esquisse trempée d’encre verte – ( RC )

peinture Jane Cornwell
une esquisse rapide,
dans ce lavis liquide
un pinceau qui court,
sans souci du détail
ni des contours,
trempé d’encre verte à tout hasard,
plus une touche de grisaille
le tout sans symétrie,
mais c’est ton regard
qui y est inscrit
toujours interrogatif:
chaque fois que j’ouvre ce cahier,
je pense à cet instant furtif,
l’essence d’un secret,
ce moment passager
que je vais conserver
pour toujours, à l’abri de l’oubli…
variations en bleu et vert ( chez Whistler ) – ( RC )

W A Whistler – variations en bleu et de vert 1868
C’est peut-être une fin d’été. devant la mer
Quatre femmes sont les actrices
d’une peinture de Whistler: presque une esquisse
peinte à grands traits rapides.
Sous un ciel paisible et lisse,
une brise s’élève à peine :
c’est une symphonie de bleus et de verts
devant une eau claire et limpide,
où rien ne bouge…
Le personnage de gauche marche lentement.
On le dirait sorti d’une fresque romaine
ses voiles jouent avec le vent.
A côté de cette femme
se tiennent deux dames
habillées de bleu et vert, également
avec quelques notes de rouge.
L’une d’elles tient un éventail.
Le peintre n’a précisé aucun détail…
Elles entourent le personnage principal
à la position centrale,
le regard perdu dans le lointain
assise, avec un geste de la main.
On ignore ce qui les réunit ici,
s’il y a une maîtresse et des servantes ;
elles se fondent dans le calme et l’harmonie.
On s’attendrait à une fête galante,
sans fioriture inutile
au retour d’Ulysse dans sa patrie,
un vaisseau que l’on devinerait entre deux îles:
—- on ne saura rien de la suite
du tableau, le regard se perd au-delà de ses limites…
Une esquisse sur une feuille vierge – ( RC )
peinture: Edvard Munch » nuit blanche »
–
Bien qu’il n’y ait plus un bruit,
tout autour des murs,
ce n’est pas pour autant une nature morte,
mais seulement une ouate
à peine différente de celle du ciel,
et d’où part le silence.
Il s’est posé, tout en blanc
de partout.
Les arbres sont dans l’attente ;
ils cherchent leur équilibre,
sous une masse inhabituelle, et résistent
de leur hampe sombre.
Car seuls, ils se détachent
de l’austère étendue,
où toutes les différences
ont été gommées,
enfouies sur une couche épaisse ,
tendant vers l’égalité.
Leurs silhouettes sont géométrie
et s’ornent d’ombres violettes,
comme dans les tableaux de Munch :
une peinture pour de vrai,
débordant sur les chemins,
presque effacés, aussi .
L’atmosphère est fraîche,
comme en attente.
Des hommes , au loin, progressent :
de signes noirs qui se détachent,
comme leurs paroles,
sur un fond mat .
On est dans un instant précaire,
que l’on sait fragile .
L’arrivée des chasse-neige
va rayer l’immobile,
comme si on lançait les premiers traits
– une esquisse – sur une feuille vierge .
–
RC – oct 2017
Garous Abdolmalekian – Esquisse 1

extrait de « Nos poings sous la table »
Décalqués dans le relief des choses – ( RC )
photo : Pentthi Sammallahti
Je suis rentré par hasard dans un enclos,
je m’en suis approché, comme si j’avais tourné
une page d’un livre, et que la photographie du lieu
me chuchote la chanson de son infini.
Je ne regarde pas ce monde ;
c’est lui qui me regarde,
car l’immobilité ne semble qu’un faux semblant.
Les chiens et oiseaux solitaires, je les reconnais,
mais il semblent des survivants dans un monde pétrifié,
la lumière sourdant de l’intérieur, même…
Il y a aussi des hommes, se découpant sur celui-ci,
mais qui ne semblent pas à leur place ,
survivants aussi d’un lieu, décalqués dans le relief des choses,
happés par l’étrangeté des instants,
où la lune se cristallise,
les arbres dépouillés peints par Bruegel
semblant y trouver leur place.
C’est qu’une fois après avoir longé cet enclos,
y être entré comme par effraction ,
il est difficile d’échapper aux noirs profonds, et bruns tourbeux,
et à la neige qui semble attendre.
Cela demeure, à la façon d’une image qui s’inscrit en creux,
comme la persistance rétinienne . :
on ne peut se contenter de tourner la page pour revenir au point de départ ;
rien ne coule, le méandre du fleuve fait vœu de silence ,
et on dirait que l’origine du monde est tout à côté.
Ce qu’on prend pour une esquisse
a quelque chose de définitif.
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RC – juin 2017
Laetitia Lisa – En habits d’oubli
peinture rupestre grotte de Chaturbhujnath Nala, Inde, environ 10,000 av JC
Je longe le champ de blés verts
hâtant le pas dans l’herbe haute
pour recevoir encore
un dernier baiser du soleil
avant qu’il ne se couche
en draps ocre et dorés
demain la pluie
demain le froid
pour l’heure la douceur du vent
le chant des grillons et les hirondelles en formation
avec elles je me baigne en le ciel
allongent les brasses lorsque les courants frais
effleurent mes bras nus
avec elles je reste immobile un instant
sous les caresses des courants tièdes
je plonge
dans le bleu des montagnes
jusqu’à ce que la nuit revienne parfaire l’esquisse
de ses gris colorés
je ne peux rien contre le froid et la grêle
tueurs des promesses si près d’éclore dans mon verger
je ne peux rien contre le feu du soleil
tueur des promesses si près de porter fruit dans le tien
sur le dos de quelques mots ailés revenus nous chercher
nous dansons en habits d’oubli
ourlés de nuit .
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Un encrier versé sur le vide – ( RC )
Il y a un ciel d’orage en été,
Mais toi-seule peut le voir,
et cet encrier versé
sur le vide et la vie
dont tu pétris
la vaste esquisse…
Des nuages aux contours noirs,
Des bêtes étranges, les dents acérées,
Se bousculent et se développent
Dans l’esprit de brume
où tu navigues seule ,
bien au-delà
– on ne peut plus te suivre –
D’ailleurs le dessin au fusain,
retourne à la poussière,
et toi, à ton destin.
Il n’y a sur la page,
que les traces de tes doigts ,
mêlées aux premières gouttes
d’un ciel qui bascule .
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RC – avr 2016