Au bord de l’autoroute pour Rochester, Minnesota, Le crépuscule ricoche doucement sur l’herbe. Et les yeux de ces deux poneys indiens S’assombrissent de gentillesse. Ils ont gaiement émergé des saules Pour nous accueillir mon amie et moi. Nous enjambons les barbelés, entrons Dans le pâturage où ils broutent durant le jour, seuls.
Ils frémissent avec ardeur, parvenant à peine à contenir leur joie Car nous sommes là. Ils s’inclinent timidement, tels des cygnes mouillés. Ils s’aiment. Il n’y a pas de solitude semblable à la leur. A nouveau détendus. Ils commencent par grignoter les jeunes touffes de printemps Dans l’obscurité. J’aimerais étreindre la mince ponette.
Elle s’est avancée vers moi, a mis son museau dans ma main gauche. Elle est noire et blanche. Sa crinière s’échevèle sur son front. Et la brise légère me pousse à caresser son oreille fuselée Aussi délicate que la peau du poignet d’une jeune fille. Aussitôt je comprends Que si je sortais de mon corps je me mettrais soudain à fleurir.
(Traduction inédite de Sabine Huynh du poème de James Wright, « A Blessing », The Branch Will Not Break, 1963)
Y a-t-il une méthode que l’on doive suivre pour écrire un poème, courber les mots, les faire danser, sur le fil tendu de la pensée ?
Personne ne m’a chuchoté la réponse et le rythme de la musique qui l’accompagne,
alors je le laisse fleurir comme bon lui semble…
Quelques images lui sont attachées, au gré de ma fantaisie houle argentée accompagnée du vent de l’inquiétude, d’un soleil radieux ou bien tragique…
le poème – si on le qualifie ainsi – prend son envol , sans que je mesure l’espace entre ses pieds, Il ne paraît pas entravé de normes rigides : il s’échappe, sans que je le retienne.
On ne voit plus qu’un pré tout vert où pourrait paître le bétail. Pourtant, c’est un champ de bataille habillé de blanc, comme en hiver.
On distingue des croix anonymes, comme autant de noms effacés : > c’est la plaine des trépassés : on n’en compte plus les victimes :
Elles sont tombées au champ d’honneur, sous les obus, les mitrailleuses, – …. et la plaine argileuse ne saurait désigner les vainqueurs
les vaincus, tant les corps se sont mêlés durant les assauts. On en a retrouvé des morceaux , accrochés aux barbelés .
Pour les reconnaître, on renonce : C’est un grand cimetière qui nous parle de naguère : Les croix sont en quinconce ,
régulièrement espacées : le « champ du repos » comme si l’ordre pouvait remplacer de l’horreur, son tableau .
Suivant les directives : les stèles règlementaires émergent de la terre, en impeccable perspective
Ainsi, à perte de vue ce sont comme des ossements, peuplés des silences blancs des vies perdues :
Ils ont obéi aux ordres. ( Laisser la terre saccagée, le témoignage de combats enragés, aurait plutôt fait désordre ).
Sous le feu des batteries, affrontant le péril, il aurait été plus difficile, de jouer, comme ici, de géométrie…
On ne peut espérer de miracle: Aucune de ces plantations ne va fleurir : Voyez-vous comme il est beau de mourir ! Une fois la guerre passée, c’est un beau spectacle…