Georges Jean – dans le désordre des choses

Les fruits sur la prairie pourrissent
Les sentiers mènent aux étangs
Où le ciel ouvre sa pulpe
Les dernières roses construisent
Le réseau profond de la mort
Les maisons prennent dans leurs mains
Les personnages de la brume
Nous sommes dans la chair du temps
Les arbres noirs de la nuit
Les oiseaux gris dans le matin
Il semble que le soleil
Va déchirer ces voiles blancs
Ainsi dans le matin du temps
Les paroles simples se lèvent
Alors éclatent les ailes
Se fendent les rameaux
Saigne l’Orient
Et quelques mots dans le silence
Permettent d’entendre la danse
Et rêver de l’Océan
Pour les regards du dedans
Les pierres sont en gésine
Au cœur de la forêt proche
Là dans les sentiers de silex
Le plaisir bat comme le cœur
Voici les traces les sillages
Les filles des longs retours
Et dans l’ombre d’alentour
Les absents se sont levés
Et le jour ouvre nos lèvres
Et les mots entrent dans les choses.
–
extrait de « parcours immobile »
Mary Oliver – Regarde , les arbres –

Regarde, les arbres
sont en train de tourner
leurs propres corps
en piliers
de lumière,
sont en train d’exhaler la riche
fragrance de la cannelle
et de l’accomplissement,
les longs cierges
des massettes
sont en train d’éclater et de flotter là-bas sur
les épaules bleues
des étangs,
et chaque étang,
peu importe ce que son
nom est, est
sans nom maintenant.
Chaque année
tout
ce que je j’ai jamais appris
pendant ma vie
me ramène à ceci : les feux
et la rivière noire de la perte
dont l’autre rive
est le salut,
son sens
nul d’entre nous ne le saura.
Pour vivre en ce monde
tu dois être capable
de trois choses :
d’aimer ce qui est mortel ;
de le tenir
contre tes os sachant
que ta propre vie en dépend ;
et, quand le moment viendra de le laisser
partir,
de le laisser partir.
In Blackwater Woods
Traduction : Aédàn (2021)
Look, the trees are turning their own bodies into pillars of light, are giving off the rich fragrance of cinnamon and fulfillment, the long tapers of cattails are bursting and floating away over the blue shoulders of the ponds, and every pond, no matter what its name is, is nameless now. Every year everything I have ever learned in my lifetime leads back to this: the fires and the black river of loss whose other side is salvation, whose meaning none of us will ever know. To live in this world you must be able to do three things: to love what is mortal; to hold it against your bones knowing your own life depends on it; and, when the time comes to let it go, to let it go.
voir aussi :
Mary Oliver en Français Facebook
ou
https://www.poetryfoundation.org/poetrymagazine/browse?contentId=41916
Julian Tuwim – Les joncs

La menthe parfumait l’eau des étangs,
Et les joncs dodelinaient leur chanson ;
L’aube rosissait, l’eau se fit vent,
Le vent berça la menthe et les joncs.
Comment savoir alors que ces herbes
Se feraient poèmes au gré des ans,
Et que de très loin je hurlerais le nom des simples,
Au lieu de me coucher parmi les fleurs simplement ?
Comment deviner la future douleur
D’arracher les mots au monde vivant,
Comment savoir qu’à se pencher sur l’eau, sur les fleurs
On se faisait souffrir des années durant ?
Je savais seulement que les joncs
Cachaient des fibres fines et légères,
De quoi tresser un filet fluet et long,
Un filet pour ne rien faire…
Dieu immense de mes années d’enfant,
Dieu très bon de mes aurores claires,
Jamais plus donc il n’y aura d’étang,
Ni de menthe dans la lumière ?
Je suis donc condamné sans rémission
A quêter des mots désespérants ?
Et les joncs, les simples joncs de ma chanson,
Jamais je ne les verrai simplement ?
Traduction Jacques Burko
Pour tous les hommes de la terre
Orphée
La Différence
Une route perdue – ( RC )
Au bord du son déjà lointain
De la cloche fêlée
J’ai cheminé sous les brumes
Au bord des étangs remplis de nuages,
Essuyant leur camouflage.
Ce qui avait été une route
Traçait sa voie au milieu des sables
Fougères et terrains instables,
Se morphondait en plaies,
Les dents de cailloux sous la surface.
Cette voie je l’ai suivie
Aussi loin que le regard porte.
Elle se déroule toute droite,
Et absente des cartes…
Censée mener quelque part,
Maintenant plongée dans la forêt :
Une échancrure fine et rectiligne,
Qui pourtant s’essouffle,
Lorsque les îlots d’asphalte
Burinés de sable noir, se font rares,
Mangés par les flaques,
Aux bouches opaques.
Elle se rétrécit encore,
Serpente et se tord,
Et puis se perd,
Bue par la densité du vert,
Comme un vieux langage,
Dont on aurait perdu l’usage.
Transformée en chemin,
Celui-ci s’éteint
Au milieu des pins,
Cédant la place à une impasse,
Un rideau clos,
Un fouillis de végétaux
a reconquis la place,
fermant peu à peu l’espace.
Habitée par les ombres,
Des arbres sans nombre ;
une cabane abandonnée,
Où le chemin m’a mené :
cette petite cabane,
dont les couleurs se fanent
perdant peu à peu ses planches,
Masquée par les branches ,
c’est vers le sol qu’elle s’incline…
le temps lui fait courber l’échine .
.
–
juillet 2014 – fev 2018
Marie Hurtrel – gelures au bord de l’étang
L’heure est aux gelures des bords des étangs incrustés de lune.
Là,
entre un silence et le souffle des monstres brennous,
les plumes s’agitent,
les mots tombent,
Dans l’antre ouverte de l’outre âge :
Il est temps,
où le temps sourd.
Il crime,
de l’autre côté de la terre ;
la mort a l’odeur des baptêmes intégristes.
Le sens broie où les os craquent,
quand la patience cure ses canines occidentales.
© Marie Hurtrel
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Ecriture paysagère, plume voyageuse ( RC )

photo: Yann Arthus Bertrand – îles d’Aran – Inishmore
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J’ai écrit sur les causses et les montagnes
L’aube sur les étangs gelés, en rase campagne
Les déplacements minuscules, qui font sans doute
La différence, aux zébrures de parcours d’autoroute…
J’ai aimé la nef affleurant des îles d’Aran
Les nuages empilés, de ces îles sous le vent
Les champs qui ondulent, et contournent les collines,
Les pins sylvestres attentifs, au bord des dolines,
En attendant que l’orage cesse, sous un abri de roc,
Ma tête convoquait les ogives d’une cantate baroque
Les toits dansants d’un village provençal,
Un marché, fruits et légumes, jonglant de couleurs sur les étals.
Avec mes croquis des maisons d’Amsterdam,
Sous un ciel si bas, que les nuées condamnent,
Je me suis donné l’espace d’un défi,
Sans transcrire en photos, architectures, et géographies…
La plaine est immobile, et la plume voyageuse,
Et caresse aussi bien les bords de la Meuse,
Que le bourdonnement têtu des abeilles
Dans les calanques, près de Marseille.
RC – 29 juin 2012
Françoise Ascal – Arpenter le pays
