Greffées contre le mur de la nuit – ( RC )
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Tu pénètres dans une forêt particulière,
où les arbres sont des mains
fichées dans le sol,
remuant dans le crépuscule du quotidien.
Et le fil tendu des lignes blanches,
des tracés des avions,
que les doigts ne peuvent pas attraper .
Ils saignent d’une sève incolore,
ne pouvant se refermer que sur l’air,
dont l’atmosphère trompe sur son épaisseur,
habitée des ombres du soir.
Il reste le vol noir des oiseaux
qui ne renonce pas, à leur échappée,
et se joue du mouvement maladroit des mains .
Elles se referment de lassitude,
comme ces fleurs lorsque la lumière s’éteint ;
Plantes étranges rétrécies d’un coup par la terre ,
Le corps dissimulé.
Peut-être incarné dans un sol,
parcouru de longs filaments sanguins,
racines bien fragiles, prolongements d’un coeur lointain .
Il faut s’attendre à ne trouver demain,
que des manches , au tissu raidi par le froid,
et des gants vidés de substance,
mous et inertes ,
Comme si la greffe
n’avait pas réussi
à franchir le mur de la nuit.
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RC – juill 2015
Cette ombre – ( RC )
Image -> opéra de Bavière: la femme sans ombre
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Indissociable des êtres…
elle colle à la peau, à mes moindres gestes;
elle épie ce que la lumière dit,
se plie sur les angles des fenêtres et dans les montées d’escalier,
se fond dans les autres, ou même les avale…
Elle gravit les surfaces rugueuses sans se blesser,
et s’allonge sans mesure quand le soleil s’abîme,
aplatie sur le sol.
Marquant même par sa présence, le corps sans visage,
errant aux contre-jours,
Jouant à étouffer les couleurs,
De ses bords tantôt précis ou flous.
Y a-t-il aussi celle des âmes,
dont on ne sait rien, une fois parties,
mais dont interroge l’épaisseur et le retour ?
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RC – avril 2015
Jean Blot – Les cosmopolites
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A force de courir le monde…
la vie devient étrange et plus docile à l’espace qu’au temps…
C’était Paris, Londres, New York, ou Genève, mais était-ce avant ou bien après ?
En chaque ville, quand on la retrouve, la durée se ressoude, son tissu se refait, comme si l’absence avait été une blessure et le retour une guérison.
Qui vit en un lieu suit le temps dans sa marche et épouse son mouvement.
Mais le vagabond reprend à chaque étape le jour qu’il avait laissé là, qui s’était endormi et qu’il réveille en revenant. Ou bien, au contraire, un fil relié sans cause des lieux éloignés et telle conversation commencée à New York se poursuit à Genève, rebondit à Londres, et se conclut à Paris.
Cet ami rencontré sur la 5è avenue, on le retrouve sur le pont du Mont-Blanc, on le quitte dans un café de Montparnasse.
Ou encore on oublie le lieu, le temps: l’amitié seule demeure.
Il semble parfois qu’il n’est ni passé, ni avenir; ni lieux distincts, mais un seul présent aux facettes nombreuses qui résistent au classement et n’obéissent
qu’aux lois secrètes du sentiment.
Voyages départs et retours font que la vie prend de l’épaisseur, mais qu’elle ne coule pas comme elle devrait.
Quand on revient, on dirait que le temps se fait réversible: tout recommence…
Les cosmopolites ( Gallimard)
Chemin des pierres – ( RC )
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Le chemin des pierres, se ponctue, à chacune,
de son ombre.
La colonne se dresse,
autant que la force humaine l’a permise, contredisant la nature,
plantée contre le ciel.
Et si c’est un défi,
Celui du poids, de l’inertie grise,
Le chemin de pierres garde le silence,
Sur son secret,
Au milieu des clairières,
Et parfois des troncs,
– Quand la forêt s’est rebellée.
Plusieurs se sont sans doute succédées,
Et plusieurs générations,
Les muscles douloureux,
A la sueur de l’effort,
Aux cordes tendues,
Comme celles d’une contrebasse,
Et qui quelquefois cassent.
Plusieurs générations d’hommes,
Des cohortes haletantes,
Poussant
Vers ce but réaffirmé,
Dont on ne sait plus rien,
Si ce n’est ce défi, justement,
Traversant de toute sa masse,
L’épaisseur du temps,
Son épaisseur presque palpable,
Au grain palpable,
Comme celui des pierres, justement.
Elles se font ligne,
Elles se font cercle,
Elles nous font face.
Elles chantent presque,
Tant elles sont familières.
Elles sont à l’image des hommes.
Rudes, bravant les saisons.
Inscrites dans le lieu. attachées au sol,
Dans des pas de géants.
A la ronde du soleil,
Le chant de la lumière ….
> Dressées.
La mer, que l’on voit danser ( RC )

peinture : Georgia O’Keefe
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La mer, que l’on voit danser
Et se jeter sur les rochers, encore
Et encore, comme des chiens voraces
Sur ce qu’il reste de terre
A dissoudre et avaler, en taisant le temps
– Qui s’étire, à faire des demains,
Les ressacs violacés
De profondeurs de nacre,
Les chevelures d’algues affolées
Au milieu de l’écume.
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Le sable fauve, participe à ce destin..
Et on ne sait, s’il appartient encore
A la terre, ou au liquide
Ou l’écume du temps, portée des courants
Et des vents, jaloux des éléments ;
Il se tisse en cordons blonds,
S’accroche en dunes, aux reliefs,
Reliant , le temps d’une marée,
Les cachant,
Au gré de ses sanglots,
Tout un monde, …. loin de la surface.
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Ce large, – si large
….. Qu’embrassent les courants
A l’écart des légèretés d’atmosphères
Où même la lumière se fait discrète,
Au sein de l’épaisseur secrète
Que parcourent rarement les hommes,
Cuirassés de combinaisons et scaphandriers
Où évoluent des bancs de poissons chatoyants
Aux détours de plages et rochers, ……… posés là
Sur le fond, – …..et les épaves aussi,
– Sentinelles inutiles d’une autre époque.
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RC 23 avril 2013
A l’intérieur du marbre ( RC )
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A l’intérieur du marbre
Elle occupe tout l’espace
Ne laisse que peu de distance
Entre deux passages d’oiseaux.
Un blanc liquide
Qui prélève le regard
Et ne le rend pas.
Elle ôte aussi le relief
Et les ombres …
Il n’y a plus d’épaisseur
Palpable
Que celle que parcourent
Les doigts hagards
Livrés à eux-même
– et sans limite
A l’intérieur du marbre.
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RC – 11 novembre 2012
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Naturellement la sculpture de Rodin, permet de belles choses, mais chacun a son « interprétation » de l’artiste… voir par exemple le dossier Rodin de Vincent Gauthier
Autres usages d’un temps ( RC)
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( impressions d’un cheminement dans le temps décalé : en Afrique Noire )
Suivant l’âne et Charles avec sa carriole
Le chemin se serpente à travers la brousse
Et l’après-midi file à l’ombre épaisse des manguiers
Jusqu’aux portes des concessions
Eparses dans les champs craquelés de sec
Les histoires de la vie quotidienne
Les échos d’une fête lointaine
Dans la matière palpable de la nuit
Se sentir ailleurs – et sentir l’ici
D’autres usages d’un temps
Sans électricité et artifices
Sous les étoiles si pures
Qu’on pourrait relier en touchant du doigt
Par quelques années lumières
En rencontres possibles des mondes et galaxies
Sentir ailleurs – l’ existence dans le hasard.
Sentir l’ailleurs ici, à cheval sur un présent
Et des traditions millénaires
Ouvertes aux végétaux de majesté
Et l’occident – improbable
D’abstraction , à capturer la fatalité
Et la poussière d’espaces
En espoir de pluie nourricière.
Destin de saisons et d’inéluctable
Sous la voûte des tropiques
Et l’arbre à palabres.
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RC 20-mai 2012
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