Le logis de la cartomancienne – ( RC )

Tout en haut de l’escalier
d’une maison délabrée
à façade grise
c’est le logis
de la cartomancienne…
–
Un chat blanc
à la tête couleur de suie,
veille, avec indifférence
sur une boîte en osier
devant l’entrée
qui reste ouverte
en permanence:
jamais il ne sommeille;
–
C’est à cet animal
qu’on pose les questions
sur le palier
comme c’est l’usage:
-petit sphynx, petit lion-
–
Le consulter,
est comme regarder
dans une boule de cristal…
Dans son oeil
se reflètent d’étranges lueurs
où dansent les présages.
–
Si tu vas chez la cartomancienne,
tu n’y accèdes qu’à pied :
tu repéreras l’escalier:
il est peint de deux couleurs
en rouge et en bleu,
ce qui égaie un peu les lieux:
–
Quand le chat est à l’intérieur,
c’est elle qui t’accueille
en habits de deuil,
assise, comme toujours
dans le fauteuil de velours .
–
Il faut suivre le protocole :
elle a les phrases lentes
et peut s’endormir
après quelques paroles
décisives sur l’avenir,
car elle est un peu voyante.
–
En fin de journée
ses mains sont transparentes.
Tu devras la laisser
méditer sur ton cas
ou bien c’est avec le chat
qu’il faudra dialoguer.
.
Le jour où on a vendu le monde – ( RC )

Quand je me suis réveillé,
je me rappelle que j’avais chuté
d’un escalier aux marches se perdant dans l’infini.
Un homme est venu, à l’accent synthétique.
Il m’a dit qu’il ne pensait pas me revoir,
car j’étais mort depuis longtemps .
Il m’a dit être mon ami,
ce qui était possible dans le passé,
puisque toutes les années s’étaient effacées.
Beaucoup de choses se sont transformées,
et ont changé de mains.
Tout évolue à une vitesse folle.
L’homme qui se disait mon ami,
m’a dit qu’on avait fait beaucoup de profit.
Même Dieu n’en a plus le contrôle….
J’ai ri, en sachant que, revenant de la mort,
le temps avait perdu ses repères,
et qu’ainsi, je serai bientôt de retour sur terre.
L’homme a voulu me serrer la main ;
la sienne, je l’ai trouvée bien molle,
comme en matière plastique .
Il m’a indiqué qu’au niveau économique,
j’avais intérêt à me procurer des parts
dans une planète voisine, bourrée de pétrole.
Son regard était tourné en dedans,
comme s’il ne me voyait pas,
et pourtant ses paroles ont ruisselé sur mes épaules.
Je voulais rentrer chez moi,
reconnaître le monde qui m’avait abandonné
et laissé mourir seul.
Mais tout avait changé :
on avait commencé à vendre les plaines,
puis les mers, et tout ce qui était rentable .
Les habitants n’étaient pas au courant
sauf ceux qui lisaient les journaux financiers,
les autres, errant, sans but apparent;
ça faisait quelque temps que la planète était endettée,
et, de par sa position, très convoitée,
alors des hommes comme celui qui se disait mon ami
l’ont vendue par petit bouts :
ils ont dit qu’on n’avait pas le choix,
et que nulle part on ne serait plus chez soi,
les autres planètes étant par ailleurs hors de prix,
j’aurais dû rester au paradis,
– mais on l’avait vendu aussi…-
Quand je me suis retourné,
l’homme qui se disait mon ami était reparti,
en me laissant un papier .
Il se pourrait que ce qu’il m’a dit
coïncide avec ma longue chute d’un escalier,
dont les marches se perdaient dans l’infini…
Poèmes du Gévaudan – II (Susanne Derève)

Photo-montage RC
Tu dors en haut
pendant que je dors en bas
ou peut-être est-ce l’inverse
Il y a en haut la douceur des draps
sur l’oreiller l’ébauche d’un poème
en bas les herbes folles
le vent dans le noyer
et puis ton pas dans l’escalier
Une poignée de pétales – ( RC )
Si je dois revenir en ces lieux,
désertés de l’espoir
que trouverais-je ?
L’escalier du perron
envahi par le lierre,
la rambarde mangée de rouille,
et les souvenirs écornés .
Seul, le rosier demeure.
Dans mes pensées, il fleurit encore.
En cette saison, je pense trouver
sur les marches
une poignée de pétales
éparpillés.
J’en garderai quelques uns,
que je t’enverrai peut-être,
avec quelques regrets ,
sans un mot, dans cette lettre
et tu comprendras .
–
RC – nov 2019
Un escalier vers l’infini ( RC )
Installation : David McCracken
-
Je ne sais combien de marches il faut
pour gravir l’infini.
On dira qu’il y a le temps,
puisqu’on nous a promis
l’accès au paradis :
Il y a une contrepartie :
On ne peut y accéder qu’après
avoir laissé son corps
au magasin des antiquités ,
ceci dit on est beaucoup plus léger
et on ne compte plus ses efforts
pour emprunter l’escalier
qui a necessité d’abord
je ne sais combien
de menuisiers.
Au début on est très nombreux
à vouloir accéder à l’infini
que certains appellent
le Royaume des cieux
mais certains s’impatientent
ils trouvent la progression trop lente
– ( étant pris de doute
sur la destination de la route ,
et pourquoi cette pente ).
Bien entendu pour accéder au ciel
il faut penser à l’essentiel,
non pas au monotone :
et comme pas mal abandonnent
– ont-ils perdu la foi ?
– pourtant ils ne portent pas de croix !
Toujours est-il que , sur les inscrits
les candidats se raréfient,
c’est ce qui explique,
en toute logique
que l’escalier se rétrécit .
La progression est plus facile,
quand la population est divisée par mille,
– où sont passés les autres encore
– ça je l’ignore
car ils ne visent pas le haut.
-
Comme dans les jeux vidéo
ils sont bloqués au niveau inférieur
et pour leur plus grand malheur
ne disposent pas de vie de rechange,
de quelque astuce ou ficelle
( ni de l’aide des anges
qui ne prêtent pas leurs ailes ).
Et puis — est-ce une vision d’optique,
correspondant aux mathématiques :
les côtés de l’escalier
sont difficiles à mesurer :
la vie éternelle
ne tient pas compte des parallèles :
ne vous inquiétez pas pour autant:
comme je l’ai dit : vous avez tout votre temps
déjà vous avez dépassé les nuages
vous êtes sur le bon chemin
à cheval sur votre destin
n’oubliez pas vos prières,
ne croyez pas aux chimères
ne regardez pas en bas
– Attention au vertige !
Progressez comme ça :
c’est déjà un prodige
d’avoir quitté la terre
Comment, vous ne voyez toujours rien ?
Ah , mais tous les paroissiens
qui entreprennent ce voyage
clés en mains
ne peuvent tirer avantage
de rencontrer les saints
enfin pas tout de suite :
la visite, certes, ….est gratuite,
mais de ce belvédère
il est difficile de voir St Pierre :
Ce n’est pas un défaut de vision,
mais cela doit beaucoup aux conditions
atmosphériques : même avec un guide
c’est encore Dieu qui décide,
et ses desseins son impénétrables…
Comment ça, c’est discutable ?
Si vous avez une réclamation à faire
après votre grimpette
adressez-vous au secrétaire
qui examinera votre requête…
–
RC – janv 2017
Paul Farelier – La chambre est un lac de mémoire
photographe non identifié
la chambre est un lac de mémoire
là où était le lit on n’ose pas marcher
c’était l’an dernier
les meubles
on revoit mal les meubles
vendus
ressuscites ailleurs dans .l’amnésie
de chaleurs nouvelles
mais la tenture
sale
inégalement indiscrète
le vieux destin y accroche
ses mains
là
près de l’interrupteur
où le couloir amorce
la contamination de l’ombre
et il y a tant de vent dehors
que l’allée déchire les basques du jardin
et tant de cris d’enfants dans l’escalier
qu’il va se dévisser
Paul FARELIER
« Syllepses n° 6 »
in « Poésie 1 » n» 75
(Éd. Saint-Germain-des-Prés)
Cette ombre – ( RC )
Image -> opéra de Bavière: la femme sans ombre
——
Indissociable des êtres…
elle colle à la peau, à mes moindres gestes;
elle épie ce que la lumière dit,
se plie sur les angles des fenêtres et dans les montées d’escalier,
se fond dans les autres, ou même les avale…
Elle gravit les surfaces rugueuses sans se blesser,
et s’allonge sans mesure quand le soleil s’abîme,
aplatie sur le sol.
Marquant même par sa présence, le corps sans visage,
errant aux contre-jours,
Jouant à étouffer les couleurs,
De ses bords tantôt précis ou flous.
Y a-t-il aussi celle des âmes,
dont on ne sait rien, une fois parties,
mais dont interroge l’épaisseur et le retour ?
–
RC – avril 2015
Séverine Capeille – Cet effluve étrange et si particulier , propre aux objets abandonnés
« Cet effluve étrange et si particulier Propre aux objets abandonnés »
Ticket pour un monde meilleur – ( RC )
–
Il faut entrer à pas feutrés,
Ne pas faire craquer
Les marches d’escalier,
Nous n’avons pas de ticket …
L’entrée est surveillée
Par des hommes aux aguets.
Dans ce monde meilleur,
Pas de resquilleurs !
On les dit , de confiance,
Des sortes de cerbères,
Marqués d’arrogance.
On y voit Saint-Pierre,
C’est le gars musclé,
Une sorte de magicien,
Celui qui a les clefs,
( c’est lui le gardien),
Voyez comme qu’il se morfond !
Il prend racine comme l’arbre,
Les yeux au plafond,
Dans sa robe de marbre,
Dressé contre une colonne,
Pour y prendre appui,
Faut dire qu’il n’a vu personne,
Et cultive son ennui.
Et il y a Saint Paul,
Posé tout de guingois,
Dressé sur ses guiboles,
A lire le mode d’emploi,
Du parfait prieur,
Réglant les destinées,
( à apprendre par coeur),
Cà, vous l’aviez deviné…
N’étant pas très concentrés,
Sur leur mission,
On voit au fond, l’entrée,
– ce qu’on appelle une omission –
Et personne pour donner l’alerte,
…..Je vous assure
Que la porte est grande ouverte,
Les clefs ne rentrent pas dans la serrure,
Entre la foi et le doute,
Il y a si longtemps,
Que nous sommes en route,
Personne ne nous attend,
Après ce long voyage,
Qui nous aurait dit,
Qu’après ce carrelage,
S’ouvrait le paradis ?
C’est peut-être bizarre,
Mais, au terme de notre mission,
– c’est sans doute dû à notre retard –
J’ai une drôle d’impression…
Non mais sans déconner,
On ne voit pas de nonnes,
Cet endroit est-il abandonné ?
On ne voit personne …
Nous sommes les heureux élus,
…. Pas de remords…
On entre ici, et on ne sort plus,
Ce qui se passe dehors,
Maintenant, on s’en fiche !
Vois donc les statufiés,
Collés dans leur niche,
( Que leur nom soit sanctifié !).
Bon, ça manque de confort….
Je verrais bien un peu d’rénovation,
Le ménage n’est pas leur fort..
Les saints manquent d’ambition.
Faut dire que les prières,
Les ont un peu éloignés,
Des choses de la terre,
Ce qui plaît bien aux araignées.
Ou, je sais, c’est un détail,
Il faut pas trop s’en faire,
Les pieds en éventail…
Déjà nous avons évité l’enfer,
Et nos gardiens, même avec des habits mités,
Ou vieux comme ceux d’Hérode,
On voit qu’ils sont ici, pour l’éternité,
Avec leur tenue passée de mode.
Maintenant, dans ce lieu,
Qui ressemble à un couvent,
On dit …..que c’est la maison de Dieu,
On va le croiser – c’est pas si souvent …!
Nous en sommes déjà fiers,
Cela nous conviendrait
Même à se laisser couvrir de poussière,
Dans le file d’attente, s’il faut un ticket .
–
RC- sept 2014
Parcours nocturne sans lune ( RC )
–
Si, d’une nuit sans lune,
Tu descends à pas de loup,
L’escalier de bois,
Dont tu sais chaque marche,
Comme autant de pièges,
Celles qui gémissent,
Ou dont les têtes de clous se rebellent,
D’autres qui jointoient mal…
Cette étape franchie, c’est le couloir qu’encombre,
La découpe dans le sombre,
De la vieille armoire,
Encore un peu plus noire,
Et, suspendus à côté,
L’amas des habits d’hiver,
Comme autant de dépouilles,
Sur leur crochet de fer,
.. Présences enveloppées du passé,
Echarpes et manteaux entassés.
C’est à droite la cuisine,
Son carrelage froid,
La coupe de mandarine,
Sur la table en bois,
Attendant sans bruit,
A côté de quelques livres,
La fin de la nuit.
Vois-tu les fleurs de givre,
Eclairées par derrière,
De la présence immobile,
Du seul réverbère ?
——- Il est minuit pile..
- photo Lionel Feininger
RC – 27 juin 2013
Permis de démolir ( RC )
Permis de démolir
En tranches d’intérieurs
L’intimité s’offre au dehors
Au soleil, à la pluie, comme décor
C’étaient des logements, des demeures
Des chambres à coucher offertes
Superposées d’étages,
Aux souvenirs de sommeil, et d’images
De la façade ouverte
Pendent des papiers peints
Que la lumière, va, déteints
Et s’en détachent bientôt, des lambeaux
Aux murs encore accrochés, les lavabos
Et au dessus l’inévitable miroir –tablette
Fantômes de vie, toilettes
S’incruste en zigzag, le fossile de l’escalier
La rampe encore fixée, entre chaque palier
Et puis au sol, parmi les gravats
Les plafonds défoncés, les poutres affaissées
S’affichent les traces d’une vie délaissée
Un chien trottine, au milieu des papiers gras
Des ballons, et jouets d’enfants abandonnés
Et de vieux objets rouillés
Offerts au vent , et à l’herbe mouillée
… En attendant, le nouveau parking goudronné !
RC 15 avril 2012
Claude Roy — Va et vient
Va-et-vient
à Jacques Roubaud
J’entends en moi ouvrir fermer claquer des portes
des bruits de pas dans un escalier parler à voix basse
dans un corridor quelqu’un tousse puis étouffe sa toux
quelqu’un vient hésite s’arrête fait demi-tour un long silence
On entend seulement une tuyauterie se plaindre
Puis de nouveau des pas
On approche
Il y a quelqu’un derrière la porte
Quelqu’un retient son souffle puis respire à nouveau
J’entends de l’autre côté craquer le plancher
On frappe enfin
Deux coups très nets
Je vais ouvrir
Ce n’est que moi
Une fois encore quitte pour la peur ou la déception
J’attendais donc quelqu’un Que je n’attendais pas ?