Ilarie Voronca – les mains vides

Tes émissaires se tiennent sur notre seuil
« Que chacun apporte ce qu’il a de meilleur », disent-ils
Les riches ont entassé leurs joyaux, leurs étoffes,
Chargés de bagues leurs doigts ont plus d’éclat que leurs yeux,
Le parler des monnaies a couvert celui de leur mémoire
Ils n’entendent pas la marche des hommes de l’avenir
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Une fois encore nous sommes les méprisés, les humbles.
Eux, ils ont rempli les vaisseaux. Ils marchent
A la tête d’armées glorieuses. Ils appellent
Du fond des temps leurs moissons, leurs troupeaux,
Nul trophée n’est oublié et sur leur front
Le songe de leur force élève une couronne
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Nous avons vu l’inoubliable étoile,
La fanfare altière des forêts dans l’orage
Le soleil dans les arbres comme en le bois d’un cerf,
Les océans traçaient autour leur cercle de feu
Chaque chose murmurait « rappelle-toi bien »
Il fallait garder l’image non pas la chose
Et nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Eux, ils apportent ce qu’ils ont pris, mais non
La flamme sans parure en l’urne de leur âme,
Toujours le contenant, jamais le contenu,
La pierre mais non pas sa voix muette,
L’oiseau mais non la fumée de son vol,
Le métal non l’éclat dans les roues de l’aube
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Notre part a été la part du faible.
Non pas demander, mais se donner tout entier,
Nous distribuant dans l’univers pour mieux ensuite
Le recevoir en nous. O ! Mers, montagnes, astres,
Nous n’avons retenu que vos reflets,
Du riche bétail dans les étables nous avons préféré le souffle,
Et nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Nous venons les mains vides, le regard serein
Car les noms sont en nous. Tes émissaires sauront les lire
Les autres entassent tout ce dont ils nous ont dépouillés
Et le monde purifié dans le feu de leur envie
Nous protège et nous accueille. Les autres s’écroulent
Sous le fardeau des triomphes et des parures
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Alexandre Vialatte – Lapin
extrait de son recueil » bestiaire »

Il est en pain d’épices.
Sur une affiche voyante. Il chante la gloire du pain d’épices.
Jamais on n’a vu tel lapin ; plus entraînant, plus décidé, plus franchement parti pour la gloire.
Il passe en trombe, il défile en fanfare, il vous gifle du vent de sa marche exaltée.
On quitte son chemin, on le suit, il électrise, les promeneurs lui emboîtent le pas.
On ne sait où il va, le sait-il ?
En tout cas il y va si vite que ça doit être extrêmement pressé.
Sous le bras gauche, il porte un pain d’épice, et de l’autre il joue de la trompette.
Le nez au vent, « la tête aux deux dressée » comme Josué autour de Jéricho.
Jamais personne n’a cru au pain d’épices avec une conviction si purement exclusive de tout ce qui n’est pas pain d’épices, avec une hâte si fébrile, avec une foi si claironnante, avec une fierté si hardie.
Ne nous trouvons pas sur son chemin, nous tomberions dans le vent de sa trompette.
Dépêchons-nous, quelqu’un a dû lui dire où se cachait le vrai secret du pain d’épices. Il court, il vole, c’est un chasseur à pied, c’est un zouave de Déroulède.

Voyage en New Orleans (RC )
Photo: qmannola
C’est un groupe qui chuchote,
En suivant de marche lente
Une voiture noire aux ornements d’argent
Et chacun a son voile, ou chapeau noir
Le prêtre et ses assistants
les porteurs de gerbe
Et la fanfare
A la marche funèbre
Accompagnant
Un dernier voyage
A la Nouvelle Orleans
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RC – 20 décembre 2012
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