Virginie Gautier – A l’approche 01

Si je laisse seulement courir mon regard
en transparence sur ce versant
ce qui commence d’apparaître ce sont
des éperons rocheux
des gorges
des travailleurs armés de pioches
la consistance nouvelle de la lumière
l’ouverture d’un chemin plein ouest
on est tout le temps occupés à dégager le passage
à traverser plusieurs espaces
(l’œil ailleurs
le cœur divisé
le tchakachak dans l’oreille)
en regardant les choses défiler on va
vers un lieu pour nous très
habité.
Couvant l’étendue du regard
attendant qu’ailleurs vienne à soi
ici tout est moins dénivelé, moins vaste :
un faux lac, une flaque
un champ de sable, des empreintes de roues
on s’éparpille tout le temps
on est tout le temps occupés à faire
plusieurs choses à la fois
dans ce livre dont je relis les dernières pages
il est question de prendre le temps (par exemple)
de regarder la mer.
Patrice de la Tour du Pin – enfants de septembre

peinture : Nicole Paquet
Les bois étaient tout recouverts de brumes basses,
Déserts, gonflés de pluie et tout silencieux.
Longtemps avait soufflé ce vent du Nord où passent
Les Enfants Sauvages, fuyant vers d’autres cieux,
Par grands voiliers, le soir, et très haut dans l’espace.
J ‘avais senti siffler leurs ailes dans la nuit,
Lorsqu’ils avaient baissé pour chercher les ravines
Où tout le jour, peut-être, ils resteront enfouis ;
Et cet appel inconsolé de sauvagine
Triste, sur les marais que les oiseaux ont fui.
Après avoir surpris le dégel de ma chambre,
A l’aube, je gagnais la lisière des bois ;
Par une bonne lune de brouillard et d’ambre,
Je relevai la trace, incertaine parfois,
Sur le bord d’un layon, d’un enfant de Septembre.
Les pas étaient légers et tendres, mais brouillés.
Ils se croisaient d’abord au milieu des ornières
Où dans l’ ombre, tranquille, il avait essayé
De boire, pour reprendre ses jeux solitaires
Très tard, après le long crépuscule mouillé.
Et puis, ils se perdaient plus loin parmi les hêtres
Où son pied ne marquait qu’à peine sur le sol ;
Je me suis dit : il va s’en retourner peut-être
A l’aube, pour chercher ses compagnons de vol,
En tremblant de la peur qu’ils aient pu disparaître.
Il va certainement venir dans ces parages
A la demi-clarté qui monte à l’orient,
Avec les grandes bandes d’oiseaux de passage,
Et les cerfs inquiets qui cherchent dans le vent
L’heure d’abandonner le calme des gagnages.
Le jour glacial s’était levé sur les marais ;
Je restais accroupi dans l’attente illusoire
Regardant défiler la faune qui rentrait
Dans l’ombre, les chevreuils peureux qui venaient boire
Et les corbeaux criards aux cimes des forêts.
Et je me dis : Je suis un enfant de Septembre,
Moi-même, par le cœur, la fièvre et l’esprit,
Et la brûlante volupté de tous mes membres,
Et le désir que j’ai de courir dans la nuit
Sauvage ayant quitté l’étouffement des chambres.
Il va certainement me traiter comme un frère,
Peut-être me donner un nom parmi les siens ;
Mes yeux le combleraient d’amicales lumières
S’il ne prenait pas peur, en me voyant soudain
Les bras ouverts, courir vers lui dans la clairière.
Farouche, il s’enfuira comme un oiseau blessé,
Je le suivrai jusqu’à ce qu’il demande grâce,
Jusqu’à ce qu’il s’arrête en plein ciel, épuisé,
Traqué jusqu’à la mort, vaincu, les ailes basses,
Et les yeux résignés à mourir, abaissés.
Alors, je le prendrai dans mes bras, endormi,
Je le caresserai sur la pente des ailes,
Et je ramènerai son petit corps, parmi
Les roseaux, rêvant à des choses irréelles,
Réchauffé tout le temps par mon sourire ami…
Mais les bois étaient recouverts de brumes basses
Et le vent commençait à remonter au Nord
Abandonnant tous ceux dont les ailes sont lasses
Tous ceux qui sont perdus et tous ceux qui sont morts
Qui vont par d’autres voies en de mêmes espaces !
Et je me suis dit; Ce n’est pas dans les pauvres landes
Que les Enfants de Septembre vont s’arrêter;
Un seul qui se serait écarté de sa bande
Aurait il, en un soir, compris l’atrocité
De ces marais déserts et privés de légende ?
Comme dans tes vers – ( RC )
Comme une grande forêt,
les arbres se cachent les uns les autres.
Je n’en vois que quelques uns,
d’autres se développent
et ont des formes étranges,
des couleurs insolites, ,
et je me perds
dans ses obscurs sentiers.
Comme dans tes vers,
une forêt de mots
où je me fraie
dans les petits espaces
que tu laisses découverts,
et je savoure un univers
en m’y glissant doucement,
et peut-être en m’y perdant.
–
RC- avr 2019
Miguel Veyrat – tu reviendras
montage perso 2011
–
Tu reviendras
novice
et illuminée,
réclamer
le miroir congelé
dans mes pupilles.
Même ma langue
ignorera où se trouve
ma conscience, formulant
à nouveau les questions:
Au-delà
de la limite, par dessus les voix.
Tu viendras. Et tu parleras ma langue.
Et je jouerai avec elle.
À l’angle droit
de mon dernier regard
—impossible
raison,
voûte obscure
des espaces
à l’ombre,
à nouveau
je te regarderai.
Un corps à l’épreuve – ( RC )
Montage perso 2016
Il y a quelque chose du désert,
là où tout s’arrête,
et même la mer,
coupée en deux,
se dresse, immobilisée.
Passé par le chas des ténèbres,
le corps reste extérieur,
une paroi invisible se tend
entre les espaces ;
Je n’arrive pas à les franchir .
Est-ce un astre noir,
qui absorbe la nuit entière,
et la défait ?
Le monde s’est échoué
à portée de main .
Mais c’est encore trop loin :
mes bras ont beau s’étendre ,
ils ne touchent rien.
Comme la parole dite : elle
se fige sur place, même avec un porte-voix .
–
RC – juin 2017
incitation: une création d’ Anna Jouy
Lutte contre le chaos ( RC )
–
Par le plus grand des hasards, tu es là,
A lire cet aujourd’hui,
Et si ta vision illumine l’instant,
Cet instant fragile,
De deux étincelles,
Ayant pu n’être ( naître ) ailleurs…
Deux espèces d’espaces
Ils se croisent,
Avant que l’ombre,
Ne boive la mienne,
Ou rejoigne les millénaires d’ombres,
Des couches de fatigue,
L’enchevêtrement, en tout sens, des pensées,
En épaisses strates,
L’humus
Peut-être , dont s’extirpe la plante,
Si les conditions le permettent,
Et que se multiplient branches et feuilles,
Comme les phrases portent leurs mots,
Buvant à leur tour la lumière,
Si la création lutte contre le chaos.
–
– RC – 9 août 2013
–
Yahia Lababidi – Interstices
Interstices
–
Mes heures ont peur de mes jours
Une méfiance pour disposer leurs pieds en bas
Doutant de trouver un point d’appui
tic toc ,à la pointe des pieds de sa propre conscience.
Mes journées ont peur de mes années
jamais capables d’avoir pu s’oublier
dressées autour lors que j’essaie de dormir
déplaçant leur poids, traînant leurs craintes
Dans les interstices, elles sont intemporelles
sans être blessées et heureusement introuvables
Là, nous glissons à travers le tamis
entre ces espaces incommensurables …
—
Interstices
My hours are afraid of my days
mistrust placing their feet down
suspicious of finding a foothold
tic toc they tip toe, self-consciously
My days are afraid of my years
never able to forget themselves
standing around as I try to sleep
shifting their weight, shuffling fears
In the interstices, it is timeless
unwound and happily unfound
there we slip through the sieve
between those immeasurable spaces…
Yahia Lababidi
–
traduction perso … issu de sa parution « Fever Dreams »
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Candice Nguyen – Dans l’antre
article disponible sur le blog de Candice Nguyen: dont il gaut aussi voir les productions photographiques...
Je suis né dans l’antre et si quelqu’un me demandait, je lui répondrais que rien ne peut se dire en dehors du susurrement.
Je suis né dans l’antre, à l’écart du bavardage des hommes, leur babil incessant qu’ils ne savent plus taire et dont ils ne se rendent plus compte, dans l’antre, et ce bruit m’est assourdissant. Geler à pierre fendre agitation brouhaha tours banques cac et ces singes décident du monde.
C’est contre la mort, la leur, qu’ils s’obstinent dans ce leurre, remplir les espaces du monde un à un, et dans les airs, les moindres interstices, ondes ombres recoins vibrations, partout leurs lumières, leurs flots de paroles sur quel réel : dis-moi, comme si, comme si cela allait faire oublier l’inconstance de toute chose et leur renouvellement, mais sans eux, et après eux.
Acquérir, acquérir et repousser au plus loin là où l’homme n’est plus, n’est plus rien qu’une rumeur lointaine qui agite ses bras désespérément et ses jambes à la recherche d’un point d’eau qu’il aurait suffi de creuser. Creuser. Les puits, les ventres, la lumière, laisse rentrer. On avait quoi à perdre à faire autrement.
Magnésium fortifiants Célestène, passent les amphétamines bêta-bloquants pharmacopée. J’attends la nuit alors pour que la rumeur se taise un peu, toujours trop peu, des voitures qui passent, le cri d’un passant à la sortie d’un bar, un téléviseur qui hurle encore quand les lumières se sont éteintes. J’attends la nuit et je n’allume pas je guette, je guette le crépuscule d’été qui s’étire sans fin dans le ciel et qui tire du bleu clair vers le orange, le jaune, le vert et s’enfonce dans le bleu noir de la nuit, le rouge sang, le violet, la nuit et son presque silence — humain;
Humains, reposez-vous, reposez-vous encore, encore un peu plus jusque demain, silence, viens, viens… Et si les hommes levaient la tête à ce moment précis où le rouge s’accapare déjà le ciel et recouvre nos têtes alors peut-être n’aurions-nous plus besoin d’allumer des cierges encore en la mémoire des morts et des désastres ici et là.