Eugenio de Andrade – avec le soleil
Je suis à toi, de connivence avec le soleil
dans cet incendie du corps jusqu’à la fin :
les mains si avides à leur envol,
la bouche qui sur ta poitrine oublie
de vieillir et sait encore refuser.
Aqui me tens, conivente com o sol
neste incêndio do corpo até ao fim:
as mãos tão ávidas no seu voo,
a boca que se esquece no teu peito
de envelhecer e sabe ainda recusar.
Eugénio de Andrade,
Matière Solaire, XIII
Eugenio de Andrade – J’entends courir la nuit
J’entends courir la nuit par les sillons
Du visage – on dirait qu’elle m’appelle,
Que soudain elle me caresse,
Moi, qui ne sais même pas encore
Comment assembler les syllabes du silence
Et sur elles m’endormir.
.
.
.
« Il n’y a pas d’autre manière d’approcher
de ta bouche : tant de soleils et de mers
brûlent pour que tu ne sois pas de neige :
corps
ancré dans l’été : les oiseaux de mer
couronnent ton visage
de leur vol : musique inachevée
que les doigts délivrent :
lumière répandue sur le dos et les hanches,
encore plus douce au creux des reins :
pour te porter à ma bouche, tant de mers
ont brûlé, tant de navires. »
Eugénio de Andrade, Blanc sur blanc, Gallimard, Collection Poésie
Eugenio de Andrade – traverser l’été pour te voir
photo Frank Vic
J’avais traversé l’été pour te voir
dormir, et rapportais d’autres contrées
un soleil de blé dans la pupille ;
quelquefois la lumière s’attarde
sur des mains fatiguées ; je ne sais en lequel
de nous explosa une soudaine
jeunesse – explosa, ou chantait :
l’air était plus frais.
Qui chante en plein été espère voir la mer.
Eugenio de Andrade – le poids de l’ombre III
photo Raphael Milani
.
Le poids de l’ombre III.
.
.
.
C’était septembre
ou bien tout autre mois
propice à de petites cruautés :
Que veux-tu encore ?
Le souffle des dunes sur la bouche ?
La lumière presque nue ?
Faire du corps entier
un lieu en marge de l’hiver ?
–
Estonie 2013
.
Eugenio de Andrade – La pupille nue
poterie perse: 3000 av JC
La lumière est toujours la même, toujours :
Furtive au flanc des chèvres,
Cruelle dans la couronne des chardons,
Frémissant dans l’herbe
Rasante de ton corps et dans les dunes,
Toujours la même, la pupille nue.
Eugenio de Andrade – poids de l’ombre ( 2 )
..
Jeune est la main sur le papier
ou sur la terre !
Jeune et patiente : quand elle écrit
et quand au soleil
elle se transforme en caresse.
Le poids de l’ombre III.
.
.
.
C’était septembre
ou bien tout autre mois
propice à de petites cruautés :
Que veux-tu encore ?
Le souffle des dunes sur la bouche ?
La lumière presque nue ?
Faire du corps entier
un lieu en marge de l’hiver ?
—
Le poids de l’ombre XXXVI.
Eugenio de Andrade – Le sourire
Je crois que c’était le sourire,
Le sourire qui a ouvert la
porte.
C’était un sourire avec
beaucoup de lumière
et dedans, donnait envie
de lui entrer dedans, de se déshabiller,
et rester
nu dans ce sourire.
Courir, naviguer, mourir
dans ce sourire.
..
.
Eugenio de Andrade – Avec la mer
J’apporte la mer entière dans ma tête
De cette façon
Qu’ont les jeunes femmes
D’allaiter leurs enfants;
Ce ne qui ne me laisse pas dormir,
Ce n’est pas le bouillonnement de ses vagues
Ce sont ces voix
Qui, sanglantes, se lèvent de la rue
Pour tomber à nouveau,
Et en se trainant
Viennent mourir à ma porte..
Eugenio de Andrade – Jeune est la main
–
Jeune est la main sur le papier
ou sur la terre !
Jeune et patiente : quand elle écrit
et quand au soleil
elle se transforme en caresse.
Eugenio de Andrade – apprendre à la main
Tu pourrais apprendre à la main
Un autre art,
Celui de traverser le verre ;
Tu pourrais lui apprendre
À creuser la terre
Dans laquelle tu suffoques syllabe après syllabe ;
Et même à devenir eau,
Là où, à force d’être regardées,
Les étoiles tombaient.
extrait de « Matière solaire »
–
Eugénio de Andrade – J’entends courir la nuit
Eugénio Andrade – J’entends courir la nuit
J’entends courir la nuit par les sillons
Du visage – on dirait qu’elle m’appelle,
Que soudain elle me caresse,
Moi, qui ne sais même pas encore
Comment assembler les syllabes du silence
Et sur elles m’endormir.
–
Eugenio de Andrade – Ni rossignol, ni alouette

peinture: Edvard Munch nuit étoilée
–
Tu appuies ton visage sur la mélancolie et tu n’entends
même pas le rossignol. Ou est-ce l’alouette ?
Tu peux à peine supporter l’air, partagé
entre la fidélité que tu dois
à la terre de ta mère et au bleu
presque blanc où l’oiseau se perd.
La musique, donnons-lui ce nom,
a toujours été ta blessure, mais aussi
au milieu des dunes ton exaltation.
N’écoute pas le rossignol. Ni l’alouette.
C’est en toi
que toute la musique est oiseau.
–

dessin perso: oiseau de îles Salomon, croquis effectué au musée des Arts Premiers – Paris – encre de chine – dec 2010
Eugenio de Andrade – Chanter
–
Le corps brûle dans l’ombre,
cherche la source.
Je sais maintenant
où commence la tendresse :
je reconnais
l’arbuste du feu.
J’ai connu le désert
de la chaux
La racine du lin
a été mon aliment
a été mon tourment.
Mais alors je chantais.
De même que la nuit remonte aux sources,
moi-même je reviens vers les eaux .
Eugénio de Andrade – La passion

peinture; Eugène Boudin - la plage à Villerville - 1864
Je lève avec peine les yeux de la plage ;
Ils brûlent ;
Ils brûlent aveugles de tant de neige.
Elle fait mal cette passion pour le silence,
Pour le murmure du silence,
Pour l’ardeur
Du silence que seuls les doigts pressent.
Aveugles, eux aussi.
—
Eugenio de Andrade – le sourire

peinture: André Derain: la nièce du peintre, assise , musée de l'Orangerie
Eugénio de Andrade – Le Sourire
Je crois que ce fut le sourire,
le sourire, lui, qui ouvrit la porte.
C’était un sourire avec beaucoup de lumière
à l’intérieur, il me plaisait
d’y entrer, de me dévêtir, de rester
nu à l’intérieur de ce sourire.
Courir, naviguer, mourir dans ce sourire.
———
plus d’informations sur E de Andrade , voir l’article des éditions de la Différence.
–
Eugénio de Andrade – Les paroles
Eugénio de Andrade – Les paroles
Elles sont comme un cristal,
les paroles.
Certaines, un poignard,
un incendie.
D’autres,
seulement de la rosée
Grosses de mémoire, elles viennent en secret.
Incertaines, elles naviguent ;
navires ou baisers,
les eaux frémissent.
Désemparées, innocentes,
légères.
tissés de lumière,
Elles sont la nuit.
Même pâles,
elles rappellent encore de verts paradis.
Qui les écoute ? Qui
les recueille, ainsi,
cruelles, défaites,
dans leur nacre pure ?
De Andrade Eugenio — elle est ainsi, la musique
Eugenio de Andrade
elle est ainsi, la musique
La musique est ainsi : elle demande,
interroge avec insistance
– l’amour ?, le monde ?, la vie ?
Nous ne savons pas, et jamais
ne le saurons.
Comme si elle ne disait rien elle
finit par tout dire.
Ainsi : s’écoulant, brûlant jusqu’à
la fulgurance – et enfin
le silence blanc du désert.
Auparavant pourtant, comme une syllabe tremblante,
elle commence à jaillir, blesse,
caresse la plus lointaine des étoiles.
On peut lire des textes de Andrade en langue originale sur ce blog