La maison où le cœur chante – ( RC )

La maison s’est blottie
au creux des collines
à côté de l’étang.
L’ombre est rare
sous le soleil de midi.
Un arbre penche
vers son ombre douce.
De ses branches
s’épanchent des gouttes de résine.
L’été étend sa main
parmi les champs.
Je reprendrai le chemin
qui s’écarte des grandes voies
et j’irai vers toi
retrouver la maison accueillante
où tu m’attends
depuis bien longtemps,
là, où toujours le cœur chante….
Gabriela Mistral – l’amour muet
trad Nicole Laurent-Catrice
( variante dans Biblioteca Premio Nobel, éd. Aruilar : Amor, Amor.)

Si je te haïssais, je te jetterais ma haine dans des mots, ronde et sûre; mais je t’aime et mon amour ne se fie pas à ce parler des hommes, trop obscur.
Tu voudrais qu’il s’exprime en cri déchirant, mais il vient de si profond qu’il a, défaillant, répandu son flot brûlant bien avant la gorge, bien avant la poitrine.
Je suis comme un étang gorgé et tu me crois un jet d’eau inerte.
Tout cela à cause de mon silence tourmenté qui est plus atroce que d’entrer dans la mort !
Ainsi ne me touche pas. Je mentirais si je te disais que je te livre mon amour dans ces bras tendus, dans ma bouche, dans mon cou, et toi, croyant que tu l’as bu tout entier, tu t’abuserais comme un enfant aveugle.
Car mon amour n’est pas seulement cette gerbe rebelle et fatiguée de mon corps, qui tremble toute au frôlement du cilice et qui s’attarde dans son vol.
Il est ce qui est dans le baiser et ce n’est pas la lèvre; ce qui brise la voix, et ce n’est pas la poitrine; c’est un vent de Dieu qui passe en déchirant la branche de ma chair, immatériel!
.
El amor que calla
Une nouvelle Ophélie – ( RC )
Le terrain vague – ( RC )
–
Entre les façades tristes, et mutiques
des rangées d’immeubles,
gît une zone indéfinie,
et personne ne revendique
les marges floues d’un territoire ;
ce lieu de passage, où rien ne semble certain,
comme l’oeil étrange d’un étang,
habité d’une vie secrète, à quelque distance,
sous la vase.
Les formes, même celles des plus banales,
semblent dériver à force d’abandon,
sans se heurter aux certitudes du ciment
et du goudron.
Des sentiers hésitants contournent des bosses,
évitent des flaques, où courent des nuages gris.
Je les empruntais comme des raccourcis,
ou bien avec les copains, les jours de désœuvrement.
Des bois morts sont des trophées anciens,
où s’accrochent d’anciens pneus de cycles.
Des graminées amères se disputent des tas de gravats .
Surgissent parfois des pierres taillées,
des morceaux de murs bousculés,
où se lisent encore des slogans rageurs,
et graffiti à moitié effacés .
Ce espace échappe à la géométrie,
se rebelle avec le présent, et régurgite de son ventre ,
des objets, qui y étaient enfouis,
lestés de batailles secrètes .
Des objets métalliques dont on ne saurait plus expliquer l’usage,
des tesselles de mosaïque aux couleurs vives,
et même je me souviens, du crâne d’une vache,
aux cornes envahies de mousse .
Ces voyages imprécis, aux abords de la ville,
tenaient d’un purgatoire .
D’une rumeur entre deux rives :
elle confessait la parole d’un passé, pas encore normalisé .
Les parcours capricieux, avaient quelque chose à voir ,
sans doute, avec l’adolescence.
Comme elle, quelques années suffiraient à en interdire l’accès,
à le cerner de murs, avant de le transformer,
en parking de supermarché.
–
RC – janv 2015
Quine Chevalier – ensorcelées sous le soleil – II
–
Chimères dans la bouche
inscrites au livre noir
faux dragon quand le feu
n’est plus qu’une bougie.
Les visages anciens chuchotent
autour des flammes
ont perdu leur pouvoir
et maléfices vains.
L’enfant revient
ailé d’un autre feu
des rubis sur la lèvre
qu’attisent les étoiles
il jongle sur l’étang
dans les arbres si purs
se pare d’écorces
de plumage
et le vent dans tout ça
qui l’attire et l’enchante.
– II –
A la surface, où le silence se fracasse – ( RC )
–
Le soleil rebondit,
Quelque part,
Après les brumes,
Et s’infiltre avec peine,
Au milieu des branches,
Encore vides.
Les feuilles naissantes,
Attendront encore,
L’explosion de l’ivresse
L’eau a son reflet , mat,
Mordue par la glace,
Tu peux te risquer, à sa surface ,
Où le silence se fracasse,
En ombres effilées,
Extraites des pliures du matin,
Quand l’heure stagne,
Sur les tiges frêles, prisonnières de l’étang.
Le verre cathédrale,
A déjà son réseau de fêlures,
Lézardes en ricochets
Certaines sont dûes,
Aux cailloux qu’on y a jetés,
Et qui sont restés posés,
Comme un défi aux fonds soyeux,
Où tout s’enfonce dans une vie secrète.
Tu serais comme une pierre,
Figé de froid,
Même sous ton lourd manteau,
Et seul le regard mobile,
Se verrait chercher sous l’épaisseur,
A peine translucide,
Sans vraiment le vouloir,
Des mouvements furtifs, mêlés de reflets.
Le nappage répandu en couches ,
Au long des nuits, allongées de gel ,
A jeté son pont
Au-dessus de l’eau.
> Elle est la vie,
Des carpes sombres la parcourent,
En arabesques capricieuses,
Ignorant le monde clos, du dessus.
–
RC – avril 2014
–
Quine Chevalier – neige conçue 2
Neige conçue
de toute part
près du buisson
ardent que trouble
l’appel du merle
L’homme s’en revient
piétiner la neige
briser branches lourdes
Il hèle l’enfant qui patine
légère glace de l’effroi
au bord de l’étang
bâtir un regard
clair au-dessus
–
Paul Vincensini – D’herbe noire

photo: Lucien Clergue Camargue secrète
D’herbe noire
J’avais cueilli des fleurs pour traverser la mer
Mais j’ai dormi près de l’étang
Au milieu des chevaux
Et l’amour emprisonne mon bouquet d’herbe noire
Je suis maintenant étendu sur le sable
Je ne pars plus
Je suis un petit aveugle
Et j’ai tout un coucher de soleil sur les jambes.
–
Colette Fournier – Au matin
–
Longtemps, mon cœur a battu au flanc du jour.
L’aube était pure, si pure,
Un lever de mystères blancs,
Une pluie d’instants menus dessinés au fusain noir,
La rue et son appel rauque et volage,
La prairie songeuse au soleil,
Et immobile sous un ciel d’extase,
L’eau dormante d’un étang blond.
Longtemps, je suis restée suspendue aux matins,
Aux histoires de fées et de lutins,
Osant à peine, à peine, poser mes pas pointus,
Sur l’herbe mouillée de peur de l’abimer un peu,
Craignant de réveiller juste par mon souffle,
Les esprits endormis de la forêt,
Et les fleurs assoupies dans leurs corolles soumises,
Et que le vent, doucement, plie.
Je ne veux pas, donnant à mon cœur du repos,
Oublier l’odeur des départs,
La nuit couchée en coin comme un chat dispos,
Je ne veux pas refuser tes larmes,
Quand tu te penches sur la vie et que tu l’aimes encore,
Je ne veux rien effacer dans tes yeux, pas même ta mémoire,
Juste goûter encore la ferveur des matins, encore, demain….
–
( visible dans le blog de phedrienne : http://colettefournier.com/2013/02/21/au-matin/)
La porte du sommeil ( RC )
photo : opéra de Wagner: l’anneau des Nibellungen
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La porte du sommeil
–
Lorsque la lourde porte s’entrouvre
Et que se glissent les rêves
Les brumes des légendes,
Les nymphes flottantes,
Aux bruits de la forêt,
Laissée, nocturne à la mousse
Et aux sommeils sauvages,
Juste effrités, par les images
Furtives des biches, venues s’abreuver
Aux sources de la nuit.
Il y a dans nos mémoires,
Toutes les histoires,
De chevaliers errants,
Les étangs fumants,
Les poussières fuyant en rayons de soleil,
Lorsque, justement, on sombre dans le sommeil.
Les fées sont d’exquises danseuses *
Les plantes, aux tentacules vénéneuses,
Se liguent , hantant, en errance,
Nos souvenirs d’enfance.
Dans nos rêves, se glisse la tempête,
Si on soulève la tête,
C’est tout un monde fantastique,
Qui bascule toute logique
Le désert des tartares
Les griffes du cauchemar,
Les épées qui tranchent
Les arbres qui se penchent
La brume filtrant des puits
Les nains qui s’enfuient…
Un cercle de feu , où s’inscrit
— La chevauchée des Walkyries,
L’écho renvoit, et répète
Les sonneries des trompettes…
— Dans la tête aussi , les peintures d’Odilon Redon
Et s’envolent aussi le char d’Apollon,
Et d’autres animaux sauvages,
Quittant la terre pour un voyage,
Tutoyant l’irréel
Dès que leur poussent des ailes.
–
RC – 4 décembre 2012
illustration: l’or du Rhin
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Le sommeil des nénufars ( RC )
peinture: P Mondrian. Night landscape 1907-08
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Sous les branches tombées à notre insu, un parterre
d’ocre, si bien aussi qu’à plat sur la surface gelée de l’étang
on pourrait marcher
Contourner les nénufars, surpris dans leur sommeil,
comme au bord d’un temps,
Qu’ils avaient oublié
Fragiles coques, lestées de mémoire
Qui les retiennent par le fond
Tandis que, en ombres
Les carpes évoluent silencieusement,
dessous, ignorant les nuages,
Et la neige,
Qui coiffe les sommets des collines.
Il n’y a pas trop de nuits, pour attendre
Que revienne la tiédeur,
Et les sauts des grenouilles….
–
RC – 29 novembre 2012
–
inspiré par François Cheng ‘ »Fumées »
–
Wyslava Szymborska – coup de foudre
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Je n’en veux pas au printemps
d’être venu à nouveau.
Je ne lui tiens pas rigueur
de remplir comme chaque année
ses obligations.
Je comprends que mon chagrin
n’arrêtera pas la verdure.
Et le brin d’herbe s’il hésite un instant,
c’est sur le souffle du vent.
Je ne souffre pas trop de voir
que les aulnes au bord de l’eau
ont de quoi bruire à nouveau.
Je prends bonne note du fait
que- comme si tu étais toujours là –
le bord d’un certain étang
est resté aussi beau que naguère.
Je ne garde nulle rancune
a la vue, pour la vue de la baie
par le soleil éblouie.
Je parviens même à imaginer
Les deux, mais pas nous du tout,
assis en ce moment même
sur le tronc du bouleau abattu.
Je respecte leur droit absolu
au chuchotement et au rire
et au silence du bonheur.
J’irais même jusqu’à penser
que c’est l’amour qui les lie,
et qu’il la serre contre lui
de son bras tout à fait vivant.
Quelque chose de nouveau, très oiseau,
bourdonne dans les roseaux.
De tout mon coeur je souhaite
Qu’iils puissent tous deux l’entendre.
Je n’exige aucun amendement
des vagues qui s’abattent sur la rive,
ni aux vives, ni aux lascives
et qui n’obéissent pas à ma loi.
Je ne demande rien de rien
à l’étang près de la forêt,
qu’il soit émeraude
qu’il soit saphyr,
qu’il soit même charbon.
Une seule chose je refuse.
Revenir à tous ces endroits.
A ce privilège de présence-
Je renonce par la présente .
Je t’ai tellement vécu,
et peut être juste ce qu’il faut,
pour pouvoir y penser de loin.
Recueil « Je ne sais quelles gens » traduit du polonais par Piotr Kaminski.
–
François Corvol – mythologies 03
photo: Edw Steichen
Un jour tu refermeras l’ombrelle et tout ceci
coulera dans l’eau comme les ancres
tout ceci qui nous ensorcela
disparaîtra dans l’étang dans le fort, pris au piège
du temps de la vie de tout ce qui se dérobe à ton piano
dix doigts pour commencer le château
la cueillette des cerises le repas des oiseaux, nous avons
beau voyager retenir l’eau toujours je vois
la nuit les arbres les manteaux
un jour tu refermeras l’ombrelle et tout ceci
coulera dans l’eau comme les pierres
tout ceci qui nous ensorcela
–
d’autres textes de François Corvol, sont disponibles sur « décadence.net »
Image, montage perso 2000, à partir de reproductions d’oeuvres de Max Ernst
Si l’envers était endroit ( RC )

aquatic world ou Russell Blackwood
Si l’envers était endroit
Et le sommeil liquide, le reflet du monde, et celui des plus proches, les sombres forêts moussues, en sentinelles.
Et les algues, au milieu de la matière glauque d’un en-dessus de ciel…
La mémoire porterait le souvenir d’un monde terrestre,
Quelque part, comme en réminiscences.
Plus de pesanteur terrestre pour ta chevelure, que seuls les courants mouleraient de leurs doigts.
Plus de pesanteur pour ta robe, en cloche comme une méduse habitée de toi.
Plus de distance de paroles, même la bouche ouverte, où viendrait parfois s’interposer, l’ombre d’une carpe.
L’ange de l’étang ne montrera pas ses larmes, puisque mêlées aux ondulations des tiges têtues des nénufars.aux parapluies étalés au regard d’un autre monde, collé à la lumière.
Seules les grenouilles en traduiraient l’existence, et , dans leur prophétie, nous diraient les sources, et les orages.
Silence cependant des eaux étales, juste piquetées, en surface, de temps en temps par des points de pluie, ces seules notes de musique d’un piano mouvant, accompagné d’éclairs furtifs…
Et nous serions dressés, à l’horizontale, ou tête bêche,
-peu importe – , à la pliure du monde, la vie traversière….
RC – 23 juin 2012
–
Françoise Ascal – 1
1
Au loin la rivière roule d’obscures promesses.
Le sapin tutélaire veille,
ancêtre tenace gardant sous son aile les âmes innombrables des lapins d’autrefois, bouquet d’âmes innocentes ayant connu l’effroi sous la lame agile en ce lieu précis, misérables créatures liées aux misérables paysans, les unes et les autres aujourd’hui confondues dans l’absence, dans la radiation de tout ce ce qui fut, une fois, une unique fois présence, atomes de chair pareillement broyés sous la meule qui jamais ne crisse, jamais ne grince, terreau de misère faisant croître le sapin haut et ferme, à l’ombre duquel j’écris ce jour, traversée d’une calme joie — légère puisque sans fondement, sans raisons, sans réponses. Sans consolation.
Là -haut, le vent souffle.
Là-haut, un busard trace de grands cercles dans le bleu du ciel avant de rejoindre son poste de guet , au sommet d’un frêne.
Sous la terre et le grès rose, sous les étangs , les bouleaux, les bruyères, les anciens n’en finissent pas de se décomposer.
Le vent tourmente la peau des vivants,
attise les signes.
Au vif de l’été la plante du pied s’impatiente.
Claudio Pozzani – Cherche en toi la voix que tu n’entends pas
Cherche en toi la voix que tu n’entends pas
(invocation pour voix, cage thoracique et solitude)
Cherche en toi la voix que tu n’entends pas mange l’univers si tu ne la comprends pas Maisons basses au toit en pente pleurant la pluie venant des sous-toits désormais pourris Parfum de terre, de feuilles, d’étangs et paysages sinistres de marbre candide Cherche en toi la voix que tu n’entends pas mange l’univers si tu ne la comprends pas Vers qui gisent sous le fond boueux rats qui nagent dans des ruisseaux d’acier Embruns de brouillard, voitures véloces qui broutent de rapides tagliatelle d’asphalte Cherche en toi la voix que tu n’entends pas mange l’univers si tu ne la comprends pas Des ombres de glaise se trainent les pieds en secouant leur tête conique basse D’obliques fantômes imprimés sur le mur rappellent fuites et chevaux de frise La noirceur commence à refléter ton esprit tandis que tout devient effervescent et vert…
Claudio Pozzani
Cerca in te la voce che non senti
(invocazione per voce, cassa toracica e solitudine)
Cerca in te la voce che non senti mangia l'universo se non la comprendi Basse case dai tetti spioventi lacrimanti pioggia da gronde ormai marce Profumo di terra, di foglie, di stagni e sinistri paesaggi di candido marmo Cerca in te la voce che non senti mangia l'universo se non la comprendi Vermi che giacciono sotto il fondo fangoso topi che nuotano in ruscelli d'acciaio Fumo di nebbia, auto veloci che brucano leste tagliatelle d'asfalto Cerca in te la voce che non senti mangia l'universo se non la comprendi Ombra di creta camminano stanche scuotendo bassa la conica testa Obliqui fantasmi stampati sul muro ricordano fughe e cavalli di frisia Il buio comincia a specchiarti la mente mentre tutto diventa effervescente e verde...
© Claudio Pozzani
Extrait de: Saudade e Spleen
Alchimies Poétiques, Éditions Lanore, Paris 2001
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