Ludovic Massé – la terre du liège ( extrait )

estampe chinoise musée Guimet Paris
Tout au long de ces années d’exil, j’appris peu dans les livres,
seulement de quoi ne pas être vaincu aux examens,
mais la petite jungle où je pataugeais, parmi une faune sans griffe ni crinière,
ensauvagea plus encore mon caractère et mes sentiments,
m’immunisa pour toujours contre les tentations et les ambitions dérisoires.
Profit unique, vraie richesse engrangée d’une âme goulue,
sagesse surgie de l’instinct, privilège providentiel qui m’a permis de vivre
avec plus de joie que de résignation.
Comme on l’imagine, j’emportais toute ma vie passée avec moi, contre moi,
jour et nuit, sans jamais la lâcher, la compromettre d’une distraction ou d’une lâcheté.
Quoiqu’il advint, j’étais sûr de trouver la paix dans mes refuges.
Aux heures les plus absorbantes, les plus périlleuses de ma vie d’étudiant,
je m’évadais irrésistiblement des maquis du savoir pour me retremper
dans ceux de la nature. Cependant qu’on me rivait des chaînes,
je galopais dans les montagnes ; mon âme débordait d’arbres et de fleurs.
Hamid Skif – Mon escale, ma solitude –

Mon escale, ma solitude Tes yeux miroir de la mer Je suis seul sur la rive Vingt mille ans pour parcourir L’âge de ta joie Et les cheveux déjà blancs Pour n’avoir pu oublier Les premières gorgées de ton corps. Lueurs sur la jetée humide Le port renifle les étrangers Mal vêtus Chaque seconde tremble Dans mon cœur Ici les feuilles clapotent contre les quais Ta voix navigue dans les veines solaires Mon escale, ma solitude Mon refus de voir le monde Dans l’opacité des hublots J’habite les sentiers du cosmos Quelque part Dans un port pour terriens refusés Je pourrais déménager tous les jours Et revenir tout le temps aux premiers Souffles qui t’habitent Nulle part qu’ici je t’attends Depuis l’âge de la roche Nulle part qu’ici je t’attends Depuis l’âge de la roche En comptant les jours premiers De ta joie Mon escale, ma solitude.
Quand la nuit se brise
Anthologie
Poésie Algérienne
Points
Djamal Benmerad – neutre et mort

Tu n’entends pas
la rosée du matin
ni le souffle du vent
dans les bois
ni le rire moqueur de la mouette
Tu ne vois pas le vif
des cerises pulpeuses
Tu ne connais pas
le mal de la torture
Tu ne sens pas
sous tes doigts
la chair frissonnante
de la nubile
Tu ne te bats pas
En vérité
tu es déjà mort
ou presque
Le métier d’exil
Ici on ne meurt pas
on rampe
La visière de l’exil
projette de l’ombre sur nous
et ennuage nos rêves
Ô camarades !
Si mon absence se prolonge
l’écharpe risque de ternir
et je n’hériterai d’aucun baiser
que j’aurais donné
extrait de l’anthologie « points » de la poésie algérienne
poèmes et autres tracts, Éd. Rebelles, Belgique, 2004.
Valeriù Stancu – Autoportrait avec blasphème

dessin : Hom Nguyen
autoportrait avec abîme, rêve et exil
La poésie,
je la vis, je ne l’écris pas.
Des vagues de poussière, concentriques,
embrassent ma fenêtre.
A travers le voile de leur silence
je vois
je vois la destruction
la destruction des maisons
des maisons qui s’écroulent
qui s’écroulent dans un néant tardif.
Sur les lèvres de l’abîme
je frissonne
et j’hésite
rongé par la peur
de l’exil intérieur.
Coquille de plomb, le silence.
Je vis ma propre confession.
Extrait de Autoportrait avec blasphème
L’arbre à paroles – Collection Monde Latin.
Mahmoud Darwich – Je ne désire de l’amour que le commencement

Je ne désire de l’amour que le commencement. Au-
dessus des places de ma Grenade
Les pigeons ravaudent le vêtement de ce jour
Dans les jarres, du vin à profusion pour la fête après nous
Dans les chansons des fenêtres qui suffiront et suffi-
ront pour qu’explosent les fleurs du grenadier
Je laisse le sambac dans son vase. Je laisse mon petit
coeur
Dans l’armoire de ma mère. Je laisse mon rêve riant
dans l’eau
Je laisse l’aube dans le miel des figues. Je laisse mon
jour et ma veille
Dans le passage vers la place de l’oranger où s’en-
volent les pigeons
Suis-je celui qui est descendu à tes pieds pour que
montent les mots
Lune blanche dans le lait de tes nuits ? Martèle l’air
Que je voie, bleue, la rue de la flûte. Martèle le soir
Que je voie comment entre toi et moi s’alanguit ce
marbre.
Les fenêtres sont vides des jardins de ton châle. En
un autre temps
Je savais nombre de choses de toi, et je cueillais le
gardénia
A tes dix doigts. En un autre temps je possédais des
perles
Autour de ton cou et un nom gravé sur une bague d’où
jaillissait la nuit
Je ne désire de l’amour que le commencement. Les
pigeons se sont envolés
Par-dessus le toit du ciel dernier. Ils se sont envolés
et envolés
Il restera après nous du vin à profusion dans les
jarres
Et quelque terre suffisante pour que nous nous retrou-
vions , et que la paix soit
Anthologie
(1992-2005)
BABEL
Hirondelle – Susanne Derève

l’hirondelle immobile – Salvador Dali
Hirondelle
Ton exil est-il ici
ou là-bas
Ton exil est-il chez moi
et le mien privé d’ailes
Hirondelle
Gerard Pons – que nous reste-t-il ?
Que nous restera-t-il
sur l’autre rive
qui attendrisse notre exil ?
Sur les rives de nos fleuves
ne tomberont à l’automne
que feuilles de repentir
et sur nos monuments
encadrés par les ronces
d’autres feuilles d’oubli.
Yann Fulub Follet – Sortavala

Lawren S Harris, Algoma (Beaver Swamp), 1920
Ladoga
Au confluent de la tourbière et du fleuve
Voici grandie la lumière des toundras
L’automne a laissé quelques oiseaux blancs
Sur un lac aux reflets roux…
Les chemins pleins de trous d’eau gelée déjà
Dessinent des horizons secrets
Qui s’enfoncent, lourds, bas…
Il me souvient d’espaces clair-silence
Et de paroles, fines vapeurs grises, souffles
Que le temps pur et les nuages de magie
Rendent visible aux yeux…
Le petit bois hâtivement ramassé au soleil
Qui se couche, rouge et rond, un lac oblong,
Comme une bière, dans la tête des airs et encor
Les trous d’eaux sous les pieds froids.
Octobre 1876
Lettres de Carélie poèmes
éditions des orgevaux
Suivant le chemin des pierres – ( RC )
peinture: Isabel Bishop
Je pense encore à hier,
suivant le chemin des pierres,
sous le soleil disert,
mon ombre me précède dans la poussière…
Marcher, et s’éloigner des routes,
est comme mettre en soi la distance,
éloigner de l’esprit le doute ,
apprivoiser le silence .
Mon pays s’éloigne lentement,
puis disparaît tout à fait ;
sans voix, je dialogue avec le vent ,
– Comment je vivrai demain je ne le sais – .
J’ai quitté les horizons hostiles,
ma famille et mes frères,
en prenant le long chemin de l’exil :
c’est une traversée du désert
et je ne sais ce qui m’attend
dans d’autres contrées :
c’est peut-être la guerre et le sang,
que je vais retrouver
un peuple misérable ,
qui, comme moi, erre,
sous un soleil impitoyable
à la recherche d’une autre terre ,
à la recherche de son destin ,
suivant leur ombre dans la poussière,
marcher et marcher encore, sans fin ,
suivant le chemin des pierres…
–
RC – mai 2019
Franck André Jamme – La récitation de l’oubli

Taloi Havini – From Refugee to Exile
Les fleurs ? Pour une autre fois.
Toutes les fleurs de sable de la
ville. Sur les fenêtres, dans les
cheveux de jais des femmes, au
cou des suiveurs de chariots. Et
tous les champs : les carrés blonds,
le vent, frissons sertis de flaques
blanches. Mille insectes s’agitent,
gerbe d’or, petits pas. Terra Nostra !
Mahmoud Darwich – (Dans le grand départ je t’aime plus encore)

l’Alhambra , Grenade – Joaquin Sorolla y Bastida
Dans le grand départ je t’aime plus encore. Sous peu
Tu refermeras la ville. Je n’ai pas de cœur dans tes
mains, et pas
De chemin qui me porte. Dans le grand départ je
t’aime plus encore
Notre grenadier après toi a perdu sa sève. Plus légers
les palmiers
Plus légères les collines, et nos rues dans le crépuscule
Et la terre qui dit adieu à sa terre. Plus légers les
mots
Et les contes sur les marches de la nuit. Mais mon
cœur est lourd
Laisse-le là, qui hurle autour de ta maison et pleure
les beaux jours
Je n’ai d’autre patrie que lui. Dans le grand départ je
t’aime plus encore
Je vide l’âme des derniers mots. Je t’aime plus
encore
Dans le départ les papillons guident nos âmes. Dans
le départ
Nous nous souvenons d’un bouton de chemise
perdu, et nous oublions
La couronne de nos jours. Nous nous souvenons de
la sueur aux parfums de l’abricot, et nous oublions
La danse des chevaux dans les nuits de noces. Dans
le départ
Nous égalons l’oiseau. Nous compatissons pour nos
jours et nous nous contentons de peu
Il me suffit de toi le poignard doré qui fais danser
mon cœur meurtri
Tue-moi lentement et je dirai : Je t’aime plus que
Je ne l’ai dit avant le grand départ. Je t’aime. Rien
ne me fait mal
Ni l’air, ni l’eau. Plus de basilic dans ton matin, plus
De lys dans ton soir qui m’endolorissent après ce
départ
Anthologie (1992-2005) – BABEL
Editon bilingue
poèmes traduits de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar
Ossip Mandelstam- A nul ne dis jamais rien
Georges LACOMBE La Forêt au sol rouge
A nul ne dis jamais rien, non,
De tout ce que virent tes yeux :
L’oiseau, la vieille, la prison
Ou bien autre chose — oublie-le…
Car pour peu que s’ouvrent tes lèvres,
Tu sentirais, quand le jour vient,
Dans tout ton corps comme une fièvre,
Un frémissement de sapin.
Et tu reverrais la datcha,
La guêpe, ton petit plumier,
Ou les myrtilles dans les bois
Que jamais tu n’as ramassées.
Octobre 1930
Les poèmes de Moscou (1930-1934) Circé
Salah Al Hamdani – Lanceur de cailloux
À force d’espérer te revoir je vais reconquérir ton aube
Je vais ramasser les dattes gorgées de balles
et la main pleine
ne sacrifier à ta lumière
Aux nuits de l’exil
je vais jeter un pont de regrets sur le fleuve
et ensemencer les clos .
Une île de douleur – ( RC )
Une frêle île flottante,
une barque malmenée par les vagues
chargée jusqu’à ras bord
d’abandon et de douleur.
C’est une partie de pays
mise en quarantaine,
qui espère un jour
retrouver la terre ferme.
Epuisée des orages,
abandonnée par le soleil,
à chaque jour son naufrage
une barque prisonnière du destin
Comme un oiseau dans sa cage
livré aux éléments,
c’est une île fragile
sur la route de l’exil
La route de l’inconnu
juste derrière l’horizon :
Empire de la douleur,
le ciel a perdu ses couleurs.
–
RC – oct 2016
–
d’après Louis Aragon » Quarante »
Béatrice Douvre – Gravitation
croix de chemin en Gévaudan ( Besseyre )
Sous le grand âge du printemps
L’eau sourd en gouttes de regret
Des bouquets sonores exultent
Poudroyant
Mais la demeure saigne
Et sa fissure
Nous avions construit ici notre logis
Sur un escarpement de pierres heureuses
La campagne est mouillée de sevrage
La voix nuptiale empruntée aux pierres
Heure boisée qu’excède l’amour
Tu innocentes ta trouvaille d’enfant
Tu gis sur le chemin trempé
Et de pluie tu défailles
Maintenant brillent d’obscures larmes
Tu acceptes la peur immaculée de vivre
L’aube étincelle dans l’herbe des vigueurs
Souffle mûr mêlé du sang des hommes
Tu marchais réinventant le pas du sol comme une soif
Dans le vent neuf Je te regarde tu courais
Geste habité du vœu de naître
Auprès des croix
Qui font parfois les pierres profondes
Moment cendré de l’étendue
Chancelant
Et notre pauvreté nous vient d’un même exil
Dans le temps
Grandir a dissipé le seul voyage
Entre l’arbre et le seuil
Entre nos mains
Désormais c’est l’herbe qui nous dure
Sa cécité très douce à nos pas retranchés
Salah Al Hamdani – Rencontre
peinture: P Picasso: Fernande à la mantille noire, 1905-06
Le corps de la lune
Bondit à cette heure
encore une fois
par-dessus la tempête des guerres passées
et scande mon regret de ne plus revoir ton châle
suspendu aux années de l’exil
Ton châle mère…
Mère… regarde-moi !
( extrait de « Bagdad mon amour » )
Salah Al Hamdani – Centré
À genoux
Oui
à genoux dans la cruauté calme du jour
et cette absurdité sans limite
Marche, marche pauvre type
jusqu’à l’extrémité de l’ombre
et rejoins tes rêves
ensevelis sous la lenteur ridicule de leurs nuits
Laisse tes souvenirs à la traîne
l’éblouissement d’un quai désert
et au-delà
emprunte la courbe de ton exil
La gloire du couchant est là
sans écho
esseulée sur le lit de l’étranger
comme un appel de la falaise .
( extrait du recueil – « Rebâtir les jours « : ed Br Doucey )
Catherine Pozzi – Vale
peinture aborigène: Clifford Possum 1997
–
La grande amour que vous m’aviez donnée
Le vent des jours a rompu ses rayons —
Où fut la flamme, où fut la destinée
Où nous étions, où par la main serrée
Nous nous tenions
Notre soleil, dont l’ardeur fut pensée
L’orbe pour nous de l’être sans second
Le second ciel d’une âme divisée
Le double exil où le double se fond
Son lieu pour vous apparaît cendre et crainte,
Vos yeux vers lui ne l’ont pas reconnu
L’astre enchanté qui portait hors d’atteinte
L’extrême instant de notre seule étreinte
Vers l’inconnu.
Mais le futur dont vous attendez vivre
Est moins présent que le bien disparu.
Toute vendange à la fin qu’il vous livre
Vous la boirez sans pouvoir être qu’ivre
Du vin perdu.
J’ai retrouvé le céleste et sauvage
Le paradis où l’angoisse est désir.
Le haut passé qui grandi d’âge en âge
Il est mon corps et sera mon partage
Après mourir.
Quand dans un corps ma délice oubliée
Où fut ton nom, prendra forme de cœur
Je revivrai notre grande journée,
Et cette amour que je t’avais donnée
Pour la douleur.
Del gran amor que tú me habías dado
El viento de los días los rayos destrozó —
Donde estuvo la llama, donde estuvo el destino
Donde estuvimos, donde, las manos enlazadas,
Juntos estábamos
Sol que fue nuestro, de ardiente pensamiento
Para nosotros orbe del ser sin semejante
Segundo cielo de un alma dividida
Exilio doble donde el doble se funde
Ceniza y miedo para ti representa
Su lugar, tus ojos no lo han reconocido
Astro encantado que con él se llevaba
De nuestro solo abrazo el alto instante
Hacia lo ignoto.
Pero el futuro del que vivir esperas
Menos presente está que el bien ausente
Toda vendimia que él al final te entregue
La beberás mientras te embriaga el
Vino perdido..
Volví a encontrar lo celeste y salvaje
El paraíso en que angustia es deseo
Alto pasado que con el tiempo crece
Es hoy mi cuerpo, mi posesión será
Tras el morir.
Cuando en un cuerpo mi delicia olvidada
En que estuvo tu nombre se vuelva corazón
Reviviré los días que fueron nuestro día
Y aquel amor que yo te había dado
Para el dolor.
Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán
Albert Samain – Au jardin de l’Infante
photo: projet Delingha
Mon âme est une infâme en robe de parade,
Dont l’exil se reflète, éternel et royal,
Aux grands miroirs déserts d’un vieil Escurial,
Ainsi qu’une galère oubliée en la rade.
(Albert Samain, Au Jardin de l’Infante)
Entaille de l’histoire de l’Afrique – ( RC )
–
Sur les pistes où sont passés jadis,
Au milieu des sables et des rocs,
Tant de caravanes, et de cris,
Tant d’esclaves enchaînés,
Aux êtres vendus comme bétail,
Arrachés les uns aux autres,
Sous le fouet
Et les griffures du soleil…
Sur ces pistes, ne subsistent,
Comme vestiges, juste le sable
Des couches en ont recouvert d’autres,
Comme les années l’ont fait .
L’entaille de l’histoire, cicatrice
Gravée de générations d ‘exil,
Est pourtant toujours ouverte
Mémoire du tribut du sang, de l’Afrique
–
RC – mai 2014
–
Pierre Schroven – Il y a en tout homme …

Installation: Klaus Pinter
–
Il y a en tout homme un secret inespéré
Qui s’étire dans le vide de sa poitrine
Comme une force souterraine et magique
Pour mettre fin à son exil intérieur
Et lui faire signe qu’il est l’heure de naître;
de « Chemins du possible » (2005)
–
–
Exils – ( RC )
- dessin : PinguinFreak ( deviantart)
Exils
–
C’est par centaines, que je peux nommer
Montagnes, plaines, fleuves et déserts
Qui se sont succédé, remplacés
Au long de ma longue marche, l’exil,
La route qui m’éloigne de mon enfance
Mais dont jamais la pensée ne s’efface.
Mes pieds foulent une terre autre
Et ma tête un vent qui n’a de commun qu’être vent
Comme la langue des peuples que je ne comprends pas
Que je ne comprends plus
Est-ce que les kilomètres, la distance accumulée
Font que je transporte un mur avec moi ?
Il a fallu que je parte
Que j’arrache mes racines
Pour espérer vivre en dehors de la guerre
De la peur et de la famine,
Vers ces lointains, si loins
Qu’il serait d’un oubli facile
Mon beau pays d’exil…
Je ne l’ai pas renié
Mais il me renierait
Si je pouvais un jour
De nouveau ressentir la rencontre
De mon soleil se heurtant aux toits ,
de mon village d’enfance
Dont j’emporte les images,
– Seulement les images – , au fond
De ma mémoire .
—
Je suis celui qui a fui,
Pour un monde facile
Je suis celui qui a trahi
Ma langue, mes origines
Ma vie, même ,
Et mon pays
Où jamais, je ne retournerai
–
RC – 19 juin 2012
Une réalité hélas d’actualité – décrite sans complaisance, par exemple dans le livre de Laurent Gaudé « Eldorado » ( Actes/sud )
–
Alain Mabanckou – Le livre de Boris
–
Le Livre de Boris
Est ton pays
Celui qui t’ouvre les portes
Sans fouiner dans la besace
De tes songes
Est ton pays
Celui qui t’indique où
Mettre tes songes en lieu sûr
Nul ne naît en terre étrangère
L’espace appartient à l’homme
Dont le sort est d’errer
Ne me demande pas mon pays d’origine
Regarde dans mes yeux baissés
La fêlure des horizons
… Qui t’a parlé du mot exil
Je ne le prononce plus
Bâtis dans ton cœur
Des terres de réserve
Des îles vierges
Ne demande à l’espace qu’un peu d’immobilité
Le temps d’une halte
II faut bêcher le territoire au jour le jour
Y planter un drapeau blanc
Et non des épouvantails
Qui apeurent les oiseaux
L’exil est aussi ce chemin
Qui délivre de la solitude
Tout homme seul
Porte la langueur du temps
Sur ses épaules
II pleure le cloisonnement
De l’espace
Mais toi
Regarde plutôt la splendeur
Des songes égarés
Dans l’herbe de ton enfance…
–
Alain Mabanckou, (Congo)
–
Amin Khan – Inédit Passager
–
Un des textes que l’on peut trouver dans marsa-Algérie-Littérature…
publié dans Algérie Littérature/ Action. N°69 – 70
Or solitude
rêvée de mon quartier
de l’ombre derrière les persiennes rouges
la cour vide des cris
au fond assise la femme à demi-nue
à la peau de son ventre laiteux
rêvé de leur vie à eux
et à l’amour et au désir indistincts
dans la distance d’aujourd’hui
Villes quittées à l’aube dans la crainte
et l’amour de Dieu
vallées de pierres froides et nues
femmes de brume dévastée
enfants seuls de la vraie solitude
ombres compagnes de l’illusion
et ce doute comme une braise
au fond de soi
C’est un soir infirme dont le bleu n’est pas d’ici
bleu turquoise sombre de l’oubli
né du désert qui brûle le jour
des rêves enfuis
c’est à celui de mon coeur qu’il retourne
avant la nuit
Sens-tu
le frisson des racines
ce tatouage en ton sein volubile
la terre de ton sang
le pelage du jour qui s’ébroue
et l’eau de tes rêves pure
et l’ombre familière naître sur le mur
de ta demeure que la nuit abandonne
aux chiens qui aboient au lointain
aux oiseaux excités à l’odeur du café
à l’odeur du pain et aussitôt
à l’appel du chemin de l’exil
Je demande pardon
dans la prière
dans le labour
pour ces crimes de silence
pour la chance
et l’amour
que je n’ai pas mérités
je demande pardon
sans espoir
car le temps est passé
et du pardon
et de l’espoir
O toi ami
de retour dans la tendresse obscure de l’exil
je te salue incarnation seul
parmi les ombres à la chair arrachée
par les crocs du piège du temps inutile
Contre les murailles rouges
l’ombre trop proche du jacaranda
la rumeur du peuple
inaudible
au bord du fleuve
de jeunes vieillards fument
retournent les pêcheurs
au coeur ouvert de la ville
où les passantes
ont le regard noir
un dernier regard
noir pour le jour fragile
Le voyage comprend la mort et la naissance
je sens le parfum du temps qui coule dans mes veines
la pâleur de ton visage est de chaque instant
je rêve de nos mains nouées dans l’asthme du matin
grâce à Dieu les heures du voyage sont précises
je range mes pensées il n’y en a aucune
mon destin est écrit d’une encre noire et brute
j’ai perdu l’usage des mots du poème
inutile et vivace blessure
Souvent je me demande ce qui se passe ici
dans le désordre de mon coeur
où les temps se mélangent
dans un langage étrange
que je ne comprends plus
alors dans cette idiotie
je me demande encore
qui je suis
Je sens que tu t’éloignes
sans un mot sans un geste
sans morgue ni soupir
sans même te souvenir
toi ombre précise parfum
condensation du vide
animal de lumière
trop sombre tentative
C’est ce que je sculpte dans l’obscur
ce travail et ce corps
que je sépare pour un temps
tel le rêve qui se dénoue
de l’illusion
O comme elle me manque
cette ville blanche et bleue
au soleil des étés
où l’amour est rêche
comme un feu amer
où les femmes ont des yeux
d’une lumière qui fait mal
et des corps pleins midis de secrets
et des voix dont les accords font vibrer
la chair comme un sabre heureux de tant de fécondité
O comme elle me manque
celle qui ne savait pas attendre
celle qui ignorait la rumeur
et insouciante et grave et tendre
se lavait après l’amour
dans la pluie
1
Luths et mandolines
O ces mains fiévreuses qui tissent étrangères
douleurs proches et la saveur lointaine
à moi seul au coeur de l’absence en feu
ici je rêve d’arcades douces et de regards sombres
par-dessus la fontaine aux pierres lisses
ocres vertes roses et bleues de cette ombre
qui vient seule de tes yeux
notes mesquines
elles se consument du désir de ta voix
sur la peau blanche de l’instant silencieux
Ce que tu tiens et refuses
au seuil turquoise des escales
entre la lumière et l’ombre
des chambres vides et nues
où personne ne compte plus
la lenteur du voyage
de ceux qui n’ont plus
de visage ni de nom
sache que cela
et cela seulement
est ce qui me revient du partage
J’aime la chair de ce pays
où les chemins ne s’ouvrent qu’à peine
j’aime les oliviers tenaces sentinelles
et soudain l’aveu de la pluie
sur la poussière âcre des orangers
j’aime contre le ciel
les murailles épaisses roses parfumées
qui retiennent le temps précieux
j’aime les yeux noirs des femmes
sans âge à l’instant
où ils se ferment sur le deuil silencieux
Je redoute le voyage
cette lumière à peine rouge
rose du désir de la terre inconnue
je ressens le passage
brutal d’un état à un autre
cette corde de chanvre à mon corps nu
je revois le paysage
ces maisons en flammes parmi les oliviers
et la trace de tes pas et leurs bruits
je reconnais cette image
de l’amour dans la lenteur de la nuit
mais ton visage je ne m’en souviens plus
Pères morts terres calcinées
tu caresses la mâchoire du temps enragé
il y a un cercle de rouille et d’ocre
sur le mur de la maison abandonnée
des perles de sueur à ton front
dans ton regard une lueur comme de feu
peau contre peau sang mêlé
O comme j’aime ton ventre de mère
et ta langue acérée
et nos dents vives dans la morsure
et cette peine à la longue exprimée
O cette douleur étrange
qui me fait mourir sans rien
celle-là qui me désire
est encore si loin
C’était si bon de marcher dans les ruines
dans le bruit à peine des oliviers
et l’odeur de la mer
et prendre ta main pour la première fois
à toi fille de Cléopâtre Séléné
et d’un homme d’ici
c’était si bon de marcher dans le soir
parmi les pierres et les broussailles
un de ces soirs-là avant l’exil
O toi
sois douce à connaître
pour celui qui vient à toi
avec ce coeur qui brûle
O comme elle me manque
cette femme de cette race qui retient
dans les peines du silence
face au mur de pierres chaudes
où l’ombre ne tient pas
elle a tissé de ses mains
la couverture de ce sang-là
à l’heure du danger elle m’a parlé
des morceaux de soleil atroce
dans le corps de sa voix
elle m’a aussi laissé partir
dans le manque de mon pas
elle m’a aimé elle de cet amour-là
Je roulais un matin vers le petit aéroport de Bône
un de ces matins clairs où il fait un peu chaud
et la poussière est douce
où les enfants poussent des carrioles et crient
des mots détachés de cet air de triomphe
calme comme s’ils étaient des prophètes
la tête contre la vitre comme si j’étais mort
en passant sous la basilique j’ai entendu ta voix
chaude et claire et incompréhensible
qui faisait son passage
dans l’espace je crois de mon rêve endormi
O sang de l’esprit
je te bois à la source de la souffrance
comme l’animal obscur nourri
de la sève de fleurs éblouies
comme le coeur vieilli
du pêcheur près de sa barque
O amour comme
n’importe quel homme en sursis
O ma faiblesse
rivière profonde et calme
cours savant des anciennes larmes
O lumière de mon sang
O tendre douleur
O substance de mes heures
Elles ont sculpté le vent du voyage
et tracé des signes au soleil
elles ont reçu la pluie du naufrage
et baigné dans le parfum de l’exil
elles ont tenu des promesses sans âge
et fouillé le silence des entrailles
elles ont aimé l’être de passage
et ont pour lui la douceur du deuil
Je pense bien à toi
homme sans chemin
coeur douloureux
on a bien quelques images de toi
des rapports de police
quelques coupures de journaux
des photos circonstancielles
mais c’est difficile de trouver mon vieux
dans le fouillis de la mémoire
le fil de ton existence
alors que veux-tu
on n’y peut rien
salut ami
adieu
O saints fugitifs
O soldats misérables
j’ai ramassé le sable de vos pas
et les feuilles d’un carnet jauni
où il y avait une écriture fine
et des traces de larmes
Par quel miracle finira l’exil
quelle main étrange prendra ta main
quelle voix obscure te dira le chemin
quelle douleur encore faudra-t-il
O toi qui m’abandonnes
la seringue du vide à mon bras
l’encre du regard à mes doigts
les larmes de l’ignorance à mes yeux
et en moi le parfum de toi délicieux
il n’y a rien
rien dans cette vie que je veux
Je t’ai longtemps attendue
le coeur silencieux
des heures longues sous les arcades
qui retiennent ceux
qui aussi rêvaient de partir
je t’ai longtemps aimée
le coeur sombre
des jours et de longues nuits
sans connaître la fin
de la douleur de partir
Qui va calmer la rumeur de ta rue
qui va passer en silence la porte en fer bleue
qui va secouer de sa main l’ombre du chèvrefeuille
qui va m’éteindre le feu de tes gestes
qui va lécher la sueur de ta peau comme le soleil
qui va me faire oublier l’odeur de ton lit
où nous avons dormi si peu
O comme j’aime la fleur hystérique de ton âme
cette immensité libre et stérile où meurt le soleil
cette plaine tant pillée à la poussière si douce
où les naseaux frémissent et les passions s’éteignent
elle m’emprisonne toujours lente et tyrannique
et donne à respirer jusqu’au fond de l’ivresse
sa peau brûlante et sa sueur salée
profonde chair de l’illusion aux longues lueurs pleines
qui me retient jusqu’à l’instant qui précède l’instant
C’est lorsque je te surprends
prompte dans l’ombre
genoux de faiblesse
oeil de miel sombre
lèvres de tendresse
que je touche ma récompense
ce ciel noir soyeux immense
où seuls le vertige et la vérité
dansent
Donne-moi l’abri
où le temps se meurt
et la lumière neuve
d’après tes pluies
et le son de ta voix
le vent dans les branches
de l’amandier gris
qui rêve dans l’absence
O cheval perdu
dans la plaine du désir
O âme sombre
à l’heure de partir
O comme j’aime ton ventre
lourd et tes seins de feu
et cette cicatrice profonde
au-dessus de tes yeux
et ces mains qui dédaignent
ces matins lumineux
O Alger pleine de l’ardeur
du désir silencieux
Je ne sais pas ce que tu fais de ta vie
dans ce jour infini où la lumière n’a aucune réponse
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où la peur augmente et le désir luit
je ne sais pas si tu sais qui je suis
avec ces armes à mon coté endormies
et ce rêve obscur qui me hante encore dans la nuit
On est seul dans la défaite
seul dans la fuite éperdue
seul dans la courbure du soleil
seul dans la douleur
seul dans les pas
du chemin perdu
Le temps te prend
la vérité te fore
la beauté t’épuise
et chacun te laisse
à l’autre dévastée
Tous mes mots
ils ne veulent rien dire
ils ne sont que des larmes
que je peux retenir
Je hais cette langue
qui n’est pas mienne
et je suis dans son jeu
égaré
je dis le désir et la peine
avec ses mots
elle a fait de moi
un bègue
un poète absurde
un dériveur un étranger
C’est une trace
de sang noirci
la trace
d’un seul instant
la trace d’un homme
qui s’en est allé
loin d’ici
C’est là que je pense à toi
quand le ciel soudain s’obscurcit
et qu’elle lève les yeux vers lui
c’est là que je pense à toi
O toi aux yeux pleins de larmes
d’une autre vie
O figure obscure
force du minerai en sangs
matière même de ce rêve
et de sa douleur sans trêve
parfois vêtue de ce drap
de turquoise et d’ocre
parfois présente
dans la lumière nue
invisible dans la peine
muette dans le travail
du désir absolu
O toi vers qui je vais
où es-tu ?
Toi qui pardonnes
les existences gâchées
j’accepte de tout coeur
que tu ne puisses pardonner
j’ai perdu j’ai perdu
ce que tu m’as donné
Salut à toi
homme parmi les autres
ombre parmi les ombres
avec le sang de ton âme infecté
passant dans la foule
marin dans la houle
brindille dans l’incendie
de la vaste plaine du pays dévasté
Salut à toi
ami au coeur pur
en cette heure si près
de la déchirure
j’ai trop peu d’espoir
pour ce qui advient
et je me souviens
qu’à l’instant où le coeur s’alarme
il faut déjà partir
salut à toi seul
dans cette lumière
qui maintient mon dos contre le mur
J’ai connu l’amour d’abord
l’amour et le danger
et puis la solitude
alors j’ai désiré
la mort pour la quiétude
du coeur tourmenté
j’ignorais le chemin
encore à faire
avec ma douleur d’étranger
Il n’y a pas de place pour toi ici
avec tes pur-sang
tes femmes de haut lignage
tes empires désertiques
où l’horizon et l’armoise
s’unissent pour l’ivresse
pas de place pour tes crimes
tes couteaux initiatiques
les soupirs de tes victimes
tes rançons disparates
et la fièvre du soir
lorsque la lune descend
O douceur de la porte fermée
sur la chambre nue
de la prophétie
O douce douleur des signes
qui reprennent leurs sens
O douleur du coeur abandonné
dans le labeur féroce
de l’oubli
C’est un jour de défaite
un jour comme les autres
un jour d’exil
dans la foule des jours exilés
un jour qui meurt dans la même courbure
que les autres jours
un jour maudit
en bloc
avec les autres jours
un jour banal
plein
de clémence et d’amour
Cette chienne de terreur
qui mordille la chair de mon coeur
elle a le poil humide et l’oeil jaune
et ce feu du désir en elle
qui nous consume dans la haine
du sang partagé
Je suis à cette heure de ma vie
où la mort je voudrais qu’elle soit mienne
elle parmi les belles de la tribu obscure
qu’elle me choisisse et vienne
et pose sa main sur mon épaule éclairée
par un peu de cette lumière humaine
O cher amour
mon seul espoir
est que ton coeur se souvienne
–
Amin K
–
On peut aussi trouver certains de ses poèmes dans « la pierre et le sel »
–
locataires de l’hostile ( RC )

provenance blog a coeur et à cris
Il n’y a plus d’empreintes sur le sable
Que de dessin d’un monde meilleur
L’angle de la peur, de la souffrance
Ne concerne pas les voyageurs
Mais les reptiles,
Locataires de l’hostile
Et les plantes à épines…
Les êtres tapis au creux de la terre
La bouche collée, sous le sol
Qui chuchotent leur exil,
Aux peaux craquelées, comme leur terre-mère
De boue sous un soleil impitoyable
Découpent les ombres au fer rouge
Si ombre il y a – et leurs mains tendues
Vers l’ailleurs d’un peut-être …
–
RC – 11 juillet 2012
photo extraite des dragons d’Asgard
–
Miguel Veyrat – J’ouvre les yeux et meurs,
dessin extrait d’un catalogue du musée des Beaux Arts de Lyon
–
ABRO los ojos y muero,
memoria que camina miedo
de otro exilio rescatada.
Acaso dios aterrado
como el niño que me mira —vi
da perdida.
(De « La Voz de los poetas », 2002)
J’ouvre les yeux et meurs,
mémoire réchappée d’un autre exil
qui parcourt la peur.
Peut-être un dieu atterré
comme l’enfant
qui me regarde
—vie perdue.
–
Quai – douleur- Je ( RC )
–
Je, ( lui ), n’attends rien
Sur le quai d’une gare
Une valise triste
Un voyage de peut-être.
Je , un ciel obscurci
posé sur les épaules
Le manteau offert aux assauts du vent
L’intime et l’étranger
Je, en pensées
Futur en douleurs
Se projette demain
Le train qui portera, loin
Je, le petit jour
L’estomac noué
Vers un inconnu,
aux routes d’exil.
–
RC – 20 septemre 2012
–