Herberto Helder – Maudit soit celui qui a jeté la pomme dans l’autre monde
peinture: Marc Chagall: N’importe ou hors du monde
S’il y avait des escaliers sur la terre et des anneaux dans le ciel
Je gravirais les escaliers et aux anneaux, je me pendrais
Dans le ciel je pourrais tisser un nuage noir
et qu’il neige, qu’il pleuve et qu’il y ait de la lumière sur les montagnes
et qu’à la porte de mon amour l’or s’accumule
J’ai embrassé une bouche rouge et ma bouche s’est teintée
J’ai porté un mouchoir à ma bouche et le mouchoir a rougi
Je suis allé le laver à la rivière et la rivière est devenue rouge
Et la frange de la mer, et le milieu de la mer
Et rouges les ailes de l’aigle
Descendu boire
Et la moitié du soleil et la lune entière sont devenues rouges
Maudit soit celui qui a jeté la pomme dans l’autre monde
Une pomme, une mantille d’or et une épée d’argent
Les garçons ont couru après l’épée d’argent
Et les filles ont couru après de la mantille d’or
Et les enfants ont couru, ont couru après la pomme.
le spectre visible de la lumière – ( RC )
photo: Will Tenney
Bien sûr, nous respirons le jour
comme nous buvons l’eau .
La lumière s’est extraite de la nuit,
( ainsi une fleur éclose ) .
Le noir n’en est plus un,
et garde simplement une présence,
ramassé derrière les objets:
prêt à tout envahir
lorsque le soleil clignote,
ou s’étouffe sous le tissu des nuées.
Notre astre est seul et sans pensées,
sans concurrence immédiate,
il peut en prendre à ses aises
et nous faire transpirer,
s’il est suffisamment haut
d’autant plus proche
de la verticale de l’horizon,
fait se tourner les ombres
qui semblent le fuir,
– comme si elles le craignaient…
Les cadrans peuvent donner l’heure,
car on sait, ( sauf persistance des brumes ),
que les rendez-vous avec lui sont ponctuels:
sa trajectoire varie peu.
Les ombres vont donc dans le même sens.
Elles ne réfléchissent pas,
– contrairement aux eaux –
elles concentrent un peu d’obscur,
déportent ailleurs la forme des objets
auxquels elles sont attachées.
Il y en a même qui ont appris,
– dans leur fuite –
à descendre les escaliers,
mais il est rare quelles aillent très loin :
C’est qu’elles ont peur de se perdre
et de se dissoudre dans d’autres formes,
ou dans l’indéfini.
Elles restent légères,
encore davantage que la cendre ;
malgré leur opacité, et à jamais insaisissables.
C’est comme l’envers d’un décor :
le spectre visible de la lumière,
qu’on ne peut pas annuler .
RC- sept 2017
Patti Smith – sur la mort de Robert
C’est le tout premier texte de son ouvrage » just Kids »... elle évoque le décès de Robert Mapplethorpe… « Foreword » ( préambule).
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photo: Robert Mapplethorpe – Javier – 1985
J’étais endormie quand il est mort. J’ avais appelé l’hôpital pour lui dire encore bonne nuit, mais il avait disparu sous des couches de morphine.
Je tenais le récepteur et j’ai écouté sa respiration laborieuse à travers le téléphone, sachant que je pourrais ne jamais l’entendre à nouveau.
Plus tard, j’ai rangé tranquillement mes affaires, mon cahier et stylo. L’encrier de cobalt qui avait été le sien. Ma coupe de Perse, mon coeur pourpre, un plateau de dents de lait.
J’ai monté lentement les escaliers, comptant les marches : quatorze , l’une après l’autre.
Je tirai la couverture sur le bébé dans son berceau, embrassai mon fils endormi, puis me suis allongée à côté de mon mari et ai dit mes prières.
Il est encore en vie, je me souviens avoir chuchoté. Ensuite je me suis endormie.
Je me suis réveillée tôt, et alors que je descendais l’escalier, je savais qu’il était mort. Tout était calme, il y avait encore le son de la télévision qui avait été laissé dans la nuit. C’était sur une chaîne d’arts . Il y avait un opéra .
J’étais attirée par l’écran quand Tosca a déclaré, avec puissance et tristesse, sa passion pour le peintre Cavaradossi. C’était une matinée froide de Mars et j’ai mis un pull.
Je levai les stores et la lumière est entré dans le studio. Je lissai le lourd tissu de lin drapant ma chaise et ai choisi un livre de peintures de Odilon Redon, l’ouvrant sur l’image de la tête d’une femme flottant dans une petite mer. Les yeux clos. Un univers pas encore marqué ,contenu sous les paupières pâles.
Le téléphone a sonné et je me suis levée pour répondre.
C’ était le plus jeune frère de Robert, Edward. Il m’a dit qu’il avait donné un dernier baiser à Robert de ma part, comme il l’avait promis. Je restai immobile, frigorifiée; puis, lentement, comme dans un rêve, je suis retournée à ma chaise. A ce moment, Tosca a entamé le grand aria «Vissi d’arte. » J’ai vécu pour l’amour, j’ai vécu pour l’art. Je fermai les yeux et croisai mes mains.
La Providence avait choisi comment je pourrais lui dire adieu.
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PS
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(traduction RC )
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I WAS ASLEEP WHEN HE DIED. I had called the hospital to say one more good night, but he had gone under, beneath layers of morphine. I held the receiver and listened to his labored breathing through the phone, knowing I would never hear him again.
Later I quietly straightened my things, my notebook and fountain pen. The cobalt inkwell that had been his. My Persian cup, my purple heart, a tray of baby teeth. I slowly ascended the stairs, counting them, fourteen of them, one after another. I drew the blanket over the baby in her crib, kissed my son as he slept, then lay down beside my husband and said my prayers. He is still alive, I remember whispering. Then I slept.
I awoke early, and as I descended the stairs I knew that he was dead. All was still save the sound of the television that had been left on in the night. An arts channel was on. An opera was playing. I was drawn to the screen as Tosca declared, with power and sorrow, her passion for the painter Cavaradossi. It was a cold March morning and I put on my sweater.
I raised the blinds and brightness entered the study. I smoothed the heavy linen draping my chair and chose a book of paintings by Odilon Redon, opening it to the image of the head of a woman floating in a small sea. Les yeux clos. A universe not yet scored contained beneath the pale lids. The phone rang and I rose to answer.
It was Robert’s youngest brother, Edward. He told me that he had given Robert one last kiss for me, as he had promised. I stood motionless, frozen; then slowly, as in a dream, returned to my chair. At that moment, Tosca began the great aria “Vissi d’arte.” I have lived for love, I have lived for Art. I closed my eyes and folded my hands. Providence determined how I would say goodbye.
Jan Slauerhoff – le royaume interdit
…il s’entêta et se retrouva tout à coup devant un large escalier dominé par la façade rigide de la cathédrale ; tout en haut, perçant le ciel grisâtre de la nuit, la croix noire.
Il monta d’un pas lent l’escalier, tête baissée afin de veiller à ne pas trébucher : les marches étaient lisses et désagrégées. Quand il sentit qu’il n’y en avait plus, il leva les yeux : il venait de poser les pieds sur le parvis, le front de l’église était noir, semblable à une imposante pierre tombale verticale ; aucune lumière ne filtrait par les vitraux.
Il savait que derrière cette surface inerte se cachait une chose horrible ; impossible de faire demi-tour, l’escalier semblait s’être effondré derrière lui ; sous la menace de ce gouffre béant, il avança, étourdi, à grandes enjambées, vers la cathédrale.
J. Slauerhoff, Le Royaume interdit, trad. Daniel Cunin, Circé, 2009
Anna Niarakis – De nuit, peut-être
De nuit peut être
Lutine de la forêt urbaine
l’errance ressemble
quand elle est voyant par périscope.
À la profondeur, rideaux de gaz d’échappement
assombrissent la perspective.
Comme si le poids est partagé inégalement
sur les escaliers roulants et sur les caves.
Taches dépareillées reconstituent
Hologrammes la, où tu respirais.
Lignes que lévitent non-dessinées
et une pluie faible, incapable
pour lisser les frictions, stagne à côté de
ta pensée…
–
Venise déserte en sa nuit tiède ( RC )
–
D’anciennes façades décrépies, sont comme tachées,
Une végétation touffue croise ses bras verts pour cacher
Une grille que nul , depuis longtemps, n’a fréquentée,
Scellée par la rouille, – et dont personne n’a la clef
La fontaine est muette, l’eau ne chante plus sous le tilleul,
La vasque est presque remplie de feuilles en deuil,
Et de papiers, qui se soulèvent avec le vent
La place, désertée par l’été et les gens
On ne comprend pas où mènent ces escaliers
Qui s’élancent, puis, s’arrêtent par paliers
Vers une tour en partie détruite
Et que plus personne n’habite
La nuit est tombée, accompagnée par la lune
L’humidité s’étale, de la proche lagune
Le satellite, se double d’un halo
Qui se mire dans les flots
Du canal, aux reflets de vagues molles
Venant lécher de noires gondoles
Echouées, là, de biais, elles ont perdu leur emphase
Embarcations envahies par la vase…
De pâles lueurs tremblotent derrière les vitraux de l’église
Dans ce quartier un peu à l’écart, de Venise,
De briques et de marbres, les palais ont les pieds fourbus
Les murs qui s’écaillent, disent un prestige déchu.
La madone sculptée, au nez rongé, est toujours dans sa niche
Une fenêtre bouchée effeuille d’anciennes affiches
Indiquant des saisons passées les fêtes du Grand canal
Paillettes, danses et masques du carnaval…
Tout est silence à part une gerbe d’étincelles….
> D’une radio lointaine, parvient une tarentelle,
Et la brise déplace doucement ses voiles,
Dans un ciel de velours piqueté d’étoiles.
Où se traînent paresseusement quelques nuages
Dont le zodiaque ne prend pas ombrage
Même pas le verseau et Ganymède
– Toujours brillants dans la nuit tiède.
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RC – 7 juillet 2012

photo Olimpo
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la vieille dame indigne – voleurs
Un petit retour sur le blog de la vieille dame
( au passage, c’est si je me souviens bien, un film de René Allio, qui porte ce nom)

photo: les voleurs de poule... image du film "Le Pont de Remagen"
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et parmi ses nombreuses parutions, la catégorie « marchands de certitudes »…où je suis « tombé », avec son texte: « voleurs »…
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Ca y est ils sont revenus
Ils se sont tous assis en rond
Ils m’ont attendue
Ils n’ont pas peur de la lumière
Ils s’ emportent avec l’autan
Ils se perdent dans le mistral
Ce sont les mangeurs de mots
Les troueurs de temps
Les jamais contents
Ils me prennent les mains
Puis les laissent tomber si bas
Que je ne peux plus les remettre en place
Ce sont les dévoreurs d’être
Les plieurs de volonté
Les voleurs d’éternité
Les escaliers dérobés
Les talons esquintés
Les boues.
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