Paul Verlaine – Divine Ignorante –

XVIII Si tu le veux bien, divine Ignorante, Je ferai celui qui ne sait plus rien Que te caresser d’une main errante, En le geste expert du pire vaurien, Si tu le veux bien, divine Ignorante. Soyons scandaleux sans plus nous gêner Qu’un cerf et sa biche ès bois authentiques. La honte, envoyons-la se promener. Même exagérons et, sinon cyniques, Soyons scandaleux sans plus nous gêner. Surtout ne parlons pas littérature. Au diable lecteurs, auteurs, éditeurs Surtout ! Livrons-nous à notre nature Dans l’oubli charmant de toutes pudeurs, Et, ô ! ne parlons pas littérature. Jouir et dormir ce sera, veux-tu ? Notre fonction première et dernière, Notre seule et notre double vertu, Conscience unique, unique lumière, Jouir et dormir, m’amante, veux-tu ?
XX Tu crois au marc de café, Aux présages, aux grands jeux : Moi je ne crois qu’en tes grands yeux. Tu crois aux contes de fées, Aux jours néfastes, aux songes, Moi je ne crois qu’en tes mensonges. Tu crois en un vague Dieu, En quelque saint spécial, En tel Ave contre tel mal. Je ne crois qu’aux heures bleues Et roses que tu m’épanches Dans la volupté des nuits blanches ! Et si profonde est ma foi Envers tout ce que je croi Que je ne vis plus que pour toi.
Chansons pour elle
Paul Verlaine
Œuvres poétiques complètes
Robert Laffont Bouquins
Bernat Manciet – Braises ma peau
XVI
Braises ma peau —mais une âme de gel
forte ma foi —- je n’ai plus rien à croire
bon œil — ma vue se refroidit
l’hiver me brûle et le printemps m’est fade
coffre solide — mais ne soit plus de brise
de chêne cœur — je suis las du certain
aimer me tient — l’amour me reste tiède
prière suis — mais demander me déplaît
Partir je veux — mais je sais tous sentiers
j’ai soif de pluie —et toute pluie m’est cendres
faim de mouton —toute chair me répugne
le soir s’éteint —pouvoir n’être personne!
l’aube va naître —et je cherche l’obscur
la nuit rayonne et ta lumière est morte
Une chapelle comme une nef échouée – ( RC )
Chapelle contemporaine du Mont Lozère. Architecte: Jean Peytavin
( toutes photos perso – réalisées en 2006 )
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On ne s’attend pas, quelque part,
Dans un repli de la montagne,
A trouver là,
Une nef, immobilisée,
Qui s’est échouée un jour,
La quille prise dans les sables.
C’était comme aujourd’hui,
( on peut le supposer ),
Un jour où le brouillard épais,
Ne permettait pas de voir les côtes.
Bien sûr on peut se demander,
Puisqu’il n’y a pas de rivage,
Par quel hasard le bord de mer,
Se serait élevé,
Si haut, qu’on en aurait perdu le sel,
Et même jusqu’à l’idée.
Quant à moi je m’en tiens à l’énigme,
Du basculement des origines .
Oui, on ne s’attend pas,
A trouver une flèche incrustée,
Dans la large épaule
De la montagne,
Une construction dont le toit
S’élance du sol, pour se tendre,
Dans sa simplicité géométrique,
Vers les hauteurs ventées.
Jusqu’ où va la foi,
Et jusqu’au coeur du froid,
Si des hommes ont dressé
Tout contre le ciel, une nef
– peut-être en se rappelant
Celle de Noé ….-
En recherchant sous le ciel bas
Des fragments de divin.
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RC – mai 2015
Livre des heures de Carlos V.
Biblioteca Nacional de España
Semé aux quatre vents – ( RC )
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Semé aux quatre vents,
descendre sur les toits,
dilapidée la joie,
perdu les esprits, renoncé à sa foi,
perdu pour toujours, et faire avec ce qu’il reste,
un chemin incertain,
une mémoire de l’oubli,
la tête dans un mouchoir,
suivre son étoile, de celle qui scintille,
à celle qui s’affole,
guidé vers l’inaccessible,
ou précipité dans les abysses,
je ne sais plus ce que je dois,
et dessiner le moi, – enfin celui qui m ‘habite,
ou me précède, et me dicte sa loi.
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RC – 4 juillet 2013
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Colette Fournier – transfuge
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Entre dérobade et vertiges
La cambrure de ton âme ressemble
A s’y méprendre à ces nefs d’église
Que la foi a désertées…
Paysage rongé de ronciers et aride
Où nulle eau ne serpente
Où nulle joie ne se créée…
J’en connais de ces vaisseaux amers
Qu’une houle bascule
En roulis de bitume
Et qui ne veulent plus même
Etre sauvés !
Et frotter leurs cœurs vides
A l’aumône du temps
Battant à pleine pompe
L’heure de tous les vents !
Crois bien que ma lanterne
Se brise plus qu’à son tour
Sur des récifs étranges
Aux étranges contours
Mais je les veux mouvants
Malléables et tordus
A l’aune de mes désirs
Trempés d’encre et perdus
S’ils ne s’écrivent pas…..
Je suis une maison
Balayée de printemps
Et qui se refuse à mourir
Tant qu’il restera
Quelque chose à faire frémir
A la pointe de mon regard
Transfuge
De toutes les mémoires…
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