Poème champêtre – Susanne Derève –

Porte qui grince,
les gonds rouillés et le bois mort,
le bois vert du printemps,
cet onguent de la solitude.
La nature n’aime rien moins
que les âmes esseulées.
Au fil des ans dans la prairie,
les fleurs rendues à la nature essaiment
en légers troupeaux de corolles,
en cavalcade agreste dans l’herbe
du jardin – primevères, violettes
et les clairons d’or des jonquilles –
Telle opulence, est-ce fausse innocence ?
Bonheur, l’instant où nous pénètre à ce point la beauté
qu’elle nous possède tout entier ?
Sous-bois de l’éphémère, veille jalouse, en robe pâle
les jacinthes, que trahit leur parfum, dressent
sur leur hampe fragile une pure fleur étoilée.
Ce monde nous oblige, dans son intime perfection,
à lui rendre des comptes, de ce que nous avons trahi
de lui et de nous-mêmes.
Georges Jean – l’épaisse nuit

Quand tombe l’épaisse nuit de chair noire
Des fleurs fabuleuses m’étreignent
Sourdes étoiles d’un jardin là-bas
Où l’œil vert du bassin dévore les nuages
Fatidique blessure
Petite main d’enfant Tu te souviens
La terre Le verger tout autour déployé
Tes cheveux Ta robe dénouée Tes genoux
Quand plus tard un fleuve t’écoutait
La route est déserte Le manège éteint
Morte peut-être ou retirée derrière ton seuil
de pierres blanches
Dans la clairière une autre fille était venue
Je lui disais pour toi ton sourire
Elle ouvrit les cuisses doucement
Nous étions sous un hêtre sur les faînes rouges
du dernier automne
Puis plus rien La fumée d’un train dans la campagne
Il faut recommencer en face du présent.
Ludovic Massé – la terre du liège ( extrait )

estampe chinoise musée Guimet Paris
Tout au long de ces années d’exil, j’appris peu dans les livres,
seulement de quoi ne pas être vaincu aux examens,
mais la petite jungle où je pataugeais, parmi une faune sans griffe ni crinière,
ensauvagea plus encore mon caractère et mes sentiments,
m’immunisa pour toujours contre les tentations et les ambitions dérisoires.
Profit unique, vraie richesse engrangée d’une âme goulue,
sagesse surgie de l’instinct, privilège providentiel qui m’a permis de vivre
avec plus de joie que de résignation.
Comme on l’imagine, j’emportais toute ma vie passée avec moi, contre moi,
jour et nuit, sans jamais la lâcher, la compromettre d’une distraction ou d’une lâcheté.
Quoiqu’il advint, j’étais sûr de trouver la paix dans mes refuges.
Aux heures les plus absorbantes, les plus périlleuses de ma vie d’étudiant,
je m’évadais irrésistiblement des maquis du savoir pour me retremper
dans ceux de la nature. Cependant qu’on me rivait des chaînes,
je galopais dans les montagnes ; mon âme débordait d’arbres et de fleurs.
Alicia Galienne – Nous nous noyons de fleurs grandissantes et vulnérables

Isoler tes lèvres
Les fleurs nouvelles
Et tes grands yeux d’eau
Qui vont la nuit sur les toits
Cueillir d’autres fleurs
Promener les champs de nuit
Isoler tes regards
Les cacher sans malice
Lorsque tu baisses les yeux
Sur moi sur nous
Nous marchons les fleurs
Sans trop nous approcher des fenêtres
Vacantes d’espace
Et les toits remplis de pluie
Se vernissent de lune
Je n’ai jamais eu de souliers vernis
« L’amour est enfant de bohème »
Et je danse pieds nus
Ruisselantes les ardoises du ciel
Et toutes les fleurs nouvelles
Amène-moi dans ta bouche de pluie
Boire les lacs sucrés
Qui s’en vont dérisoires
Au-delà de mes cheveux
Nous nous noyons de fleurs
Grandissantes et vulnérables
Sur des murs rampants
Comme des astres
Tu m’envoies
Chaque jour davantage
Tu m’en voles
Par centaines de fois
C’est la danse aux fleurs
Au-dessus des toits navigués
Isoler tes gestes dans l’air
Pour te répéter lorsque tu manques
Au petit matin
extrait de « » l’Autre moitié du songe m’appartient » ( ed Sophie Noleau )
Antoine Emaz – Seul –

page blanche du ciel sans pluie qui tranche sur le noir des ardoises et tout en bas la masse des marguerites voilà la tête qui vague pas de bruit un samedi d’après-midi là on est dans la niche d’un temps sans poids sur la bascule d’une semaine faite à faire on repose se pose peu importe où dans la courbure du temps mais calme ce pourrait être encore petits carreaux dunes jeanlain baraques à frites nuits ou acacias maison rouge et blanche muscadet c’est de même tout passe en avancée lente vitesse de traîne là c’est un long buisson de fleurs jaunes et du ciel blanc (...)
Peau 2008
Ed.Tarabuste
- sur Antoine Emaz , cf article de Marie Etienne (30/11/2022) dans la revue En attendant Nadeau
- sur Jim Sévellec, peintre (breton) de la Marine voir Wikipedia
.
Armel Guerne – l’éclat dernier des trompettes dernières

photo RC Malaisie
Aux fleurs, voyez, qui sont fidèles au terrestre,
Nous prêtons un destin sur le bord du destin.
Mais s’il leur est amer, qui sait ? de se faner,
C’est à nous de porter, d’être leur repentir.
*
L’avenir est muré, voûté comme une cave
Où vient demain, furieusement
Retentir seul l’éclat dernier
Des trompettes dernières,
Plus grandes que le soleil et la nuit.
Dominique Le Buhan – l’histoire continue des saisons

peinture Arkhip Kuindzhi
Le gris du jour, de la nuit le clair-obscur
s’unissent en l’histoire continue des saisons :
au revers de l’action, c’est être patience
que d’éprouver des heures durant leur cours :
c’est attendre de l’objet l’ombre au soleil,
savoir qu’à ce moment la chair aura l’éclat —
c’est espérer de la flamme la crue des couleurs
liées à des textures perçues sans les toucher.
Ce feu sécrète en nous le ductile espace
par les jeux du bois sec et de la cendre —
et déjà la rose d’hiver donne le blanc,
blanc repris par fleurs qui percent la neige,
puis la tulipe à son tour est la fraîcheur,
la rose avive la brique et le bleu de l’ardoise,
enfin la pivoine de son rouge touche le vert —
et le bruit de nos mots est un murmure sonore.
–
extrait des « heures inégales » ed Fata Morgana
le jardin de mon poème – ( RC )

Reconnaîtrais-tu ce jardin,
maintenant abandonné,
laissé à lui-même
alors que débordent les branches
du saule, que tu as connu
jeune encore, devant la maison?
Les heures de l’hiver
viendront tuer les fleurs,
arracher les feuilles
du chêne encore debout,
mais tu reconnaîtras le jardin de mon poème,
auquel subsistent quelques vers…
Little india – (Susanne Derève) –

.
J’enfile les fleurs comme des perles
rouges blanches jaunes
et j’imprime une tache sombre sur ton front
entre tes deux sourcils peints
tandis que tu ajustes le sari sur tes hanches
menues
little india
.
.
extrait de : Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022)
(voir partage de Susanne)
José Pedroni – Vie

Viens avec moi, poète.
Quitte ta table avec sa rose triste.
La joie est à l’extérieur.
Mourant et renaissant
il arrive à cheval: il s’assied sur l’herbe.
Viens avec moi, oh, mon ami. La douleur est à l’extérieur.
Cela arrive et cela ne se produit pas seulement en pleurant.
Il apporte soixante-dix morts sur terre.
Viens avec moi. Dans le ciel ,
de gros oiseaux tournent en rond
pendant que les paysans sont venus sur leur ile d’herbe,
et ils parlent et chantent autour d’elle.
Viens avec moi. Dans la rue passe
un grand drapeau avec une étoile,
sur des fleurs que les femmes plantent.
Cela arrive et le ciel ne passe pas tout simplement.
Il apporte soixante-dix morts sur terre.
Viens avec moi, cet homme a des voix
que tu ne peux pas trouver;
que ton verset a une nouvelle femme ,
à qui le vent des branches souffle
dans ses cheveux et sa jupe.
Viens, ils ne te connaissent pas
Ta chanson est dehors.
Pour qui sera la fleur solitaire de ton verre;
pour qui, s’il est mort ?
Viens avec moi pour rencontrer l’homme
à la table de la terre; pour accompagner
l’homme dans sa rue de sang et de lys
Le chant est dans la voix de ceux qui chantent.
L’ange est dehors.
( tentative de reconstruction du texte par google trad ) à partir du texte original..
voir un certain nombre de ses poèmes dans la langue originale sur le site .
–
voir aussi dans le même registre…
Me voici seul (Alain Borne)
Me voici seul avec ma voix
j’entends le dernier pas qui balaye la route
et le silence tombe enfin comme l’ombre d’une feuille.
Me voici seul avec ma voix, un nouveau jeu commence
puisque le sang torride dont je m’étais vêtu
rejeté vers la mer écrase d’autres naufrages,
c’est de mon propre sang que je teindrai les murs
mon sang hanté de l’âme neuve des lecteurs du ciel.
Alain Borne, Contre-feu, Cahiers du Rhône, 1942
Anthony Phelps – le veilleur

sculpture : Germaine Richier ( Montpellier )
Veilleur je vis dans cette patrie de poètes
au-delà de toute perception physique
dans la laine violette des songes
Un être en moi
qui né de moi est plus que moi
te parle
teintant sa voix des couleurs de l’aurore
coulant ses mots dans des moules d’oiseaux
afin qu’ils soient légers et purs
simples
à la façon des fleurs
Philippe Delaveau – marcher

Marcher parfois longtemps dans la prairie du vent.
Ses bottes malmènent les fleurs,
l’herbe aux rêves de voyage.
Puis le petit village près d’un bois.
L’harmonica d’une eau rapide qui se cache
pour voir le ciel et l’ombre, et les cailloux
entraînés de ferveur, sur leurs genoux qui brûlent.
Entendre alors la persuasion très tendre
et douce d’un oiseau qui solfie les mesures
d’une clairière. Deux fois peut-être. Puis se tait. Se dissout
dans la perfection pure et simple du silence.
Sonnet de la vie rétrécie – ( RC )

Je n’ai pu saisir les fleurs maigres,
qui ont échoué aux dents
des apprentis funèbres :
– déjà s’était retiré le sang,
des fleurs sèches et anémiques –
comme leurs couleurs :
leurs feuilles d’acier surpiquent
mon front ceint de douleur
Devrais-je porter ce carcan,
la marque infâme
d’un lent rétrécissement ,
la corbeille de soif , de l’âme
qui sèche sur son pied,
où se glisse la caresse du roncier ?
RC
La chance de l’avoir rencontré – ( RC )

On ne dérange pas
l’éclosion des fleurs.
Elles éclatent en silence
et se jouent des vieux bois
gémissant sous le vent.
On ne dérange pas
les lèvres du jour
Tu sais que la couleur
joue avec l’éphémère,
lutte contre le vent.
Tu ne couperas les les fleurs
dans leur élan
Elles ont moins de temps à vivre,
mais se répandent par milliers
à travers les champs.
On ne dérange pas
le printemps qui triomphe de l’hiver
Sa vulnérabilité n’est qu’apparence ;
tu as déjà beaucoup de chance
de l’avoir rencontré !
Octavio Paz – l’amphore brisée

Le regard intérieur se déploie, un monde de vertige et de flamme
naît sous le front qui rêve :
soleils bleus, tourbillons verts, pics de lumière
qui ouvrent des astres comme des grenades,
solitaire tournesol, œil d’or tournoyant
au centre d’une esplanade calcinée,
forêts de cristal et de son, forêts d’échos et de réponses et d’ondes,
dialogues de transparences,
vent, galop d’eau entre les murs interminables
d’une gorge de jais,
cheval, comète, fusée pointée sur le cœur de la nuit,
plumes, jets d’eau,
plumes, soudaine éclosion de torches, voiles, ailes,
invasion de blancheur,
oiseaux des îles chantant sous le front qui songe !
J’ai ouvert les yeux, je les ai levés au ciel et j’ai vu
comment la nuit se couvrait d’étoiles.
Iles vives, bracelets d’îles flamboyantes, pierres ardentes respirantes,
grappes de pierres vives, combien de fontaines,
combien de clartés, de chevelures sur une épaule obscure,
combien de fleuves là-haut, et ce lointain crépitement de l’eau
sur le feu de la lumière sur l’ombre.
Harpes, jardins de harpes.
Mais à mon côté, personne.
La plaine, seule : cactus, avocatiers,
pierres énormes éclatant au soleil.
Le grillon ne chantait pas,
il régnait une vague odeur de chaux et de semences brûlées,
les rues des villages étaient ruisseaux à sec,
L’ air se serait pulvérisé si quelqu’un avait crié : « Qui vive ! ».
Coteaux pelés, volcan froid, pierre et halètement sous tant de splendeur,
sécheresse, saveur de poussière,
rumeur de pieds nus dans la poussière, et au milieu de la plaine,
comme un jet d’eau pétrifié, l’arbre piru.
Dis-moi, sécheresse, dis-moi, terre brûlée, terre d’ossements moulus,
dis-moi, lune d’agonie, n’y a-t-il pas d’eau,
seulement du sang, seulement de la poussière,
seulement des foulées de pieds nus sur les épines
seulement des guenilles, un repas d’insectes et la torpeur à midi
sous le soleil impie d’un cacique d’or ?
Pas de hennissements de chevaux sur les rives du fleuve,
entre les grandes pierres rondes et luisantes,
dans l’eau dormante, sous la verte lumière des feuilles
et les cris des hommes et des femmes qui se baignent à l’aube ?
Le dieu-maïs, le dieu-fleur, le dieu-eau, le dieu-sang, la Vierge,
ont-ils fui, sont-ils morts, amphores brisées au bord de la source tarie ?
Voici la rage verte et froide et sa queue de lames et de verre taillé,
voici le chien et son hurlement de galeux, l’agave taciturne,
le nopal et le candélabre dressés, voici la fleur qui saigne et fait saigner,
la fleur, inexorable et tranchante géométrie, délicat instrument de torture,
voici la nuit aux dents longues, au regard effilé,
l’invisible silex de la nuit écorchante,
écoute s’entre-choquer les dents,
écoute s’entre-broyer les os,
le fémur frapper le tambour de peau humaine,
le talon rageur frapper le tambour du cœur,
le soleil délirant frapper le tam-tam des tympans,
voici la poussière qui se lève comme un roi fauve
et tout se disloque et tangue dans la solitude et s’écroule
comme un arbre déraciné, comme une tour qui s’éboule,
voici l’homme qui tombe et se relève et mange de la poussière et se traîne,
l’insecte humain qui perfore la pierre et perfore les siècles et ronge la lumière
voici la pierre brisée, l’homme brisé, la lumière brisée.
Ouvrir ou fermer les yeux, peu importe ?
Châteaux intérieurs qu’incendie la pensée pour qu’un autre plus pur se dresse, flamme fulgurante,
semence de l’image qui croît telle un arbre et fait éclater le crâne,
parole en quête de lèvres,
sur l’antique source humaine tombèrent de grandes pierres,
des siècles de pierres, des années de dalles, des minutes d’épaisseurs sur la source humaine.
Dis-moi, sécheresse, pierre polie par le temps sans dents, par la faim sans dents,
poussière moulue par les dents des siècles, par des siècles de faims,
dis-moi, amphore brisée dans la poussière, dis-moi,
la lumière surgit-elle en frottant un os contre un os, un homme contre un homme, une faim contre une faim,
jusqu’à ce que jaillisse l’étincelle, le cri, la parole,
jusqu’à ce que sourde l’eau et croisse l’arbre aux larges feuilles turquoise ?
Il faut dormir les yeux ouverts, il faut rêver avec les mains,
nous rêvons de vivants rêves de fleuve cherchant sa voie, des rêves de soleil rêvant ses mondes,
il faut rêver à haute voix, chanter jusqu’à ce que le chant prenne racine, tronc, feuillage, oiseaux, astres,
chanter jusqu’à ce que le songe engendre et fasse jaillir de notre flanc l’épine rouge de la résurrection,
Veau de la femme, la source où boire, se regarder, se reconnaître et se reconquérir,
la source qui nous parle seule à seule dans la nuit, nous appelle par notre nom, nous donne conscience d’homme,
la source des paroles pour dire moi, toi, lui, nous, sous le grand arbre, vivante statue de la pluie,
pour dire les beaux pronoms et nous reconnaître et être fidèles à nos noms,
il faut rêver au-delà, vers la source, il faut ramer des siècles en arrière,
au-delà de l’enfance, au-delà du commencement, au-delà du baptême,
abattre les parois entre l’homme et l’homme, rassembler ce qui fut séparé,
la vie et la mort ne sont pas deux mondes, nous sommes une seule tige à deux fleurs jumelles,
il faut déterrer la parole perdue, rêver vers l’intérieur et vers l’extérieur,
déchiffrer le tatouage de la nuit, regarder midi
face à face et lui arracher son masque,
se baigner dans la lumière solaire, manger des fruits nocturnes,
déchiffrer l’écriture de l’astre et celle du fleuve,
se souvenir de ce que disent le sang et la mer,
la terre et le corps, revenir au point de départ,
ni dedans, ni dehors, ni en dessus ni en dessous,
à la croisée des chemins, où commencent les chemins,
parce que la lumière chante avec une rumeur d’eau,
et l’eau avec une rumeur de feuillage,
parce que l’aube est chargée de fruits,
le jour et la nuit réconciliés coulent avec la douceur d’un fleuve,
le jour et la nuit se caressent longuement comme un homme et une femme,
comme un seul fleuve immense sous l’arche des siècles
coulent les saisons et les hommes,
là-bas, vers le centre vivant de l’origine,
au delà de la fin et du commencement.
Octavio PAZ.
Côtoyer ta solitude – ( RC )

Tu prends des chemins
des plus incertains,
- un pas risqué dans l’irréel,
- une photographie qui te révèle
où je n’ai pas l’habitude
de cotoyer ta solitude.
C’est celle d’un jardin d’épines
aussi sec , comme je l’imagine
où tu te transportes
auprès des amours mortes.
C’est ainsi que tu t’isoles
parmi ronces et herbes folles.
Dans la fuite du bonheur,
il n’y a aucune fleur
qui provoque une brèche,
juste des plantes sèches
privées de vie
que personne n’a cueillies…
RC – juin 2022
Reiner Kunze – le tilleul

Le tilleul
Nous l’avons planté
de nos mains
Maintenant nous renversons
la tête
et déchiffrons sur lui
ce que tout au plus
il nous reste de temps
Comme s’il avait un pressentiment, il emplit
pour nous le ciel de fleurs.
——
Die Linde
Wir pflanzen sie
mit eigener hand
Nun legen
den kopf wir in den nacken
und lesen ab an ihr,
was uns, wenn’s hoch kommt,
bleibt an zeit
Als ahne sie’s, füllt sie
den himmel uns mit blüten
Reiner Kunze, Nuit des tilleuls, traduction de Mireille Gansel & Gwenn Darras,
Yehuda Amichaï – Entre deux –

Où serons-nous quand ces fleurs deviendront fruits dans l’étroit entre deux, où la fleur n’est plus une fleur et le fruit n’est pas encore un fruit. Quel merveilleux entre deux nous formions l’un pour l’autre, entre nos corps, entre nos yeux, entre l’éveil et le sommeil. Entre chien et loup, ni jour ni nuit. Ta robe de printemps a pris si vite les couleurs de l’été, elle flotte déjà à la brise de l’automne. Ma voix n’est plus ma voix mais déjà, presque prophétie. Quel merveilleux entre deux nous étions, comme la terre entre les fissures du mur, brin de terre têtue sous la mousse vivace, le câprier épineux dont les fruits âpres rendaient plus doux ce que nous mangions ensemble. Voici les derniers jours des livres Avant que ne viennent les derniers jours des mots. Vienne le jour où tu comprendras.
Le baiser de la poésie
24 poèmes d’amour de
Yehuda Amichaï et Ronny Someck
Revue LEVANT
traduit par Michel Eckhard Elial
Nâzim Hikmet -Un étrange sentiment-

«Le prunier de Damas est en fleurs,
– C’est l’abricotier qui fleurit le premier
– le prunier de Damas le dernier –
Mon amour,
sur le gazon
agenouillons-nous
face à face.
L’air est clair et savoureux
– mais il ne fait pas encore très chaud –
l’écorce de l’amande
verte et couverte de duvet
n’a pas encore durci…
Nous sommes heureux
parce que nous sommes encore en vie.
Nous serions morts depuis belle lurette
si tu te trouvais à Londres
et moi à Tobrouk ou sur un cargo anglais…
Mon amour,
pose tes mains sur tes genoux
– tes poignets sont épais et blancs
la paume gauche ouverte.
La lumière du soleil est dans ta paume
pareille à un abricot…
Parmi les morts de l’attaque aérienne d’hier
cent avaient moins de cinq ans,
et vingt-quatre tétaient encore…
Mon amour,
j’adore la couleur du grain de grenade
– grain de grenade, grain de lumière –
du melon j’aime le parfum de la prune l’aigre-doux…»
…..un jour de pluie
loin des fruits loin de toi
– pas un arbre fleuri
il est même possible qu’il neige –
dans la prison de Bursa
en proie à un étrange sentiment
et à une terrible colère,
ces vers, je les écris envers et contre tout
pour me narguer moi-même
et ceux que j’aime.
7 février 1941
Nostalgie
éditions Fata Morgana
Celle qui boit le soleil – ( RC )

Le ciel se fait l’écho
de la lumière, et joue,
à chacun de tes pas,
où le chemin te conduit .
Les herbes ploient,
contre ce champ à la pente douce:
un semis de fleurs d’étoiles
d’où émerge la robe blanche.
Tu avances, la chevelure rousse…
Celle qui boit le soleil,
Comme s’étalent, ondulent,
vagues sur la nuque blanche,
robe comme une voile,
que le vent porte, et pousse…
Légère comme le parfum du bonheur,
Elle se rapproche de moi….
–
Rc – mai 2015
Un dimanche à la fête des morts – ( RC )

Les pierres sont immobiles.
laminées par le temps,
leur couleur est passée,
comme celles des photos
qui y sont accrochées,
ternies,
dans de petits médaillons.
On imagine un peu
ceux qui ont vécu,
le regard perdu
à travers le rideau des années
qui nous séparent d’eux
davantage que les chaînes argentées.
Les tombes voisines sont luisantes de pluie,
c’est toujours en novembre
que semble mourir l’automne,
et que s’échouent les fleurs,
qui perdront inéluctablement
leurs couleurs.
Tu te souviens de la Toussaint,
des demeures massives
en granite poli,
et du gravier blanc
que tu trouvais si joli.
Tu en prélevais un peu
pour dessiner un coeur,
pour répondre aux formules
écrites en noir
sur le fond émaillé.
« A ma soeur chérie » ,
« à mon oncle bien aimé.. ». etc
Puis il fallait s’en retourner,
laisser tranquilles ceux
qui ont le sommeil éternel,
auprès des cyprès centenaires.
La mort est un jour sans fin,
qui ne se contente pas
de fleurs sacrifiées…
la vie ne compte
que ceux qui meurent,
en effeuillant les pages du calendrier ;
le chagrin et l’absence demeurent
pour ceux qui se souviennent.
Je ne parlerai pas des chrysanthèmes
fanant dans leur vase,
des allées désertes,
et des croix qui penchent.
C’était un dimanche,
la fête des morts
( on imagine mal qu’ils dansent
quand tout le monde est parti ).
Le vent a arraché les dernières feuilles
des platanes de l’avenue.
Eux aussi sont en deuil.
Ils secouent leurs branches
comme des membres décharnés :
ils sont les gardiens des ténèbres,
mais attendent le retour du printemps
près de l’enclos funèbre.
Toussaint – Susanne Derève –

.
Ne parle pas de chrysanthèmes
c’est Toussaint
Ne me parle pas des pierres
c’est cimetière
La mort est un jour sans fin
et la faim me tenaille de vivre
encore
A Toussaint autrefois
c’était toujours Dimanche
parmi les fleurs
Maman se serrait contre moi
j’étais la chaleur des corps ensevelis
contre le sien un bouclier ardent
Je faisais face au poids charnel
du chagrin aux servitudes de l’oubli
Nos pas crissaient dans les allées
et les fleurs immobiles taisaient
lentement leurs couleurs
Moi, pendue à son bras
spectateur du tendre passé
je ne voulais pas que s’étiole l’amour
Je priais qu’il dure toujours
.
.
Détourner la douleur vers un peu de sourire – (RC )

Tant d’années à se dire
à se lire , à déchirer les ténèbres
de tant d’heures,
pour que la lumière vienne,
et rebondisse sur les fleurs
dont la tête penche ;
Elles n’égarent pas leurs couleurs,
car elles restent vivantes
dans le tableau.
Je suis derrière,
je ne sais si tu me reconnaîtras,
car j’ai un peu changé,
et ma voix est chargée
de mes pas égarés
dont l’immobilité rejoint
celle la pierre
Le silence serait-il
de la même nuance qu’hier ?.
Je me suis exercé
avec le jeu des pinceaux,
pourtant , je ne façonne pas les heures,
je laisse passer les oiseaux,
je me retire dans des paroles
souvent vaines,
mais j’y loge un peu de soleil
pour détourner la douleur
vers un peu de sourire.
RC
Le prunus de Fukushima – ( RC )

Loin du tsunami,
et des accidents nucléaires
survit de façon insolente
un prunus, qui n’a avait jamais produit
autant de fleurs.
Les tours des banlieues ont été désertées,
et les rues abritent des courants d’air.
On peut y voir parfois
les bateaux renversés,
éventrés, drôles d’épaves urbaines,
des poteaux brisés dont les cables
se sont enchevêtrés,
pris dans des blocs de béton.
Le prunus, lui, survit.
A le voir, on croirait
que les tempêtes n’ont jamais existé.
Il est passé aux actualités,
a enrichi les pages des magazines étrangers.
Personne ne vous a dit,
que ses fleurs étaient vénéneuses.