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Herberto Helder – Les menstrues –


Arkhip Kuindzhi – Coucher de soleil sur la neige (1885-1890)
Les menstrues quand sur la ville soufflait
cet air. Les jeunes filles respirant,
mangeant des figues - et les menstrues quand sur la ville
filait le temps à travers les airs.
C’étaient des œillets dans la neige. Les jeunes filles
riaient, criaient - et les figuiers insufflaient
les figues, de leurs poumons d’éponge
blanche. Et les jeunes filles
mangeaient des œillets dans l’air.
Et elles riaient dans la neige et criaient : c’était
le temps des menstrues.
Les pommes roulaient dans la maison.
Quelqu’un disait : la neige. La nuit venait
briser la tête des statues, et les pommes
roulaient sur le toit - quelqu’un
disait : le sang.
Dans la maison, elles riaient - et les menstrues
ruisselaient par les cavernes blanches des éponges,
et les têtes des statues se brisaient.
Des œillets - quelqu’un disait cela.
Et les jeunes filles qui respiraient, mangeaient
des figues dans la neige.
Quelqu’un disait : des pommes. Et le temps était venu…
Le sang ruisselait des cous de granit,
l’enfant plaquait sa bouche noire
sur la neige dans les figues - alors elles criaient
dans l’ombre de la maison.
Quelqu’un disait : le sang, le temps.
Les figuiers soufflaient dans l’air
qui courait, les machines aimaient. Tandis qu’un poisson,
parole ancienne
et sensible, parcourait la page de cet amour.
Et quelqu’un disait : c’est la neige.
Les jeunes filles riaient dans leurs menstrues,
mangeant de la neige. Les têtes des
statues étaient pleines d’œillets,
et les enfants plaquaient leur bouche noire sur
les cris. La nuit approchait dans les airs,
dans l’ombre roulaient les pommes.
Et le temps était venu.
Et elles riaient dans l’air, mangeant
la nuit,
se nourrissant de figues et de neige.
Alors quelqu’un disait : les enfants.
Et les menstrues ruisselaient en silence -
dans la nuit, dans la neige -
pressées par les éponges blanches, là-bas dans la nuit
des jeunes filles
qui riaient dans l’ombre de leur maison,
roulant, mangeant des œillets. Alors quelqu’un disait
c’est un poisson qui parcourt la page d’un amour
ancien. Et les jeunes filles
criaient…
…Les jeunes filles, chantant leurs enfants,
mangeaient des figues.
La nuit mangeait du sable.
Et c’étaient des œillets dans les cavernes blanches.
Les menstrues - disait quelqu’un. L’air passait -
et à travers nuit, en silence,
les menstrues ruisselaient dans la neige.

.

Le Poème continu, somme anthologique,

traduction Magali Montagné et Max de Carvalho,

éditions Chandeigne

voir également : Esprits nomades


Carnets de dessins de Provence – ( RC )


dessin RC , environs de La Tour d’Aigues

A chausser les sandales de l’enfance,
te rappelles-tu des champs de Provence ?
Tu n’avais pas à ouvrir ton herbier,
le vent poussait ses vagues dans le blé,
comme dans la farandole
de la voix du mistral
soufflant par rafales
sur le plateau de Valensole.

Tu l’as parcouru à pied,
en sortant ton carnet à dessins.
De jeunes lavandes
déroulaient leurs points
avec de curieuses perspectives,
où le feuillage argenté
des oliviers, voisine celui, plus léger
de la promesse des amandes.

Contre les montagnes lointaines,
je me souviens de la teinte rousse
tirant sur le brun de Sienne,
opposée aux vertes pousses
des rangées de vignes
étagées sur les pentes ,
offertes à la cuisson du soleil.

Tu en parcours les lignes,
un soleil de miel
sous tes sandales de silence.
Les ceps crient
dans l’impatience
d’une lumière de braise
aux senteurs de la garrigue.

Bousculés dans les croquis
d’encre et de fusain,
sont-ils l’essence
de la morsure du midi
que rien n’apaise ,
calmés seulement
par la douceur de lait des figues…?


Mohammed Fatha – Je m’en vais la tête haute


Je m’en vais la tête haute
Absorber la misère
Moi l’ami des exilés
Mes dessins animés
Pour maintes évasions
Millénaires
Les regards assassinés
La veille des morts

A toi l’honneur
Monsieur l’Ermite

Dépuceler la sagesse
Les pistes dépeuplées
Nos vierges se complaisent
Dans les couleurs nocturnes
Nos sentiers n’ont jamais été
Impasses
Jamais indiscrets
De minables camarades
Les caravanes anonymes
Les poisons qui se crispent
En dehors des malaises
A long terme l’Exil
Tant de cimetières
Déjà au feu des croisades

AILLEURS

Offre-moi des strapontins
Je suis l’Exil
Et j’ai honte
Car j’ai vécu
Le désarroi des douars
L’enterrement des mille et une nuits
La chasse aux kasbahs
A plat-ventre

Dans mon pays
Il y a des régions oubliées
Dans les bas-fonds des mémoires
Ecartelés sans musique
Sans lecture
Des coupoles de thé
Vert. Non des fraîcheurs
Comme a dit l’Autre

Toute la ville a souffert
De lagunes par toi
Et les miettes à fond noir
Les tombeaux tuberculeux
A même le sol. Hélas
Le ciel pour une fois
S’est effondré dans ma coupe
Je suis sec
Car c’est moi ce prisonnier
Des fantômes à venir
Et non cet homme nu
Là-bas
Qui se cramponne à la foudre
Qui ne sait que pleuvoir
Sur la mer
Une pluie mordue de châtaignes
Et de figues sèches
Moi l’ami des Exilés
Millénaires
Parmi tous ces regards
Assassinés
La veille des morts
J’ai maintes fois dépassé
Les abreuvoirs à tortures
Et je viens vous offrir
Maintenant
Mon cadavre
Non ma pitié
Jamais inerte
Une charogne dérobée
A l’heure sacrilège
Voici les vautours.