur offre un tapis vierge qui deviendra un autre trésor intime.
La paume ouverte au présent et adossée à l’inattendu du parfum des vents autour, tout autour…
Nathalie 18 aout 2011
communiqué grâce à bleu-pourpre et sa « tentative de lumière » ( elle y parvient) , sur son article – je l’en remercie