Anna Jouy – Parfois le monde me plait

photo RC – Finistère
Parfois le monde me plait. Je n’éprouve que la vibration. Ma tête bourdonne doux.
Elle a sa plage de liberté, elle pense ailleurs
Nomade, vacancière
Le sable est meilleur au soleil
Ma maison est vide, déserte
Les fantômes se baignent à la mer
Les domestiques de l’hiver
Ont fait leurs bagages
Ils ont pris des passeports de nuages
Alors la maison évidée de ses bruits,
Suit aux fenêtres les traces de la lumière
Essuyant les colliers des moucherons
Sous le son immobile d’aujourd’hui
Serge Marcel Roche – Variations neige

Et les années dansaient ce matin
avec les flocons gaiement derrière la vitre
villes visages heures ainsi tournoyant
dans l’air froid et ceux qui tambourinent
contre les carreaux selon le pouls
intermittent du souvenir toi
assis au bureau guettant le bruit
des pas fantômes sur la page neuve
l’approche au loin des voix profondes
avec une lenteur de neige
Je me rappelle des brumes du nord – ( RC )

Je me rappelle des vents du Nord,
de la sueur des hommes,
des landes de Bretagne
de la brume
cernant les arbres de partout ,
des légendes
au pays de Brocéliande
du cri des hiboux
et des bateaux fantômes
échoués sur la grève
parmi les méduses.
Je me rappelle des cartes postales
couleur sépia,
et de ces dames
à haute coiffe
des temps anciens
qui gardaient aux creux de leurs mains
quelques brins de genêts
ou de bruyère,
pour des marins revenus
le regard un peu
noyé d’embruns….
Pluie passagère au fort de Bertheaume – ( RC )

Tiens, nous voilà transportés
dans l’horizon différé
des reflets au passé composé,
comme l’arc-en ciel
jailli d’une pluie passagère
près du fort de Bertheaume :
un arc de couleurs irréelles
prenant source dans mon souvenir,
où se bousculent atomes de lumière
et nuages fantômes
d’une image en devenir
faisant corps à corps avec la grève :
la piste sableuse de mes rêves….
Jean Tardieu – fantômes

Ce n’est pas tout à fait la terre
que connaît un chacun.
Je découvre mille mystères
Dans les coins, un par un.
Le train, c’est une histoire étrange
avec tout ces regards !
Aux braves gens les mauvais anges
sont mêlés tôt ou tard.
Une route se remémore
tous les pas disparus
Mais elle attend — et rien encore
n ‘est vraiment apparu.
Qu il faille un peu manger pour vivre.
On connaît bien cela
Mais je veux qu’un dieu noua délivre
de qui nous mangera.
J’ai vu souvent de longs passants
sur l’asphalte foncé :
Ce n’étaient que des vêtements
où loge la fumée.
Peut-être, étant assez distrait.
m’étais-je trompé d’heure
Et les ai-je vus de trop prés
Au moment où ils meurent.
Moi-même, un jour, prés d’un miroir
Je fus bien étonné
de ne plus rien apercevoir
Ni mon front, ni mon nez !
Le ciel passait à travers moi
Tout était calme et lisse
Et j’entendais le temps qui glisse
Sur le sol gris et froid.
1940
texte publié dans la revue « poésie 84 »
Bassam Hajjar – Ils recouvrent de blanc ton absence
Lorsque tu la quittes
ses murs se rapprochent
la maison qui, délaissée,
trouve son âme dans un coin
et devine, depuis un instant seulement,
la toile d’araignée qui pend
dans le familier
devenu vacant.
S’éloigne-t-elle maintenant ?
Ou bien la fais-tu basculer dans le vide
de tes yeux mouillés
dans tes mains
dans le grand air
des lieux éloignés
comme si la fenêtre derrière toi
regardait vers le dedans
et s’éloignait à son tour
tandis que t’absorbent la rue et le tournant
avec une boule dans la gorge
de la taille de l’océan.
Elle ne te voit plus maintenant
la maison qui se blottit dans les entrées désertes de son âme
comme si dans le silence de ceux qui restent, là-bas,
elle baissait la tête et prêtait l’oreille
à l’écho des pas d’hier
à l’écho du rire ou du chuchotement dans les salles de séjour
et les chambres
dans la cuisine
sur les étagères et la table
dans les coeurs étincelants des bouteilles d’eau et de cognac.
Comme si elle devinait
que la petite femme
habitait toujours son coeur
et marchait pieds nus pour ne pas troubler la quiétude
dans son esprit brisé,
comme un murmure
qui s’élèverait en elle, .
et de ses flancs
coulerait l’aigreur de l’attente.
Comme si, quand nous partons, c’était la maison qui nous
quittait,
les tableaux et les étagères descendent des murs
les récipients s’en vont
les meubles aussi
la couleur quitte la maison
tandis que les rideaux restent tirés sur son secret
ainsi que les amantes.
Comme elle est nomade, la lumière
et comme l’ombre est sédentaire
Et les maisons dans la mémoire sont des chambres obscures
des couloirs
la respiration tranquille des draps endormis
réfugiés dans la béatitude de leur bleu
seuls et lisses
seuls et creux comme les veuves
les veuves que sont les maisons
lorsque nous nous éloignons d’elles,
que nous faisons signe de loin
et qu’elles font signe de loin.
Puis la trame de l’horizon se relâche
et l’air se tend,
ni l’oeil ne voit
ni les fenêtres ne clignent
et entre eux la distance commence à se remplir, le temps
commence à creuser.
Ma fille distribue-t-elle en ce moment les rôles du soir ?
Discute-t-elle avec sa voisine la poupée ?
Fait-elle manger Snoopy avec sa petite cuiller ?
Trouble-t-elle l’esprit tranquille de la maison ?
Ou bien dort-elle ?
Et quand la mer passe dans sa nuit
elle se retourne, comme sur l’écume d’une vague,
et son visage s’éclaire, halo de sommeil.
La somnolence c’est aussi les maisons
leur apanage et leurs fantômes cachés
lorsque l’air, alourdi par la fumée et les lampes du soir,
endort la petite femme sur le canapé
tandis que se noie la table du bureau
dans le flot des néons
que bâillent les papiers et les livres
que s’arrête le poème.
Lorsque tu la quittes
ses murs s’écartent
La maison, vaste,
imite le désert des livres
le hurlement des loups au loin
tandis qu’un écho s’écoule de ses flancs.
Qui est l’absent ?
Les choses sont à leur place, sauf toi
les choses sans toi
te cherchent là où tu n’es pas.
Ils te voient là où tu n’es pas.
L’absent est avec eux
dans la photo, sur la chaise, derrière la table,
derrière la fenêtre,
ou bien tu avances, sous leurs yeux, dans la rue
les pieds exilés et le torse maigre.
\
Les inscriptions cohabitent avec les mousses – ( RC )
On a bien construit
de hautes pyramides,
de puissants ziggourats,
des buildings prétentieux,
pour que la pierre et le béton
se dressent
pour défier l’espace
et le temps.
On a peint sur les murs,
des fresques colorées ,
les églises furent habitées
de fantômes sculptés ,
la messe a été dite,
et les paroles se sont perdues
à mesure que les voûtes
buvaient les fumées des cierges.
La tour de Babel s’est écroulée,
le phare d’Alexandrie est sous les eaux,
les fresques sont illisibles,
les statues décapitées,
les épitaphes nous parlent
d’une langue
qui s’est égarée
comme des vaisseaux dans la brume.
Il y a eu des archipels
bâtis sur le sable,
des temples enfouis
sous les vagues denses, de la forêt
et des murs dont les inscriptions
cohabitent avec les mousses,
dialoguant quelque temps encore
avec la neige et le vent .
–
RC – août 2016
photo : détail de la tombe d’Elizabeth Hayden
James Joyce – Les jours ( Ulysse )
« Toute vie est composée de beaucoup de jours, jour après jour. Nous marchons à travers nous, rencontrons des voleurs, des fantômes, des géants, des vieillards, des jeunes hommes, des épouses, des veuves, des beaux-frères. Mais toujours nous nous rencontrons nous-mêmes . »
–
“Every life is many days, day after day. We walk through ourselves, meeting robbers, ghosts, giants, old men, young men, wives, widows, brothers-in-love. But always meeting ourselves.”
— James Joyce, Ulysses (1922)
Comme si l’humidité du monde transpirait dans un coeur d’argile .- ( RC )
peinture: Markino
—
On irait que le brouillard
s’étend jusque sur les yeux.
Est-ce un éblouissement,
Réparti entre les gouttelettes en suspension,
Qui ondule entre les immeubles ?
–
Les arbres sont comme des fantômes,
Leurs bras sont dressés,
Le ciel est orange,
Il est palpable
La ville transpire
–
Sous les lampes à iode,
Et se diffuse, si bien,
Qu’on n’a plus idée des distances.
Les routes quittent le sol,
Peut-être.
–
Les soleils artificiels se mêlent ,
C’est le lent cheminement des phares,
Rouges, jaunes,
Et les enseignes de néon,
Que l’on perçoit presque malgré soi,
–
On en a juste l’idée,
Comme si l’humidité du monde,
Transpirait dans un cœur d’argile,
Et peinait à s’imprimer,
Même sur la photo.
–
On en compterait les grains,
Un bruit dans l’image,
Le tremblotement des lueurs mobiles,
Qui peut-être ont froid,
Aussi.
–
RC – mai 2015

Glasgow
After the gold rush ( RC )

photo jrs de son site
Au survol du printemps
Finalement, l’aile ouverte,
S’appuyant sur l’atmosphère,
Endolorie,
Ira se fondre
Et saigner dans d’été,
Une halte et un autre virage
peut être conduit au repos
Une ville abandonnée
Aux insignes blanchis ,
Le bois torturé
Au soleil ardent,
Les voitures,aux modèles lourds,
Fantômes rouillés,
immobilisés,
Dans les herbes hautes,
Elles vont à la reconquête
des prairies vides.
Peut-être pour l’oiseau migrateur,
L’occasion de se poser,
Quand le vent agite
Et secoue de vieilles tôles,
De vieilles enseignes,
– grincements –
Et ce qu’il reste de rues,
Poussiéreuses,
Menant plus loin à l’Ouest.
Suivre ainsi ,très loin,
Les routes rectilignes,
sous la course des nuages.
L’or du Far-West,
A filé entre les doigts,
De migrants de tout ordre,
Repartis d’ici, comme ils sont venus,
Incongrus
Poursuivant une richesse improbable,
Toujours ailleurs.
________________________
Flyover spring
Finally, the wing open
Relying on the atmosphere,
sore,
Will go blend
And bleed into summer
A stop and another turn
may be conducted for a relaxing break
An abandoned city
To the bleached insignias
The tortured wood
Under burning sun,
Cars, heavy models
Rusty ghosts
immobilized
In the tall grasses,
They go to the reconquest
Of empty grasslands.
Perhaps for migratory birds,
The opportunity to arise,
When the wind moves
And shakes oldmetal sheets ,
Old signs,
– Grinding –
And what remains of streets,
Dusty,
Leading further to the west.
Follow thus them far,
The straight roads
Under the course of the clouds.
The gold of the Far West
Passing between the fingers,
Of all kinds of migrants,
Left from here, as they came,
Incongruous
Continuing with an unlikely wealth
Elsewhere ,Always .
–
RC – 3 septembre 2013
–
Yahia Lababidi – nuages
pastel Eugène Boudin, estuaire en Bretagne
–
nuages
pour trouver l’origine,
retrouve ses manifestations.
Tao
Entre être et non-être
il y a à peine
ces voiles de l’eau, de la glace, de l’air –
Indifférent dériveurs, errant
élevés sur la liberté
des sans-abri
glissant, agités
comme des fantômes, rampant à travers la matière
par bouffées et volutes
Prêtant un air enchanteur ou menaçant
ombres lumineuses ou coulantes,
filtres ambivalents de la réalité
Léguant des couronnes, ou des
voiles de modestie aux grandes beautés naturelles
comme aux sommets des montagnes.
Parfois simplement accrochés là
D’un air d’art abstrait
à l’air libre
Une animation suspendue
continuellement à se contorsionner:
Des grandes baleines du ciel, maintenant, calèches
Des formes de pensée qu’on ne peut punaiser,
ponctuant la phrase sans fin du ciel.
—-
Clouds
to find the origin,
trace back the manifestations.
Tao
Between being and non-being
barely there
these sails of water, ice, air —
Indifferent drifters, wandering
high on freedom
of the homeless
Restlessly swithering
like ghosts, slithering through substance
in puffs and wisps
Lending an enchanting or ominous air
luminous or casting shadows,
ambivalent filters of reality
Bequeathing wreaths, or
modesty veils to great natural beauties
like mountain peaks
Sometimes simply hanging there
airborne abstract art
in open air
Suspended animation
continually contorting:
great sky whales, now, horse drawn carriages
unpinpointable thought forms,
punctuating the endless sentence of the sky.
François Corvol – Il dort
–
Qu’est-ce que mon cœur sinon
un tintement entre quatre murs
un abri-bus un terrain vague où des inconnues viennent bavarder
j’ai tant ri la nuit que je ne veux plus voir le jour
j’ai tant ri que je ne veux plus te voir pleurer
une maison même habitée de fantômes n’est plus si esseulée
Où est-il, écrasé par les passants
écrasé par l’ordinaire
et toi aussi tu le foules sans savoir où je suis né
les tambours et les miettes
tout ce qui scintille et parle
est marée montante angoisse du verre brisé
le corps qui passait devant mes yeux dort désormais
il dort comme s’il savait
–
Claudia Serea – J’écris pour des fantômes
- peinture: Natalia Goncharova piliers de sel
peinture: Natalia Gonchavora: piliers de sel
–
I write for ghosts
I write for you, old women
who sit at the gates, spin yarn
and knit socks for the dead.
My every gesture is mirrored
by a thousand hands.
I carry these faces inside me,
on my back,
on my feet.
The ghosts don’t let me sleep.
They gather on windowsills and roofs,
in the moon’s breath,
and chat
with chattering teeth.
I write for my father
who still hangs on in Skype,
to reach him,
fill the gap with words.
Hang on, Daddy, hang on.
Here’s a rope ladder.
Here are the words, Daddy.
Here’s the blood,
the new heart,
the straw.
—
— ( ma traduction )
————–
J’écris pour des fantômes
J’écris pour vous, les femmes âgées
qui sont assises aux seuils de portes,
à faire tourner le fil
et tricoter des chaussettes pour les morts.
–
Chaque geste est reflété
par mille mains.
Je porte ces visages à l’intérieur de moi,
sur mon dos,
sur mes pieds.
Les fantômes ne me laissaient pas dormir.
Ils se rassemblent sur les appuis de fenêtre et les toits,
dans le souffle de la lune,
et discutent
en claquant des dents.
–
J’écris pour mon père
qui est encore pendu à Skype,
pour l’atteindre,
combler l’écart avec les mots.
–
Accroche-toi, papa, accroche-toi
Voici une échelle de corde.
Voici les mots, papa.
Voici le sang,
le nouveau cœur,
la paille.
—
la version roumaine:
Scriu pentru stafii
Scriu pentru voi, femei batrane
ce stati la porti, toarceti
si impletiti ciorapi pentru morti.
Fiecare gest mi-e oglindit
de o mie de maini.
Port aceste fete in mine,
pe picioare,
in spate.
Stafiile nu ma lasa sa dorm.
Se strang pe pervazuri si acoperisuri,
in rasuflarea lunii,
si palavragesc
clantanind din dinti.
Scriu pentru tatal meu
ce inca asteapta pe Skype,
sa ajung la el, sa umplu
golul cu cuvinte.
Stai asa, tata, asteapta-ma,
uite scara de franghie.
Uite cuvintele, tata.
Uite sangele
si-o inima noua,
si-un pai
de care sa te agati.
—_____________________________________
Claudia Serea est une poétesse roumaine, qui a immigré aux USA en 1995 U.S. elle est l’auteur de l’éternité de l’orthographe (Finishing Line Press, 2007)
Musée de la mine ( RC )
( Cet article fait référence au musée de la mine de St-Etienne)

photo: Gwenaelle Boisseleau
–
Au long des galeries,
Profondes, en sous -sol,
D’où l’air libre est d’un oubli,
S’alignent les wagonnets,
Sous l’atmosphère confinée,
Et les voûtes blêmes,
Parcourues de câbles,
Ponctuées d’éclairages falots,
Quelques centaines de mètres,
En dessous,
Et une ruche d’ouvriers,
Casqués,
Et le bruit,
Les machines trépidantes,
Celles qui arrachent,
Au coeur des roches,
Le minerai noir,
Des entrailles du sol.
Juste au-dessus,
Cette tour de poutrelles,
Signal désormais dérisoire,
De l’activité suspendue,
Où les hommes casqués,
Ne s’enfoncent plus,
Enfermés dans de crasseux ascenseurs
A l’aplomb de verticales obscures,
Pour extraire leur pain, du charbon.
Et la salle des machines,
Désormais déserte,
Les turbines endormies,
Comme de gros escargots,
Boulonnés à leur socle de ciment,
Alors que pendent du plafond,
Les tenues , marquées du labeur, vides,
> Flasques fantômes d’humains,
Désormais inutiles,
Matricules numérotés,
Au musée de la mine.
—
RC- 4 juin 2013

Photo: musée de la mine – salle des pendus
Ramah Zeraï – dès que tu laisses tomber ton voile noir
Toi, dès que tu laisses tomber ton voile noir, les fantômes se réveillent et les mystères grandissent.
Il y en a qui partent la nuit, discrètement, comme pour ne pas déranger, d’autres arrivent à l’aurore.
Dans le désert, à la lueur de la lune, nous avançons dans le silence.
Le crissement du sable sous nos pieds. L’allure est lente et régulière. Quand nous prenons un peu de repos, les conteurs évoquent les esprits.
Demande à la nuit – Rahma ZERAÏ
Demande à la nuit pourquoi, dès qu’elle laisse tomber son rideau noir,les démons s’éveillent, les fantômes dansent la farandole, les écluses de l’inconscient débordent.
L’obscurité m’oblige à me retourner vers ma propre lumière. Face à moi-même, le silence, la solitude. J’attends le sommeil refuge.
Les rêves salvateurs fuient aux premières lueurs de l’aube. Commence alors l’aurore des mots,; la dimension qu’il leur faut pour me raconter.
de Zeraï ( dans tous les sens)
Art: peinture de Veronese, Venus with Mirror 1580