Quelque chose d’indéfinissable – ( RC )
Il y a quelque chose d’indéfinissable,
lorsque ta voix s’empare des mots
et les projette, haut dans le ciel,
un ciel
qui ne semble être fait que pour toi.
Et les voilà qui redescendent doucement,
– ainsi ces graines de pissenlit, légères,
celles en forme de parachute –
qui s’allient avec le vent pour se poser
comme des fleurs de neige.
Lorsque se forgent des lignes,
chaque flocon trouve sa place,
rejoignant leurs semblables
portés par une onde calme
naissant en toi.
Il y a quelque chose d’indéfinissable,
une évidence qui s’offre
comme les notes dessinent le chant
ravissant l’oreille de celui,
prêt à les entendre .
C’est un cadeau que l’on reçoit,
évident comme l’accord
entre le silence et la musique,
émanation discrète
du corps et de l’âme .
Le poème est une constellation,
et les mots, des étoiles
qu’un fil invisible relie :
toi seule en maîtrise ces atomes,
qui restent insaisissables .
–
RC – mai 2019
Le miroir des pages – ( RC )
Je me suis regardé, à travers l’écho
de lignes écrites, et d’autres mots :
cela fait bien longtemps.
C’était comme remonter les heures,
et se voir autrement,
comme dans un miroir déformant,
mais qui garde les saveurs,
de la terre humide, et des vents .
Quelques uns m’étaient sortis de l’esprit.
Quand je les ai relus,
J’en ai été ému,
En étant un peu surpris,
comme si j’avais ouvert
une boîte, ensevelie sous la poussière,
où la mémoire patiente,
qu’il pleuve ou qu’il vente .
Mais cette mémoire m’a échappé,
elle rassemble des lignes,
pattes de mouches et signes,
restés couchés sur le papier.
Ce coffret ouvert, par distraction,
offerte à mes regards indiscrets,
cachait donc des secrets.
Je les ai ouverts, comme par effraction.
Les phrases se sont envolées ,
comme de la boîte de Pandore :
elles voulaient me dire quelque chose : je l’ignore,
mais sont restées sagement alignées.
Il est donc étrange , de parler à soi-même :
ainsi l’on se penche
avec des décennies de distance,
à relire des poèmes,
à retrouver des émois
des émotions et des pleurs,
et presque les odeurs
des sous-bois .
A propos, c’est comme la blessure,
qu’en son tronc, l’arbre supporte.
Même si ce sont des amours mortes,
le dessin du cœur perdure,
et est toujours en devenir :
quoi de plus banal,
de retrouver les initiales
mais qui ne cessent de grandir.
Ces empreintes volontaires,
ce sont des essais
qui ne partent jamais,
et ne peuvent se taire.
Il y a quelque chose de moi
Je ne saurai dire exactement quoi,
malgré le temps qui passe,
qui revient à la surface.
C’est le miroir des pages
d’où l’on se regarde
si on s’y hasarde …
on y voit son visage
Ou bien ce sont les écritures
qui nous guettent malgré l’oubli
Si on les relit,
on reconnaît notre figure .
Pourtant je racontais des histoires,
peut-être par défi,
qui n’étaient nullement autobiographie :
alors il faut croire,
que, même caché dans le noir,
au plus profond des secrets,
on dessine toujours son auto-portrait.
Cela remplace la mémoire qui s’égare.
L’espace s’est élargi
Je n’en connais plus bien les limites,
Cette écriture manuscrite,
est sortie de sa léthargie :
Au fil je vais me suspendre
à l’intérieur de moi et dérouler
les années accumulées,
et ainsi apprendre
à lire d’une autre façon :
Construire une stratégie
faire de l’archéologie
Explorer la maison,
retrouver d’anciennes graines,
qui n’ont pas éclos
Arroser l’arbrisseau ,
—- en faire tout un poème…
–
RC – juin 2016
Un fil tendu dans le silence – ( RC )
Environnement plat, ( à peu près ),…
…brume,
– peupliers.
Le tout défile.
S’il fallait prendre la photo,
D’abord descendre la glace,
L’air humide tout à coup engouffré,
Et le flou de mouvement.
Une vallée paresseuse,
Bien pâle en ce novembre,
Et juste les ailes coassantes
des corbeaux.
La voiture progresse,
mange les kilomètres,
pour un paysage semblable
ou presque .
Une musique pulse,
C’est une chanson
à la radio
qui rape
La caisse fonce,
Du son plein la tête
Sur le ruban de la route,
luisante. Flaques.
A la façon d’un coin
Dans l’horizontale :
– Traversière,
Phares devant
Yeux fixés,
Droit devant,
Etrangement étrange
– Trait bruyant ( un fil tendu
Dans le silence . )
La plaine tolère juste
De ses champs gorgés d’eau
Son passage éphémère
Se refermant sur elle-même,
Lentement,
Le bruit s’efface comme il est venu.
Les corbeaux reprennent leur vol.
–
RC – sept 2015
Roger Cibien – Où êtes-vous, bergers
J’aimais, j’aimais beaucoup rencontrer sur ma route
Les vénérables pâtres, lents à se confier,
Parlant à petits mots, avec des gestes de sorciers,
Dans l’immense silence, ils me disaient… Ecoute !
Et alors subjugué, effrayé par mes doutes
J’écoutais, le vent, la terre, les sentiers
Parler, jaser, siffler.
Le grand monde alors m’épiait
Mais le pâtre était là, expliquant ma déroute.
Mais les bergers sont morts …
C’est un fil électrique
Qui garde le troupeau.
Finies les images d’Attique,
Rompu le trait d’union de Dieu et des Bergers.
Les secrets de la terre, les mystères du ciel
S’arrêtent à un fil invisible et cruel !
Où êtes-vous Pasteurs ? Où êtes-vous Bergers ?
Roger CIBIEN ( extrait d’une anthologie de la poésie lozérienne )
Ariane n’a pas laissé de fil ici ( RC )

fil d’Ariane – voir l’article très instructif sur le mythe d’Ariane… (mythe et symboles)
–
Je tire sur les fils, tendus qui traversent les esprits.
Je parcours ainsi la trame des jours,.
Ils s’approprient toutes créatures,
Et les conduisent, dirigés par ces fils,
A leur propre intérieur,
Qu’ils dévident lentement,
A chacun sa pelote.
–
Cet intérieur se tapisse, ainsi,
D’épaisseurs croisées, un cocon…
Mais ne préparant à aucune métamorphose.
Et si d’accident, la trame s’accroche
Au passage à celle d’un autre.
( C’est une rencontre, un mariage, une union)…
– cela crée bien sûr des attaches.
–
Mais, contre les « toujours », les liens se distendent,
Et le tissu, va,s’effilochant ,
Pâlit à la longueur des années.
Pour se reconstruire, d’autres filaments viennent panser les plaies.
L’araignée répare sa toile déchirée.
Elle persiste à occuper les mêmes endroits.
Ceux que peuvent emprunter ses proies.
–
Peut-être y a-t-il aussi dans nos têtes,
Ce genre de coin, que l’on calfeutre,
Pour éviter les courants d’air,
Et amortir les chocs….
Mais si on gagne en confort,
A tout occulter,
C’est aussi mieux s’isoler, du reste du monde .
–
On n’y voit plus assez,
Pour se diriger,
Et aller de l’avant
On ne sent plus les vents,
Et le passage du temps…
D’ailleurs qu’importe,
S’il avale la pelote…
–
Ariane n’a pas laissé de fil ici,
Pour retrouver la sortie….
–
RC- 17 octobre 2013
–
Christophe Bourdin – le fil – extr 01

photo: And Gursky
Car tu aurais aimé que chaque journée qui s’ajoutait aux précédentes fût inscrite dans le mouvement uniforme d’une continuité, qu’aucun accident ne vînt briser la ligne droite de ton histoire,
le cours de ton destin ; tu aurais voulu que chacune des décisions que tu prenais fût issue logiquement de décisions passées, que les heures qui s’enchaînaient fussent jointes, comme liées par un pacte, et non plus simplement contiguës, juxtaposées les unes aux autres ; et pourquoi pas, que le futur rappelât le présent toujours.
(Tu avais aimé, enfant, tout ce qui paraissait ramener au connu, ce qui reproduisait l’ancien, ce qui se ressemblait, les fréquences, les reprises, les événements qui répétaient la vie, les cycles, le retour des saisons, ce confort des recommencements, les rangées parallèles des marchandises dans les magasins, la séquence des conserves, les superpositions jumelles et les similitudes,
les collections aussi, qui propageaient, qui démultipliaient les choses, et les nomenclatures, les recensements, les sommes, les totalisations, ce qui voulait épuiser la réalité, ce qui semblait pouvoir renfermer le monde, les encyclopédies qui détenaient l’univers, les dictionnaires qui rassemblaient les mots d’une langue, les répertoires alphabétiques qui recueillaient le téléphone et l’ adresse des amis,
tous les fichiers, les énumérations, la liste des élèves qui résumait une classe dans une école, les annuaires qui regroupaient le nom des abonnes d une ville, d un département, d’une région, les almanachs, les calendriers, les agendas et les éphémérides, offerts le jour de l’an, qui possédaient l’année entière, et puis, surtout, les catalogues, où, page après page,
on dénombrait tous les vêtements, de la chemise à la chaussure, tous les objets, les outils, ustensiles en tous genres, appareils ménagers, le mobilier, les jouets, les gadgets, répertoriés, classés par thème, indexés à la fin ; tu prenais dans tes mains le livre lourd, tu te calais dans un fauteuil, tu tournais les feuillets un à un, tu suivais les images qu on y avait incluses, des chiffres, des numéros se succédaient, tu détaillais ce qui constituait pour toi un ensemble invariable. Une totalité. )
——–
» le fil », est un livre édité aux éditions la parenthèse
–
Suspendu à ton regard ( RC )

photo: Lewis Wickes Hine (1931)
–
Suspendu dans le vide,
Quelque part sur les hauteurs,
J’entends crier la voix du vent,
Sous le regard étonné des nuages
— Ne reconnaissent pas mes mots
Au delà des précipices…
Ravins obscurs d’où monte une brume
Qui déjà m’enveloppe .
Ce n’est pas une corde
Qui serait le fil me reliant à la vie
Entre deux rochers
Mais juste ton cou que j’entoure,
Suspendu à ton regard,
Au-delà du vertige.
–
RC – 18 avril 2013
–

photo Lewis Wickes Hine – Icare
Un pied devant l’autre ( RC )
J’ai oublié les charlatans,
les acharnés, les magiciens, mécaniciens et les fortiches
Remisé les clefs.
Peut-être perdues, qui sait ?
Et fait qui , d’un grand voyage, sur un fil suspendu
Et sans assurance
En laissant sur place, les vieux objets et bateaux rouillés
Autres que ma confiance,
Si tout se déglingue et moisit,
Je mets un pied devant l’autre
Et c’est le vide dessous qui me sourit,
Je n’ai plus soif
L »amour rajeunit,
Tout va venir,
Et l’aube encore,
Et demain,
Sera dans mes bras.
RC – 18 juillet 2012
Emmanuel Malherbet – Reste-t-il un peu du nord ?
Reste-t-il un peu du nord ?
Où te tiens-tu
toi
sur le fil tendu
de l’été ?
des jours et des jours
et le ciel n’arrange que du bleu
et cogne
et tape en blanc sur les façades blanches
et toi
dans quel repli de fraîcheur
et d’ombre claire ?
dis
comment traverses-tu les nuits
si les nuits
aussi se figent et luisent ?
reste–t-il un peu du nord
où se cacher
—
Emmanuel MALHERBET est publié aux éditions Wigwam