Jean-Claude Goiri – la forme qu’il faut

Prends la forme qu’il faut pour aller partout, juste partout, à chaque
endroit qui grince, qui frotte comme il ne faut pas, juste dans la non
zone, dans le palais du naître, juste où ta langue va claquer pour dire le
mot juste, juste où il ne faut pas mettre un pied devant l’autre, où les
vers ne sont libres que de se taire, à l’endroit exact d’où le giclé se
reforme, d’où le fusé repart pour de nouvelles aventures, juste là où ça
craque quand ta chaise s’alourdit, prends juste la forme qu’il faut pour
aller partout, juste cet endroit où les couleurs remplacent toute autre
forme de vie, cette vie dont tu rassembles les éclats, juste un moment
pour voir ce que ça donne dans le blanc, et pour voir aussi comment
ça marche le blanc, et pour ça tu prends juste la forme et le temps qu’il
faut pour aller nulle part, et ton œil qui cherche à poser son regard, ce
regard qui devient multiple, comme ces herbes folles qui poussent
parmi celles qui ne le sont pas, prends juste le temps d’aller beaucoup
partout
Jean-Claude Goiri est actif au sein de FPM ( le festival permanent des mots ).: éditions Tarmac
Ce texte est issu d’un pdf disponible sur le site « les cosaques des frontières »
Renée Vivien – un éclair qui laisse les bras vides
Ta forme est un éclair qui laisse les bras vides,
Ton sourire est l’instant que l’on ne peut saisir…
Tu fuis, lorsque l’appel de mes lèvres avides
T’implore, ô mon Désir !
Plus froide que l’Espoir, ta caresse est cruelle
Passe comme un parfum et meurt comme un reflet.
Ah ! l’éternelle faim et soif éternelle
Et l’éternel regret !
Tu frôles sans étreindre, ainsi que la Chimère
Vers qui tendent toujours les vœux inapaisés…
Rien ne vaut ce tourment ni cette extase amère
De tes rares baisers !
____________(Études et préludes, 1901)
Catherine Pozzi – Escopolamine
Le vin qui coule dans ma veine
A noyé mon cœur et l’entraîne
Et je naviguerai le ciel
À bord d’un cœur sans capitaine
Où l’oubli fond comme du miel.
Mon cœur est un astre apparu
Qui nage au divin nonpareil.
Dérive, étrange devenu !
Ô voyage vers le soleil —
Un son nouvel et continu
Est la trame de ton sommeil.
Mon cœur a quitté mon histoire
Adieu Forme je ne sens plus
Je suis sauvé je suis perdu
Je me cherche dans l’inconnu
Un nom libre de la mémoire.
Escopolamina
El vino que por mis venas fluye
Ahogó mi corazón y se lo lleva
Y por el cielo yo navegaré
En un corazón sin capitán
Donde el olvido es blanda miel.
Mi corazón es astro aparecido,
Que nada en el divino sinigual.
¡Deriva, extraño acontecido!
Oh viaje, largo viaje hacia la luz—
Sonido nuevo y nunca interrumpido
Es la tejida trama de tu sueño.
Mi corazón abandonó mi historia
Adiós Forma ya no siento más
Estoy a salvo al fin estoy perdido
Me voy buscando en lo desconocido
Un nombre libre de la memoria.
Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán
Catherine Pozzi (1882-1934)
–
Robert Creeley – Distance
photo: Tamsin
Distance
1
Comme j’avais
mal, de toi,
voyant la
lumière là, cette
forme qu’elle
fait.
Les corps
tombent, sont
tombés, ouverts.
Cette forme, n’est-ce pas,
est celle que
tu veux, chaleur
comme soleil
sur toi.
Mais quoi
est-ce toi, où,
se demandait-on, je
je me demandais
toujours. La
pensée même,
poussée, de forme
à peine naissante,
rien
sinon
en hésitant
d’un regard
après une image
de clarté
dans la poussière sur
une distance imprécise,
qui projette
un radiateur en
arêtes, brille,
la longueur longue
de la femme, le mouvement
de l’
enfant, sur elle,
leurs jambes
perçues derrière.
2
Les yeux,
les jours et
la photographie des formes,
les yeux
vides, mains
chères. Nous
marchons,
j’ai
le visage couvert
de poils
et d’âge, des
cheveux gris
puis blancs
de chaque côté
des joues. Descendre
de la
voiture au milieu
de tout ce monde,
où es
tu, suis-je heureux,
cette voiture est-elle
à moi. Une autre
vie vient à
la présence,
ici, tu
passes, à côté
de moi, abandonné, ma
propre chaleur
réprimée,
descendre
une voiture, les eaux
avançant, un
endroit comme
de grands
seins, le chaud et
l’humide qui progressent
s’éveillant
jusqu’au bord
du silence.
3
Se dégager de comme en amour, ou
amitié de
rencontre, « Heureux de vous
rencontrer — » Ces
rencontres, c’est
rencontrer
la rencontre (contre)
l’un et l’autre
le manque
de bien-être, le mal
aise du
cœur en
formes
particulières, s’éveille
contre un corps
comme une main enfoncée
entre les jambes
longues. Ce n’est
que la forme,
« Je ne connais pas
ton visage
mais ce qui pousse là,
les cheveux, malgré la fêlure,
la fente,
entre nous, je
connais,
c’est à moi — »
Qu’est-ce qu’ils m’ont fait,
qui sont-ils venant
vers moi
sur leurs pieds qui savent,
avec telle substance
de formes,
écartant la chair,
je rentre
chez moi,
avec mon rêve d’elle.
Robert Creeley
Traduit de l’américain par ]ean Daive
T.S. Eliot – Les mots bougent
Les mots bougent, la musique se déplace
Seulement dans le temps; Mais seulement ce qui est vivant
Peut seulement mourir. Les mots, après le discours,se fondent
Dans le silence. Ce n’est que par la forme, le motif,
Que les mots ou la musique peuvent atteindre
Le silence, comme un vase chinois immobile
Remue perpétuellement dans son immobilité.
T.S. Eliot, Quatre Quatuors (V)
( tentative de traduction RC )
Words move, music moves
Only in time; but that which is only living
Can only die. Words, after speech, reach
Into silence. Only by the form, the pattern,
Can words or music reach
The stillness, as a Chinese jar still
Moves perpetually in its stillness.
T.S. Eliot, Four Quartets (V)
Antonin Artaud – éparpillement des poèmes

— photo Deidi von Schaewen, placée en extérieur rencontres photographiques Arles 2012 – re-photo perso
–
Cet éparpillement de mes poèmes, ces vices de forme, ce fléchissement constant de ma pensée,
il faut l’attribuer non pas à un manque d’exercice, de possession de l’instrument que je maniais,
de développement intellectuel; mais à un effondrement central de l’âme,
à une espèce d’érosion, essentielle à la fois et fugace, de la pensée,
à la non-possession passagère des bénéfices matériels de mon développement,
à la séparation anormale des éléments de la pensée (l’impulsion à penser,
à chacune des stratifications terminales de la pensée, en passant par tous les états,
toutes les bifurcations de la pensée et de la forme). »
–
A Artaud – Correspondance avec Jacques Rivière
–
incitation: le film « regard sur la folie », de Mario Ruspoli, dans lequel Michel Bouquet en voix off, nous dit ce superbe texte de Artaud..
Tu ne me vois plus … ( RC )
–
Si c’est une feuille d’automne,
Ou alors leur pluie,
Qui font cette nuit
Portée par des soubresauts du vent
Caprices d’un temps brouillé,
Les yeux ouverts dessous
Où tout se confond,
La forme avec le fond
Le sable et la terre avec tes membres
Et les voix profondes
D’un hiver d’intérieur
La petite bête en toi
Tourne dans sa cage
Elle cherche son issue
A travers son nuage sombre
Pour de futures saisons .
L’or à tes paupières
Dira le récit
Sauvage à ton regard
Renaissance, en demains
Tu ne me vois plus …
Mais tu es là… toujours,
S’il faut chercher ton regard,
Qui se dit absence
C’est toujours lui
Que je porte en moi .
RC – 4 juillet 2012
–
Potier de vie – (RC)
Demain je regarde ce tas de terre, je me dis, si j’étais potier, j’en ferais un petit vase.
Je le fais en pensée je reconstitue tes propos.
Je les vois dans un autre ordre, sous une autre lumière. Et ce vase a une autre forme que la motte de départ, mais le même volume, la même masse.
Il fait corps avec le vide, le creux qui rend le vase, vase.
Ta parole est comme çà.
Ce ne sont pas que des mots placés dans un ordre donné.
Ils font corps avec ton esprit, avec ce creux qui justifie ta forme.
J’ai peut-être compris aussi que cette forme existera encore, qu’elle n’est pas donnée, que toi-même tu changeras de forme, et d’esprit.
Et te soumettras ,
à la lumière, celle qui révèle les volumes.
Mais garderas ton âme.
Article en relation avec le texte de François Cheng, publié précédemment…