Frantisek Hrubin- Ne meurs pas,
peinture N Gonchavora ornement électrique 1913
–Ne meurs pas, m’as-tu dit ce matin.
Moi mourir ?
Je suis assis à la fenêtre je dois veiller.
Et toi tu dors je ne sais où
Là-bas, loin, quelque part
dans la carriole à rideaux. Moi mourir ?
Aujourd’hui il y a tous ces jours en plus, où je m’épanouis
dans l’éclat du soleil me répandant
comme une chanson à mille refrains.
Aujourd’hui il y a aussi cette nuit en plus
et je me retrouve à la charge des autres
et de moi-même………..
–extrait de »Romance pour un clairon » ( recueil de la nouvelle poésie tchèque )
Ara Alexandre Shishmanian – Fenêtre avec esseulement

Parfois c’est comme si on marchait à même le ciel
comme si l’asphalte lui-même s’égarait quelque part
derrière le couchant,
chaque pas est un pari – tu ne l’achèves qu’après l’avoir gagné
pour rien – et précisément rien que pour personne
c’est pourquoi peut-être nous nous consolons toujours
avec les tunnels – avec un monde souterrain
toute cette terre est un corps formé d’autres corps
qui se dévorent les uns les autres
la terre est en fait le monstre absolu –
seul le vide, que nous ne rencontrons jamais,
bien que nous le portions profondément enfoui en nous-mêmes,
est encore plus monstrueux –
une sorte d’ailes-paupières – je regardais pendant le vol –
seul le rien…
–
( il s’agit de la 1ère partie d’un texte que l’on peut retrouver sur ce site , avec la version originale en langue roumaine )
Dans la république des oiseaux – ( RC )
montage RC
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
Juste tourner la poignée de la fenêtre
pour marcher de plein pied dans l’espace.
Des traits se côtoient,
mais jamais ne s’enchevêtrent.
Les pépiements que j’écoute,
aussi , se superposent.
Je suis rentré dans la république des oiseaux,
( en fait dans un monde sonore
où se croisent les langages
de la nature ).
Quels que soient les plumages,
de bois, de cuivre
ou de simple roseaux
que le souffle entraîne.
Je voisine en musique un merle rieur,
une bécasse, et d’autres espèces
aux couleurs changeantes,
comme dans le catalogue de Messiaen.
Ces oiseaux sont de minuscules étoiles
qui animent le ciel tendu
à mes oreilles :
drap vivant de l’azur perpétué.
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
il suffit , par exemple, d’écouter
Naïma , de Coltrane …
C’est comme une partition de liberté
où les notes filent à toute allure
comme ces hirondelles
dansant leur mélodie.
Qui la leur a apprise ?
Comment se fait-il qu’à chaque fois s’échappe
l’harmonie sans qu’on la rattrape,
quand le musicien improvise ?
Jean-Claude Pinson – En été je préfère me tenir loin des plages
En été je préfère me tenir loin des plages
pourtant si proches pour un peu
j’entendrais leur rumeur
un mélange de vent clair
de cris de vagues au ralenti
je reste dans la chambre
où j’ai fait mon bureau
guettant dans le temps suspendu
la venue incertaine de la fameuse inspiration
en réalité fabriquée avec des livres pillés
des papiers raturés
des allées et venues à la fenêtre
à rêver devant la vacuité des jardins ouvriers
au mois d’août délaissés
je note des petits riens
espérant par la suite
les faire monter en neige
pouvoir les baptiser poèmes
à condition que s’y retrouve
comme un jus concentré
de la vie
et pourquoi pas un goût de plage
sans la plage cocktail de glace,
d’ambre solaire de baisers
sous les pins, ou
quelque chose d’avoisinant .
–
extrait de« J’habite ici » de Jean-Claude Pinson
Danielle Bassez – Celle qui est vue
Les fenêtres la regardent. Les fenêtres
alignées, tout au long du trottoir d’en face,
leurs rideaux opaques comme des paupières,
et derrière ces paupières, des yeux.
A trois pas de sa maison, chaque après-midi,
les femmes se réunissent, entre voisines.
Elles parlent d’elle. Ou bien, le matin, sur le coup
de dix heures, elles s’accrochent par grappes,
en allant faire les courses. Les lunettes brillent,
le rouge à lèvres est mis de frais, les langues
moulinent les nouvelles en étirant des filets de salive.
Elle aussi jadis faisait partie du cercle des bouches bavardes.
Elle est celle dont on parle, désormais, l’absente, qui fait tourner la ronde
des mots.
Celle qu’on observe du dehors, dont on épie la conduite.
A-t-elle ouvert ses volets ? Est-elle sortie ?
Elle s’échappe parfois, échevelée, à peine vêtue, si c’est pas malheureux,
une femme si soignée. Pour voir si elle est là, il faut regarder par la vitre
de sa salle à manger, à travers la dentelle du rideau.
D’ordinaire, on l’aperçoit, assise sur une chaise, dans sa cuisine.
Ou bien dans son fauteuil, au coin de la fenêtre, avec sa Nénette
installée sur la tablette du radiateur, l’affût des voitures.
Si elle ne répond pas, quand on sonne, c’est qu’elle dort.
Après le repas, elle fait la sieste.
Il faut lui laisser le temps de descendre l’escalier.
Récemment, on a vu deux messieurs entrer chez elle, on ne sait pas qui c’est,
ils ont mangé des gâteaux, il y avait des miettes…
De la maison opposée, on embrasse toute la façade, le portail de la remise, la porte d’entrée, les fenêtres : des dents dans un masque.
De là, quand il s’y rend en visite, il la voit sans être vu, telle qu’il voudrait la voir longtemps,
sans qu’elle le sache, comme dans un film dont tout aurait disparu,
le son, le contexte, sauf ce bout d’image,
ou comme dans ce souvenir qui fait mal : elle, sur le pas de la porte
quand il partait, serrant son châle vieux rose sur sa poitrine, sa silhouette tendue en avant pour l’apercevoir encore, s’amenuisant dans le rétroviseur, agitant la main jusqu’au dernier instant.
Un film qu’il pourrait repasser, indéfiniment, il s’installerait derrière le rideau.
Mais la porte ne s’ouvre plus. Ou rarement.
– Il y a peu, dit sa voisine, elle est sortie, elle a marché
jusqu’au coin de la rue. J’ai cru qu’elle se sauvait.
Et puis non. Elle s’est penchée pour voir.
Elle regardait si le boulanger était ouvert.
Et elle est revenue sur ses pas. Lentement, toute courbée…
Je ne me rendais pas compte.
D’ordinaire je la vois chez elle, dans son fauteuil.
J’ai pensé : “C’est une vieille femme.”
Son corps. Accroché des deux mains à la barre de douche,
incurvé de plus en plus en plus à mesure que l’eau tombait,
ruisselait sur son dos blanc et lisse. Les deux fesses maigres,
les jambes aux genoux ployés, et le devant, tourné vers le mur,
étagé en rondeurs qui dévalaient sous le gant.
A force de discours, il avait réussi à la convaincre de confier sa tête
aux soins de l’aide-ménagère, son crâne, qu elle avait jaune
sous ses cheveux.
Depuis longtemps déjà, elle peinait à lever
les bras. Mais surtout, par une sorte de lointaine tradition,
elle répugnait aux lavages. Il y fallait des conditions exceptionnelles :
“Fait-y ben assez chaud ?
Fait-y soleil dans la cour ?
” Elle usait, abusait des poudres et des nuages de laque, se refusait
à tout secours, à “leurs » méthodes modernes, à “leurs” rouleaux,
à “leurs » séchoirs, qui lui faisaient les cheveux fous, après ça, prétendait-elle, elle ne pouvait plus se peigner.
Elle protestait : “Je suis ben encore capable, quand même…!”
La femme l’avait peu à peu poussée vers la douche.
L’installation s’était faite non sans peine.
Lui, pendant ce temps, montait quatre à quatre dans sa chambre,
en redescendait, les bras chargés de serviettes, de linge propre.
La porte de la salle d’eau, trop exiguë, était restée ouverte.
Du couloir, il l’aperçut.
Etirées, foncées par l’eau, les longues mèches grises pendaient
de part et d’autre de son visage, laissaient à découvert le sommet de son crâne,
étoile rose quasi obscène tant elle ressemblait à une peau de bébé
dans ce nid de poils blancs. Elle avait quitté d’abord la combinaison.
Puis la chemise, dite américaine.
Ne resta bientôt que la culotte trempée, qui faisait un tortillon au bas dos reins.
Finalement, la culotte était tombée.
Elle était nue.
La femme lavait son vieux corps, lui passait le gant entre les fesses.
Elle consentait :
– Vous faites pas mal d’y aller, je peux plus y arriver.
La femme soulevait les seins, l’un après l’autre, comme des choses indifférentes,
détachées de sa personne, pour laver dessous.
Il se souvenait des seins devant l’évier, quand il était petit, à un âge
où elle le jugeait sans doute incapable de rien voir.
Avec l’oncle, il cassait des noix sur la table de la cuisine pendant
qu’elle faisait sa toilette, et l’oncle, gêné d’avoir surpris un regard en coulisse,
avait fait observer que sa femme, elle avait des sacrés loloches.
Maintenant, les loloches, la femme les maniait, les soulevait, pour un peu c’est comme si lui-même les avait eus dans les mains, avec leur espèce de fluidité et leur poids, guère plus allongés que dans le temps, ou du moins, dans le temps, lui semblaient-ils déjà incroyablement volumineux et longs.
Souvent, il avait observé ce corps à la dérobée, sa taille courte, son nez busqué,son teint rouge. Elle était ronde, elle était drôle, elle suait pendant les repas.
Et il s’était promis de ne jamais lui ressembler.
Les gènes dont il ne voulait pas s’étaient tous réunis du même côté,
et il était de l’autre branche, cultivé hors-sol, au bout d’un fil.
Et puis : ses propres mains s’étaient tavelées ; la peau plissait sur ses bras, se desquamait au soleil ; son ventre bedonnait.
Il riait, ne pouvait y croire. Mais sa jeunesse avait un dehors qui ne lui ressemblait plus.
Le rire passait sur ses dents et lui faisait mal.
Et plus d’une fois il s’était tenu à genoux, contre sa jambe,
pour l’aider à enfiler ses bas, le nez sur ce qui vieillit, sur la peau écailleuse de sa cheville, il avait pris dans la paume la corne rugueuse de son talon.
S’était escrimé sur la lanière de sa chaussure.
Au-dessus, la voix s’exclamait :– Te voilà qui grisonnes, dis donc ! Ça te fait quel âge ?
Elle se reposait maintenant au soleil, belle, propre.
Triait dans la boîte de carton les bigoudis qu’elle mettrait à point nommé, les cheveux ni trop humides ni trop secs. L’épreuve était passée.
L’aide-ménagère vaquait au lavage des peignes et des brosses.
Il taillait les arbustes de la cour, tirait à sa demande l’oranger
hors de la buanderie. Il avait encore assez de force pour ça.
Francis Carco – Six heures
peinture: J S Sargent 1907 Villa Torliona
Six heures, c’est la paix des grands jardins fleuris
Que la pluie a mouillés de l’odeur des lavandes,
Tandis que je m’accoude à la fenêtre grande
Ouverte et que, distrait et rêveur, je souris.
Des prêles vaguement luisent dans l’herbe humide
Où rôde la senteur fraîche des foins coupés,
Les premiers. C’est le grand silence et c’est la paix
Qui rêve au cœur des fleurs et des bassins limpides,
Dans les branches se sont blottis les rossignols :
Le crépuscule bleu descend à fleur de sol
Dans tout ce bercement de choses apaisées
Cependant qu’avec des paresses, des douceurs,
Pour veiller ce jardin, comme de grandes sœurs,
Des lampes, gravement, s’allument aux croisées.
Francis CARCO « Poèmes retrouvés » in « La Revue de Paris », 1927
Sophie G.Lucas – toute l’épaisseur de ce monde
peinture: A Sisley 1874
on n’en fait rien de
la neige
( toute l’épaisseur de
ce monde dans une fenêtre )
tout juste se demande-t-on
comment ce sera une fois
que tout aura fondu
si la vie sera la
même
et si c’est bien la neige
qui bloque les siens
dans le
silence
#
en rapport :« épaisseur d’une musique blanche «
le jour peine de plus en plus à trouver son chemin- ( RC )
Marcel Duchamp – Fresh widow 1920
C’est le soir, ou bien autre chose
qui obscurcit la pièce …
– peut-être des oiseaux
porteurs d’épines ,
qui veulent
me percer les yeux.
Pour l’instant, ils ne peuvent pas rentrer
car la fenêtre est fermée,
mais peut-être bientôt
ils arriveront à passer.
Je ne peux pas sortir
de peur de les rencontrer.
Alors je dois rester enfermé ici,
seul – et le jour
peine de plus en plus
à trouver son chemin .
–
RC – mai 207
Gilles Vigneault – Paysage
photo DL Ennis
La lune a posé sur la plaine
L’argent d’un verglas sans pareil
À rappeler la porcelaine
D’une mer où dort le soleil.
Ah! Que la neige était plus belle
Aux saisons dont je cherche encor
La mystérieuse escabelle
Qui manque au coeur de ce décor
Pour que le jeu se recommence
Avec le splendide attirail
Du pays à la neige immense
Où la fenêtre était vitrail.
Ah! Que la neige était plus blanche
Et plus mélancolique aussi
Sa calme et paisible avalanche
D’un ciel au jour mal obscurci…
La lune a posé sur ma peine
L’éclat de son calme glacé.
Mon enfance ne fut pas vaine.
Voici déjà demain passé…
Gilles Vigneault
Leslie Kaplan – livre des ciels
La chambre, notre grand lit plat. En face, l’armoire avec le miroir rigide.
Reflet.
Je suis avec lui, sous l’édredon. L’édredon est épais, à plumes, il ne pèse rien.
Carreaux multicolores, on est dessous, vivants.
Il est à côté de moi. Je vois la peau élastique, les yeux qui cherchent.
Il est là, allongé.
Par la fenêtre, le ciel humide, ses trous et ses volumes.
L’édredon est léger, envahissant comme une déchirure.
Tes mots revenus – ( RC )
J’ai emporté les mots que tu m’as glissé à l’oreille,
je les ai confiés aux ,
afin qu’ils voyagent,
et qu’ils les racontent à leur façon…
Je suis le passeur des phrases, celles qui sont dites,
et celles qui ne le sont pas.
Un jour, comme je l’ai vu,
( ou plutôt, comme je les ai entendus,
les mésanges sont venues frapper à ma fenêtre ) :
c’est qu’elles avaient sans doute
une réponse à me donner, et le récit de ton voyage .
J’ai essayé de l’interpéter à ma façon,
et les mots pensés,
ont ainsi continué leur voyage,
dans ma tête peut-être,
en donnant naissance à d’autres écrits .
C’est que tu parles un peu en moi…
–
RC – avr 2017
( réponse à Anna Jouy : voir les mots partis )
Rien ne peut repousser la nuit – ( RC )
Elaine Sturtevant d’après Marcel Duchamp : » fresh widow »
–
Il y a cette fenêtre :
Les ténèbres s’y prélassent .
Peut-être est-ce le jour
qui ne peut rentrer :
Ma chambre, comme ma tête,
est close de rideaux noirs,
fermée sur sa blessure,
où se sont dissoutes les joies ,
que m’offrait ton visage
si loin dans le temps,
que je ne rappelle plus bien
—ni de son expression exacte,
—ni de la chaleur
qui m’envahissait .
Ma blessure a saigné ,
puis le sang s’est retiré,
en marée descendante .
Je ne peux même plus ,
saisir la lumière :
mes veines sont sèches ;
rien ne peut repousser la nuit .
–
RC – juin 2017
Basculés derrière l’horizon- ( RC )
photo Phil F-
Sous nos yeux étonnés,
se déroule un grand film .
Panoramique,
il occupe tout l’espace ,
mais change à vive allure,
comme si les champs
poussaient les montagnes,
les montagnes, le lac,
le lac, la ville,
la ville, les forêts…
basculés derrière l’horizon .
Tout s’en va,
tout s’efface ,
derrière l’écran de la fenêtre .
> Sans certitude
sur le bon endroit,
celui où les choses s’attachent ,
où l’arbre demeure,
des siècles durant.
Le mouvement du train
zappe l’éternité
pour un temps éphémère,
un temps compressé ,
qui demeure curieusement
étranger
à la lente caresse du vent
dans l’ondulation des blés .
–
RC – juill 2017
Murièle Modely – le bouquet
j’ai mis le bouquet dans le vase
le vase sur la table, j’ai ouvert la fenêtre
j’ai regardé dehors, le jardin en désordre
notre fouillis d’herbes et d’orties
j’ai coupé les tiges des roses
j’ai mis une cuillère à café
de bicarbonate de soude
pour que les fleurs tiennent
puis j’ai posé le vase
sur la table, bien au milieu
face à la fenêtre, je me suis assise
je t’ai regardé
j’ai posé le vase il y a des années
devant la fenêtre, notre nature folle
tes yeux fatigués, ma bouche fripée
l’odeur de charogne du bouquet fané
Raymond Carver – pluie
PLUIE
Réveillé ce matin avec
une envie terrible de rester au lit toute la journée
et de lire. J’ai lutté quelques minutes contre cette idée.
Ai regardé la pluie à travers la fenêtre.
Et lâché prise. Me mettant entièrement
à l’abri de ce matin pluvieux.
Serais-je prêt à revivre ma vie ?
Avec les mêmes erreurs impardonnables ?
Oui, si c’était seulement possible. Oui.
(in Where Water comes Together with Other Water (1983)
RAIN
Woke up this morning with
a terrific urge to lie in bed all day
And read. Fought against it for a minute.
Then looked out the window at the rain.
And gave over. Put myself entirely
in the keep of this rainy morning.
Would I live my life over gain ?
Make the same unforgivable mistakes ?
Yes, given half a chance. Yes.
Lucie Taïeb – Nous ne reviendrons plus ici
nous ne reviendrons plus ici nous n’avons plus les clefs c’est aussi bien ce lieu n’était plus adapté à la fatigue croissante. rien ne me manquera sinon ce que je voyais au matin depuis mon lit par la fenêtre mansardée un fragment d’arbre conifère. les lieux nous oublient et nous hantent sans nostalgie ils sont heureux et nous errons de halte en halte à demander « où sont nos morts » à des gens qui ne les ont jamais connus. Si je savais qui de mon cœur ou de ma tête me joue ce tour de garder souvenir de ce que mon regard ne pourra plus saisir d’un coup sec et sans remords, je l’arracherais comme un organe inutile, qui trouble vainement le repos de mon âme, et autres effets indésirables.
Marina Tsvetaieva – La maison
Maison – épaisse verdure,
Vigne vierge et chèvrefeuille,
Maison peu familière.
Maison si peu mienne !
Maison – au regard sombre
Aux âmes lourdes,
Le dos tourné à la cité,
Les yeux fixés sur la forêt,
Gaie, aux cornes de cerf,
Joyeuse, comme une ourse,
Chaque fenêtre – un regard,
Et dans toutes – une personne !
Le fronton dans la glaise
Chaque fenêtre – une icône
Chaque regard – une fenêtre,
Les visages, des ruines,
Les arènes de l’histoire,
Marronniers du passé
Moi j’y chante et j’y vis.
Les chemises aux bras longs
Se lamentent dans le vent,
Liberté du passé,
D’un combat dans ces murs.
Lutte pour vivre et survivre,
Chaque instant, chaque volée,
Lutte à mort de ses bras,
Mort pour vivre et chanter !
Sans odeur de richesse,
Sans confort de fauteuil,
Le méchant, la pauvresse
S’y retrouvent à plaisir.
Le bonheur des oiseaux,
Dans les niches et recoins,
Temps pour nous – de nos comptes,
Des vengeances populaires,
Une maison dont je n’aurai pas honte.
(Entre juillet et septembre 1935.)
Robert Desnos – A la faveur de la nuit
–
Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit.
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre,
Cette ombre à la fenêtre c’est toi, ce n’est pas une autre,
c’est toi.
N’ouvre pas cette fenêtre derrière les rideaux de laquelle
tu bouges.
Ferme les yeux.
Je voudrais les fermer avec mes lèvres.
Mais la fenêtre s’ouvre et le vent, le vent qui balance
bizarrement la flamme et le drapeau entoure la fuite
de son manteau.
La fenêtre s’ouvre : Ce n’est pas toi.
Je le savais bien.
—–
Corps et biens (1930)
Sierra de Mulder – Amour chaque jour,comme une fenêtre ouverte
One day
you will learn
how to give and receive love
like an open window
and it will feel like summer
every day.
Un jour
tu apprendras
comment donner et recevoir de l’amour
comme une fenêtre ouverte
et cela sera une sensation comme l’été
à chaque jour.
Andreas Altmann – visite
–
La mémoire, quand elle renonce
à un souvenir l’un après l’autre,
devient aveugle à ses propres paroles.
Dans des pièces vides, en tâtonnant
le mur, qui te saisit les mains,
au-dessus des portes que tu n’ouvres pas,
tu avances vers la fenêtre. Des regards,sombres
ou clairs, cèdent la place aux yeux.
A partir de bruits, la voix se façonne
qui ne franchira pas le seuil du
silence. Encore une fois tu marches,
sans toucher le sol, à travers la maison.
la lumière a découpé des ombres
pour lesquelles, ici, il n’y a aucune explication.
Tu grattes profondément les extrémités de tes doigts
quelqu’un te suit, les bras
croisés, avec ce regard en biais. tu demandes
à rester plus longtemps. devant le porche,
une auto attend. Son moteur démarre.
besuch
das gedächtnis, wenn es eine
nach der anderen erinnerung aufgibt,
erblindet an seinen worten.
in leeren räumen tastest du dich
an der wand, die deine hände ergreift,
über türen, die du nicht öffnest,
ans fenster. blicke, die dunkel
die hell sind, weichen den augen.
an geräuschen formt sich die stimme,
die nicht über das schweigen hinaus
kommt. noch einmal gehst du
mit bodenlosen schritten durchs haus.
licht hat schatten herausgeschnitten,
für die es hier keinen grund gibt.
du kratzt an den rändern die finger auf.
jemand folgt dir verschränkt
mit den armen, dem blick. du bittest,
noch länger zu bleiben. vor dem tor
wartet das auto. der motor springt an.
–
Andreas Altmann
© Rimbaud Verlag
Lucie Delarue-Mardrus – Par ma fenêtre ouverte
–
Par ma fenêtre ouverte où la clarté s’attarde,
Dans la douceur du soir printanier, je regarde…
Chaque arbre, chaque toit qui s’élance dans l’air,
Tel le roc qui finit où commence la mer,
Marque la fin d’un monde au bord d’un autre monde.
Ici la terre et là le vide où, toute ronde,
Cette terre, toupie en marche dans l’éther,
Sans sa pauvre ceinture d’air
Ne serait à son tour qu’une lune inféconde.
Je contemple ce toit et cet arbre, montés
Vers l’insondable énigme et ses immensités.
En bas, la rue est calme et le printemps tranquille.
Rien ne trouble la paix de la petite ville.
On entend au lointain un merle. Il fait très beau.
C’est tout.
— Pourquoi mes yeux regardent-ils si haut ?
L D-M
—
( beaucoup des créations de l’auteure peuvent être lus sur le site qui lui est consacré)
Murièle Modely – ( En ) quête
![]() photo Mahafsoun ( deviantart )
Je suis petite fille Je tombe Je suis coupable d’enfance Je dégringole Car je cherche un passé,
– Un texte qui peut être retrouvé dans le site « écrits vains », parmi 8 autres de M Modely
– |
Oiseau mécanique – ( RC )
On dit que tu as tout ce que tu veux
Et un oiseau mécanique merveilleux,
Aux ailes incrustées d’émeraude,
Chante à la place d’un vrai.
Ton oiseau est de couleur verte,
Il est au centre de tes richesses,
Tu ne regardes qu’elles;
Et ne me vois pas.
Tu es fasciné par son chant
Par les reflets des cristaux,
Toutes ces choses précieuses,
Dont l’abondance te cache l’univers.
> Le monde tel qu’il est
Est bien loin de toi;
Tu ne m’entends pas,
Mais seulement le chant de cet oiseau.
Dès que tu ouvres la boîte,
Inscrustée d’ivoire et de nacres
Que tu tournes la clef,
Attendant son tour de piste .
Mais un jour le ressort casse,
La belle mécanique se dérègle,
Le précieux automate reste figé,
Désormais inutile et grotesque.
Tu découvres soudain,
Qu’un vrai rossignol,
Se balance sur une branche,
Face à ta fenêtre.
Libre d’aller et venir,
Il attendait ton réveil,
Et que ton regard se pose sur la nature,
Où les ors et vermeils ne sont pas nécessaires.
On dit que tu as tout ce que tu veux,
Mais les biens matériels ,
Finissent par te masquer la vie.
Ouvre donc la fenêtre.
Il y a un ailleurs,
Qui s’étend loin autour
De ton château.
Tu m’y verras peut-être, maintenant.
Il suffit d’ouvrir ses yeux,
Et ses oreilles, aux rossignols,
Un coeur ouvert aussi
Au reste du monde.
—
– Librement inspiré du conte » le rossignol et l’empereur » ( Andersen),
et de la chanson des « Fab Four »: » And your bird can sing ».
–
RC- mai 2014
–
L’absence éveillée – ( RC )
–
Fi des saisons,
Et de leur danse …
Elles reviennent,
Comme elles se doivent,
Ce que tu vois depuis ta fenêtre,
Peint de lumière oscillante,
Se pare des couleurs,
De la nature.
Elle lui est soumise,…
Je n’ai rien inventé.
Et tu peux compter les années,
Qui lentement s’égrennent … ;
Rien ne vient
Dessiner un sourire,
Et occuper de son ombre,
Les rectangles de lumière.
Poser les bras sur tes épaules.
Il n’y a de pli dans le ciel.
Que l’absence,
Elle, toujours éveillée.
–
RC Janvier 2014
–
en rapport avec un texte de Nathalie Bardou,
paru dans son blog « tentatives de lumière »
–
Pascal Pratz – Feuille d’été
par la fenêtre
à cause d’un vent mauvais
ennemi de l’écrit
un vent taquin
adepte de Kipling
venu le cueillir sur le coin de ma table
il virevolte et tombe
avec la grâce d’une feuille d’automne
ce n’est pas l’automne
jamais ne le reverrai
déjà parti plus loin
que le bout de la rue
dessus j’avais inscrit
pattes de mouches
toutes les idées d’une semaine entière
des débuts de poèmes
des idées de romans
des premières phrases
important, les premières phrases
n’ai plus qu’à m’y remettre
fouiller ma cavité
tout retrouver
tout reconstituer
tout réinventer
tout recommencer
le vent fripon
m’a tout déshabillé
Patrick Laupin – On ne peut pas écrire la pluie
( partie finale de ce beau texte)
. Abrités dans l’esquif de nos villages à flanc de montagne dans la tourmente, nous sommes vraiment les proies silencieuses de la pluie.
Elle déplie une verrière sensible, sensitive de vide, une eau première translucide, une durée spirituelle.
Un rideau froid de pluie qui tombe nous rappelle d’instinct et de foudre les limites de notre propre corps, nous qui restons requis comme jamais derrière les vitres et les plis en cretonne de la fenêtre à la regarder s’abattre,
sourdre, rebondir en gésine, frapper d’aplat soyeux, enragé, la célérité froide, sourde, et miraculeuse de sa tête de course.
Vague transparente où la colère dévale un bruit qui dort.
Comme elle affaisse et relève les minces particules d’éléments, on dirait des girouettes de rivières ou un océan dans l’eau furieuse qui navigue.
Elle gire, appareil des eaux du temps, broie l’avarice du ciel, franchit le crêt torrentiel, libère ce barrage providentiel.
On ne peut comparer à rien le miracle lapidaire de la pluie car c’est de la gaieté sensorielle et muette de notre corps qu’elle provient.
–