Mahmoud Darwich -Toi l’eau sois une corde à ma guitare

Arman – Guitare abacale
Toi l’eau sois une corde à ma guitare. Les conqué-
rants sont venus
Et les conquérants anciens sont passés. Difficile de
me souvenir de mon visage
Dans les miroirs. Sois ma mémoire et je verrai ce
que j’ai perdu
Qui suis-je après cet exode ? J’ai un rocher
A mon nom sur des plateaux. Ils ont vue sur ce qui
s’est écoulé
Et achevé. Sept siècles marchent à mes côtés der-
rière les remparts de la ville
En vain s’arrondit le temps pour que je sauve mon
passé d’un instant
Qui à présent donne naissance à l’histoire de mon
exil en moi et dans les autres
Toi l’eau sois une corde à ma guitare. Les conqué-
rants sont venus
Et les conquérants anciens sont passés vers le Sud,
peuples qui restaurent leurs jours
Dans les amas du changement. Je sais qui j’étais
hier. Qui serais-je
Dans un lendemain sous les bannières atlantiques de
Colomb ? Sois une corde
Toi l’eau et, sois une corde à ma guitare. Point
d’Egypte en Egypte, point
De Fès à Fès, et Damas s’éloigne. Et pas de faucon
dans
L’étendard des miens. Pas de fleuve à l’est des pal-
miers assiégés
Par les chevaux agiles des Moghols. Dans quelle
Andalousie disparaîtrai-je ? Là
Ou là-bas ? Je saurai que j’ai décédé et qu’ici j’ai laissé
Le meilleur de moi. Mon passé. Je n’ai plus que ma
guitare
Toi l’eau sois une corde à ma guitare. Les con-
quérants sont partis
Et sont venus les conquérants
Anthologie (1992-2005)
Edition bilingue
Traduit de l’arabe par Elias Sanbar
BABEL
Benjamin Fondane – exode
peinture Marlene Dumas exposée à la biennale de Lyon: photo perso
–
C’est à vous que je parle homme des antipodes, je parle d’homme à homme, avec le peu de moi qui demeure de l’homme avec le peu de voix qui me reste au gosier mon sang est sur les routes, puisse-t-il ne pas crier vengeance !
L’hallali est donné, les bêtes sont traquées,
laissez-moi vous parler avec ces mêmes mots
que nous eûmes en partage –
il reste peu d’intelligibles !
Quand une poussière entrait, ou bien un songe,
dans l’œil, cet œil pleurait un peu de sel.
Et quand une épine mauvaise égratignait ma peau,
il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre !
Certes, tout comme vous j’étais cruel, j’avais
soif de tendresse, de puissance,
d’or, de plaisir et de douleur.
Tout comme vous j’étais méchant et angoissé
solide dans la paix, ivre dans la victoire,
et titubant, hagard, à l’heure de l’échec !
Oui, j’ai été un homme comme les autres hommes,
nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,
j’ai aimé, j’ai pleuré, j’ai haï, j’ai souffert,
j’ai acheté des fleurs et je n’ai pas toujours
payé mon terme. Le dimanche j’allais à la campagne
pêcher, sous l’œil de Dieu, des poissons irréels,
je me baignais dans la rivière
qui chantait dans les joncs et je mangeais des frites
le soir. Après, après, je rentrais me coucher
fatigué, le cœur las et plein de solitude,
plein de pitié pour moi, plein de pitié pour l’homme,
cherchant, cherchant en vain sur un ventre de femme
cette paix impossible que nous avions perdue
naguère, dans un grand verger où fleurissait
au centre, l’arbre de la vie…
J’ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins,
et je n’ai rien compris au monde
et je n’ai rien compris à l’homme,
bien qu’il me soit souvent arrivé d’affirmer
le contraire.
Et quand la mort, la mort est venue, peut-être ai-je prétendu savoir ce qu’elle était mais vrai, je puis vous le dire à cette heure, elle est entrée toute en mes yeux étonnés, étonnés de si peu comprendre – avez-vous mieux compris que moi ?
Et pourtant, non !
je n’étais pas un homme comme vous.
Vous n’êtes pas nés sur les routes,
personne n’a jeté à l’égout vos petits
comme des chats encore sans yeux,
vous n’avez pas erré de cité en cité
traqués par les polices,
vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,
les wagons de bestiaux
et le sanglot amer de l’humiliation,
accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,
d’un meurtre dont il manque encore le cadavre,
changeant de nom et de visage,
pour ne pas emporter un nom qu’on a hué
un visage qui avait servi à tout le monde
de crachoir !
Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu
se trouvera devant vos yeux. Il ne demande
rien ! Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n’est
qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème
parfait, avais-je donc le temps de le finir ?
Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties
qui avait été moi, dans un autre siècle,
en une histoire qui vous sera périmée,
souvenez-vous seulement que j’étais innocent
et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j’avais eu, moi aussi, un visage marqué
par la colère, par la pitié et la joie,
un visage d’homme, tout simplement.
(L’exode 1942)
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Villages morts – figures d’un exode rural – ( RC )
Un hameau abandonné entre Alés et Saint Ambroix (Vallée de la Cèze)
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En traversant, l’espace d’une déchirure,
Certains diraient « cauchemar »,
Des villages désertés,
Où la vie s’est repliée,
Desséchée. –
–
Certains,
Où se multiplient les vents,
Et battent portes et volets ,
Sur les façades des maisons vides.
–
Et risquant mes pas,
Sur l’absence,
Le cataclysme passé,
Dont on ignore les vraies causes…
–
Le foudroiement lent,
Du défilé des années,
L’impossibilité de continuer,
A subir les assauts de l’hiver,
Où il est juste question de survivre,
–
Alors que l’avenir n’est est plus un,
Que les sources se tarissent…
Et aussi, l’exode vers les villes,
Font, que, petit à petit,
La vie se déplace,
–
Et qu’ici, seuls restent,
Accrochés à leur passé,
Les arbres,
Qui font le lien,
Entre le ciel et la terre,
Si , plus personne ne vit ici.
–
Seuls reviennent,
Le temps de quelques mois,
Les vacanciers,
Epris de paysages champêtres,
–
Fuyant le bruit et la fureur,
Des banlieues grises,
Des appartements étroits,
Et des parkings payants.
–
Mais ce sont des temps d’illusion,
Dont on revient vite,
En faisant la queue, sur les autoroutes.
Car le pays réclame son dû,
Et reprend ses droits
–
Il ne peut pas être regardé,
Comme une simple carte postale,
En couleurs, et seulement en été,
Quand les saisons, sont là,
Comme ailleurs,
–
Et le gel et la boue,.
Et que les ronces prolifèrent,
Dans les maisons abandonnées,,
Aux toits effondrés…
Et sans bétail, les champs aux herbes folles.
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RC – 20 novembre 2013
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note: ces « villages morts » sont aujourd’hui une réalité, dans les zones « reculées », où l’accès y est difficile…
… d’autres sont restaurés mais sont sous « perfusion », d’une vie artificielle, quelques semaines dans l’année, et fermés le reste du temps, en particulier dans les zones touristiques, où seul le « loisir en boîte », fait recette,.
C’est bien là que s’exprime de façon évidente , un paradoxe, entre l’apparence, et la vie authentique, symbolisée par l’existence même de ces villages .
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Exode ( RC )

population en exode – Syrie
Exode, et
Les saisons qui blessent….
– Dirigeants et chefaillons
Empereurs, colonels, et dictatures
Jettent sur les routes,
Pour la gloire des conquérants,
Des colonnes de fuyards
N’emportent rien,
Ou si peu de choses,
Quelques effets,
Valises entrechoquées
Vieux matelas enroulés
Quand la route est longue
Le chemin vers la liberté
Traverse villages incendiés
Véhicules renversés
Et les lieux marqués par l’hostile
Où chacun marche pour une survie.
Bien sûr il y a d’autres pays
Au-delà des montagnes
Mais est encore si ténu,
– Le fil que l’on espère
suivre, au-delà des frontières
Vers des ailleurs qui rient…
Et le vaste océan
Si vaste qu’il promet
Au-delà des tempêtes,
Que l’histoire prenne une autre couleur
Même s’il faut couper ses racines
Perdre sa langue pour une autre.
Et poursuivre sa quête,
Hors de soi-même – en exode .
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RC – 6 février 2013
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peinture Sigmar Polke, ss titre 1999
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